Le CPOM, mythe ou réalité ? | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 231 du 01/12/2014

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Le mode contractuel devient le nouveau mode de coordination des acteurs en santé, quel que soit le secteur : prévention, hospitalier, ambulatoire, médico-social. Avec l’instauration du fonds d’intervention régional (FIR), désormais toute attribution de moyens doit faire l’objet d’un contrat.

Le projet de loi relatif à la santé consacre la notion de contrat à l’échelle des territoires. Dans le secteur hospitalier, dans le cadre de la “nouvelle gouvernance hospitalière”, les directeurs sont appelés à négocier et à signer des contrats de délégation de gestion avec les responsables de pôles d’activité clinique et médico-technique ; les agences régionales de santé (ARS) elles-mêmes sont sous contrat avec le ministère de la Santé, dans lequel des objectifs leur sont assignés de manière à évaluer leur action. Son caractère universel et obligatoire qui s’impose à tous les établissements de santé, et même aujourd’hui, tous les acteurs de santé, qu’ils soient publics ou privés, sur la base d’un contenu non négociable, du moins pour partie, ne fait-il pas du Contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) une contrainte plutôt qu’un vrai contrat au sens économique du terme ?

DU CPOM CONTRAT…

Le CPOM formalise, sous une forme contractuelle, l’ensemble des relations entre les établissements de santé et l’ARS. En contrepartie d’engagements sur les activités de soins, mais également en termes financiers et d’efficience, le CPOM donne la possibilité à l’établissement de facturer auprès de l’Assurance maladie les soins effectués pour lesquels il est autorisé. De même, le contrat reconnaît les activités ouvrant droit à facturation de suppléments par rapport aux tarifs : soins intensifs, soins continus, soins palliatifs. Il reconnaît également les missions d’intérêt général exercées par l’établissement. Dans le cadre d’un mode de financement à l’activité, le CPOM ouvre le droit à obtenir des moyens, sans le mentionner explicitement.

Les objectifs mentionnés au contrat font l’objet d’une négociation entre le titulaire d’autorisation et les services de l’ARS. Sur la base d’un diagnostic partagé, et dans le cadre des orientations du projet régional de santé (PRS) et du schéma régional d’organisation des soins (Sros), l’établissement et l’ARS s’entendent pour définir, pour chacun des objectifs, la valeur cible à atteindre et les délais de réalisation, ainsi que les moyens pour y parvenir.

… AU CPOM CONTRAINTE…

Mais, force est de constater que le CPOM, tel qu’il est prévu par la loi, ne s’apparente pas à un contrat émanant de la libre volonté des deux contractants. En effet, la signature du contrat s’impose tout aussi bien à l’ARS qu’à l’établissement de santé. Le CPOM détermine les orientations stratégiques de l’établissement, les modalités de participation au PRS, les conditions d’accès aux soins et de continuité des soins. Le contrat fixe encore au titulaire sanitaire un certain nombre d’objectifs qui doivent obligatoirement figurer au contrat en matière de sécurité des soins et d’amélioration de la qualité, les transformations des activités de soins, les actions de coopération. De même, le contrat doit prévoir des engagements concernant l’amélioration de sa gestion.

C’est sur la base d’un contrat-type, élaboré par chaque ARS, sur la base d’un guide national, après concertation auprès des établissements, que vont être négociés les contrats.

Ainsi le CPOM s’apparente-t-il plus à un contrat d’adhésion obligatoire qu’à un véritable contrat au sens économique du terme. Le CPOM s’analyse comme une feuille de route adressée au titulaire d’autorisation, assortie d’un mécanisme de sanctions en cas de non-respect.

Toutefois, à certains égards, le CPOM relève du mode de la convention dans la mesure où la “tutelle” tout comme les établissements de santé ont ou n’ont pas intérêt, collectivement, à signer. Pour les établissements, la non-signature signifierait le non-remboursement par l’Assurance maladie mais également la perte des autorisations sanitaires ; mais, dans ce cas-là, les ARS ne seraient-elles pas victimes elles-mêmes du mécanisme de sanction qui conduirait à la fermeture de tous les établissements de santé ?

… VERS UN CPOM DE TERRITOIRE ?

Afin de rendre au CPOM sa pleine et entière dimension contractuelle, il semble nécessaire de repenser la régulation de l’offre de santé en articulant mieux ses différents instruments et de situer le contrat à un autre niveau. Actuellement, une certaine confusion existe entre les différents niveaux de contractualisation. Il semble opportun de clarifier le rôle des différents contrats si l’on veut qu’ils gardent leur pleine efficacité. La loi ne précise pas le lien entre les contrats locaux de santé et les CPOM avec les différents acteurs.

Le PRS, appelé à être un véritable document de politique générale, devrait simplement déterminer les grands principes de la politique régionale de santé et ses modalités d’application (accessibilité, qualité, efficacité) et préconiser les priorités sanitaires à conduire dans chaque territoire de santé.

La mise en œuvre effective du PRS se ferait par l’application d’un contrat d’objectifs et de moyens entre l’ARS et chaque territoire de santé qui déterminerait la déclinaison opérationnelle des objectifs du PRS en fonction des besoins propres à chaque territoire.

Dans le cadre de ce contrat, l’ARS délègue la gestion des soins aux territoires de santé, comme le directoire dans un centre hospitalier peut le faire aux pôles d’activité. C’est sur la base de ce contrat que le territoire de santé est incité à mettre en place une concurrence organisée (lire l’encadré page précédente) entre les producteurs de soins du territoire, dans le but d’améliorer l’efficacité et l’équité du système de soins.

