Conflits et crises, une gestion difficile - Objectif Soins & Management n° 215 du 01/04/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 215 du 01/04/2013

 

Ressources humaines

Laure de Montalembert*   Patrick Barra**   Patrick Moulin***  

Les crises qui touchent les équipes sont le cauchemar des cadres. Pourtant, une bonne gestion de ces crises, menant à leur résolution, constitue un véritable ciment entre les personnes qui y ont été confrontées.

« Lorsque les cadres nouvellement diplômés prennent leur poste, ils sont généralement amenés assez vite à gérer des crises. Les conflits les plus classiques sont liés à la question des congés annuels, à la mobilité sur le secteur ou aux conditions de travail difficiles qui créent des tensions », expose Patrick Barra, formateur cadres à l’IFCS de l’APHM. C’est la raison pour laquelle les étudiants sont mis en situation, à partir de cas réels, observés ou élaborés par les formateurs. « Les futurs cadres sont ensuite chargés d’analyser ces situations et de déterminer l’attitude adaptée à mettre en œuvre en tant que cadre et en accord avec leurs valeurs. Nous travaillons alors ensemble sur leurs choix de type de management, dans le respect de l’éthique et de l’autre », ajoute-t-il avant de préciser : « Les cadres doivent adopter une posture réflexive, à distance de la situation. Nous insistons beaucoup sur le fait qu’il ne faut jamais traiter les conflits par le mépris. Tout conflit, même si cela entraîne une période douloureuse à passer, peut permettre de progresser avec l’équipe et de trouver des solutions qu’on n’aurait pas imaginées sans sa survenue. » Une affirmation, plutôt rassurante, qui sera confirmée par les autres spécialistes interrogés sur le sujet.

Christian Morvan, conseiller en organisation et spécialiste en leadership, a souvent été confronté à des situations de crise au sein d’équipes dans toutes sortes de secteurs. « Dans les groupes ou dans les équipes, il existe plusieurs natures de crises. Certaines sont liées à des conflits sociaux au sein de l’établissement, mais, le plus souvent, il s’agit de difficultés relationnelles entre les membres d’une équipe ou de perte de confiance envers le manager. La perte de confiance peut être liée au laxisme ou à un excès d’autorité. On observe également des cas de perte de crédibilité du cadre par manque de compétences managériales », analyse-t-il.

ANTICIPER LA CRISE

Pour lui, l’idéal est de voir venir la crise en amont afin de tout mettre en place pour éviter l’explosion. Il s’agit d’observer ce qu’on appelle les “signes faibles” : augmentation de l’absentéisme, accroissement du turn-over, climat interne détérioré, par exemple. À ce constat, le conseiller en management exhorte les leaders à réagir immédiatement, à ne surtout pas enterrer un problème qui sera beaucoup plus difficile à gérer plus tard. « On met donc en place une parade, ou “stratégie de résolution”. Celle-ci consiste en deux axes principaux : la formalisation des causes et la mise en place d’une véritable stratégie de communication. Si, par exemple, une forte antipathie entre deux membres d’une équipe plombe l’ambiance de travail, le cadre devra mettre le problème en évidence et amener les deux personnes à se parler et à exprimer les raisons de leur discordance. » Une rencontre qui doit répondre à certaines règles, dont les modalités sont expliquées plus bas par Hervé Madet, psychothérapeute. « Dans les situations où le dysfonctionnement serait causé par un déficit de confiance ou de crédibilité du cadre, la hiérarchie doit décider de mettre en place un accompagnement spécifique, voire de proposer au manager un supplément de formation », poursuit Christian Morvan.

NE PAS SE TROMPER DE PERSONNE

Lorsque la crise est installée, il préconise les mêmes axes de résolution, en veillant plus encore à l’aspect émotionnel qui aura alors pris énormément d’ampleur. Si un événement particulier et traumatisant est à la source de la difficulté, la création d’une cellule de crise – au sein de laquelle toutes les parties prenantes sont invitées à s’exprimer – peut être nécessaire. Et, « une fois que les choses se sont calmées, pour pérenniser les acquis, le cadre devra mettre la situation sous contrôle. Dans cette optique, il restera vigilant et veillera à ce que la communication fonctionne bien. »

Paradoxalement, Christian Morvan trouve du bénéfice dans la survenue de ce type d’épisodes : « Les crises bien gérées rendent les équipes plus solides. Sortir victorieux de ce genre d’épreuve fédère un groupe social, quel qu’il soit », assure-t-il.

