Soigner la bague au doigt ? - Objectif Soins & Management n° 211 du 01/12/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 211 du 01/12/2012

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Promouvoir l’hygiène des mains reste un enjeu de santé publique auquel les hygiénistes continuent de sensibiliser les hospitaliers. Parmi les différentes recommandations à appliquer, celle relative au port des bijoux. Dans ce domaine, la règle est celle de la tolérance zéro. Avec encore du chemin à parcourir !

Cadre infirmier depuis une vingtaine d’années, Élisabeth en a vu passer, des jeunes aides-soignantes ou infirmières, dans ce service de gériatrie où elle exerce : « Quand j’ai commencé à exercer, il faut avouer que nous étions globalement peu regardant sur le port des bijoux. L’hygiène des mains était pratiquée, mais l’on était peu sensibilisé à ces problématiques. Puis, petit à petit, on a commencé à mettre des barrières. Aujourd’hui, on ne voit plus d’infirmières qui arborent de jolies manucures ou des bagues. La tolérance zéro commence à gagner aussi les alliances pour lesquelles on tolérait le port il y a encore quelques années. Je trouve que les jeunes sortant d’écoles sont d’autant plus sensibilisés à la question, les choses avancent ! » Avec ses deux décennies d’expérience, Élisabeth résume parfaitement l’évolution de la prise en compte du port des bijoux sur l’hygiène des mains. On est passé de l’absence de consensus dans le domaine à des recommandations qui vise la tolérance zéro. À ce sujet, les recommandations de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) de 2009 sont claires : « Le port des bijoux est associé à une plus forte contamination des mains, y compris par des bactéries pathogènes. […] Le niveau de contamination des bacilles à Gram négatif augmente avec le nombre de bijoux portés. […] Il est préconisé de ne porter aucun bijou aux mains et aux poignets. »

L’ALLIANCE, PAS SI CLEAN QUE CELA !

Et même s’il n’y a en revanche aucune preuve directe d’une transmission de bactéries plus fréquente à partir de mains portant des anneaux ou des bijoux, il est démontré que l’hygiène des mains est moins bonne. Dans cet ensemble de recommandations, il est même préconisé de ne pas pratiquer de “politique différenciée” entre alliances lisses et bagues non lisses. Pourtant, il existe encore des services où l’alliance est tolérée, son port banalisé, accepté, pour la « bonne raison » qu’elle est lisse : environ un quart du personnel hospitalier porterait encore l’alliance, tous services confondus. Difficile de faire changer les mentalités.

Pourtant, une étude très parlante, menée par le centre hospitalier (CH) de Haguenau et deux unités Inserm de Strasbourg, présentée dans le cadre du dernier congrès de la SF2H de juin 2012 (à Lille), montre qu’il faut prendre avec des pincettes l’assertion “l’alliance est lisse”. En effet, pour alimenter leur démonstration, Olivier Meunier, mé­decin de l’Équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) du CH de Haguenau et les chercheurs de l’Inserm ont simplement immergé un bijou en métal semi-précieux dans une suspension de streptocoques puis l’ont observé en microscopie électronique à balayage pour visualiser les bactéries à la surface du métal. Les clichés obtenus sont édifiants et montrent parfaitement la présence de streptocoques (avec leur disposition en chaînettes caractéristique) et de nombreuses anfractuosités et griffures sur le métal. Preuve que l’alliance n’est pas lisse. Si, pour l’instant, l’étude n’a pas encore permis de faire changer les mentalités, elle constitue un argument de poids pour convaincre les réfractaires.

SENSIBILISER LES SOIGNANTS

Si peu d’établissements hospitaliers sont parvenus pour l’instant à évincer le port de l’alliance à 100 %, les mentalités évoluent tout de même et les initiatives pour sensibiliser au non-port de bijoux se multiplient. Là où certains établissements choisissent l’information et la formation, d’autres privilégient l’appel à la créativité des professionnels de santé afin que ces derniers s’approprient les outils et messages nécessaires à leur propre sensibilisation : ainsi, au CHU de Poitiers, dans le cadre de la Journée mondiale de l’hygiène des mains de mai 2011, l’EOH a lancé un appel à la créativité en invitant tous les professionnels à élaborer une affiche illustrant les recommandations de la SF2H en matière de port des bijoux. Quatorze propositions ont finalement été retenues, certaines ont été primées. Cette démarche, initiée par l’EOH, a surtout permis de réaliser que les professionnels s’étaient approprié le message et s’étaient “auto-sensibilisés”. Une étude devrait d’ailleurs être menée pour estimer l’impact de cette campagne.

