Cadre de santé et co-fondatrice de la SFFPC - Objectif Soins & Management n° 218 du 01/09/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 218 du 01/09/2013

 

Françoise Hamon Mekki

Sur le terrain

Orientée depuis une vingtaine d’années sur le développement des soins palliatifs en Afrique subsaharienne, l’association anglaise “Hospice Africa” intègre le traitement des plaies chroniques dans son premier programme de formation en français. Françoise Mekki, cadre de santé spécialisée dans la prise en charge des plaies, saisit l’occasion d’un partage de connaissances avec les soignants africains.

Lorsqu’une collègue de la Société française et francophone des plaies et cicatrisations (SFFPC) lui demande de la remplacer pour former des soignants en Afrique francophone, Françoise Mekki n’a pas hésité. « Le projet de transmettre des connaissances sur le traitement des plaies m’a emballé tout de suite. D’autant qu’il s’agissait d’aborder cette problématique dans le contexte des soins palliatifs, un domaine que je souhaitais mieux connaître », s’enthousiasme la cadre de santé du centre de Rééducation et de réadaptation fonctionnelles Kerpape, à Ploemeur, dans le Morbihan. Pour son premier programme de formation en français, l’organisation anglaise Hospice Africa a intégré la prise en charge des plaies à sa mission essentielle, permettre la mise en place et l’accompagnement des soins palliatifs dans les pays d’Afrique subsaharienne par la formation des médecins et des infirmières. « C’est Sabine Perrier Bonnet, infirmière de formation et chargée de mission auprès de l’Alliance mondiale contre le cancer partenaire d’Hospice Africa pour ce projet, qui tenait absolument à ce qu’il y ait un programme plaies. Alors que le Dr Anne Merriman, fondatrice d’Hospice Africa, y était plutôt opposée », rapporte Françoise Mekki.

Le programme, basé sur celui proposé par Hospice Africa en anglais depuis plus de dix ans, s’est déroulé sur cinq semaines, du 15 avril au 17 mai 2013, dans les locaux d’Hospice Africa Uganda à Kampala, capitale de l’Ouganda. Deux semaines étant consacrées à un stage pratique en dispensaires de brousse ou à domicile. Les stagiaires, quatorze médecins et douze infirmiers(ières), venaient de douze pays d’Afrique francophone : quatre pays de l’“Afrique des grands lacs” à l’Est, (Rwanda, République démocratique du Congo, Ouganda et Burundi), et huit pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Sénégal, Cameroun, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée, Niger et Togo).

LE CANCER, L’AUTRE FLÉAU DE L’AFRIQUE

« Je ne suis pas partie avec l’idée de transmettre un savoir présenté comme “la vérité” sur la prise en charge des plaies, mais plutôt d’apporter un contenu universel et d’en débattre pour un échange de connaissances qui permettent à tous d’avancer », explique Françoise Mekki, co-fondatrice et première présidente de la SFFPC. Dans un contexte africain où les plaies sont négligées tant par les patients que par les soignants, le premier objectif de la formatrice est d’instaurer une prise en charge effective des plaies chroniques, notamment des plaies tumorales.

« Dans le cas des plaies cancéreuses, il y a un déni de la part des patients et des proches qui consultent très tard, quand ils consultent. Il y a une méconnaissance et un sentiment d’impuissance vis-à-vis des plaies cancéreuses qu’on ne peut pas toujours guérir. D’autant que le cancer lui-même n’est pas suffisamment traité et qu’il est diagnostiqué trop tardivement. » Dans ses visites à domicile prévues au programme, les plaies cancéreuses sont fréquentes.

Car, si le paludisme et le sida font oublier que le cancer fait aussi des ravages sur le continent africain, ce dernier constitue la troisième cause de mortalité après les pathologies infectieuses et les maladies cardiovasculaires en Afrique subsaharienne.

