Situation d’exercice hors compétence : quelle attitude adopter ? - Objectif Soins & Management n° 218 du 01/09/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 218 du 01/09/2013

 

Droit

L’acte de soin, qui repose d’abord sur des données scientifiques et humanistes, ne peut se comprendre que dans le respect du cadre légal. Soigner une personne, c’est intervenir sur le corps humain, et cette intervention n’est possible que dans le respect des textes.

Le but de ces textes n’est pas de réglementer ou de formaliser la relation, mais d’autoriser l’intervention d’un professionnel sur le corps et la personne du malade. Aussi, les choses sont claires : il est impossible d’envisager l’exercice professionnel “hors la loi”.

PAS DE SOINS EN DEHORS DU CADRE LÉGAL

Des compétences professionnelles d’ordre public

Les modalités d’une règle de droit sont toujours complexes mais, sur ce point, le principe est simple : il est nécessaire de disposer du diplôme pour pratiquer des actes définis comme professionnels, c’est-à-dire reconnus par un texte réglementaire.

La sanction est certaine : c’est l’exercice illégal de la profession, infraction consistant à effectuer des actes sans être titulaire du diplôme. Ainsi, lorsqu’une infirmière pratique un acte en dehors de ses compétences réglementaires, elle se trouve en situation d’exercice illégal de la médecine. Et l’aide-soignante qui pratique des actes infirmiers commet l’infraction d’exercice illégal de la profession infirmière.

Une précision, qui relève de l’évidence : la prescription médicale ne peut en aucune manière modifier le champ des compétences légales, parce qu’elles sont d’ordre public. Le médecin doit respecter la légalité, et en particulier la définition légale des compétences de l’infirmière.

Quelle est liste légale des actes ?

Pour savoir quels sont les actes professionnels, la seule référence est le décret appelé “décret de compétence” que l’on trouve désormais dans le Code de la santé publique aux articles R.4311-1 et suivants.

Le texte s’ouvre par quatre articles qui définissent la fonction générale de l’infirmière, et il faut toujours souligner la qualité de l’article R.4311-2 qui est la meilleure définition fonctionnelle de la pratique infirmière. Vient ensuite la liste des actes, avec deux régimes distincts.

Le premier est celui des actes infirmiers, qui se regroupent entre les actes du rôle propre (R.4311-5), les actes pouvant être effectués en autonomie par l’infirmière mais sur prescription médicale (R.4311-7), et ceux qui peuvent être effectués que sur prescription médicale et avec un médecin en mesure d’intervenir à tout moment (R.4311-9). Ces trois séries de textes constituent le socle réglementaire incontournable de la profession.

S’ajoute une liste plus courte de quelques actes (R.4311-10). Il s’agit de techniques médicales auxquelles l’infirmière est habilitée à participer en présence du médecin : l’infirmière « participe à la mise en œuvre par le médecin des techniques suivantes… ».

Ainsi, l’exercice de l’infirmière se situe globalement dans l’autonomie, y compris pour les soins les plus techniques (R.4311-9), car il est simplement demandé que le médecin puisse intervenir en temps utile. Sa présence à proximité immédiate n’est pas requise. On passe un cap avec la participation aux actes médicaux (R. 4311-10), car l’infirmière ne peut s’impliquer dans ces techniques que si elle participe effectivement, par un travail en commun, avec le médecin.

« Est-ce que j’ai le droit de faire ?… »

À ce stade, la question de savoir si un acte est réglementaire ou non, c’est-à-dire de savoir si l’infirmière a le droit ou non de le pratiquer, est très simple : il s’agit purement et simplement de savoir si l’on retrouve la définition de l’acte dans les listes données par le Code de la santé publique. Chaque IDE est en mesure de faire cette vérification, et la réponse est ensuite simple : c’est oui ou non.

