Formation continue, gare aux sectes ! - Objectif Soins & Management n° 231 du 01/12/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 231 du 01/12/2014

 

Ressources humaines

Laure de Montalembert  

Moyen de trouver de nouveaux adeptes ou simplement de gagner de l’argent, l’univers de la formation continue attire de plus en plus les groupes sectaires malgré la vigilance de certains organismes. La formation professionnelle ne déroge pas à la règle. Le champs du bien-être ou du développement personnel est ainsi devenu une cible privilégiée.

L’alerte a été lancée depuis plus d’un an par la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) qui a même publié dès 2012 une brochure permettant aux décideurs de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie au moment de sélectionner un organisme.

Le malaise prégnant parmi les professionnels du soin en font des cibles de choix, particulièrement lorsqu’ils travaillent dans des secteurs où la souffrance et la mort sont leur lot quotidien. « Le personnel de soins subit de plus en plus de contraintes et se trouve confronté à la maladie et à la fin de vie. Il est fragilisé et cherche comment résister au stress, aux aspects les plus délicats et dérangeants de leur exercice », constate Serge Blisko, président de la Miviludes, qui y voit la raison d’une demande accrue de formations en lien avec le bien-être ou le développement personnel. « Cela a ouvert un champ qui peut être facilement dévié par des personnes peu scrupuleuses. Leurs motivations peuvent être purement matérielles ou, pire, de l’ordre de la manipulation. Il n’y a pas de véritable contrôle, en réalité. On parle même de “maquis” tant les organismes sont nombreux en France », ajoute-t-il. Au cours du déroulement des formations, il conseille aux cadres, aux responsables RH ou même aux membres de la direction d’aller « voir de temps en temps comment les choses se passent ». Il faudrait aussi bien écouter ce qu’en disent les stagiaires afin de déceler un éventuel glissement. « Ce sont généralement eux ou leur proches qui nous préviennent », remarque Serge Blisko.

DES BARRIÈRES EFFICACES

Une vigilance à laquelle est bien entraînée Lydia Truffier, présidente du Conseil régional de gestion Nord-Pas-de-Calais à l’ANFH (Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier). Un organisme qui fait référence en la matière, et dont l’agrément est considéré comme un gage de sérieux par la Miviludes. Exerçant par ailleurs la profession de DRH à l’hôpital de Valenciennes, elle est bien placée pour les risques et établir des barrières efficaces. « À l’hôpital public, tout démarre par la rédaction d’un cahier des charges avec les professionnels de santé qui précisent les attentes, suivi d’un appel d’offre. Nous demandons aux prestataires un engagement sur le contenu. Lorsque les réponses nous reviennent, une nouvelle réunion a lieu avec les professionnels ayant participé à la rédaction du cahier des charges et nous étudions les offres afin de choisir celle qui convient le mieux », explique-t-elle avant d’admettre que « le champ de la santé présente un fort risque ».

C’est la raison pour laquelle elle et son équipe prennent également soin de vérifier les références de l’organisme « auprès d’autres établissements mais aussi dans le champ de la formation ». Si le tarif est anormalement élevé ou, au contraire, très bas, Lydia Truffier y voit un signal d’alerte. Pareil pour un contenu pédagogique flou. Autre garde-fou : choisir des organismes déjà très investis dans la formation hospitalière. Les liens étroits qui unissent l’ANFH à la Miviludes lui permettent également de bénéficier d’alertes et d’informations. Elle aussi estime que les thématiques à risques tournent autour du bien-être au travail, du confort et du bien-être des patients et d’approches éloignées d’une prise en charge conventionnelle. Un retour des stagiaires sur le contenu fait également partie de son exercice de vigilance. « Les organismes à caractère sectaire avancent masqués. Le dossier peut être très clair mais pas le contenu effectif », précise-t-elle.

