Education du patient bipolaire - Objectif Soins & Management n° 212 du 01/01/2013 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 212 du 01/01/2013

 

Promotion de la santé

Laure de Montalembert  

Entre isolement social et méconnaissance de leur pathologie, les personnes atteintes de troubles bipolaires ont du mal à devenir acteurs de leur prise en charge. C’est pour atteindre cet objectif que deux infirmières ont créé un programme d’éducation thérapeutique.

Il existe deux types de patients bipolaires : ceux qui passent de phases maniaques à des phases dépressives et ceux qui accumulent les épisodes dépressifs. La plus grande difficulté pour eux, souvent diagnostiqués très tard, et pour leurs proches est de connaître leur maladie et les signes avant-coureurs des rechutes. C’est en partant de ce postulat que Cécile Paumier et Cécile Tirot, deux infirmières en psychiatrie au CHU de Clermont-Ferrand, ont décidé de développer l’éducation thérapeutique dans le domaine. Durant les trois dernières années, elles ont donc accompagné des groupes, allant jusqu’à douze personnes, sur douze séances hebdomadaires. Elles sont venues présenter le résultat de leur travail au Salon Infirmier.

DEVENIR ACTEUR DE SA PRISE EN CHARGE

Pour choisir les patients qui assisteront à ces séances de travail, les organisatrices se sont fondées sur des prérequis : ne pas dépasser douze participants, que ceux-ci soient en phase euthymique (stable) et à distance d’une hospitalisation.

Orientés par leur psychiatre ou leur médecin traitant, les malades sont accueillis de 18 heures à 20 heures, de manière à ne pas empiéter sur une éventuelle journée de travail. « Notre objectif principal est que ces personnes deviennent acteurs de leur prise en charge », expliquent les infirmières. Mais pas seulement les patients. Lors des séances de travail, les conjoints ou la famille sont également les bienvenus car ils ont toute leur place dans le parcours. Et en particulier pour aider à détecter les premiers signes de l’apparition d’un épisode. A chaque séance, les deux IDE sont présentes. Suivant les thèmes abordés, d’autres soignants peuvent également apporter leur aide : le psychiatre, la diététicienne, une infirmière addictologue, une pharmacienne, des représentants d’associations de malades…

DES OUTILS INNOVANTS

Tout commence par un entretien de 30 à 45 minutes au cours duquel va être établi le diagnostic éducatif. Le but, « connaître la personne, ses attentes, ses besoins et lui expliquer le programme ». Si le candidat est retenu, une lettre sera envoyée à son médecin ou son psychiatre pour l’informer de sa participation au groupe et des objectifs posés. Au terme du programme, un second courrier sera envoyé, faisant la synthèse des objectifs atteints. Durant la première séance, c’est de généralités à propos de la maladie qu’il s’agit. Par la suite, les autres réunions sont dédiées à la dépression, à la manie, à l’état mixte, à la normothymie, à la détection précoce des nouveaux épisodes, etc. Pour éviter l’aspect « cours », Cécile Paumier et Cécile Tirot s’appuient sur des outils pédagogiques divers.

Lorsqu’il s’agit d’aborder la manie, par exemple, c’est un film qui est projeté. Des questionnaires « vrai-faux », pour traiter de la question de la vulnérabilité. Des échelles et des diagrammes de l’humeur, des articles de presse et des quiz, des fiches synthétiques sont parmi les autres outils proposés aux patients. Et pour mieux expliquer les bénéfices, les effets secondaires et le bon suivi des traitements, les infirmières se réfèrent aux prescriptions effectives des malades présents, de manière à rester au plus près de leurs réelles préoccupations. Même souci sur le sujet des signes précurseurs de rechute : « Nous définissons avec chacun les signaux d’alerte qui lui sont propres. A partir de cela, on crée une carte « coupe-feu » les décrivant sur laquelle sont également inscrits tous les numéros de téléphone importants pour une réaction rapide », expliquent les organisatrices.

