Sclérose en plaques, gérer l’évolution - Objectif Soins & Management n° 222 du 01/01/2014 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 222 du 01/01/2014

 

Promotion de la santé

Thierry Pennable  

La maladie qui touche des personnes jeunes est très invalidante. L’ensemble des grandes fonctions neurologiques peut être atteint et, après quelques années d’évolution, toutes les manifestations cliniques peuvent coexister. Les réseaux de santé et les associations de patients aident les personnes malades à gérer l’évolution imprévisible de la SEP.

Les causes exactes de la sclérose en plaques (SEP) restent inconnues à ce jour. Considérée comme une maladie multifactorielle, le déclenchement de la maladie impliquerait à la fois des facteurs génétiques propres à chaque individu, des facteurs environnementaux et des facteurs infectieux, notamment viraux.

LA PHYSIOPATHOLOGIE

Une maladie auto-immune

Maladie inflammatoire du système nerveux central (SNC), la SEP est aujourd’hui considérée comme une maladie auto-immune dans laquelle le système de défense immunitaire s’attaque principalement à la myéline (gaine qui entoure et protège les fibres nerveuses) et aux cellules qui la fabriquent, les oligodendrocytes. Les attaques de démyélinisation sont réparties dans toutes les zones du SNC (cerveau, nerfs optiques et moelle épinière).

La démyélinisation

La myéline joue un rôle fondamental dans la conduction et la vitesse de l’influx nerveux. Dans la SEP, la perte de myéline se fait par “plaques”, visibles à l’IRM. Dans certains cas, les plaques de démyélinisation sont remplacées par du tissu cicatriciel et évoluent vers une sclérose. Les symptômes persistent. Sans tissu cicatriciel, une “remyélinisation” est possible, la conduction nerveuse est restaurée et les signes cliniques liés à l’atteinte s’améliorent.

Atteinte de l’axone

Une atteinte de l’axone, prolongement fibreux du neurone qui conduit l’influx nerveux (voir schéma page ci-contre), est possible. Elle pourrait exister dès le début de la maladie ou apparaître secondairement à la destruction de la myéline en l’absence d’une re­myélisation suffisante. L’atteinte axonale est responsable par la suite d’un handicap permanent en lien avec la zone neuronale atteinte.

LES “POUSSÉES” DE LA SEP

Une poussée correspond à une attaque localisée de la myéline qui entraÎne soit l’aggravation de symptômes existants (dans 80 % des cas), soit l’apparition de nouveaux symptômes neurologiques. Une poussée est définie par une durée supérieure à 24 heures, et doit survenir à distance de tout épisode fébrile.

Pour être distinctes, deux poussées doivent être séparées par un intervalle d’au moins trente jours. La fréquence des poussées est très variable, de plusieurs poussées annuelles à une seule tous les dix ans. Après douze ou dix-huit mois, les symptômes encore présents sont le plus souvent permanents : ce sont les séquelles.

TROIS FORMES DE SEP

La forme récurrente-rémittente

Elle se manifeste d’emblée par des poussées suivies de périodes de rémission complète ou incomplète (laissant des séquelles). La fréquence moyenne des poussées est d’une tous les deux ans. Les formes récurrentes-rémittentes concernent environ 80 % des cas et débutent en moyenne vers 30 ans, avec une nette prédominance chez les femmes.

La forme d’emblée progressive

Elle correspond à une aggravation continue des symptômes pendant au moins six mois sans retour à l’état antérieur, avec ou sans poussée surajoutée. Les troubles de la marche sont les symptômes les plus fréquents. Les formes d’emblée progressives concernent environ 15 % des cas, avec un âge de début plus tardif (après 40 ans) et une prédominance féminine beaucoup moins nette.

La forme secondairement progressive

La plupart des formes initialement rémittentes évoluent vers une forme progressive en moyenne après dix à quinze ans. Les poussées deviennent plus rares ou disparaissent totalement pour céder la place à une progression continue des symptômes.

DIAGNOSTIC

Il n’existe pas de marqueur spécifique de la SEP. Quatre critères sont nécessaires au diagnostic : une dissémination temporelle et spatiale des lésions, une inflammation du SNC et l’absence d’autres maladies évolutives.

Le diagnostic est posé après la survenue de deux poussées distinctes, accompagnées de symptômes différents montrant que deux zones neurologiques différentes ont été atteintes, à plus de trente jours d’intervalle. L’IRM permet de visualiser une dissémination spatio-temporelle par la coexistence de lésions plus ou moins anciennes après une première poussée, sans attendre une deuxième poussée (comme c’était le cas auparavant).

L’analyse du liquide céphalo-rachidien met en évidence l’inflammation du SNC dans 90 à 95 % des cas. Les potentiels évoqués, potentiels électriques relevés après une brève stimulation, sont de moins en moins pratiqués.

PRINCIPALES MANIFESTATIONS CLINIQUES

Les symptômes sont aussi variés que les zones neurologiques atteintes, variables d’une personne à l’autre et d’une poussée à l’autre.

