Le risque zéro n’est qu’un mirage ! - Objectif Soins & Management n° 208 du 01/09/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 208 du 01/09/2012

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

On en entend parler dans tous les domaines et l’hôpital n’en est pas exempt : le risque zéro se trouve dans toutes les bouches, mais finalement nulle part. Si la tendance est surtout à la tolérance zéro en matière de gestion des risques, c’est que la multiplication des indicateurs ne laisse aucune place au hasard.

Il n’y a qu’à ouvrir le livret d’accueil mis à la disposition des patients de certains établissements de santé pour s’en rendre compte : quand on consulte la section dévolue à la gestion des risques et la politique de lutte contre les infections nosocomiales, la phrase « le risque zéro n’existe pas » est répétée comme un leitmotiv. Parfois, elle est même inscrite sur le site Internet de l’établissement.

Alors, précaution, simple rappel de circonstance ou explication pour tous ceux qui seraient tentés de se retourner contre l’hôpital en cas de souci ?

PAS DE RISQUE ZÉRO ?

« Le risque zéro n’existe effectivement pas, explique un cadre de santé qui préfère rester anonyme. Les hôpitaux, plus que tout autre domaine d’activité, sont exposés à de nombreux risques et aucun n’est à 100 % imparable. Le patient, de son côté, a du mal à comprendre qu’il vient pour se faire soigner mais qu’il risque malheureusement de repartir de l’hôpital avec une infection. C’est pour cela que les établissements de santé prennent de plus en plus de précautions pour présenter leur politique de gestion des risques aux patients. Depuis l’introduction des tableaux de bord et des classements publiés par les magazines grand public, il existe une sorte de défiance vis-à-vis de ces risques qui existent bel et bien mais qui sont néanmoins imprévisibles. On travaille pour les éviter, mais c’est presque un vœu pieux. »

Des risques variés…

Pourtant, de nombreuses études, dont la fameuse étude Eneis*, se sont penchées sur les risques à l’hôpital, et il en ressort que certains d’entre eux seraient tout de même évitables : 30 % d’entre eux en réalité, soit un tiers des infections nosocomiales contractées chaque année. Mais, afin de comprendre de quels types de risques il est question, il convient de définir de quoi on parle. Selon la définition de la Haute Autorité de santé (HAS), « le risque est une situation non souhaitée ayant des conséquences négatives résultant de la survenue d’un ou plusieurs événements dont l’occurrence est incertaine ».

… À chaque instant

Chute de patient, confusion dans le traitement, soignant qui se blesse avec une seringue, chirurgien qui incise le mauvais côté, les exemples sont nombreux, plus ou moins graves et indifféremment liés aux soins, à la prise en charge, à l’identité d’un patient, à une défaillance de matériel, etc. Pour autant le risque est-il inacceptable ? Non, répondent certains soignants, pour lesquels la prise de risque peut également être vectrice de bénéfices pour le patient et de recherche de la performance.

LA GESTION DU RISQUE, UN MÉTIER

Il faut donc pour cela que le risque soit encadré : c’est la gestion des risques. Et qu’il soit acceptable et accepté, cette balance représentant la qualité, selon Emmanuel René et Thierry Vallot, deux praticiens hospitaliers de l’hôpital Bichat qui s’étaient exprimés sur le sujet dans une Lettre de l’infectiologue (avril 2000). « Il ne s’agit pas d’accepter n’importe quel risque, mais de faire comprendre au public que toutes les maladies ne sont pas iatrogènes, que le risque d’une fracture ouverte est plus élevé que celui d’une fracture fermée, et que seule la fermeture des services de réanimation pourrait faire régresser de manière significative les infections nosocomiales », poursuivent les deux praticiens dans leur tribune. Depuis, la gestion des risques s’est considérablement développée et a vu naître une véritable politique dans le domaine avec des obligations réglementaires, une multitude d’indicateurs introduits par le biais de tableaux de bord, eux-mêmes inscrits dans des plans quinquennaux, le tout mis en place par un personnel soumis à la certification et l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). La gestion des risques serait-elle devenue une usine à gaz, chronophage, détournant les hospitaliers de leur cœur de métier ?

LES INDICATEURS JOUENT L’ÉMULATION

Pas vraiment, même si, çà et là, l’exaspération de devoir remplir certains documents se fait sentir : « Mais c’est un mal nécessaire », argue un cadre de santé. Il ne faut cependant pas attendre que la qualité amène le risque zéro, qui reste et restera un idéal. En revanche, la qualité peut ouvrir la porte à la notion de tolérance zéro. Les indicateurs sont en partie là pour ça : ils visent par exemple à voir quelle est la politique de l’établissement en matière de lutte contre les infections, ou encore à voir si l’établissement fait un usage raisonné de ses antibiotiques. Quand on examine de près l’évolution des chiffres dans les indicateurs du tableau de bord des infections nosocomiales, on observe des effets d’émulation : si la totalité des établissements ne jouaient pas le jeu au départ, ils sont maintenant plus nombreux, l’obligation réglementaire aidant, mais aussi mieux classés !

