Visite du formateur en stage : quelle pratique pour quelle utilité ? - Objectif Soins & Management n° 213 du 01/02/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 213 du 01/02/2013

 

Recherche Formation

Catherine Muller  

La visite du formateur à un étudiant en stage est une pratique historique dans les écoles de formation des infirmiers anesthésistes. Une enquête sur l’évaluation formative actuellement pratiquée permet de mesurer toute l’importante de cette rencontre formateur/étudiant, sur le terrain et en situation professionnelle au regard de sa portée pédagogique.

En formation infirmière, depuis de très nombreuses années, le modèle de formation retenu est celui de l’alternance. C’est le cas des écoles d’infirmières anesthésistes (IADE) dans lesquelles les stages représentent 75 % du temps de formation(1). Dans ce cadre, une évaluation formative est organisée lors d’une visite du formateur sur le lieu de stage. L’objet est de rencontrer l’étudiant, de l’observer travailler et de faire le bilan avec lui de ses réalisations pratiques durant cette visite, en lien avec les connaissances théoriques et professionnelles acquises en fonction du niveau de formation.

Une première enquête sur les acquisitions professionnelles observables lors d’une visite en stage nous avait déjà mis sur la voie : le formateur doit permettre à l’étudiant de prendre conscience de ce vécu particulier et intégrer les connaissances et pratiques visibles et invisibles afin d’en faire un objet de connaissance. La réflexion sur les pratiques procédurales, donc les liens entre pratique professionnelle et processus de formation, est essentielle.

Quelle est la vision des étudiants quant à cette pratique ? Pour eux, en quoi est-elle un objet de formation ? Quel est l’impact de cette visite pour les étudiants IADE ?

MÉTHODE DE RECHERCHE ET RÉSULTATS

L’enquête a concerné 40 étudiants d’une école d’IADE, âgés en moyenne de 32 ans. Les étudiants sont expérimentés (plus de deux ans de pratique infirmière) et suivent une formation de deux ans.

Modalités

L’équipe pédagogique réalise en moyenne deux visites par an par étudiant sur les terrains de stage. L’enquête a porté sur 75 visites réalisées depuis un an et demi et a concerné les étudiants de deux promotions. 36 étudiants ont répondu, tous les questionnaires rendus ont été analysés par la saisie des réponses dans le logiciel Sphinx(2) (analyse qualitative). Le questionnaire comportait dix questions, neuf variables ont été retenues.

Analyse

97,2 % des étudiants considèrent la visite formative indispensable car elle est un complément de l’encadrement de stage (p < 0,01). Leur satisfaction globale est en moyenne de 9/10 (écart type de 1,26) et se répartit comme sur le premier schéma de la page ci-contre.

Par rapport aux étudiants de 1re année (satisfaction moyenne = 9,32/10 – écart type de 1,09), les étudiants de 2e année ont un avis plus moyen (satisfaction moyenne = 8,50/10 – écart type de 1,40) sans avoir donné les éléments de compréhension.

Attentes des étudiants

Les étudiants attendent de cette visite un point sur leurs pratiques afin de pouvoir les réajuster mais aussi un entraînement aux examens (le positionnement professionnel reliant très fortement pratique et théorie).

Il n’y a aucune différence significative entre les attentes des étudiants de 1re et 2e année, comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous.

La présence du formateur pour un moment d’échange sur les pratiques professionnelles est fortement appréciée. 91,7 % des étudiants attendent un avis leur permettant de valider à la fois l’acquisition de pratiques et techniques mais aussi les rassurant quant aux exigences du métier (à 97 % en vue des examens, p < 0,01). Remarquons toutefois une différence de vécu chez les étudiants en 2e année qui considèrent cette visite comme un apprentissage à la gestion du stress, ce qui est moins le cas pour ceux en 1re année (100 % vs 86,4 %).

Deux questions ouvertes concernaient le résultat et le vécu de cette visite. Dix étudiants (27 %) ont évoqué des bénéfices personnels : « prise de confiance en soi et d’assurance », « regard plus positif sur soi », « s’autoriser à se définir d’autres objectifs », alors que d’autres apprécient de renouveler les entraînements avec un formateur ainsi qu’une prise du recul.