Reste le cas où la crise provient objectivement d’un salarié difficile, semeur de zizanie ou incapable de travailler en équipe. « Là, difficile d’éviter de s’en séparer », tranche-t-il. Attention tout de même aux effets de bouc émissaire qui apparaissent dans certains groupes. Dans ces cas-là, le coupable n’est pas forcément celui qu’on imagine. C’est ce que confirme Hervé Madet, psychothérapeute dans le sud de la France : « La désignation d’un bouc émissaire rentre dans le cadre du fonctionnement groupal, dès que deux personnes sont associées. Nous avons tous envie et besoin d’appartenir à un groupe et que ce groupe fonctionne bien. C’est désangoissant. » C’est lorsque tout ne tourne pas rond au sein de ce groupe que ses membres éprouvent le besoin de désigner un bouc émissaire, rendu coupable du dysfonctionnement en cours, « ce qui demande au manager une certaine clairvoyance ».

Mais ce n’est pas tout. Le psychothérapeute explique également que d’autres rôles sont dévolus au sein de tout groupe. « L’ambiance peut également se détériorer lorsque le leader désigné n’est pas celui qui en détient le titre, ni les compétences », précise-t-il. Cela dit, à l’unisson des autres professionnels interrogés, Hervé Madet trouve des vertus à la crise : « Ce type de situation permet de mettre en lumière des problèmes non encore observés. On ne peut s’améliorer qu’en vivant des crises. Celles-ci sont toujours révélatrices d’un point de faiblesse. »

EFFET MIROIR

Que faire en pratique, alors, lorsqu’une grosse inimitié se développe entre deux membres de l’équipe ? Pour le spécialiste, « à chaque fois que l’on ressent un affect très négatif ou très positif (attirance ou répulsion) face à une autre personne, c’est qu’on voit quelque chose dans l’autre qui, en réalité, nous appartient en propre ». Le principe de la poutre et de la paille, en quelque sorte. Et de donner comme exemple les hommes très machos qui ne supportent pas les homosexuels. « En réalité, ils ne supportent pas leur propre homosexualité refoulée. Ils ne veulent pas que cela se voit et ils ne veulent pas le voir. Donc, ils en rajoutent. Cela engendre un comportement agressif. » La solution : « Le cadre doit prendre conscience qu’au moins pour l’une des deux personnes en cause, l’autre lui renvoie quelque chose d’insupportable. Le plus simple est alors de parler, en présence d’un interlocuteur extérieur qui s’implique totalement dans la discussion », précise le thérapeute. Le manager sera chargé, en général, de cette tâche. Celui-ci exprimera clairement ce qu’il en pense. L’idée n’est pas d’écouter les justifications de l’un ou de l’autre, mais de faire dire aux gens ce qu’ils ressentent : « Au moment où il fait telle ou telle chose, que ressentez-vous » est l’une des phrases-clés permettant de désamorcer ce type de conflit. « Quand on parle de ce qu’on ressent, il n’y a pas de tricherie. C’est indépendant de sa volonté. Ce qu’on ressent est le reflet de la problématique, et la présence d’une tierce personne change la nature du dialogue », ajoute le spécialiste.

Pour arriver à un résultat satisfaisant, trois règles préalables sont cependant à instaurer : laisser parler l’autre sans l’interrompre ; pas d’injures ni de cris ; et l’entrevue doit être proposée à chacun individuellement avant la rencontre.