RUPTURE DE L’ISOLEMENT

Depuis 2009, 35 patients ont terminé le programme. Parmi eux, quatre ont été réhospitalisés dans l’unité où travaillent les deux IDE, pour des décompensations dépressives. Les chiffres actuels ne permettent cependant pas de mettre en évidence une efficacité en termes de réduction des risques de rechute mais les résultats de l’évaluation à six mois sont tout à fait encourageants : « Les patients font état d’une amélioration de la communication avec leur famille, leur entourage et leur médecin. Ils affirment avoir acquis une meilleure connaissance des signes précurseurs de rechute, du traitement et des modalités de surveillance. On constate également une rupture du sentiment d’isolement grâce à la rencontre avec d’autres malades. Et, fait non négligeable, les membres de l’entourage ont également accru leurs connaissances du trouble », se félicitent les deux organisatrices. Mais tout cela ne s’est pas fait sans quelques difficultés. Notamment dans le domaine de la gestion du personnel du service et du temps de travail. « Nous avons souvent élaboré nos outils, le soir à la maison », racontent-elles sans pourtant sembler le regretter. Il a également fallu mettre en place tout un réseau de contacts professionnels à l’extérieur, tant pour trouver les intervenants que pour l’accompagnement des patients au long cours. La question des supports pédagogiques peu nombreux et mal adaptés s’est posée aussi, ce qui a finalement été réglé par la création de nouveaux outils au fur et à mesure que les soignantes expérimentaient leur pratique. Et, pour ce qui est du recrutement, les principaux obstacles étaient liés à la non-connaissance du diagnostic par les premiers malades enrôlés, l’instabilité de leur humeur, ou le manque d’assiduité. Des problèmes presque entièrement réglés par la mise en place du premier entretien individuel durant lequel on évalue l’état de la personne et on lui explique bien qu’il s’agit d’éducation thérapeutique et non d’un groupe de parole, même si chacun est attentivement écouté.

SUIVI AU LONG TERME

Au terme du programme, chacun des participants est revu en entretien individuel par Cécile Paumier et Cécile Tirot. Objectif : synthétiser les connaissances acquises et évaluer l’atteinte des objectifs de départ. Cet entretien donne lieu à l’envoi de la deuxième lettre au psychiatre ou au médecin traitant. Le patient rentre chez lui, muni de nouveaux outils, dont un classeur éducatif, la fameuse carte « coupe-feu », des fiches synthétiques, etc. Dans les six mois suivants, une nouvelle réunion est organisée « autour d’un goûter, de manière très informelle ». C’est à cette occasion qu’est proposé le questionnaire de satisfaction dont nous avons vu les résultats plus haut. Une dernière rencontre en groupe a lieu un an plus tard, dans les mêmes conditions. Quid, alors, des relations entre les patients réhospitalisés et leurs éducatrices qui exercent également dans le service ? « Quand on les retrouve, ils sont rassurés de nous connaître mais cela ne pose pas de problème de relations soignantes », précisent les infirmières, qui fourmillent encore de nouvelles idées, comme la création d’échelles de qualité de vie. Elles concluent leur intervention au Salon Infirmier en assurant : « Le programme amène les patients à se poser des questions. Ils osent plus souvent demander des choses à leur psychiatre, aborder des sujets qu’ils n’avaient pas osé aborder avant. Les gens se connaissent mieux eux-mêmes. Ils savent tirer la sonnette d’alarme, prendre les choses à temps au démarrage d’un nouvel épisode. » En somme, ils sont devenus acteurs de leur prise en charge. C’était le but recherché.

OUITILS ET SUJETS UTILISÉS PAR SÉANCE

→ OUTILS UTILISÉS SELON LE THÈME

– Vrai/faux

– Films (manie et aidant)

– Echelles et diagrammes de l’humeur

– Carte coupe-feu

– Brainstorming (dépression)

– Classeur éducatif patient

– Bibliographie et prêt de livres

– Articles de presse et quiz

– Lexique

– Fiches synthétiques

– Atelier médicaments

– Jeux de rôles

→ SUJETS ABORDÉS

– Présentation et généralités

– Dépression

– La manie

– Etat mixte et Lithium

– La normothymie

– Détection précoce des nouveaux épisodes

– Vulnérabilité au trouble bipolaire

– Traitements

– Conséquences de l’arrêt du traitement

– Les aides psychologiques

– Diététique et hygiène de vie (éventuellement rôle de l’aidant)

– Synthèse

Une dernière séance est proposée au bout de six mois, afin de vérifier les acquis et de faire le bilan de l’évolution à distance. Les patients sont également revus un an après.