Quatre d’entre eux disent avoir apprécié « établir d’autres relations avec les formateurs », et soulignent l’importance de remarques bienveillantes. Ils évoquent les bénéfices d’un « regard extérieur à l’équipe de stage » qui permet de situer une progression personnelle pour se donner les moyens de réussir au regard des pratiques professionnelles attendues. Un étudiant toutefois regrette un manque d’échange.

Dix étudiants parlent de leurs erreurs et de mauvaises habitudes : ces notions ne sont pas vécues comme négatives car, pour eux, elles sont « source d’apprentissage » et d’amélioration.

L’ALTERNANCE ET L’APPRENTISSAGE EN ACTION

Sur le modèle de Malglaive, Jean Houssaye a développé la notion d’alternance-exploitation, conçue comme étant au service de l’étudiant et pensée comme des allers-retours entre le stage et l’école. Une grande valeur est accordée au lien entre les deux pôles de formation, chacun enrichissant l’autre. Dans le même temps, l’expression de Dewey, reprise par Lindeman, « Learning by doing », est au cœur de nos discours de formateurs en santé : en effet, nous nous appuyons sur les situations de travail pour une professionnalisation de l’étudiant.

Lors d’une visite formative, en utilisant l’auto-confrontation, il y a mélange de pratique (vécue et réalisée) et d’analyse (du prescrit au compris).

Le tableau ci-après permet de visualiser les multiples occasions que procure la visite formative.

La visite donne ainsi lieu, par ricochet, à une évaluation formative.

LA VISITE FORMATIVE COMME ACTIVITÉ DE PROFESSIONNALISATION

En 1990, Hadji définit l’évaluation formative comme « une évaluation dont l’ambition est de contribuer à la formation en privilégiant la régulation en cours de formation ». Quant à Georgette Nunziatti, elle préfère le terme d’évaluation « formatrice », car elle « vise à rendre l’apprenant gestionnaire de la régulation de l’apprentissage en lui permettant de construire un modèle personnel d’action ». L’argument est qu’elle doit être centrée sur le processus de l’action plutôt que sur le résultat final : le formateur peut ainsi proposer des pistes d’amélioration et de réussite. Elle doit permettre de faire le point sur ce qu’il sait faire et ce qui lui reste à apprendre pour savoir faire.

En associant ces notions à celle du cycle d’apprentissage de Kolb, cette visite est le moment de lien entre le “faire” et le “dire sur le faire”. Bernard Lahire souligne toute l’importance d’aller plus loin que la simple question, « qu’avez-vous fait ? ». Le formateur doit trouver le fil conducteur, les événements marquants (continuum/ruptures) pour mettre en évidence les pratiques professionnelles, sociales, affectives ainsi que les mimétismes que l’étudiant a utilisés. Et qui est le mieux placé pour en parler si ce n’est l’ étudiant lui-même ?

Le formateur est souvent reconnu comme expert du domaine, et, à ce titre, la visite en stage représente pour l’étudiant une rencontre et une confrontation “expert/novice”. Cette “relation dissymétrique” peut être source de difficultés : c’est pourquoi Bourgeois et Nizet recommandent que « le formateur ne propose pas immédiatement son propre point de vue, mais s’attache au contraire uniquement à proposer des indications et à effectuer des remises en question […] afin de pousser l’apprenant à réfléchir sur des principes de réponses plutôt que sur des réponses spécifiques » et l’incitent fortement à une « distanciation critique par rapport à ses réponses ».

Toutefois, nous préférons l’idée selon laquelle, en formation par alternance, « l’enseignant formateur se retrouve avec des étudiants doués d’une “maîtrise” qui en fait des étudiants capables de réversibilité ». Cette idée de “maîtrise” semble intéressante, car elle oblige en permanence le formateur à rechercher en quoi l’étudiant dispose de capacités, importance à ne pas ignorer dans le processus formatif. Le formateur a toute sa place dans une visite formative, puisqu’il construit son action à partir de la didactique professionnelle spécifique de l’IADE. Toutefois, le formateur expert a une représentation de sa profession (et de la professionnalité) qui est liée à sa propre expérience. De par son expertise, son niveau d’exigence peut être très élevé et vécu comme décalé, voire irréaliste ou dépassé.

