TIC santé : les cadres en première ligne pour un pari gagnant - Objectif Soins & Management n° 210 du 01/11/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 210 du 01/11/2012

 

Recherche Formation

Joëlle Maraschin  

Programme “Hôpital numérique”, télémédecine et pratiques infirmières, e-learning pour la formation des soignants, serious games pour l’éducation thérapeutique… Les technologies d’information et de communication (TIC) continuent de bouleverser le monde de la santé. Les cadres sont en première ligne pour accompagner l’usage de ces technologies par les soignants.

« Les cadres de santé doivent s’approprier les TIC, qui sont par ailleurs de formidables leviers pour le management. C’est à eux de montrer l’exemple afin que l’ensemble des professionnels de santé se forme à l’utilisation de ces technologies », estime Christophe Biondini, cadre de santé de pôle au centre hospitalier (CH) d’Alès dans le Gard. Dans son établissement, Christophe Biondini a d’ailleurs été chargé d’une mission transversale de formation des personnels à l’usage des TIC (Internet, téléphonie, informatique). Il prépare un master de recherche original consacré aux TIC comme “catalyseurs de la cohésion de l’équipe infirmière” ! Mais le cas de ce cadre de santé, convaincu de l’utilité des TIC pour l’avenir de la profession soignante, est loin d’être une généralité. « Il existe une grande hétérogénéité des cadres quant aux usages des TIC », considère Lisette Cazellet, cadre supérieur de santé et présidente de l’association Formatic Santé*. Certes, les cadres se servent tous de la messagerie électronique pour communiquer avec les acteurs hospitaliers ou extra-hospitaliers. Ils reçoivent au cours d’une journée de travail plusieurs dizaines, voire des centaines de mails, qu’il faut lire, gérer, trier, stocker. Certains sont connectés en permanence via leur téléphone de dernière génération, n’hésitant pas à gérer leur service à distance lorsqu’ils sont en déplacement. À côté des mails, les cadres de santé utilisent largement Internet à la recherche d’informations nécessaires à leurs pratiques de management. Pour autant, les TIC santé ne se limitent pas à ces usages courants. À l’heure du programme hôpital numérique et de l’informatisation des dossiers patients, les cadres de santé sont à la croisée des chemins entre les directions des systèmes d’information (DSI) et les équipes de soins.

L’INFORMATISATION DES DOSSIERS PATIENTS, UN CHALLENGE POUR LES CADRES

Les systèmes d’information hospitaliers (SIH) ont été prioritairement axés vers la gestion administrative des patients et les fonctions de tarification. De fait, l’informatisation des dossiers patients est loin d’être généralisée à l’ensemble des établissements.

Informatisation du dossier patient

La Direction générale de l’offre de soins (DGOS) a lancé le programme Hôpital numérique, un plan de modernisation des SIH pour la période 2012-2016. Le programme définit des exigences pour cinq domaines, dont l’informatisation du dossier patient et la prescription électronique alimentant le plan de soins (prescription informatisée de médicaments ou d’examens, mais aussi d’actes infirmiers). Le dossier patient comprend au moins deux volets, un volet médical et un volet paramédical. Pour faciliter l’implication des professionnels de santé dans la mise en place des dossiers patients informatisés, l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé (Anap) a publié cet été sur son site Internet des modèles de cahiers des charges. Plusieurs cadres de santé ont ainsi participé à l’élaboration du cahier des charges pour le dossier de soins paramédical. L’Anap insiste sur la nécessité d’une démarche projet participative incluant des référents soignants. « Les DSI ont des stratégies variables selon les établissements dans le déploiement des applications métiers et on peut regretter que les cadres ne soient pas toujours impliqués en amont dans les projets d’informatisation des dossiers patients », observe Lisette Cazellet.