FORMATIONS INDIVIDUELLES PLUS À RISQUES

La question devient plus complexe lorsque les agents suivent par eux-mêmes des formations dont on pourrait avoir tout lieu de se méfier. Une DRH s’est trouvée saisie officiellement d’un document l’informant que deux agents exerçaient le Reiki (une technique non conventionnelle de soin par imposition des mains), dont l’un était même “grand maître”. Situation inquiétante, d’autant que les personnes exerçaient dans le domaine de la douleur. S’en est suivie une enquête très sérieuse au sein du service et un questionnement des personnes en question. Tout cela sans que les autres membres de l’équipe ne sachent quel était l’objectif de la recherche. Finalement, la conclusion a montré qu’il n’y avait pas de mélange avec la pratique professionnelle ni de prosélytisme.

Le cadre du service reste cependant vigilant et tout l’encadrement a été fortement sensibilisé aux risques sectaires. Lorsque des soignants font une demande de congé individuel de formation, la surveillance est plus complexe que lorsque tout se passe en groupe au sein de l’établissement. À l’hôpital de Valenciennes, la machine est bien rôdée pour éviter les dérapages. « Dans la mesure où nous avons des enveloppes financières restreintes, nous sommes doublement vigilants. Nos agents connaissent la politique de la maison : il faut que leur demande soit en lien avec la politique du service et avec le projet médical », insiste Lydia Truffier avant d’admettre tout de même qu’il « peut y avoir des formateurs déviants au sein d’organismes tout à fait officiels et sérieux ».

Ce n’est pas Marc Dumon, délégué régional ANFH Paca qui la contredira. Pour lui, le plus difficile est de repérer les formations menées par des organismes à dérive sectaire et de prouver leur déviance. « Il y a une très forte demande des soignants pour les thérapies complémentaires à la médecine occidentale. C’est l’ouverture à certaines pratiques », estime-t-il. C’est pourquoi il affirme être « extrêmement vigilant afin d’éviter des comportements nocifs auprès des patients ». Mais, dans la mesure où certains modules changent régulièrement d’appellation, ce n’est pas toujours facile.

PERSONNE N’EST À L’ABRI

Manifestement, les établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes sont particulièrement visés. « Nous avons eu des réflexions à propos d’un organisme qui intervient auprès des personnels de ces établissements. Après enquête, il s’est avéré que le prestataire ne posait aucun problème mais que c’était le formateur qui appartenait à un groupe sectaire et déviait », raconte-t-il. Pour lui, c’est la taille plus restreinte de ces structures et un certain isolement qui les met dans une situation à risque. Comme pour les personnes interrogées précédemment, il insiste sur l’observation attentive du contenu des formations, mais pas seulement : « Lorsqu’il y a une forme d’ésotérisme, c’est inquiétant, mais ce n’est pas toujours le pire. Ceux-ci avancent moins cachés que certains autres », relève-t-il.

En tout état de cause, Marc Dumon insiste sur la responsabilité des établissements qui détiennent de nombreux moyens de faire un tri le plus efficace possible, notamment en établissant une communication régulière entre directions d’établissements sur ce sujet. Seule difficulté : « Lorsqu’on se fait avoir, on le crie rarement sur les toits. » Et de s’étonner encore devant la naïveté de la plupart des gens : « Quand on en parle, personne ne se sent concerné. Cela n’arrive qu’aux autres. Or personne n’est à l’abri. Dans la mesure où il y a très peu de condamnations, la prise de conscience est compliquée. » Lui aussi déplore l’absence de régulation des organismes de formation, ceux qui auraient essayé d’en mettre une en place ayant échoué jusqu’ici. Il voit tout de même un espoir poindre avec la réforme de la formation dans les secteurs dépendant du droit privé qui sera effective au 1er janvier 2015. « Tout sera recentré sur les formations certifiantes, ce qui va entraîner une recomposition du marché et le réguler avec une vraie volonté d’évaluation des formations. Si ça fait tâche d’huile dans le public, on va peut-être réussir à obtenir ce qu’on essaie de mettre en place depuis trente ans. »

PSYCHO-SPITITUEL

Dans l’excellent numéro spécial du Monde des Religions “Les Sectes”, hors-série n° 22 édité en juin 2014, une place importante est accordée à l’infiltration des sectes dans la formation professionnelle. “Secte and the City” est le titre un tantinet humoristique du chapitre qui y est consacré.