Le formateur est le lien privilégié de cette démarche. Toutefois, il ne faudra pas oublier le tuteur, nouvel acteur des formations, qui sera une ressource essentielle dans le dispositif, ce qui est confirmé avec la réforme mise en place lors de la rentrée d’octobre dans les écoles.

CONCLUSION

La visite formative est donc un moment d’accompagnement clinique que Bernard Pechberty qualifie de « double mouvement » : il s’agit dans le même temps d’aller vers l’étudiant pour l’accompagner dans son expérience et de lui donner quelque chose en partage à son unique profit.

Selon l’Afnor (1992), « la compétence est la mise en œuvre de capacités en situation professionnelle, lui permettant d’exercer correctement une fonction et une activité ». À ce titre, la visite formative peut apparaître comme un moyen et un outil à disposition du formateur afin de révéler à l’étudiant ses propres capacités. Pour cela, il faut établir en équipe la démarche pédagogique à suivre afin de profiter au mieux des situations vécues en stage. Et ceci afin d’envisager la formation par compétences, véritable bouleversement dans nos écoles.

Au terme de cette enquête et de cette réflexion, nous sommes persuadés que la visite sur le lieu de stage reste une pratique incontournable. Quelle place ici pour le tuteur ? N’est-il pas la personne idéale puisqu’il est le lien naturel entre théorie et pratique, expert et novice, réflexivité et professionnalisation ? Ou une solution envisageable n’est-elle pas dans une vision plus duelle : celle du duo formateur-tuteur, associés et complémentaires ?

Elle ne peut toutefois être une fin en soi et demande des choix pédagogiques concertés en équipe élargie (terrain + école) pour s’appuyer sur une visée et des objectifs clairement définis et exposés aux étudiants ainsi que sur des pratiques professionnelles des tuteurs qui doivent y être associés.

Reste une question rarement abordée en formation : les formateurs doivent-ils être aussi des praticiens de terrain ? Comme l’affirme P. Perrenoud, « le succès des apprentissages ne se joue-t-il pas dans la régulation continue et la correction des erreurs davantage que dans le génie de la méthode » ?

NOTES

(1) Avec la parution du nouvel arrêté de formation (23 juillet 2012), ce temps représentera 65 % de la formation.

(2) Réforme effective dans les écoles d’IADE à la rentrée d’octobre 2012 avec une rénovation des épreuves validantes.

BIBLIOGRAPHIE

    Des paroles et des actes

    En école d’IADE, le référentiel de formation* précise que « la formation d’infirmier anesthésiste s’appuie sur trois concepts : formation d’adulte, formation par alternance et formation professionnalisante. […] L’emploi de méthodes actives lui permet de s’impliquer dans sa formation, de s’auto-évaluer, d’engager une réflexion sur sa profession, de devenir un professionnel autonome et responsable ».

    Dans une enquête sur la formation en Ifsi, Jean Chocat affirme que « 87 % des formateurs en soins infirmiers jugent essentielle et très importante la place à accorder au savoir d’expérience dans le cadre de la formation » et, donc, la place du formateur dans les visites sur les lieux de stage et ceci afin :

    → d’employer des techniques d’entretien (écoute active, reformulation, questions ouvertes…) ;

    → d’évoquer avec l’étudiant ses savoirs en lien direct avec la pratique soignante observée ce jour-là ;

    → d’aider à prendre de la distance par rapport à son savoir d’expérience ;

    → de laisser la parole et la plus grande réflexivité possible.

    * Arrêté du 23 juillet 2012 relatif à la formation conduisant au diplôme d’État d’infirmier anesthésiste, annexe III, chapitre “Principes pédagogiques”.