Du fait de l’évolution des techniques, on peut admettre une petite part d’interprétation, liée à des techniques inconnues lors de la rédaction du texte. Mais cette marge d’interprétation est excessivement limitée. La liste des actes est suffisamment précise pour que chacun sache si l’acte est réglementaire ou non. De même, s’agissant de l’implication de l’infirmière dans les techniques médicales, elle n’est possible que pour la liste courte de l’article R.4311-10.

Aussi, de ce point de vue, la réponse est simple et tranchée. Lorsqu’une infirmière est confrontée à une demande de pratiquer un acte, elle doit faire référence à la liste réglementaire. Sa formation lui permet de qualifier le soin qui est demandé et de savoir exactement le situer.

Ainsi, si l’acte est sur une liste, elle l’effectue en fonction du cadre réglementaire prévu : rôle propre, soin en autonomie, soin avec médecin pouvant intervenir à tout moment, ou participation à l’acte médical. Si l’acte ne figure dans aucune de ces listes, elle doit s’interdire de pratiquer.

Sous cet éclairage, le cadre juridique permet de donner une réponse tout à fait claire sur ce qu’est la bonne pratique. Mais tout se complique évidemment avec les contraintes et les mauvaises habitudes du terrain.

DES ARGUMENTS VICIEUX POUR ENCOURAGER À CONTOURNER LA LÉGALITÉ

Pour de nombreux motifs, qui tournent souvent autour de l’insuffisance de moyens, se sont créées toutes sortes d’usages amenant des infirmières à pratiquer des actes hors compétence car relevant de l’exercice médical, et des aides-soignantes se trouvent aussi placées hors compétence, c’est-à-dire en pratiquant des actes infirmiers.

L’infirmière proteste… puis est tentée de céder devant des arguments qui n’en sont pas : le droit serait juste bon pour les enseignements à l’école, l’hôpital protégeait de l’illégalité, ou encore le médecin assumerait la responsabilité. On opposera volontiers à l’infirmière que le fait n’est pas si grave et que, quoi qu’il en soit, le médecin n’est jamais très loin, de telle sorte que le patient ne subira pas de dommage. L’argument, vicieux, est de dire que c’est l’établissement qui supporterait les conséquences, ce qui n’est que partiellement vrai, et reste en toute hypothèse inacceptable.

L’évolution du contentieux ces vingt dernières années fait que les procédures ont été très largement réorientées vers le civil, et, dans ce cadre, il est vrai que les conséquences dommageables de la faute des professionnels sont supportées sur le plan de l’indemnisation par l’établissement et son assureur.

De ce point de vue, l’infirmière fautive se trouve placée dans une situation protégée, car elle ne supporte pas elle-même les conséquences de sa faute. L’hôpital répond des fautes commises par l’ensemble des professionnels lorsque cette faute se situe dans le cadre des missions qui ont été confiées.

Cette responsabilité civile qui épargne les professionnels a été conçue pour faciliter l’indemnisation des victimes. On accorde aux victimes un seul interlocuteur qui est l’établissement ou le médecin quand il exerce en libéral, avec une obligation d’assurance, ce qui simplifie le litige et garantit la solvabilité.

Mais cette relative sécurité juridique n’est que d’apparence et ne peut en aucun cas légitimer la pratique d’actes médicaux par des infirmières.

L’ANALYSE JUSTE : UNE RESPONSABILITÉ AGGRAVÉE

Un devoir vis-à-vis des patients

Tout d’abord, c’est une affaire de correction vis-à-vis des patients. Les patients s’adressent à des établissements de santé car ils comptent sur la compétence du personnel, et il n’est pas admissible que la relation de soin s’engage sur la tromperie avec des actes médicaux effectués par des infirmières.

Impossible de refaire la loi tout seul…

S’il est réellement illogique qu’un acte reste qualifié médical alors qu’il devrait être qualifié infirmier, les corps professionnels et les experts doivent convaincre le ministre de la Santé, et le décret de compétence sera modifié.

