Face à un événement indésirable grave - Objectif Soins & Management n° 232 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 232 du 01/01/2015

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Le risque zéro n’existe pas et il survient chaque année plus de 200 000 événements indésirables graves dans l’ensemble des établissements de santé français. Lors de la survenue de tels événements, des procédures spécifiques légalement obligatoires doivent être menées, à la fois dans un souci de gestion du risque avéré, de respect du patient et d’amélioration du service rendu.

Prenons un service de trente lits : sur une période de cinq jours, il se produira au moins un événement indésirable grave (EIG), c’est-à-dire, selon la définition, « un événement défavorable au patient, ayant un caractère certain de gravité (à l’origine d’un séjour hospitalier ou de sa prolongation, d’une incapacité ou d’un risque vital) et associé à des soins réalisés lors d’investigations, de traitements ou d’actions de prévention ». Les données d’incidence chiffrent à 6,2 EIG pour 1 000 jours d’hospitalisation, soit entre 275 et 395 000 EIG par an ! Parmi eux, près de la moitié est associée aux actes invasifs, la même proportion aux produits de santé et un tiers aux infections. S’ils prennent des formes très variées, ils ont toujours de graves conséquences. Néanmoins, selon une étude(1) de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), la survenue d’un EIG n’est pas forcément liée à une moindre qualité des soins : « Une part importante d’EIG résulte de risques auxquels le patient était exposé dans le cadre de soins considérés comme optimaux. » C’est pourquoi seuls certains de ces EIG sont considérés comme évitables : ceux qui n’auraient pas dû arriver si la prise en charge avait été satisfaisante (on considère l’événement évitable a posteriori, quand une étude en atteste par rapport à la situation clinique du patient, et des conditions de prise en charge dans le système de soins). Le risque zéro n’étant qu’une utopie, il arrive donc que ces événements indésirables (EI) se produisent : au-delà des conséquences qu’ils peuvent avoir sur le patient, leur notification participe à l’amélioration de la sécurité des patients, tout d’abord à travers l’identification des erreurs et des risques puis par leur analyse, qui permet de mettre en place d’éventuelles mesures correctives. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en place un guide avec un ensemble de recommandations pour le signalement des EI(2). Elle y rappelle que les professionnels de santé doivent être encouragés à signaler en cas d’EI et qu’ils ne doivent pas être sanctionnés (cf. encadré) : le système de déclaration doit être indépendant de toute autorité ayant le pouvoir de “punir”, précise l’OMS. Chaque déclaration doit ensuite être analysée par des experts qui comprennent les circonstances cliniques et les processus de soins et qui sont formés à la recherche des causes profondes. À l’issue de ces études, des recommandations, notamment en matière de prévention, doivent rapidement être diffusées, surtout si le risque a formellement été identifié.

OBLIGATION LÉGALE

En France, c’est depuis la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades, dite loi Kouchner, que l’obligation de signalement a été mise en place : elle a posé le principe de la mise en place d’un dispositif de déclaration obligatoire des EI liés aux actes médicaux (article L. 1413-14). Son application a été entérinée par la loi de santé publique du 9 août 2004 qui pose le principe d’une « déclaration à l’autorité administrative compétente par tout professionnel ou établissement de santé lors de la survenue d’une infection nosocomiale ou de tout autre EIG ». La loi du 13 août 2004 sur l’Assurance maladie a ensuite désigné la HAS comme l’organisme chargé du recueil des déclarations des événements considérés comme porteurs de risques médicaux. L’Institut national de veille sanitaire (InVS) a été chargé de mener une expérimentation sur la déclaration des événements autres que les infections nosocomiales (IN) (arrêté du 25 avril 2006).