L’Afrique de l’Est a l’un des taux de prévalence du cancer les plus élevés au monde et l’Ouganda est l’un des pays les plus touchés de la région. À Kampala, l’hôpital général, le “Malongo Hospital”, comporte un institut de cancérologie dont les services d’adultes et d’enfants accueillent de nombreux patients. Son service réservé aux lymphomes est surpeuplé. Alors que les soins et l’hospitalisation sont gratuits, les familles sont obligées d’acheter en pharmacies les traitements de chimiothérapie, les antibiotiques et les traitements complémentaires nécessaires. Et, bien souvent, le manque de moyens entraîne soit l’arrêt du traitement avant terme, soit un traitement amputé de ce qui est le plus cher, soit un départ des familles qui retournent chez elles. « Les gens que j’ai vus à domicile sont plus impressionnés et focalisés sur leur plaie que sur leur cancer. C’est d’ailleurs souvent la plaie qui révèle le cancer. Il est alors trop tard pour traiter le cancer, soit à cause du diagnostic trop tardif, soit parce que les traitements n’existent pas ou qu’ils sont trop chers. Et, sans traitement de la cause, il est aussi trop tard pour traiter la plaie. » Ce qui peut expliquer un certain fatalisme.

DES SPÉCIALITÉS LOCALES

« Certaines pratiques comme l’habitude d’appliquer des plumes ou des poils sur les plaies se rapprochent du vaudou, plaisante Françoise Mekki. La justification de telles pratiques n’est souvent pas comprise par les patients et les soignants. Notre rôle est alors d’essayer de comprendre les effets thérapeutiques de telles méthodes qui créent une inflammation. On sait que la cicatrisation passe par une phase inflammatoire, et le procédé peut avoir un effet bénéfique à un moment donné. Il faut alors bien faire comprendre que ça ne doit pas durer et essayer d’expliquer que les résultats ne sont pas de l’ordre de la magie, mais bien de la physiologie. » Des pratiques culturelles, qui, selon l’avis des soignants locaux, n’occasionnent pas trop de dégâts sur l’évolution de la plaie. Dans d’autres cas, il faut faire avec les moyens et la spécialiste des plaies doit faire preuve d’ingéniosité : « Le charbon de bois est très utilisé en Ouganda, que ce soit pour faire la cuisine ou pour le lavage du linge. Je leur ai donc proposé d’écraser du charbon de bois et de le glisser entre deux morceaux de tissus, puis d’appliquer ce pansement au charbon reconstitué directement sur les plaies malodorantes. » Pour la détersion des plaies, à défaut de pansements modernes, la papaye est couramment employée. Cette pratique s’explique par la capacité de la papaïne de digérer les protéines. Toutefois, l’efficacité de cette enzyme, présente dans le latex situé entre l’écorce et la pulpe de la papaye sur la cicatrisation des plaies, n’est démontrée par aucune étude. Et pour la détersion mécanique, souvent effectuée avec des compresses, la spécialiste explique aux infirmières que les plaies peuvent être nettoyées doucement sous un filet d’eau, de façon moins traumatique pour le lit de la plaie. Concernant la douleur, les soignants se réfèrent le plus souvent aux expressions ou aux dires du patient. Et la spécialiste des plaies remarque la réserve dont font preuve les patients face à la souffrance induite par des plaies et des soins que l’on sait douloureux. Si les réglettes de type EVA font défaut, « il existe néanmoins des échelles illustrées par des jerricans d’eau qui parlent beaucoup plus aux populations locales. Selon que le jerrican est à moitié plein, aux trois quarts plein ou complètement rempli, cela signifie que la douleur est modérée, forte ou la plus forte que le patient puisse imaginer ». Il y a plus généralement une autre perception de la plaie, et face à « de très grosses plaies extériorisées en forme de “chou fleur” sur des cancers de l’utérus, du pénis ou du sein », la cadre de santé observe une attitude très différente chez les patients africains et leurs familles. « Contrairement à ce qu’on connaît en France, les gens osent vivre sans trop couvrir leur plaie, qui reste souvent exposée à l’air libre. »