Des cadres impliqués

Dans certains hôpitaux sensibilisés à la démarche participative, des cadres de santé sont cependant détachés sur des fonctions transversales auprès des DSI. Au CH de l’hôpital d’Auch dans le Gers, par exemple, Valérie Mandolot, cadre de santé, est chargée de la mise en place du dossier patient informatisé sur l’établissement. En lien direct avec la DSI sur ce projet, elle a également pour mission d’accompagner et de former les utilisateurs soignants à l’informatisation du dossier patient. « Je parle le même langage que les soignants, je peux comprendre leurs réticences et leurs craintes », précise-t-elle. D’autres établissements, comme le CHU de Dijon ou le CH de Mont-de-Marsan, ont également fait le choix de positionner des cadres de santé sur des fonctions transversales auprès des DSI.

TÉLÉMÉDECINE ET COOPÉRATIONS ENTRE PROFESSIONNELS DE SANTÉ

La télémédecine est réglementairement un acte médical, mais certains actes “délégués” peuvent être assurés par les infirmiers ou d’autres professionnels paramédicaux. De fait, les coopérations entre professionnels de santé tendent à se développer grâce à la télémédecine, notamment dans des situations de télésurveillance ou télésuivi. « Dans les derniers protocoles de coopération soumis pour avis à la Haute Autorité de santé, la télémédecine prend une place de plus en plus importante », précise le Dr Rémy Gaillon, en charge de l’évaluation de ces protocoles pour la HAS. Dirigée par Lydie Canipel, une cadre de santé investie dans le développement de la télémédecine pour les patients diabétiques, l’association Ceridt (Centre d’études et de recherches pour l’intensification du traitement du diabète) vient par exemple de soumettre un protocole de coopération médecin-infirmier en télémédecine. Ce protocole prévoit un « suivi de patients diabétiques traités par insuline munis d’un carnet glycémique électronique et surveillés par télémédecine avec prescriptions et soins par l’infirmier en lieu et place du médecin ». Avec un smartphone équipé d’un logiciel dédié, le patient saisit ses glycémies capillaires, sa quantité de glucides ingérée, son activité physique. Le logiciel permet le calcul des doses préprandiales d’insuline pour le patient. Utilisant une liaison Internet sécurisée, le système transmet l’intégralité des données au soignant, un “infirmier de télémédecine”. Celui-ci peut alors assurer la télésurveillance en amont du médecin et intervenir si besoin. Au sein de l’établissement de santé Centre associatif lyonnais de dialyse (Calydial) à Lyon, c’est encore un cadre infirmier, Jean-Pierre Grangier, qui porte le déploiement des projets de télémédecine pour les patients atteints de maladies rénales chroniques. L’équipe médicale et paramédicale de Calydial a développé trois projets : le suivi à domicile des patients en dialyse péritonéale à l’aide d’un stylo communicant, la mise en place d’une unité de dialyse médicale télésurveillée ainsi que le télésuivi à domicile des patients insuffisants rénaux chroniques. Opérationnel depuis cette année, ce dernier projet s’appuie sur les compétences d’“infirmiers coordinateurs de télésuivi”. Des tablettes interactives tactiles, connectées au réseau téléphonique classique, ont été installées au domicile des patients. Chaque jour, ils y saisissent des informations de santé selon un protocole médical établi. Ces informations sont accessibles à l’infirmier de coordination. Grâce à ce suivi paramédical à distance, il s’agit d’éviter l’apparition d’événements porteurs de risque chez ces patients. À l’hôpital d’Auch, Valérie Mandolot fait aussi partie d’un comité de pilotage en charge du déploiement de la télémédecine dans le Gers. Cette cadre de santé a notamment coordonné une expérimentation de télésurveillance des plaies à distance. Les soignants des hôpitaux locaux sont invités à prendre les clichés des plaies de leurs patients puis à les envoyer par une connexion Internet sécurisée au spécialiste médical de l’hôpital d’Auch. En examinant les clichés, celui-ci peut alors donner son avis sur la prise en charge des plaies. Deux autres projets sont à l’étude dans ce département rural, l’un sur la télétransmission des images radiologiques et un autre consacré à la télésurveillance à domicile de patients atteints de maladie chronique.