Certaines pratiques sont devenues de réels automatismes, la qualité est désormais fortement imbriquée dans la prise en compte du risque à l’hôpital.

TROP D’INDICATEURS TUENT LA QUALITÉ

Attention toutefois à ne pas surjouer sur certains tableaux. Trop de qualité tue la qualité, serait-on tenté de dire : « Pas faux, rétorque le cadre de santé interrogé. À trop vouloir en faire, on en oublie les objectifs premiers. Les indicateurs ne sont pas un objectif en soi, ils sont des outils pour parvenir à la qualité, à une bonne gestion des risques, à un encadrement des pratiques. Multiplier les indicateurs peut faire prendre un risque et plonger la qualité dans quelque chose de totalement improductif », met-il en garde. La surqualité présente donc en quelque sorte un biais. Il faut surtout que les indicateurs soient là… pour servir à quelque chose. Évident, dira-t-on. Mais certains établissements l’ont fait par obligation, sans faire réellement suivre d’une véritable politique efficace de gestion des risques.

Le résultat s’observe vite : là où certains établissements progressent d’année en année, d’autres stagnent, ne mettent pas les moyens financiers ou humains nécessaires pour y parvenir. Car la question du financement est, elle aussi, bien présente : les recommandations actuelles ne font encore aucune estimation du rapport coût/utilité. Une démarche qu’appelaient de leurs vœux Thierry Vallot et Emmanuel René, en 2000. Douze ans plus tard, force est de constater que, de ce côté, les choses n’ont pas encore suffisamment progressé.

PROCHAINE ÉCHÉANCE

À noter que, dans l’édifice de la gestion des risques, l’arrêté du 6 avril 2011 ajoute une nouvelle pierre avec l’échéance du 16 octobre 2012 : à cette date, les établissements hospitaliers auront dû mettre en œuvre un management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse, avec notamment la formation du personnel ad hoc. « Un responsable du système de management de la qualité de la prise médicamenteuse » sera désigné par la direction de l’établissement, après concertation avec le président de la Commission médicale d’établissement ou en concertation avec la Conférence médicale d’établissement, stipule notamment l’article 5 de l’arrêté. Ce responsable ne sera pas forcément le coordonnateur de la gestion des risques associés aux soins (tel que mentionné dans l’article R. 6111-4 du Code de la Santé publique), mais celui-ci devra néanmoins disposer de l’autorité nécessaire pour l’exercice des missions qui lui sont confiées (s’assurer que le système de management de la qualité est défini, mis en œuvre et évalué, rendre compte à la Direction et à la CME du fonctionnement du système de management de la qualité et enfin proposer à la Direction et à la CME les améliorations du système de management de la qualité qu’il estimera nécessaires). Serez-vous prêts ?

La notion de risque zéro

Le risque zéro est né dans les années 1970 en Allemagne, sous l’impulsion du philosophe Hans Jonas qui refusait que les hommes voient notre planète comme un terrain d’expérimentation et exigeait plutôt que ces derniers aient une conduite “zéro risque” la concernant. Ce principe, tout d’abord principalement orienté vers l’environnement et le développement durable, fut ensuite transposé à bien des domaines, comme le nucléaire ou le secteur hospitalier dans les années 1990.

Le risque zéro : les probabilités et la réalité

Le risque zéro n’a, par définition, aucune légitimité d’existence. Comme l’explique parfaitement l’Antenne régionale d’Alsace de lutte contre les infections nosocomiales du CHRU de Strasbourg (qualite-securite-soins.fr), si l’on se réfère à la définition du risque, on peut voir qu’il s’agit d’une composante de la probabilité de survenue d’un événement indésirable et de sa gravité. Si une probabilité se définit par une variable comprise entre 0 et 1, la probabilité d’un risque ne peut pas, par définition, prendre les valeurs extrêmes, car, si c’était le cas, le risque n’existerait plus : une valeur nulle signifierait un événement qui ne pourrait pas survenir ; à l’inverse, une valeur de 100 % signifierait un événement certain. Le risque zéro, en termes de probabilités, ne peut donc pas exister. Il survient chaque année entre 600 000 et 1 million d’infections nosocomiales qui entraînent environ 4 000 décès par an dans les hôpitaux. Selon différentes études, 30 % d’entre elles seraient évitables.

La multiplication des précautions et des tableaux de bord visent à les réduire. Le risque zéro est encore loin d’être atteint ! En attendant la tolérance zéro est, quant à elle, de mise : nombreux sont les garde-fous pour y parvenir, pour préserver la sécurité des patients avant toute chose.