Le règne de l’usage unique bousculé ? - Objectif Soins & Management n° 212 du 01/01/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 212 du 01/01/2013

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Si l’usage unique règne en maître dans les établissements de santé français, certains de nos voisins européens pratiquent le reprocessing ou retraitement des dispositifs médicaux (DM). Et même si aucune étude précise n’est disponible sur cette pratique, la question interpelle certains professionnels hexagonaux qui s’intéressent de près à un sujet s’inscrivant dans une logique de développement durable à l’hôpital.

Du défibrillateur cardiaque implantable à l’appareil d’imagerie IRM, en passant par la seringue et le véhicule pour personne handicapée, l’industrie des dispositifs médicaux occupe un marché énorme. En effet, d’après une étude du PIPAME* (Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques), c’est un marché qui génère un chiffre d’affaires de plus de 11 milliards d’euros : parmi eux, les « dispositifs médicaux à usage individuel » représentent deux tiers du chiffre d’affaires.

On imagine donc la manne que les DM à usage unique génèrent pour les fabricants de matériel ! Mais également le terrible non-sens qu’ils représentent en termes de développement durable… Pourtant, l’idée d’un matériel réutilisable commence à faire son chemin, surtout du côté du Comité de développement durable en santé (C2DS, voir encadré), qui a tenu fin novembre une journée sur la thématique de l’éco-responsabilité et des dispositifs médicaux : « Un produit devrait être pensé en fonction de ce qu’il génère en termes de production de déchets et de risques pour la santé plutôt qu’en termes d’économies qu’il fait réaliser à l’Assurance-maladie », résume ainsi Marc Wasilewski, secrétaire général du C2DS.

Pas si simple pour autant, rétorquent les industriels : « Le bénéfice/risque reste la priorité », rappelle pour sa part Pascale Cousin, directrice des affaires technico-réglementaires et environnementales au SNITEM. Et de citer l’exemple des phtalates, composés montrés du doigt par le C2DS, mais qui restent pour le moment des matériaux de choix pour assurer la souplesse de certains DM (tubulures, sondes, cathéters) et pour lequel il est difficile de trouver un remplaçant. Sans compter toute la réglementation ad hoc qu’il faudrait revoir et le packaging afférant : pour l’industrie des DM, un tel changement représente une somme considérable de bouleversements. Pas forcément, rétorque Philippe Grivart, responsable biomédical en charge des achats de DM à la clinique Pasteur de Toulouse, pour qui la balance bénéfice/risque « n’est pas une fin en soi ». Face à un fournisseur, il affirme regarder, outre le prix, la manière dont celui-ci travaille en terme d’éco-responsabilité. Si certains gros groupes ont des projets bien ficelés presque trop « clean » pour être honnêtes (green washing à outrance), d’autres petits fabricants privilégient les bilans carbone les plus neutres possibles.

UNE PRATIQUE INITIÉE OUTRE-RHIN

L’usage unique pourrait donc, selon le C2DS, être repensé en usage multiple via le retraitement. Outre-Rhin, la barrière a été franchie en 2001, lorsque la ministre de la Santé de l’époque, Andrea Fisher, a fait voter une loi autorisant sous certaines conditions la réutilisation de certains dispositifs médicaux à usage unique coûteux. Démarche qui s’inscrivait dans une volonté avant tout économique, l’Allemagne subissant de plein fouet le passage à la DRG, l’équivalent de notre T2A. Un rapport d’évaluation de cette pratique avait d’ailleurs ensuite vu le jour et montré des résultats plutôt encourageants, avec 18 % des DM initialement à usage unique réutilisés, tant et si bien que cette pratique s’est démocratisée sans couacs.

Résultat

Plus de 70 % des cardiologues utilisent des DM retraités et tous les hôpitaux universitaires achètent ce type de DM. Sans compter les économies réalisées sur l’élimination des DASRI, produits en bien moins grand nombre. Désormais, outre-Rhin, DM à usage unique ou DM à usages multiples ne se distinguent plus.

En Allemagne, mais aussi ailleurs

Une tendance qui a été suivie dans d’autres pays européens : Danemark, Pays-Bas, Suède, Belgique, Finlande ont adopté le retraitement des DM à usage unique, sans pour autant observer une flambée des infections nosocomiales. Et si c’était la solution ?

UN PROCÉDÉ COMPLEXE

D’ailleurs, le retraitement ou reprocessing des DM, c’est quoi, exactement ?

Le retraitement : définition

Pour faire taire les sceptiques, les aficionados de cette pratique insistent en tout premier lieu sur ce que n’est pas le retraitement : « Il ne s’agit pas d’une simple re-stérilisation », insiste par exemple Jean-Michel Descoutures, président du Club des acheteurs de produits de santé (CLAPS). Le retraitement garantit à la fois « la fonctionnalité d’un DM, mais aussi sa propreté et sa stérilité », ajoute pour sa part Manuel Navaillès, directeur général de Vanguard France, une entreprise installée outre Rhin et qui retraite des dispositifs médicaux pour plus de 1 000 hôpitaux européens dont 720 en Allemagne.

