Évaluer et suivre les pratiques professionnelles paramédicales - Objectif Soins & Management n° 216 du 01/05/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 216 du 01/05/2013

 

Qualité Gestion des risques

Véronique Chavaillon  

La prévention du risque infectieux lié aux pratiques professionnelles relève d’une démarche globale, collective, fondée sur la coordination et le suivi d’actions individuelles. Elle est sous-tendue par l’acquisition et la réactualisation des savoirs et des savoirs faire à travers le développement professionnel continu et l’évaluation des connaissances et des pratiques de soins.

La prévention du risque infectieux lié aux pratiques professionnelles s’appuie sur la conscience professionnelle et le bon sens de chacun pour réaliser un acte de soins dans le respect des critères de conformité et de sécurité pour le patient. Sur un plan formel, elle répond au cadre réglementaire du “Programme national de prévention des infections nosocomiales 2009-2013”, et pour juger de son efficacité, aux critères du manuel de certification de la Haute Autorité de santé.

Pour que l’objectif soit partagé par tous les professionnels concernés, il est nécessaire de proposer un dispositif qui permette d’aborder l’évaluation sous un angle formatif et non répressif (grilles de lecture informatisées), de valoriser les actions individuelles en permettant le suivi des résultats d’évaluation (tableaux de bord), et des actions correctives qui en résultent (plans d’actions), ciblées sur la formation, l’information, les retours d’expérience.

La méthodologie utilisée pour la mise en œuvre du dispositif d’évaluation et de suivi des pratiques professionnelles paramédicales s’appuie sur un mode participatif et collégial des personnes ressources (tester, proposer, réajuster, valider, s’approprier). Elle doit garantir à terme la viabilité du projet et la pérennité des actions engagées.

Dans notre établissement, elle est une priorité qui s’inscrit dans un Contrat pluriannuel d’objectif et de moyens (CPOM).

PROBLÉMATIQUE DE DÉPART

En pratique, l’équipe opérationnelle d’hygiène agit suite au signalement d’un événement indésirable (par exemple, transmission croisée d’un agent infectieux).

En première intention, elle procède à une rapide analyse du contexte, des causes possibles humaines (comme le non-respect des précautions complémentaires d’hygiène), matérielles ou structurelles. Elle tente d’établir, par la suite, un lien de cause à effet qui, à défaut d’être clairement identifié, se traduit implicitement par une responsabilité collective dans laquelle chacun se sent plus ou moins concerné.

Dans le but de prévenir l’extension incontrôlable du risque, elle utilise alors ce qu’elle maîtrise le mieux : le rappel “systématique” des règles élémentaires d’hygiène. Il en résulte une redondance d’information dans un champ de compétences individuelles souvent inexploré ou peu évalué.

OBJECTIFS STRATÉGIQUES

L’enjeu est double :

• ramener la perception d’une responsabilité collective à celle d’une responsabilité individuelle où chacun se porte garant de sa propre pratique et comprend, pour lui-même, l’exigence d’une formation continue ;

• développer la culture de l’évaluation comme élément fondamental des métiers d’encadrement, afin que les cadres de santé donnent du sens à la valeur “qualité” et “sécurité” des soins réalisés dans leur unité. Enfin, leur donner les moyens de cibler les dysfonctionnements afin qu’ils puissent identifier les mesures correctives nécessaires au “mieux faire”.

MÉTHODOLOGIE

En 2012, une information de la Commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT), du comité du Développement professionnel continu (DPC) et des cadres de santé est réalisée.

Angle conceptuel du projet

Pour que l’objectif soit partagé par tous les professionnels concernés, il est nécessaire de proposer un dispositif qui permette d’aborder l’évaluation sous un angle formatif et non répressif, de valoriser les actions individuelles en facilitant le suivi des résultats d’évaluation (tableaux de bord) et des actions correctives qui en résultent (plans d’actions), ciblées sur la formation, l’information, les retours d’expérience, etc.

Un état des lieux est réalisé. Il permet :

• le recensement des outils disponibles (fiches techniques issues du classeur d’hygiène) et l’identification des besoins pour la création de nouveaux outils (application informatique d’évaluation) sur la base des pratiques prioritaires à évaluer (grilles d’audit et d’autoévaluation) ;

• l’élaboration d’un cahier des charges de l’outil informatique pour répondre à trois exigences : celle d’un support d’évaluation, d’information sur le niveau de conformité des pratiques de soins réalisées, d’information sur les signalements d’événements (BMR – bactéries multirésistantes aux antibiotiques – par exemple).

Les ressources humaines sont identifiées ainsi que les rôles et les missions, à savoir :

• les infirmières “test” pour les grilles d’autoévaluation ;

• les cadres de santé en tant que “force de proposition” ;

• le groupe expert pour les délibérations et la validation des grilles d’autoévaluation et d’audit, composé de la directrice des soins, de l’ingénieur qualité, de l’équipe d’hygiène ;

• l’équipe opérationnelle d’hygiène, pour l’accompagnement des équipes soignantes, l’information et les premières évaluations.

Un échéancier des actions est présenté sur un diagramme de Gantt.

Des bilans d’étapes sur l’avancée du projet sont réalisés auprès de la directrice des soins. Des bilans d’étapes sur les contenus sont faits auprès du groupe “expert”.

Angle opérationnel du projet

L’angle opérationnel du projet se développe en trois phases distinctes, mais simultanées.