CONTRE MAUVAISE FORTUNE BON CŒUR

« J’ai trouvé que c’était un challenge intéressant de parler de la prise en charge des plaies sans recourir à toutes les notions de pansements modernes qui sont inaccessibles en Afrique. Car, si l’Afrique de l’Est peut disposer de matériels en provenance d’Afrique du Sud, ce n’est pas le cas de l’Afrique de l’Ouest dont étaient issus la majorité des participants dans le cadre du programme », souligne la cadre de santé. Le manque de moyens ne se limite pas aux pansements, mais atteint tous les niveaux de la chaîne de soins dans des pays qui cumulent absence de prévention, tabou de la maladie, diagnostic tardif et pénurie d’infrastructures et de personnel qualifié. De sorte que les soignants se trouvent confrontés à « des plaies d’escarres avec de gros délabrements cutanés et des pertes de substance importantes ». Là encore, « les patients se présentent tardivement. Ils nécessiteraient des prises en charge globales avec une correction de l’état nutritionnel et des examens vasculaires, alors que les seuls moyens reposent sur des appréciations cliniques de l’état de la plaie ». En revanche, face à ces carences, la formatrice française reconnaît « avoir beaucoup appris en termes d’humanité ». Ainsi, « lorsque les médecins et les infirmières ont les connaissances adaptées, la technique est transmise et acquise par tous ceux qui entourent la personne. Il y a une grosse délégation de pouvoir vers la famille et les aidants proches, et tout le monde sait faire les soins. Le patient bénéficie d’un entourage présent, actif, et très digne ».

Pour Françoise Mekki, les formateurs spécialisés doivent valoriser les soutiens existant sur place, qu’il s’agisse de l’entourage ou des soignants. « C’est ce que je fais, je n’y avais pas pensé », disent parfois les stagiaires en cours de formation. « Pour les soignants déjà formés et expérimentés, c’est un autre intérêt des formations de s’entendre dire que ce que l’on fait au quotidien c’est bien, que ça vaut la peine de continuer parce que ça a de la valeur, même si on peut quelquefois réajuster. Il s’agit de valoriser ce qui est fait tous les jours. Et de redonner confiance aux professionnels. » Car les équipes soignantes qui se déplacent à domicile sont d’un grand réconfort.

ROMPRE L’ISOLEMENT

Lors des visites à domicile dans Kampala, la soignante rencontre les patients dans des habitations construites de briques de terre cuite et de sable, ou simplement de tôles, auxquelles elle accède par un dédale de ruelles de terre battue. Il faut encore emprunter quelques couloirs à l’intérieur pour rejoindre le malade installé au sol sur un matelas, dans une pièce de deux mètres sur deux peu éclairée, alors que la température extérieure dépasse les 30 °C. C’est en premier lieu l’occasion de donner des conseils pour l’installation du patient. Trouver des positions confortables en ajoutant parfois un arceau pour soulever les draps et éviter un appui douloureux sur la plaie. « L’entourage est présent jusqu’au bout dans les situations de fin de vie. Il faut essayer parfois de dédramatiser la situation et inciter à respecter l’état d’esprit de la personne en fin de vie. Il faut vraiment accompagner les aidants pour qu’ils ne se découragent pas et qu’ils n’aient pas un grand sentiment d’isolement et d’abandon », observe ­Françoise Mekki. « Au fond de la brousse, s’il n’y a pas une équipe de professionnels qui passe régulièrement, les proches peuvent avoir rapidement un sentiment d’impuissance sans avoir les capacités d’agir. C’est pourquoi, dans l’idée d’Hospice Africa, le développement des soins palliatifs en Afrique passe aussi par la mise en place d’équipes mobiles de soins (médecin, infirmières) au plus près des patients. » Étonnamment, Françoise Mekki reconnaît un risque d’isolement qui n’est pas sans lui rappeler les situations précaires qu’elle a pu observer avec les maraudes du Samu 75. « J’ai ressenti un peu la même chose. Quand on arrive auprès de ces personnes en hiver, il fait très froid. Tous les soirs ils reviennent au même endroit, même si on ne les voit pas dans la journée. L’équipe du Samu 75 arrive avec de la soupe et une couverture, éventuellement un bonnet, et prend le temps de discuter quelques minutes, ce qui maintient la vie par un fil de communication. » À Kampala, « les proches se sentent souvent démunis, mais les équipes d’Hospice Africa, qui passent tous les quinze jours au domicile pour distribuer la morphine, apportent aussi un soulagement moral, une bouffée d’oxygène. Cela permet aux gens d’être reliés à un monde de soignants, et de ne pas baisser les bras grâce à une attention et un regard bienveillant ». Toutes les régions ne bénéficient pas autant de la présence de l’association humanitaire. Françoise Mekki est sensible à la demande des médecins et des infirmiers(ières) stagiaires qui lui proposent de venir dans leurs régions pour aider au développement du traitement des plaies et l’amélioration de la qualité de vie des patients. Aussi, la cadre de santé, très attachée aux qualités de la population africaine depuis une expérience dans un service de chirurgie orthopédique au Gabon, pourrait bien refaire ses valises…