Autre méthode pour obtenir de meilleurs résultats en matière de non-port de bijoux, les campagnes de sensibilisation récurrentes auprès du personnel. Au Centre de lutte contre le cancer de Montpellier, depuis 2010, les initiatives se sont multipliées : informations dans les services, boîtes à coucou, posters, indicateur de consommation des solutions hydro-alcooliques. Pendant la période allant de mai 2010 à septembre 2011 (date à laquelle a été réalisée la visite de certification), trois audits ont été menés sur une journée afin d’estimer les prérequis en la matière. Au début de la campagne, juste 38 % du personnel respectait les recommandations de la SF2H, à savoir ni montres, ni bijoux, ni manches longues, ongles courts et sans vernis. Après sensibilisation par l’EOH, les prérequis pour l’hygiène des mains se sont améliorés, avec quasiment la moitié du personnel qui observait les recommandations de la SF2H. Mais c’est lors de la visite de certification que les résultats ont encore été meilleurs, avec 78 % du personnel répondant positivement aux prérequis. Une évolution qui a fait dire à l’EOH que l’engagement de la direction dans la campagne de sensibilisation était fondamental pour obtenir des résultats probants.

Ce type d’initiatives se multiplie, avec, à la clé, un nécessaire changement de pratiques pour les soignants : « Autant le fait d’avoir les ongles courts et non manucurés passe relativement bien dans les pratiques, autant le fait de devoir reléguer l’alliance au même rang que les autres bijoux et donc l’abandonner reste un acte difficile pour certains », explique un cadre hygiéniste qui milite pourtant en la matière à grand renfort de boîte à coucou, d’affiche et de quick-audit sur la question.

L’ANNEAU DE LA DISCORDE

Peu enclin au changement, les soignantes ? Comment expliquer que, si elles abandonnent volontairement manucures soignées et bijoux fantaisies, certaines professionnelles de santé aient plus de mal à remiser leur alliance ailleurs qu’autour de leur annulaire ? « L’interdiction de port de bijoux pour tous ceux qui donnent des soins, interdiction absolue et non négociable de port de bijoux de mains, y compris des alliances, c’est juste une question de volonté, prise de conscience et courage des responsables d’établissements de santé », estime le Lien dans une récente tribune. Et des établissements exemplaires réalisant des soins sans bijou existent et les belles initiatives pourraient peut-être donner des idées aux autres : citons par exemple le clip du CH d’Argenteuil consacré à l’hygiène des mains et au non-port des bijoux (visible sur ce lien http://petitlien.fr/67lh), celui du Cclin Sud-Ouest et son opération « Déshabillez-moi » qui prône un soin 100 % sans bijou (voir sur http://petitlien.fr/67li) ou le film Sur le bout des doigts de l’hôpital de Lannemezan (téléchargeable sur http ://petitlien.fr/ 67lj) qui a servi de support cette année à la Semaine de sécurité des patients (cf. encadré ci-contre). Pourtant, la bague – et précisément l’alliance – reste le bijou le plus porté. À quand un changement de mentalité ?

Les cinq cas de figure à l’hygiène des mains

1. Avant le contact avec le patient, pour lui serrer la main, lui prendre le pouls ou la tension

Un geste d’hygiène des mains à son approche, dès lors qu’on s’apprête à le toucher. Objectif : éviter de contaminer le patient avec des germes manuportés par le professionnel.

2. Avant un geste nécessitant l’aseptie

Comme une aspiration, une injection, un soin avec pansement ou autour d’un cathéter, lors de la préparation d’un médicament. Objectif : protéger le patient de l’inoculation de germes, y compris ceux provenant du patient lui-même.

3. Après une exposition potentielle ou réelle à un liquide biologique

Comme lors d’une prise de sang, d’un recueil d’urines, de la présence de selles ou de vomissements, du débarrassage de déchets ou de linge et matériels contaminé. Objectif : protéger le professionnel et l’environnement de soins des germes présents dans les liquides.

4. Après contact avec le patient

Une fois l’examen clinique achevé, par exemple. Objectif : protéger le professionnel et l’environnement de soins des germes. Correspond au contact avant le patient suivant.

5. Après contact avec l’environnement du patient,

Un matériel de soin présent dans la chambre (alarme scope), le lit, la poignée de porte de la chambre. Objectif : protéger le professionnel et l’environnement de soins des germes potentiellement présents. L’utilisation de distributeurs pour les solutions hydroalcooliques est recommandée dans les chambres et les lieux de soins, tandis que les flacons de poche peuvent être adaptés à certaines situations. Le port de gants non stériles peut être préconisé pour la prévention du risque d’AES. Ils ne dispensent cependant pas de retirer les bijoux !

L’hygiène des mains sauve des vies

Pour la deuxième année consécutive, la SF2H s’est associée au ministère de la Santé en participant à la Semaine de la sécurité des patients du 26 au 30 novembre, sur le thème spécifique de l’hygiène des mains. La campagne s’est désormais élargie à l’ambulatoire et à la prise en charge des soins de ville. À cette occasion, la SF2H a rappelé les bases incontournables de l’hygiène des mains : mains sans bijou, ongles courts et sans vernis ou faux ongles et manches courtes, tout en insistant sur les avantages de la friction hydroalcoolique pour accomplir ce geste.