Que mangent les soignants ? - Objectif Soins & Management n° 231 du 01/12/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 231 du 01/12/2014

 

Promotion de la santé

Nizard Laetitia*   Noreils Karine**   Rieger Sandrine***   Toullec Valérie****   Touïl Nassera*****  

L’alimentation des soignants à l’hôpital est-elle une priorité de santé publique ? Force est de constater que le soignant, acteur indispensable dans l’éducation alimentaire, ne s’applique pas à lui-même ce qu’il préconise.

S’il existe peu d’écrits dans la littérature scientifique, l’alimentation du soignant à l’hôpital reste une problématique intéressante en matière de santé publique. Face au postulat de départ, indiquant un réel état de malnutrition chez les soignants à l’hôpital, nous avons tenté d’apporter des pistes d’amélioration.

LES FAITS

En matière de prévention et de promotion de la santé, l’alimentation fait partie intégrante du domaine de l’éducation pour la santé. Dans le domaine de la santé publique et en lien avec la formation de cadre de santé, un thème a retenu notre attention : l’alimentation des soignants à l’hôpital. Chaque personne est concernée et le soignant l’est à double titre : en temps qu’individu mais également en temps que professionnel. Quant au cadre de santé, il est un acteur primordial dans l’exploitation et l’analyse des besoins de santé de la population.

MOYENS ET MÉTHODES

En quoi l’alimentation des soignants en milieu hospitalier influence leur état de santé ?

Deux hypothèses sont privilégiées.

• L’organisation du travail en milieu hospitalier ne permet pas au soignant d’avoir une alimentation de qualité.

• L’alimentation n’est pas une priorité pour le soignant en tant qu’individu.

À partir de ce constat de départ, nous avons exploré certains concepts et théories afin d’approfondir le thème de recherche. Pour mener à bien ce projet, nous avons effectué notre enquête au sein d’un centre hospitalier de la région parisienne : neuf unités de soins ont été enquêtées sur l’ensemble de l’établissement.

Sur 150 questionnaires distribués, 132 ont été recueillis et 16 questionnaires sont inexploitables. La population ciblée vise les cadres de santé, les infirmières et les aides-soignantes. Dans cette démarche de recherche et en lien avec l’établissement “cible”, les objectifs définis sont les suivants :

• analyser les situations,

• élaborer les objectifs et les plans d’actions,

• proposer les actions d’éducation et d’évaluation pour la santé,

• proposer les axes d’amélioration et les critères d’évaluation.

RÉSULTATS

Description de la population

116 personnes ont été interrogées. Parmi elles :

• 55 sont des aides-soignantes ou auxiliaires de puériculture (47,4 %) ;

• 51 sont des infirmières (44 %) ;

• 10 sont des cadres de santé (8,6 %).

Une large majorité (75,9 %) travaille en 7 h 30 et en alternance.

Habitudes alimentaires

Les soignants s’alimentent très peu hors des unités de soins. La quasi-totalité des personnes interrogée est interrompue pendant la pause repas. Ces interruptions multiples (93,1 % des personnes toutes catégories confondues) provoquent de nombreuses réactions, notamment des émotions négatives (énervement, irritabilité…) et peuvent mettre en évidence une organisation ne permettant pas la prise d’un repas en continu. Les interruptions fréquentes lors des pauses repas sont susceptibles d’être la cause de grignotage.

Que mange-t-on ?

L’alimentation des soignants sur leur lieu de travail est variée. Dans les types de consommation les plus répandus, nous retrouvons le grignotage, les barquettes de l’hôpital et les plats faits maison.

Temps de repas

Le temps accordé au repas est très variable (pas de repas à trente minutes ou plus). Le repas le plus consommé est le déjeuner (90,9 % des personnes ayant répondu et la durée de celui-ci est de vingt à trente minutes). Seuls 6 % des professionnels prennent plus de trente minutes pour leur pause déjeuner (toutes catégories confondues). Ce résultat est obtenu essentiellement par le nombre de cadres prenant plus de trente minutes (20 %). Les causes de la non-prise de repas ne sont pas mises en évidence. Le soignant tend à privilégier la prise en soin du patient au détriment de son alimentation et de sa santé.