Élaboration d’un outil informatique

La première phase concerne l’élaboration d’un outil informatique (Excel) permettant le recueil des données d’évaluation (autoévaluations et audits), l’analyse de ces données et l’identification des axes d’amélioration. Les résultats par équipe et par pôle clinique sont renvoyés, à chaque mise à jour, sur des tableaux de bord d’indicateurs (radars) consultables par les équipes d’encadrement. Ces tableaux d’un abord simple, visuel et engageant ont pour but, à terme, d’encourager les cadres d’un même pôle d’appartenance à élaborer des plans d’actions partagés ou spécifiques à leur unité (cf. tableau de bord 1 ci-dessus).

Outils d’aide à l’observance

La deuxième phase concerne l’élaboration ou la réactualisation d’outils d’aide à l’observance (grilles de lecture pour les autoévaluations et les audits, (cf. tableaux de bord 2 et 3, page suivante). Ces outils constituent le corps du dispositif d’évaluation informatisé. Les items (indicateurs d’évaluation dits “prioritaires”) retenus pour chacune des grilles d’autoévaluations définitives (10 items par pratique) sont la résultante d’une décision collégiale qui croise l’avis des cadres de santé et des assistants de pôle (22 retours en moyenne sur 30), des résultats d’autoévaluation “test” auprès des infirmières et des conclusions argumentées du groupe “expert”. L’ensemble des personnes interrogées tombe majoritairement d’accord sur les items à conserver, soit parce qu’en pratique ils ne sont pas respectés, soit parce qu’a priori ils sont déterminants dans la prévention du risque infectieux.

Fonctionnalité des tableaux de bord

La troisième phase concerne la fonctionnalité des tableaux de bord (cf. tableaux de bord 1, 2 et 3), que chaque cadre pourra consulter dans son pôle d’appartenance. Leur mise à jour se fait à partir des données “source” saisies par l’évaluateur au niveau du service d’hygiène, sur l’application “réseau” de l’établissement. Chaque pratique de soins renvoie à un résultat d’audit et d’autoévaluation anonyme par équipe. Pour l’année 2012-2013, cinq pratiques sont retenues : le sondage vésical clos, la perfusion sous-cutanée, le cathéter veineux périphérique, la voie centrale, les précautions complémentaires d’hygiène. Le promoteur du projet s’engage à passer dans chaque service pour permettre aux cadres de s’approprier ce nouvel outil. L’appropriation sera effective dès lors qu’un nombre significatif de plans d’actions d’amélioration à partir des résultats d’évaluation sera élaboré par l’équipe d’encadrement (par exemple augmentation de la fréquentation des professionnels aux formations réalisées par l’équipe d’hygiène).

VALORISATION DES ACTIONS INDIVIDUELLES POUR LE DPC

Il s’agit d’une fiche d’émargement personnalisée (format poche), que l’équipe d’hygiène a librement intitulé “Passeport pour le développement professionnel continu” (cf. page ci-contre). Ce document, remis à chaque professionnel (300 IDE), rend compte des pratiques évaluées (datées et parafées par l’évaluateur).

RÉSULTATS

Indicateurs de résultat

• Nombre de passeports distribués : 50.

• Nombre total d’autoévaluations = 181.

SVC = 40, PCH = 66, PSC = 45, VVC = 0, CVP = 30 (en test), bionettoyage = 1 (en test).

• Nombre total de BMR signalées (2e semestre) = 93 signalements.

• Conformité PCH sur nombre total de signalements BMR = satisfaisante à l’exception de l’item 1 et 4 (prescription de l’isolement et formation).

Appréciation quantitative

L’appréciation quantitative est faite sur la mise en place du dispositif :

• sur la consultation des cadres de santé sur le choix de dix items prioritaires, tous secteurs confondus : 71 % de retours ;

• sur l’investissement du groupe expert : 80 % de présentéisme sur trois réunions de travail ;

• sur la consultation des IDE pour les autoévaluations tests : trente professionnels interrogés en moyenne, pour chaque pratique de soins (PCH, PSC, CVP, SVC).

Nombre de communications aux différentes instances : trois (CSIRMT, cadres de santé, cadres supérieurs de santé).

En prévision : une présentation à la Journée méditerranéenne de prévention des infections nosocomiales 2013.

Appréciation qualitative

Au cours de la mise en œuvre du dispositif d’évaluation, l’outil informatique a subi de nombreux remaniements, permettant la simplification des fonctionnalités et une meilleure lisibilité des tableaux de bord.

En ce qui concerne les grilles d’évaluation, certains items ont été clarifiés ou reformulés à la suite des remarques des professionnels évalués en phase test. Le travail sur le terrain a permis aux évaluateurs de faire le point sur les techniques de soins des jeunes recrues comparées au plus anciennes et de relever les modalités des pratiques acquises dans la recherche d’un gain de temps ou d’une simplification. Les cadres de santé ont accueilli avec bienveillance les évaluateurs. Ils se familiarisent progressivement à la démarche de l’évaluation, même s’ils sont encore peu nombreux à consulter les tableaux de bord. Dans un avenir proche, ils seront eux-mêmes formés pour réaliser les autoévaluations de leur équipe.

Enfin, l’Équipe opérationnelle d’hygiène hospitalière (EOHH) poursuit ses visites dans tous les services afin de délivrer, à chaque professionnel, les passeports DPC et de finaliser les autoévaluations (SVC, PSC, CVP, PCH).

Chaque infirmier s’engage à être audité d’ici fin 2013 sur trois pratiques de soins selon les modalités suivantes : le soin est imminent ou programmé la veille pour le lendemain ou le matin pour l’après-midi. L’auditeur (EOH) est prévenu et s’organise pour être disponible. Un audit doit être réalisé dans le mois qui suit la délivrance du passeport. En général, l’autoévaluation précède toujours l’audit pour que l’évaluation soit vécue comme formative.