En pratique

L’objectif du retraitement est bien entendu de ne pas impacter la santé du patient, mais aussi de garantir une utilisation optimale du matériel tout en réalisant de substantielles économies ! Pour être « éligible » au retraitement, un DM à usage unique passe d’abord un test qui valide ou non la possibilité d’un retraitement. Il est ainsi scruté selon sa conception première, son ou ses matériaux de constitution ou encore des critères économiques (certains DM à usage unique coûtent plusieurs centaines de milliers d’euros !). À titre d’exemple, la société Vanguard a testé un panel de 13 000 DM (sur les quelques centaines de milliers existants) et seuls 3 700 (ce qui est déjà assez important !) ont pu jusqu’à présent entrer dans un processus de retraitement : électrophysiologie, ophtalmologie, arthroscopie, laser, endoscopie, urologie, tous les domaines peuvent être concernés. La traçabilité est encadrée tout le long du process et le dispositif médical qui sort d’un « reprocessing » ne diffère pas d’un DM neuf : même fonctionnalité, même traçabilité, même marquage, même conditionnement, mêmes caractéristiques techniques, le retraitement permet donc une réutilisation à l’identique ! Pour certains DM, le cycle de vie peut être allongé de quatorze cycles d’utilisation supplémentaires ! Pas mal pour un DM qui aurait été voué à devenir un DASRI à la première et unique utilisation.

POURQUOI UN FREIN EN FRANCE ?

Pour l’heure, les études épidémiologiques pour évaluer l’impact de ce retraitement sur la survenue d’éventuelles infections (risque le plus grave) sont rares mais aucune alerte sanitaire n’est à déplorer dans les pays adeptes de cette pratique. On peut néanmoins citer quelques études effectuées aux États-Unis sur des sondes de rythmologie qui montraient que le processus de réutilisation aboutissait à des sondes parfaitement stériles et qu’aucune complication n’était attribuée aux sondes retraitées. Qui plus est, sur le plan purement économique, les économies réalisées sont évaluées autour de 50 % ! Pourquoi un frein subsiste-t-il en France ? Question de culture, peut-être ? Certaines « affaires sanitaires » ont ébranlé le monde de la santé (on pense à la clinique du sport) ce qui a peut-être entraîné une sorte de défiance face aux pratiques de stérilisation. Corollaire : on use et abuse désormais du principe de précaution et on estime que l’usage unique est synonyme de progrès et d’hygiène. Se pose également la question des industriels qui conçoivent – avec un certain monopole – des robots favorisant l’usage unique : combien de sondes ou autres matériels estampillés « usage unique » pourraient en réalité être réutilisés ? D’autant que la France est le seul pays à stériliser à 134 °C : les conditions pourraient donc potentiellement être réunies pour favoriser un retraitement de ces DM, étant donné les conditions drastiques selon lesquelles le matériel est stérilisé. La réglementation européenne évoluera-t-elle dans ce domaine ? Cela pourrait impulser l’élan nécessaire au changement dans notre pays.

La question du bisphénol A

Fin novembre dernier, les députés ont adopté en deuxième lecture la proposition de loi visant la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A (BPA).

La proposition de loi, désormais renvoyée au Sénat, prévoit également des dispositions impactant les dispositifs médicaux (DM) dès juillet 2015, ce qui pourrait présager de l’avenir de certains DM : une affaire à suivre !

Le C2DS veille au grain

Né en 2006, le Comité de Développement durable en santé (C2DS) est une association qui réunit des professionnels de santé sensibilisés à la thématique du développement durable. Fortement ancré autour du précepte d’Hippocrate « D’abord ne pas nuire, ensuite soigner », c’est notamment lui qui est à l’origine des campagnes d’alerte sur la présence de parabène dans les mallettes de cosmétiques offertes aux jeunes mamans à la maternité ou sur la présence de phtalates dans les dispositifs médicaux. Le C2DS a publié un guide des pratiques vertueuses du développement durable en santé (complété en 2010 par un tour du monde de ces pratiques) et dispose de différents groupes de travail autour des achats, des déchets, de la gestion de l’eau et de l’énergie ou encore de l’écoconstruction. Il a également mis sur pied un indicateur « développement durable santé » (IDD) pour permettre l’adoption des bonnes pratiques dans les établissements et favoriser l’action : un auto-diagnostic développé par un groupe de travail (composé d’experts et de directeurs d’établissements adhérents) qui repose sur 350 critères couvrant les domaines fondamentaux du développement durable (l’humain, l’environnement et l’aspect économique). Cet IDD est avant tout pédagogique et permet de comprendre que le développement durable est une démarche globale et dynamique qui situe l’établissement dans son environnement externe, par rapport aux institutions, tutelles, prestataires, etc. et dans son environnement interne — les médecins, le personnel soignant et l’ensemble de ses collaborateurs. Il peut être utilisé comme un outil managérial tel un tableau de bord (et donc d’indicateurs) pour évaluer, mesurer et encourager les progrès des actions mises en œuvre par l’établissement.

Plus d’informations sur le site du C2DS (http://www.c2ds.eu)