REPRÉSENTATION DU MOMENT DU REPAS

La grande majorité des personnes (95,5 %) prenant un repas sur leur lieu de travail est accompagnée. Elles assimilent ce moment du repas à un temps de convivialité, de partage… (83,2 %). Ce temps, bénéfique pour le bien-être psycho-socio-affectif de l’individu, permet de tisser du lien au travers de ces temps dits “interstitiels”. Les représentations relatives au repas sont différentes en fonction du lieu d’exercice.

IMPACT DE L’ALIMENTATION SUR LA SANTÉ DES SOIGNANTS

Notion d’équilibre alimentaire

Plus de la moitié des personnes interrogée (53,1 %) ne pense pas avoir une alimentation équilibrée. La notion d’alimentation équilibrée est perçue de façon très variable selon les personnes interrogées. Il en ressort néanmoins des caractéristiques récurrentes telles qu’une alimentation diversifiée, trois repas par jour, un équilibre entre les différents groupes alimentaires, la consommation de fruits et légumes ainsi que l’idée de la régularité des horaires des repas.

Le poids

58,8 % des personnes ont connu une variation de poids depuis le début de leur exercice en milieu hospitalier. La prise de poids est davantage citée que la perte de poids. Cette prise est majoritairement comprise entre un et dix kilos. Il est à noter que pour 14,9 % des personnes interrogées, la prise de poids est supérieure à quinze kilos. Cependant, le lien avec l’alimentation n’a pu être établi.

Santé

96,2 % des personnes interrogées pensent que l’alimentation peut avoir un impact sur leur santé. Pour eux, une alimentation non équilibrée peut avoir plusieurs conséquences sur la santé. Dans ces dernières, on retrouve dans les plus citées :

• une sensation de “mal-être” (38,3 %),

• les variations de poids (34 %), les problèmes cardiovasculaires (29,8 %),

• les carences (25,5 %).

22,8 % des personnes déclarent avoir développé des pathologies (rhumatologique, gastro-intestinale, thyroïdienne et cardiovasculaire). Ces dernières correspondent à des risques liés à un déséquilibre alimentaire mais aucun lien n’a pu être établi. Les pathologies les plus fréquemment citées sont les maladies cardiovasculaires, la surcharge pondérale, le diabète et les troubles du comportement alimentaire. 7 % des personnes interrogées suivent un régime alimentaire, amaigrissant ou sans sel.

APPRENDRE À SE DÉTENDRE

Un réel moment de détente permettrait de diminuer le stress et favoriserait la prise de recul pour une meilleure prise en charge des patients. L’organisation du travail ne permet pas au soignant une alimentation de qualité. De plus, l’alimentation n’est pas une priorité pour le soignant en tant qu’individu.

AXES D’AMÉLIORATION

Une fois les hypothèses de ce travail de recherche confirmées et au regard de la directive ministérielle (Programme national nutrition santé), des axes d’améliorations et des critères d’évaluation ont été dégagées.

Offre alimentaire

En matière d’offre alimentaire, deux axes peuvent être retenus :

• partenariat pluridisciplinaire (médecin du travail, diététicien, restauration) ;

• propositions spécifiques (installation de fontaines à eau, menus à prix coûtant).

Information et éducation

• Semaine du goût.

• Groupes de travail.

• Moyens de communication (affichages, flyers…).

Dépister et prendre en charge les pathologies liées à la nutrition

Le dépistage et la prise en charge des pathologies liées à la nutrition offrent trois niveaux de prévention :

• prévention primaire : dépistage par la médecine de travail ;

• prévention secondaire : identification des causes et suivi des pathologies ;

• prévention tertiaire : suivi individualisé.

L’ALIMENTATION DES SOIGNANTS

Dans le domaine de l’alimentation, le professionnel de santé est le premier sensibilisé. Au regard de sa formation et de ses expériences, il est attendu de lui qu’il applique ces préceptes.

Le temps réservé à s’alimenter, se nourrir, s’amenuise de jour en jour et l’alimentation semble difficile à concilier avec les conditions de travail, bien que certains axes d’amélioration soient envisageables. Et si on s’arrêtait un peu pour manger ?