SIGNALEMENT

En pratique, tout événement indésirable doit être signalé : qu’il soit lié aux soins, au respect des vigilances réglementaires mais aussi lié aux modalités d’organisation ou aux aspects logistiques. C’est l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) qui gère le recueil des déclarations : son rôle étant d’assurer par différents moyens la surveillance des produits de santé, elle a en effet mis en place différents systèmes de collecte des signalements et alertes en provenance des professionnels de santé et des industriels mais aussi des patients (ou associations de patients). Chacun peut signaler via une plateforme spécifique du risque concerné (matériovigilance, hématovigilance, biovigilance, etc.) par des formulaires sécurisés (sur la page d’accueil de l’ANSM, “déclarer un effet indésirable”). Pour les IN, une plateforme de signalement spécifique dédié a été mise en place par l’InVS : e-sin, c’est son nom, permet de télé-signaler, après identification, toute survenue d’une IN. Ce signalement via la plateforme a été rendu obligatoire en mars 2012. Il est accessible à tout praticien de l’équipe opérationnelle d’hygiène et doit être validé par le “responsable signalement” de l’établissement. Enfin, l’Agence de biomédecine gère, quant à elle, tout incident relatif à l’assistance médicale à la procréation.

Reste qu’il ne faut pas perdre de vue qu’il y a toujours un lien fort entre l’état de santé? et les soins dans la survenue d’un EIG évitable. Selon la Drees, « après analyse approfondie par les médecins en charge des patients et les médecins enquêteurs, ces événements sont apparus associés en partie à une pratique médicale sous optimale, une perte de temps, une rupture dans la continuité des soins, des déviances diverses par rapport à des protocoles, des règles ou des recommandations. Ces résultats montrent l’importance de la sensibilisation, de la formation et du développement d’une culture de sécurité ». La boucle est bouclée.

NOTES

(1) Étude sur les EIG dans les établissements de santé, Drees, n° 761, mai 2011 – www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/er761.pdf

(2) www.who.int/patientsafety/events/05/Reporting_Guidelines.pdf

La question délicate de l’annonce au patient

Redoutée, parfois volontairement oubliée, l’annonce au patient fait partie intégrante du processus de prise en charge d’un événement indésirable. Légitime pour le patient, obligatoire pour le professionnel de santé, elle doit nécessairement être réalisée dans de bonnes conditions.

Voici quelques pistes pour mener à bien cette démarche.

→ Compte-rendu de la table ronde des Rencontres HAS 2007, “Quelles informations médicales donner en cas d’événements indésirables ?” : via le lien raccourci http://petitlien.fr/7ri8

→ Annonce d’un dommage associé aux soins, documents de la HAS : via le lien raccourci http://petitlien.fr/7ri9

→ Un document de l’AP-HP sur “En cas d’EIG : que dire au patient, que faire ?” via le lien raccourci http://petitlien.fr/7ria

Une charte pour encourager la culture du signalement

« Apprendre de ses erreurs pour encourager la qualité et la sécurité des soins. » C’est en substance l’objet d’une charte pour encourager une politique de signalement dans les établissements de santé. L’AP-HP a déjà franchi le pas en mettant en place ce document l’an dernier (baptisé Osiris pour “Organisation du système d’informations des risques”). Cosignée par Martin Hirsch, directeur général, et le Pr Loïc Capron, président de la Commission médicale d’établissement, cette charte encourage l’ensemble des personnels à signaler les EI. Elle marque aussi un engagement à ne pas sanctionner les professionnels de santé qui signalent un EI dans lesquels ils sont impliqués (sauf en cas de manquement délibéré aux règles de sécurité) et à promouvoir une attitude éthique et respectueuse à l’égard des patients et de leurs proches, « par un comportement transparent, empathique et sincère, dans le plus grand respect de leurs droits et par une prise en compte de leurs besoins, et à l’égard des personnels et des équipes concernés, par un accompagnement professionnel non culpabilisant et, si besoin, un soutien psychologique ou juridique ». Enfin, ce système doit permettre de “tirer des leçons” des erreurs, notamment par l’élaboration de méthodes et moyens pour l’analyse de ces EI. D’autres établissements ont suivi, notamment le CHU de Montpellier qui a mis en place le même type de charte doublée d’un système d’accompagnement via des personnes ressources chargées d’aider tout personnel soignant à faire face en cas de survenue d’un EI.