LES DISPOSITIFS DE COORDINATION D’UN SYSTÈME ÉCONOMIQUE

Trois dispositifs sont à l’origine de la coordination d’un système économique : la contrainte qui exclut tout accord de volonté, le contrat, vu comme le produit d’un tel accord, et la convention envisagée comme un objet sur lequel il est possible de s’accorder. La contrainte ou règle hétéronome dicte aux agents leur conduite, indépendamment de leur volonté. Elle leur dénie, pour une action considérée, la faculté de se déterminer à agir d’une façon ou d’une autre ; elle exclut tout acte de volonté, elle ne résulte pas d’un accord entre les acteurs. Elle est, au contraire édictée unilatéralement, imposée de l’extérieur et caractérisée par l’exogénéité des obligations qu’elle crée. Les acteurs ne décident pas du contenu de la règle contraignante et doivent impérativement s’y conformer. L’intentionnalité des agents est nulle tant dans la création que dans le respect de la règle.

Le contrat constitue un arrangement interindividuel organisant des interactions entre deux agents. Ces interactions font l’objet d’une libre négociation entre les parties et se réalisent sur la base d’un accord adopté par consentement partagé. Le contrat se définit comme le fruit d’un accord de volontés. En outre, les relations prévues par le dispositif contractuel supposent l’existence d’engagements réciproques : les agents s’engagent les uns envers les autres à céder ou à s’approprier, à faire ou ne pas faire quelque chose. À l’instar de la contrainte, le contrat est source d’obligations. Or celles-ci présentent un caractère endogène. Elles sont ce que les agents choisissent de s’imposer par entente mutuelle. En conséquence, les clauses du contrat ne s’appliquent qu’à ceux qui les ont intentionnellement élaborées. Les acteurs déterminent de leur propre chef le contenu de la règle contractuelle et s’engagent librement à la respecter. Leur intentionnalité est infinie pour la création, comme pour le respect de la règle.

La convention a en commun avec la contrainte d’être extérieure aux acteurs, mais elle ne se réduit pas à un dispositif contraignant. Elle est librement acceptée par les agents et se rapproche alors d’un dispositif contractuel. La convention n’est pourtant pas assimilable à un contrat pour deux raisons. D’une part, la convention ne suppose pas d’intention subjective et ne découle d’aucune négociation : elle n’est pas le produit direct d’un accord de volontés mais un objet, construit socialement, sur lequel il est possible de s’accorder. D’autre part, la convention présente une régularité reconnue à un niveau collectif. Elle donne la solution d’un problème répétitif et ne constitue pas, à l’image du contrat, une solution correspondant à une situation particulière. Le dispositif conventionnel, à la différence des précédents, ne contient pas d’obligation. Chacun est libre d’adhérer ou non à la convention et peut à tout moment décider ne plus s’y conformer. Le contenu de la règle conventionnelle échappe à la volonté des acteurs qui ont la possibilité de l’adopter ou non. Le degré d’intentionnalité est intermédiaire entre les degrés d’intentionnalité nul de la contrainte et infini du contrat.

LE CPOM, MYTHE OU RÉALITÉ ?

Dix ans après leur introduction dans le domaine des établissements de santé, le bilan des CPOM reste fortement mitigé. Établissements et ARS ont bien du mal à en faire de véritables documents stratégiques, tant leur contenu fixé par la loi est vaste et non stratégique.

Par ailleurs, se sont ajoutés de nouveaux contrats au niveau des territoires de santé, les contrats locaux de santé, les calendriers des uns ne coïncidant pas avec ceux des autres.

Alors que le projet de loi santé s’apprête à donner la possibilité aux ARS de contractualiser avec les territoires pour garantir le service territorial de santé au public, il semble important de bien définir le champ des différents contrats qui pourrait être le suivant : un cadre d’orientations et d’objectifs de parcours pour les contrats de territoire, des contrats de performance et d’efficience pour les différents acteurs du parcours. Autrement dit, contrat de garantie des parcours pour les uns, contrat d’efficience dans le parcours pour les autres.

MÉCANISMES DE CONCURENCE ORGANISÉE AU SEIN DU SYSTÈME DE SOINS

On distingue traditionnellement deux formes de concurrence possible au sein du système de soins, l’une sur la fonction de financement (concurrence entre les assureurs de la maladie), l’autre sur la fonction de production (concurrence entre les producteurs de soins), la première pouvant entraîner la seconde. Au sein de la fonction de financement, on peut distinguer la fonction d’assurance, orientée vers la demande, et la fonction d’achat de soins, orientée vers l’offre. La mise en concurrence entre les assureurs conduit à la fin du monopole de financement socialisé détenu aujourd’hui par l’Assurance maladie. La mise en concurrence sur la fonction d’achat des soins peut concerner les assureurs qui, moyennant un paiement forfaitaire par malade, attribué par l’Assurance maladie, génère leur prise en charge auprès des producteurs de soins. Encore faut-il que l’acheteur de soins soit en capacité de coordonner les producteurs de soins pour optimiser la qualité de la prise en charge au meilleur coût. D’où il peut sembler préférable de confier directement l’achat des soins aux producteur eux-mêmes qui mettent en concurrence les autres producteurs. Ils ont en charge, dans le cadre du budget alloué par l’Assurance maladie, d’organiser la filière de soins et, à ce titre, mettent en concurrence leurs propres collègues.