Service territorial de santé au public : une approche à l’anglaise ? - Objectif Soins & Management n° 228 du 01/09/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 228 du 01/09/2014

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

La ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes a transmis cet été au Conseil d’État le projet de loi santé. Ce projet est structuré en quatre titres : prévention, éducation et promotion de la santé ; faciliter les relations des Français avec leur système de santé ; innover pour garantir la pérennité de notre système de santé ; renforcer l’efficacité des politiques publiques et de la démocratie sanitaire.

Le titre 2 du projet de loi santé consacre l’organisation sur chaque territoire d’un service territorial de santé au public (STSP). Il a pour objectif de réduire les inégalités territoriales et sociales de santé en mettant en place, au niveau de chaque territoire pertinent, une offre de santé coordonnée organisée en fonction des besoins de la population du territoire et au regard des priorités du projet régional de santé. Au moment où cet important projet de loi va être soumis à la concertation, il semble intéressant de comparer cette réforme avec celle qui a été mise en place il y a plus d’un an au Royaume-Uni, dans le même contexte de maîtrise obligatoire des dépenses, de garantie de la qualité des soins et de ressources de plus en plus serrées.

UN NHS (NATIONAL HEALTH SERVICE) DÉCENTRALISÉ DEPUIS AVRIL 2013

Le système de santé britannique a connu une importante réforme au 1er avril 2013, fondée sur une logique de décentralisation et de régulation par le marché. Mis en place en 1948, selon les préconisations de Beveridge, le National Health Service (NHS) est entièrement financé par l’impôt, première différence fondamentale avec le système de santé français qui, reposant selon les principes de Bismarck, est financé selon un système d’assurance (l’Assurance maladie) par les cotisations sociales des salariés et des employeurs (même si le financement par l’impôt a aussi été introduit en France avec l’instauration de la contribution sociale généralisée.

Seconde différence majeure avec le système français, le NHS est entièrement gratuit pour l’ensemble des ressortissants britanniques, quel que soit leur niveau de revenu et de besoins ; il n’existe pas comme en France de politique du ticket modérateur. Nous sommes donc dans un système de santé entièrement socialisé financé par l’impôt et totalement gratuit pour la population. Il existe un secteur privé mais très minoritaire, contrairement là encore à la France où coexistent deux secteurs, l’un public et l’autre privé, mais financés tous deux en majeure partie par l’Assurance maladie. La garantie de la gratuité du service public est assortie de la contrepartie obligatoire pour le résident britannique d’avoir un GP (general practitioner), véritable gatekeeper (gardien) dans le système de soins : impossible d’accéder à un médecin spécialiste sans être passé préalablement par son GP. C’est sur ce modèle de GP que l’Assurance maladie en France a instauré le médecin traitant en 2009.

Dans les faits, il existe quatre NHS, un pour les quatre pays constituant le Royaume-Uni, à savoir l’Angleterre (NHS England), l’Écosse (NHS Scotland), le pays de Galles (NHS Wales) et l’Irlande du Nord (NHS Northem Ireland). Chaque NHS gère de façon autonome un budget alloué par le gouvernement. Depuis les années 1980, le fonctionnement du NHS est très décentralisé et repose sur des logiques de marché. Toutefois, face à l’augmentation des dépenses et aux insuffisances en termes de qualité, le gouvernement britannique a adopté en mars 2012 une loi portant réforme du système de santé, entrée en vigueur au 1er avril 2013.

Désormais, le NHS n’est plus sous l’autorité hiérarchique du ministère de la Santé : c’est un organisme indépendant garant de l’accès aux soins, de leur qualité et de bonne utilisation des crédits publics. Pour ce faire, il a autorité sur 211 CCG (Clinical Commissioning Groups) qui se sont substitués aux anciens groupes de santé locaux (les Primary Care Trusts) et autorités de santé stratégiques régionales (les Strategic Health Authorities qui étaient chargées d’acheter et de planifier les soins pour la population). Constituées sur la base du volontariat de médecins généralistes et autres cliniciens de la zone géographique qu’ils desservent, ces CCG ont en charge l’organisation et l’achat des soins pour leur population, à savoir les urgences, les soins primaires, les soins hospitaliers, les soins de santé mentale. Pour ce faire, ils contractualisent soit avec les offreurs publics, soit avec les offreurs privés. Ainsi les CCG mettent en concurrence les offreurs de santé publics et privés, dans le respect des normes de bonnes pratiques édictées par le NICE (National Institute for Health and Care Excellence) et la CQC (Care Quality Commission) et respectant les coûts fixés par le NHS.

Ce système est complété par le Monitor, organisme gouvernemental non ministériel, chargé de protéger les intérêts des usagers du système de santé britannique. Il convient de souligner que le secteur médico-social relève des collectivités territoriales et non du NHS ; de même pour la santé publique partagée entre le niveau national et ces mêmes collectivités. Le système de santé britannique repose donc sur une décentralisation aboutie où les médecins généralistes gèrent les budgets décentralisés, achètent et rationalisent les soins pour le compte de leurs patients.

LE PROJET DE SERVICE TERRITORIAL DE SANTÉ AU PUBLIC (STPS)

Sur la base d’un diagnostic partagé sur la situation du territoire, le STSP met en place une organisation accessible, lisible, compréhensible et organisée au service des parcours. Il concerne obligatoirement cinq domaines prioritaires d’application : les soins de proximité, la prévention, la permanence des soins, la santé mentale et l’accès aux soins des personnes handicapées. Il repose sur un engagement collectif, matérialisé par un contrat, des acteurs qui s’organisent en vue d’apporter une réponse commune et coordonnée aux difficultés d’accès aux services de santé ou de continuité de ces services sur un territoire identifié.