Autre cas de figure évoqué plus haut par Christian Morvan : l’excès ou le défaut d’autorité sont également générateurs de troubles. « C’est le même schéma, au fond, relève Hervé Madet. On est dans la domination dans les deux comportements. La finalité est identique, mais le côté contraignant est cependant plus conscient que le côté protecteur qui mène au défaut d’autorité. » Et, à l’écouter, il semblerait d’ailleurs que cette tendance plus ou moins affirmée à une forme dérivée de domination soit inhérente au choix d’un métier de soin. Une affirmation qui fait souvent bondir les professionnels de santé mais sur laquelle la plupart des psys s’accordent. En découlent parfois des difficultés à gérer la frustration, voire des rapports rugueux avec la hiérarchie.

AU BON MOMENT, À LA BONNE PERSONNE

En tant que directeur des soins au centre hospitalier de l’Estran, Patrick Moulin* s’est trouvé confronté, plus ou moins directement, à des situations de crise. C’est la raison pour laquelle il a rédigé un document très complet à propos de la gestion de conflits dans lequel il analyse la mécanique des différentes situations. Il y reprend notamment la notion de bouc émissaire : « Si un bouc émissaire donné est écarté, un autre fera surface dans la semaine suit », y écrit-il, avant de citer une phrase de Jacques-Antoine Malarewicz (psychiatre et intervenant en entreprises) : « Le bouc émissaire est au sein d’un groupe ce que le conflit peut être au niveau de l’entreprise : une soupape d’échappement qui détourne l’attention d’autres problèmes. »

Autre cas de figure : le conflit se situe entre l’équipe et la hiérarchie, le cadre se trouve pris en sandwich. « Suivant le cas, le risque est de se mettre une des deux parties à dos. » Puisant encore dans sa bibliographie fournie, le directeur des soins cite alors Didier Noyé (expert management) : « Le manager doit avant tout dire les choses au bon endroit, au bon moment et à la bonne personne, sans jamais critiquer une partie devant l’autre, suivant un devoir de solidarité. » Afin de désamorcer la situation, il est alors essentiel, pour le cadre, de commencer par s’assurer du soutien de sa hiérarchie avant de monter au créneau de manière visible.

Troisième cas exposé : « Je suis en conflit avec mon équipe. » Si le conflit éclate lors d’une réunion, Patrick Moulin conseille de clore les débats et de proposer un rendez-vous ultérieur pour discuter spécifiquement du point sensible sans hésiter à laisser passer deux ou trois semaines. Dans l’intervalle, le cadre pourra rencontrer les personnes individuellement « pour comprendre ce qui se passe et chercher une solution ». Une stratégie qui doit être maniée avec précaution, afin de ne pas donner l’impression de chercher à diviser l’équipe.

BONS NÉGOCIATEURS

Il arrive également que la crise prenne corps entre le cadre et une seule personne de son équipe. Si le conflit éclate au moment d’un entretien, le manager mettra fin à l’entretien et « proposera à la personne concernée de rédiger une courte note pour expliquer l’origine du conflit et les solutions possibles ». Par la suite, il prendra soin de « se concentrer sur le factuel pour éviter l’escalade ». Si le conflit persiste, Patrick Moulin conseille de mettre en place une médiation par un responsable. « Le recours à une mutation est vraiment la preuve d’un échec », conclut-il. Avant tout, il insiste sur le fait qu’un bon cadre est un négociateur. C’est pourquoi le document se termine par quelques conseils dans ce domaine : « Les bons négociateurs doivent être capables de gérer beaucoup d’informations, constamment en évolution. Que les choses soient décidées et résolues immédiatement n’est pas la façon de tirer le meilleur d’une situation. (…) Les négociateurs doivent être patients, principalement parce qu’une approche mécanique tranchante n’a qu’un effet limité et de courte durée. (…) Les négociateurs doivent être fermes car il peut être nécessaire de tenir sa position face à des négociateurs agressifs ou mécaniques. Il est important d’être sûr des résultats souhaités et des concessions que l’on est prêt à faire afin d’atteindre l’objectif. »

Des comportements qui s’apprennent et devraient être à la portée de tout cadre préoccupé de maintenir un climat constructif au sein de son équipe.

NOTE

* Le site de Patrick Moulin : www.directeur-des-soins.com