Les troubles sensitifs

Les troubles sensitifs de type fourmillements ou picotements, diminution de la sensibilité du toucher ou douleurs, ils peuvent concerner un bras, les deux jambes, le thorax, le ventre ou une partie du visage. Le signe de Lhermitte, dû à l’antéflexion de la tête (inclinée vers l’avant), se caractérise par l’apparition de décharges électriques tout le long de la colonne vertébrale et/ou dans les membres.

Les troubles moteurs

Les troubles moteurs : lourdeur, fatigabilité et faiblesse musculaire peuvent concerner un membre, les deux membres inférieurs, plus rarement un hémicorps.

La spasticité

C’est une augmentation involontaire du tonus musculaire caractérisée par une raideur et une difficulté à la mobilisation des articulations. Lorsqu’elle est discrète et non douloureuse, la spasticité compense la faiblesse de la commande motrice et sert de “béquille” à la marche. En revanche, lorsque les spasmes et les contractures sont intenses et douloureux et qu’ils entraînent de plus grandes difficultés à la marche ou à la mobilisation, un traitement est nécessaire.

La fatigue

Elle est très fréquente dans la maladie et perturbe souvent l’activité professionnelle, la vie quotidienne, les relations sociales et familiales. Il s’agit autant d’une fatigabilité à l’effort que d’une fatigue chronique constituant un symptôme à part entière.

Les troubles visuels

Des atteintes des nerfs crâniens peuvent entraîner de nombreux troubles (inconfort visuel, une diplopie ou une paralysie du regard…). La névrite optique rétrobulbaire, habituellement unilatérale, provoque une baisse de l’acuité visuelle sur quelques heures ou quelques jours. La récupération est complète en six mois dans 80 % des cas, mais dans les formes sévères, la baisse de l’acuité visuelle peut être définitive.

Les troubles urinaires

Ils apparaissent en moyenne entre six et dix ans d’évolution de la maladie, parfois dès le début. Ils altèrent considérablement la qualité de vie. Les plus fréquents étant une pollakiurie, des impériosités et une incontinence urinaire. Leur prévalence augmente de manière imprévisible avec l’évolution de la maladie. Des traitements médicamenteux sont possibles, adaptés à l’étiologie. Le sondage urinaire intermittent est le traitement mictionnel de référence en cas de rétention urinaire ou de vidange vésicale incomplète. L’autosondage améliore le confort, l’autonomie et la vie sociale du patient. Dans les formes sévères, la mise en place d’une sonde à demeure ou la réalisation d’une cystostomie (intervention de Bricker) peuvent être nécessaires.

Les troubles génito-sexuels

Chez l’homme, la diminution de l’érection ou le maintien de celle-ci peuvent être traités par des médicaments (Viagra, Cialis, Levitra) ou des injections intracaverneuses (Caverject, Edex).

Chez la femme, des lubrifiants contre la sècheresse vaginale sont idniqués en cas de dyspareunies.

ÉVOLUTION IMPRÉVISIBLE

L’évolution de la maladie, la nature et la sévérité des symptômes, de même que l’éventuelle invalidité qui en résulte, sont imprévisibles. Lorsque la progression est entamée, il peut y avoir un ralentissement ou une stabilisation de l’évolution, mais pas de guérison spontanée. La plupart des patients ont une espérance de vie normale ou proche de la normale.

LA PRISE EN CHARGE

La SEP relève d’une prise en charge spécialisée par un neurologue, souvent considéré comme leur “médecin traitant” par les patients. La variabilité des symptômes et de leur évolution fait de la SEP un prototype de maladie chronique qui justifie une prise en charge multidisciplinaire bien coordonnée (rééducation, kinésithérapie, aide psychologique…). D’où l’intérêt d’une prise en charge globale par un réseau de santé.

TRAITEMENTS DE FOND

Il n’y a pas de traitement proprement curatif pour la sclérose en plaques, mais un traitement de fond pour freiner son évolution. Les médicaments agissent principalement sur les lymphocytes T responsables de la réaction auto-immune de la SEP, qui franchissent la barrière hémato-encéphalique et attaquent la gaine de myéline.

En première intention

Les interférons bêta

En injection sous-cutanée ou intramusculaire, ils auraient pour effet de modérer l’activité du système immunitaire. Ils préviennent les poussées, mais leur effet sur la progression du handicap est moins évident. Un syndrome pseudo-grippal quelques heures après l’injection est très fréquent en début de traitement. Anxiété et dépression sont possibles et ­peuvent nécessiter l’arrêt du traitement et/ou la mise en place d’un traitement antidépresseur et/ou d’un soutien psychologique. De nombreux patients effectuent eux-mêmes leurs auto-injections.

L’acétate de glatiramère (Copaxone)

Il permet une diminution d’environ 30 à 40 % de la fréquence des poussées. Le traitement, généralement bien toléré, est administré quotidiennement par voie sous-cutanée.