Les territoires sont définis par le directeur général de l’ARS (agence régionale de santé), après avis de la CRSA (Conférence régionale de la santé et de l’autonomie).

Le STSP serait animé par un conseil territorial, sous le pilotage de l’ARS. Le conseil territorial est composé de représentants des collectivités territoriales concernées, des usagers du système de santé, des différentes catégories d’acteurs du système de santé, du territoire concerné. C’est ce conseil qui est chargé d’organiser le diagnostic partagé. Un projet territorial de santé est soumis à l’avis de la CRSA et sa mise en œuvre repose sur un ou plusieurs contrats territoriaux de santé qui définissent les engagements des acteurs concernés et les modalités de financement. Ces contrats sont conclus entre l’ARS et les acteurs concernés, après avis du conseil territorial de santé. La loi prévoit la possibilité de mutualiser, pour une durée pluriannuelle, les différentes sources de financement dès lors que les modalités de redistribution de l’enveloppe commune sont établies entre les acteurs concernés du territoire.

LE PROJET DE LOI SANTÉ EN FRANCE, UNE ÉTAPE VERS LE SYSTÈME BRITANNIQUE

Le projet de loi santé n’est pas aussi radical que la réforme entreprise en 2013 du NHS. Il consacre encore le rôle des ARS alors que le Royaume-Uni les a complètement fait disparaître en confiant la gestion du système de santé aux professionnels de santé eux-mêmes, dans une logique décentralisée, y compris au niveau des financements. Car là aussi, si le projet de loi prévoit la possibilité de mutualiser des moyens au niveau des territoires, ceci reste encore très encadré.

On peut trouver toutefois des similitudes dans le rôle des conseils de territoire et les CCG (Clinical Commissioning Groups), qui deviennent des organes importants en matière de diagnostic et d’organisation des soins. Certes, les conseils ne sont pas encore des acheteurs de soins et des planificateurs, néanmoins ils peuvent avoir un rôle très influent dans le cadre d’une contractualisation avec l’ARS.

Contrairement au Royaume-Uni qui a franchi le cap, la France reste encore hésitante entre un système totalement centralisé et une organisation des soins responsabilisante confiée aux acteurs de santé. Dès lors, les ARS devront dans les mois qui viennent prouver leur utilité, car l’étape suivante sera leur disparition au profit des groupes de professionnels de santé, qui s’organisent déjà sous forme de plateformes mutualisées.

ORGANISATION DU SYSTÈME DE SANTÉ BRITANNIQUE (DEPUIS LE 1ER AVRIL 2013)

→ LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Il a la responsabilité de l’offre de soins de santé au Royaume-Uni tout en veillant à ce que l’ensemble du système de santé fonctionne correctement pour répondre aux priorités et aux besoins des patients.

→ LE MINISTÈRE DE LA SANTÉ

Il est responsable de la direction stratégique des systèmes de santé et de services sociaux.

→ LE NHS

Le NHS (quatre NHS au total, un par pays composant le Royaume-Uni) est un organisme indépendant, sans lien de dépendance avec le gouvernement. Son rôle principal est d’améliorer les résultats de santé pour les résidents. Pour cela, il doit assurer un leadership national pour améliorer la qualité des soins, superviser le fonctionnement des Clinical Commissionning Groups (CCG), leur allouer des ressources, et planifier et acheter les soins primaires et les services spécialisés. Tous les cabinets de médecins généralistes (general practitioners) sont rattachés désormais à un CCG (211 au total) qui coordonnent les soins hospitaliers planifiés, les soins de réadaptation, les urgences, la plupart des services d’offre de soins des centres de santé ainsi que les soins de santé mentale et les services d’apprentissage pour des personnes handicapées. Les CCG peuvent mettre en concurrence n’importe quel fournisseur de service répondant aux normes et aux prix imposés par le NHS mais doivent toutefois s’assurer de la qualité des services qu’ils commissionnent, en tenant compte à la fois des lignes directrices de l’Institut national de la santé et des soins Excellence (NICE) et de la Commission des soins de qualité (CQC). Cette dernière réglemente tous les services de santé et de services sociaux des adultes, y compris ceux fournis par le NHS, les autorités locales, les entreprises privées et les organisations bénévoles. Afin de promouvoir la santé publique, en partenariat avec le gouvernement local et le NHS, une organisation appelée Public Health England est mise en place. De même, 152 entités de veille sanitaire représentant les usagers au niveau local sont mises en place, les Local Healthwatch.

→ DIFFÉRENTS ORGANISMES RÉGLEMENTENT L’ALLOCATION DES SOINS

• Le Monitor qui vise à promouvoir la concurrence, à réglementer les prix et à assurer la continuité des services pour la NHS Foundation Trusts.

• Les organismes de réglementation professionnels individuels, tels que le General Medical Council, le Conseil des infirmières et des sages-femmes, le General Dental Council et le Conseil des professions de soins de santé ainsi que d’autres organismes de réglementation, de vérification et d’inspection.

POUR EN SAVOIR PLUS

→ LES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Rapport “Les comptes de la Sécurité sociale”, pp.124 à 127 www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/rapport-ccss-2014v2-2.pdf