L’action d’Hospice Africa

Depuis plus de 20 ans, Anne Merriman, médecin anglais fondatrice d’Hospice Africa, consacre sa vie à la mise en place de services de soins adaptés aux besoins des patients atteints de maladies chroniques comme le sida et le cancer en Ouganda :

→ éduquer les équipes médicales, les bénévoles et le public ;

→ rendre disponible les médicaments de la douleur, en particulier le palier 2 et le palier 3, et particulièrement la morphine en poudre, antalgique le moins cher en Afrique lorsqu’elle est fabriquée dans le pays à partir de la poudre dont le coût est en moyenne 1/1000e de dollar américain par mg et égal à celui d’un pain, et qui peut soulager les patients pendant deux semaines ;

→ promouvoir les politiques gouvernementales : la médecine palliative a besoin d’être intégrée dans la politique de santé nationale, comme c’est le cas en Ouganda.

Les infirmières ont un rôle prédominant dans les programmes d’Hospice Africa. En Ouganda, elles ont acquis, au fils des années et des formations, la possibilité de prescrire le sirop de morphine. Ce qui permet de répondre au manque de médecins et au désintérêt pour les soins palliatifs.

Plusieurs associations ont été créées pour aider Hospice Africa : au Royaume-Uni (1993), en Irlande (2008), en Hollande, aux USA (2006), puis en France (2009), ainsi que des fondations (CSF, CAFOD, CORCAID…). En France, Jim Bennet, président d’Hospice Africa Soins Palliatifs France, a ouvert une boutique de charity à Jugon-les-Lacs, en Bretagne, pour financer les programmes africains. Le charity shop fonctionne grâce au don de matériel d’occasion (vêtements, bric-à-brac, livres, jouets…) et à la quarantaine d’adhérents (essentiellement anglais) qui viennent tenir l’échoppe (site Internet : www.hospiceafricafrance.com).

LE CANCER EN AFRIQUE

– En 2008 : 682 000 personnes ont été atteintes de cancer en Afrique où 26 % des cas sont consécutifs à des infections chroniques. La mortalité a été de 572 402 durant la même période.

– D’ici 2030 : 1,2 million nouveaux cas de cancer en Afrique, avec plus de 970 000 morts si des mesures adéquates de prévention ne sont pas prises rapidement.

– Cancers les plus fréquents ou communs :

• chez les femmes : col de l’utérus, sein et cancer primitif du foie ;

• chez les hommes : prostate, cancer primitif du foie et le sarcome de kaposi.

– Actuellement, chez l’enfant : 16 à 20 % des cancers sont guéris en Afrique subsaharienne, tandis que ce pourcentage avoisine les 75 % dans les pays économiquement avancés.