LES ENJEUX DU E-LEARNING POUR LA FORMATION DES SOIGNANTS

Le e-learning, ou formation en ligne, est une technique de formation reposant sur la mise à disposition de contenus pédagogiques via un support électronique. Longtemps réduites à des supports CD-rom, les formations e-learning ont évolué ces dernières années en utilisant le Web et ses différentes applications. Dans le contexte actuel du développement professionnel continu (DPC) des soignants ou encore du droit individuel à la formation (Dif), le e-learning est une alternative aux formations en présentiel. Les enjeux et les avantages avancés par les spécialistes sont les suivants : formation d’un nombre important de personnel, minimisation du temps passé hors du lieu de travail, familiarisation avec la technologie, individualisation des parcours et des rythmes d’apprentissage, développement de l’autonomie des apprenants, diminution des coûts de formation. Pour autant, les formations e-learning émergent difficilement dans le contexte hospitalier. « On ne peut que constater une certaine “frilosité” de bon nombre d’établissements et de dirigeants pour se lancer dans l’aventure », souligne Nicole Dauvergne Perron dans son mémoire de directeur des soins à l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique) consacré au e-learning.

Dans un rapport commandité en 2009 par l’association Grieps (Groupe de recherche et d’intervention pour l’éducation permanente des professions sanitaires et sociales), seulement 15 % des établissements de santé interrogés avaient expérimenté l’organisation de formations en e-learning. Pourtant, l’offre e-learning destinée aux professionnels de santé est en plein essor. Les offres de formations à distance pour la préparation aux concours d’admission en Ifsi ou en IFCS se multiplient. Des sociétés comme Formadirect ou Médiformation proposent des catalogues conséquents de formations en ligne pour les soignants des établissements de santé (douleur, pathologies chroniques, hygiène hospitalière, plaies et stomies, bureautique…).

Pour les cadres de santé, des universités offrent aujourd’hui la possibilité de suivre des masters en e-learning : master ingénierie du système de santé de l’université de Nice, master professionnel management juridique des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, organisé par la Fehap et l’université de Montpellier… Depuis la mise en place du nouveau référentiel de formation, les Ifsi ont également développé les formations à distance pour leurs étudiants afin de répondre aux obligations d’enseignement dispensé par les universitaires : cours assurés par visioconférences, téléchargements des documents pédagogiques sur des plateformes dédiées… Mais les étudiants comme leurs formateurs sont nombreux à pointer les limites de ces formations à distance. Selon la Fnesi (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers), le problème majeur résulte du manque de moyens attribués aux Ifsi pour s’équiper correctement : matériel obsolète, connexions de mauvaise qualité entraînant la coupure des cours, postes de travail en nombre insuffisant…

NOTE

* http://formaticsante.com. Formatic Santé est une association dirigée par plusieurs cadres de santé. Ses objectifs sont de promouvoir l’utilisation des TIC auprès des professionnels de santé. L’association organise également des formations. Le site Internet de Formatic Santé offre de nombreuses ressources documentaires pour les professionnels intéressés par la thématique des TIC dans l’univers de la santé.

Serious games en santé

Les serious games santé, ou jeu vidéo sérieux, sont un nouvel outil d’éducation thérapeutique. Ils commencent à faire leur apparition sur la toile française.

→ Le jeu gluciweb (www.gluciweb.com), développé par l’équipe médicale et paramédicale du service d’endocrinologie du CHU de Caen, s’adresse aux patients diabétiques.

→ Mucoplay (www.mucoplay.org), conçu par des kinésithérapeutes, est un outil pédagogique sur la mucoviscidose pour les patients et le personnel soignant.

→ La plateforme ludomedic (www.ludomedic.com), élaborée en collaboration avec les équipes de plusieurs hôpitaux de la région Nord-Pas-de-Calais, a pour ambition de dédramatiser l’hospitalisation, les examens et les traitements.

→ Voracy Fish (www.voracyfish.fr) est un serious game de rééducation fonctionnelle du membre supérieur après un AVC.

→ Réalisé en partenariat avec l’association Asthme et Allergie, Asthmaclic (www.asthmaclic.fr) est un outil ludique pour la prévention des crises d’allergies respiratoires et d’asthme.

→ Florence est un serious game développé par la société d’e-learning Audace (http://elearning.audace.fr/) pour entraîner les infirmières à la pratique de soin.