Selon l’auteur de cet article, Mohammed Taleb, l’appât du gain est un puissant moteur, en plus de l’emprise dans le domaine du psycho-spirituel. George Fenech, ancien président de la Miviludes, estimait en 2012 que, sur les 20 % d’organismes dits “comportementaux”, il y en avait 10 % à caractère sectaire. Des chiffres qui sont loin de faire l’unanimité, trop peu de cas étant effectivement recensés.

NOTE

Le site de la Miviludes : www.derives-sectes.gouv.fr

« Je me suis fait avoir plusieurs fois »

Elle souhaite rester anonyme, comme c’est souvent le cas des personnes ayant été victimes de sectes ou de mouvements à dérive sectaire. Nous l’appellerons donc Fabienne. Sa première rencontre avec cet univers interlope a eu lieu il y a vingt-cinq ans.

Un peu perdue dans ses choix professionnels, elle fait un bilan de compétence « dans un cabinet ayant pignon sur rue ». « Il y avait une coach vraiment sympathique et dynamique. Elle m’a recommandée une formation de développement personnel dans un grand hôtel parisien. Cela s’appelait Insight training seminar. J’ai été complètement prise au jeu, à tel point que j’ai multiplié les séminaires et que je suis grimpée dans l’échelle de l’organisation. Le pire, c’est qu’on vous implique », se souvient-elle. Et même les commentaires d’une de ses amies, effarée, à une remise de diplôme de l’organisme, ne suffira pas à lui remettre les pieds sur terre. Ce n’est que plus tard, lors d’une retraite de méditation avec un formateur présentant des attitudes de gourou, qu’elle lâchera l’affaire, après avoir découvert que tout fonctionnait sur l’exploitation de bénévoles crédules et embrigadés.

Son second contact avec un personnage à comportement louche est plus récente et dans le cadre d’une formation tout à fait officielle. Travaillant elle-même dans le domaine de formation, l’École de management de Lyon l’envoie, tous frais payés, faire un master de PNL (programmation neuro-linguistique) dans un organisme agréé. « Là, j’ai tout de suite vu que le formateur était un gourou. Alors que je venais apprendre une technique, lui faisait déborder son enseignement sur d’autres champs. En plus, il discréditait sans cesse les autres techniques. C’est lui qui détenait la vérité », raconte-t-elle. Depuis, Fabienne assure avoir développé une vraie vigilance sur la question.

Une formation à risque ?

LES CONSEILS DE SERGE BLISKO, PRÉSIDENT DE LA MIVILUDES

→ S’adresser à des entreprises validées par des associations professionnelles, par exemple.

→ Que ces entreprises répondent aux normes ANFH.

→ Se méfier des termes un peu vagues comme “coaching”, “nouvelle philosophie”, “méthodes parallèles”…

→ Se méfier aussi des démarches qui s’apparentent à la psychothérapie. L’objet d’une formation n’est pas la psychothérapie.

EXTRAITS DU LIVRET MIVILUDES

la Miviludes suggère d’être attentif aux signaux d’alerte liés à la personne physique ou morale organisant les stages de formation professionnelle. On y trouve, entre autres, l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse, qui est bien ici au centre du problème de l’emprise mentale « résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer le jugement d’une personne en vue de la conduire à commettre un acte ou à s’abstenir d’accomplir un acte qui lui sera préjudiciable ». L’escroquerie est également évoquée, ainsi que l’usurpation de titres, l’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie.

Mais c’est le chapitre portant sur les « indices de perception du risque lié aux méthodes employées » qu’on comprend mieux ce qui doit alerter. Il y a d’abord une déstabilisation mentale entraînant une modification des comportements de la personne ayant suivi la formation. La rupture avec l’environnement d’origine constitue également un signal, que cet éloignement s’opère dans le domaine professionnel ou personnel, avec des changements de manière de vivre. Financièrement aussi, la pression s’accroît avec le temps, entraînant des difficultés financières chez les stagiaires.