En effet, s’il n’y a aucune raison que l’acte reste médical si l’évolution des techniques est en ce sens, il faut alors le confier réglementairement à l’infirmière, ce qui permettra au médecin de se consacrer à autre chose. Mais si l’on n’est pas en mesure de faire modifier ce texte, c’est que les autorités ne sont pas convaincues, et le texte doit alors être appliqué. Il n’est pas possible, sur le terrain, d’imposer des évolutions que l’autorité ministérielle refuse.

Un risque pénal accru

Si la responsabilité civile est protectrice, il en va différemment de la responsabilité pénale qui, elle, expose directement les professionnels. Or, si la famille décide d’engager l’action au pénal, l’infirmière se trouvera dans une situation périlleuse dès lors qu’elle a accepté de pratiquer des actes médicaux.

Le fait de pratiquer un acte sans avoir la compétence réglementaire constitue l’infraction d’exercice illégal de la médecine alors même que l’infirmière pratique cet acte aussi bien que l’aurait fait le médecin… et alors même que le patient aurait donné son accord. La compétence professionnelle est liée à l’infraction pénale d’exercice illégal, et dépasser la compétence professionnelle, c’est se mettre en situation pénale. Face à cette limite, il ne peut y avoir ni arrangement, ni transaction.

Vient ensuite un second registre qui est celui de la responsabilité pour dommage causé. Ici, la pratique d’actes illégaux devient un piège absolu pour l’infirmière. La faute de l’infirmière sera très vite établie, car, à partir du moment où elle se situe en dehors de ses compétences, elle est en faute. Donc, si un acte médical pratiqué par une infirmière, même sur consigne médicale et avec un encadrement médical, a causé un dommage, un tribunal correctionnel retiendra nécessairement la responsabilité.

D’éventuelles consignes médicales en ce sens serviraient uniquement à retenir la complicité du médecin pour cet exercice illégal de la médecine, et cela n’aurait aucun effet pour écarter la culpabilité pénale de l’infirmière. Ainsi, en acceptant de pratiquer des actes pour lesquels elle n’est pas autorisée, l’infirmière fragilise considérablement sa position, et elle se prédestine à une condamnation si par malheur des suites dommageables sont examinées sur le plan pénal.

Une responsabilité disciplinaire évidente

L’infirmière s’engage aussi pleinement sur le plan disciplinaire. Le directeur d’établissement est tenu de faire respecter les textes par l’ensemble du personnel, et des carences sur ce plan engagent la responsabilité de l’hôpital. De même, le relatif confort qui existe pour les professionnels de santé dans le cadre de la responsabilité civile rejaillit entièrement sur l’hôpital, car c’est lui qui se trouve condamné pour l’ensemble des fautes commises. On comprend donc quelles peuvent être les réactions du directeur d’établissement ou de son assureur lorsqu’il s’aperçoit qu’il est condamné, car les professionnels se moquent des compétences réglementaires et créent entre eux des usages pour échapper à la loi… Ainsi, pratiquer des actes médicaux est une faute disciplinaire de l’infirmière que le directeur de l’hôpital est en mesure de sanctionner.

J’entends déjà : « Mais la direction cautionne ! » Ah bon, et jusqu’à quand ? Cette caution tiendra-t-elle pour des faits graves et devenus publics ? Prudence, prudence… Construire sur des illusions ne conduit pas loin.

ALORS, COMMENT RÉSISTER ?

Être au clair avec ses compétences

S’il arrive une situation limite, pour savoir si tel ou tel acte relève de la compétence médicale ou infirmière, l’infirmière doit être au clair avec les textes, et commencer par vérifier la régularité de cette pratique à partir du décret de compétence. Ne pas connaître la limite est une faute.

Ensuite, elle doit s’adresser aux autorités référentes dans la structure, à savoir l’encadrement. Elle doit, par des moyens adaptés, obtenir une interprétation par le cadre de santé et celui-ci, s’il est en doute, doit en référer à la direction de l’établissement pour disposer d’une décision qui alors s’imposera.