En deuxième intention

Le natalizumab (Tysabri)

C’est un anticorps monoclonal qui inhibe l’entrée des lymphocytes activés dans le système nerveux central. Il est administré par injection intraveineuse une fois par mois sous surveillance hospitalière spécialisée. Le risque de provoquer une leuco-encéphalopathie multifocale progressive (LEMP), infection virale du SNC sans traitement curatif (et 25 % de décès), impose une surveillance rigoureuse. Le neurologue doit être alerté en cas de signes évocateurs de LEMP, parfois similaires aux symptômes typiques d’une poussée de SEP (troubles cognitifs, troubles visuels, hémiparésie, confusion mentale, troubles du comportement).

Le fingolimod (Gilenya)

Il diminue l’infiltration des lymphocytes pathogènes dans le SNC. C’est actuellement le seul traitement de fond oral de la SEP à raison d’un comprimé par jour. La première prise est faite sous surveillance à l’hôpital. Par la suite, le traitement est pris à domicile. Une élévation des enzymes du foie, le plus souvent asymptomatique, est possible, et justifie une surveillance à un, trois, six, neuf et douze mois du bilan hépatique et de la numération formule sanguine. Toute modification de la vue pendant le traitement doit être signalée au médecin et un fond d’œil doit être réalisé à la recherche d’un œdème maculaire.

En troisième intention

La mitoxantrone (Novantrone, Elsep et génériques) est un immunosuppresseur de type chimiothérapie administré en perfusion à l’hôpital, une fois par mois, pendant six mois. Il diminue la fréquence des poussées d’environ 70 %. Ce traitement est de moins en moins prescrit du fait du risque des effets secondaires, avec principalement une cardiotoxicité dose-dépendante et un risque de leucémie.

TRAITEMENT DE LA POUSSÉE

Corticothérapie

Administrée par voie intraveineuse, parfois prolongée par voie orale, la corticothérapie est le seul traitement efficace pour diminuer la durée et la gravité des poussées, et accélérer la récupération. La méthylpredniso­lone (Solumedrol et génériques), indiquée pour le traitement des poussées de la SEP, est utilisée pour ses effets immunomodulateurs et anti-inflammatoires.

À forte dose

Classiquement, le traitement de la poussée consiste en des perfusions de méthylprednisolone sous forme de “flash” ou de “bolus” de 1 g par jour sur trois jours. En fonction de l’intensité de la poussée, le traitement est poursuivi sur six ou neuf jours à doses dégressives, avec parfois un relais per os. La première perfusion de corticoïde se fait sous surveillance à l’hôpital en raison d’éventuelles complications : troubles cardiaques et métaboliques, ou réactions psychiatriques de type délire et agitation.

Les injections suivantes peuvent se faire à domicile en l’absence de contre-indication (diabète, hypertension artérielle mal contrôlée, infections, troubles psychiatriques).

Pas systématique

En présence d’une aggravation ou d’une survenue de symptômes, la poussée de sclérose en plaques doit être validée par un neurologue. La décision d’engager un traitement n’est pas indispensable si la poussée n’est pas trop invalidante. Car la poussée, limitée dans le temps, peut régresser d’elle-même (sans séquelle), et les corticoïdes, qui permettent d’accélérer la récupération, n’ont pas d’effet démontré sur le risque de séquelles à long terme.

Un nouveau traitement de fond

La tériflunomide (Aubagio) a déjà obtenu une autorisation de mise sur le marché européenne et il devrait être disponible en France dans environ un an.

Ce traitement en une prise orale par jour pourrait représenter une alternative intéressante aux traitements actuels injectables, pour une partie des patients dans un premier temps.

3 questions à…

Marie-Laure van Obbergen Directrice générale de l’Association française des sclérosés en plaques (Afsep)

Que peut apporter une association de patients ?

→ Les réseaux de santé traitent surtout de la prise en charge médicale. Les nombreuses questions administratives que posent la SEP sont plutôt traitées par les associations de patients comme l’Afsep ou “La lutte contre la SEP”. L’évolution variable et imprévisible de la maladie engendre beaucoup de points de rupture dans l’adaptation de la prise en charge. Il faut du temps pour mettre les aides en place.

À quel moment contacter une association ?

→ Pour faire la démarche, il faut d’abord que le patient ait accepté la maladie, ce qui demande du temps. Entre le dépistage de la maladie et le handicap physique, il se passe en moyenne dix à quinze ans pendant lesquels il faut gérer les troubles dits “invisibles”, comme la fatigue ou les difficultés psychologiques. Les patients ont intérêt à prendre contact précocement pour éviter de faire de mauvais choix en termes de maintien dans l’emploi, de permis de conduire, ou autres. C’est notre rôle d’anticiper les éventuels problèmes à venir pour mieux vivre avec la SEP.

Quelles démarches faut-il faire rapidement ?

→ On conseille de constituer un dossier MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) dès le diagnostic de SEP, pendant qu’il n’y a pas d’urgence. Car ce n’est pas après une poussée, lorsque le patient éprouve par exemple une difficulté pour marcher, qu’il faudra faire le dossier MDPH. Il y a là un risque de perdre son emploi pour inaptitude à cause des absences. Si le dossier est déjà constitué, il n’y a plus qu’à le réactiver en cas de besoin. D’autant que la reconnaissance de travailleur handicapé est intéressante pour la retraite.