Gérer les tensions du terrain

On connaît plus d’une situation qui, sans être à proprement parler “un chantage à l’emploi”, marque objectivement une pression pour convaincre l’infirmière de renoncer à l’application du droit et se satisfaire des usages illégaux. Dans la pratique, il est parfois très difficile de dire non et d’imposer le respect de la règle car les lourdeurs institutionnelles comptent. Pour autant, l’infirmière ne peut pas accréditer, comme si de rien n’était, la pratique d’actes médicaux en illégalité.

Saisi d’une affaire, le juge cherchera à savoir si la situation est celle d’une infirmière qui s’est trouvée confrontée à une organisation illégale entérinée par les médecins et l’encadrement et à laquelle elle a cherché à résister, ou si au contraire elle s’est satisfaite d’une pratique illégale qui l’amenait à exercer dans un cadre renouvelé. Il prendra tout le temps pour apprécier le contexte et mesurer s’il y avait de la part de l’infirmière une résistance… ou une adhésion.

Imposer le respect de la légalité

S’agissant de cette résistance, qui est un devoir de l’infirmière, elle s’apprécie au regard de la force de conviction.

Bien sûr, il y a des priorités, et la priorité est toujours l’intérêt du patient, et, face à une situation d’urgence, tout doit être fait pour que le patient bénéficie des soins les meilleurs. Mais, une fois la phase de l’urgence passée, l’infirmière doit chercher à poser le débat. Il ne s’agit pas d’adresser tous les jours des mails de protestation pour “se décharger de sa responsabilité”, ce qui évidemment ne veut rien dire.

Lorsqu’elle a démontré qu’elle pratiquait illégalement des actes médicaux, l’infirmière doit faire tout ce qu’elle peut pour ramener vers une pratique régulière, avec les moyens qui sont les siens : utiliser les structures de service, solliciter l’encadrement, rechercher des articles publiés, interroger des formateurs…

Si les travers de fonctionnement sont ancrés et légitimés, elle va rencontrer des difficultés. Mais elle doit se montrer très ferme pour ramener à des pratiques régulières. Toute autre analyse est inacceptable.

On évoque bien volontiers que les difficultés de fonctionnement des hôpitaux amèneraient ces débordements comme inévitables. En 2013, ce raisonnement n’est pas acceptable. Si un hôpital n’est pas en mesure d’exercer des soins dans le cadre de la loi, il faut lui retirer les autorisations d’exercer. Les tribunaux seront tout à fait à même de faire preuve de compréhension sur la pratique des soins elle-même, tant sont difficiles la relation avec le patient et l’affrontement avec la maladie. Cependant, il ne faut pas tromper les professionnels : il n’y aura pas de tolérance s’agissant du non-respect des compétences.

Faire changer les textes… avec l’article 51 de la loi HPST

La loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires, loi 2009-879 du 21 juillet 2009), article 51, a instauré un système permettant aux professionnels de santé de faire évoluer les règles de coopération (Code de la santé publique, article L.4011-1 à L.4011-3). Ce texte instaure un mécanisme juridique à la disposition des professionnels de santé pour leur permettre de déroger à leurs conditions légales d’exercice par le transfert d’actes ou d’activités de soins d’un corps de métier à un autre, ou par la réorganisation de leur mode d’intervention auprès du patient.

Ainsi, si une équipe hospitalière est en mesure de faire valoir qu’au regard de l’excellence de ses pratiques elle peut obtenir une dérogation aux compétences, elle doit mettre en œuvre ce processus.

Se maintenir sur des pratiques illégales est d’autant plus condamnable qu’il existe maintenant une procédure de régularisation pouvant être prise à l’initiative des équipes médicales à la suite d’une procédure définie mettant en cause l’agence régionale de santé puis la Haute Autorité de santé.