Violences contre le personnel hospitalier - Objectif Soins & Management n° 207 du 01/06/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 207 du 01/06/2012

 

Droit

Gilles Devers  

FAIT DIVERS → À Grenoble, l’actualité révèle les risques d’agressions dont peut être victime le personnel des services hospitaliers, parmi lesquels les services d’urgence restent les plus exposés. Ces faits, aussi graves qu’isolés, sont l’occasion de rappeler les règles applicables.

Le dimanche 29 avril, dans l’après-midi, une patiente se présente au service des urgences du CHU Michallon, à Grenoble. Après un examen, elle est orientée vers un service où elle est admise. Alors que l’affaire semble relever du fonctionnement courant du service, un groupe de cinq personnes revient aux urgences, quelques heures plus tard, pour s’en prendre au médecin psychiatre du service des urgences.

Il est alors agressé et roué de coups, avant que d’autres membres du personnel interviennent pour maîtriser les agresseurs. Ceux-ci décampent alors avec une voiture dont les plaques s’avéreront fausses.

L’affaire avait fait du bruit, et les deux agresseurs, se sachant recherchés, se sont présentés à l’hôtel de police de Grenoble quelques jours plus tard.

Ils ont été placés en garde à vue et présentés au tribunal correctionnel dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate. L’un d’eux a tenté d’expliquer que le psychiatre aurait mal pris en charge sa mère, et l’autre a expliqué qu’il passait par là. Tous deux ont refusé de donner les noms des autres agresseurs, affirmant ne pas les connaître. Le parquet a requis des peines six et dix mois d’emprisonnement.

Le premier agresseur a plaidé un acte irréfléchi, soulignant que le psychiatre s’était déclaré prêt à le pardonner, et le second a soutenu que s’il était effectivement présent sur les lieux, il n’était pas prouvé qu’il ait donné des coups, et il a demandé sa relaxe.

Le tribunal les a déclarés tous deux coupables. Le premier a été condamné à dix mois d’emprisonnement ferme, le second à cinq mois avec sursis.

Le tribunal n’a pas décerné de mandat de dépôt à son encontre, et l’agresseur sera ultérieurement convoqué devant le juge d’application des peines.

QUELLE EST LA QUALIFICATION PÉNALE ?

Les faits sont poursuivis au titre de l’article 222-13 du Code pénal, qui définit les violences volontaires. L’alinéa 4 bis vise le cas où sont victimes les personnels de santé, de telle sorte que l’affaire sera toujours jugée en correctionnelle, même pour des blessures légères, et même si les violences n’ont causé aucune incapacité de travail.

C’est la qualification pénale de droit commun. Il s’agit d’une agression, c’est-à-dire des violences volontaires commises en réunion.

Le fait que les violences aient eu lieu dans un établissement de santé, pour un motif de vengeance, pèse dans l’appréciation des faits et donc dans la détermination de la sanction par le juge. Mais il n’y a pas de qualification spécifique.

QUI PRÉVENIR EN MILIEU HOSPITALIER ?

Cela paraît banal, mais il faut rappeler l’impérieuse nécessité d’appeler la direction de l’établissement, via le cadre de santé. Selon l’article L. 6143-7 du Code de la Santé publique, le directeur est compétent pour toute question intéressant l’ordre et la discipline dans les établissements.

QUI DOIT PORTER PLAINTE ?

Il faut bien distinguer l’action civile et l’action pénale. Il n’est pas nécessaire d’être victime personnellement d’une infraction pour déposer plainte, il suffit d’avoir connaissance de faits qui semblent être la matière d’une infraction.

Juridiquement, un dépôt de plainte n’est pas une action en justice.

C’est la transmission d’informations aux services de police ou de gendarmerie, qui, sous le contrôle du Procureur de la République, donnent les suites qui conviennent.

Ainsi, toute personne peut déposer plainte, même si elle n’est pas victime. C’est la situation courante lorsque l’on est témoin d’une agression et que l’on appelle la police via le 17.

Dans cette affaire, toute personne pouvait donc appeler la police, même un patient qui aurait été témoin de l’agression.

En pratique, la réponse doit être organisée, et il est très préférable, pour toute agression commise dans l’hôpital, que ce soit le centre hospitalier par l’un des représentants de la direction qui dépose plainte.

→ On entend souvent dire que la plainte doit émaner de la personne victime elle-même. C’est faux. Il est certain qu’il doit y avoir une bonne coordination et on ne comprendrait pas que la direction de l’établissement dépose plainte sans aviser les victimes. Mais l’importance des faits et la nécessité d’un véritable impact de cette plainte auprès des services de police conduisent à privilégier une plainte déposée par les administrateurs de l’hôpital en coordination avec les personnes agressées. Au demeurant, les administrateurs de l’hôpital sont des fonctionnaires tenus par l’article 40 du Code de Procédure pénale qui leur impose de dénoncer aux autorités de poursuivre les faits infractionnels dont ils ont connaissance. Ainsi, il faut privilégier l’initiative de la direction de l’établissement dans une démarche qui associe les victimes.

→ La police ou la gendarmerie peut-elle refuser d’enregistrer la plainte ? Tout service de police ou de gendarmerie est tenu de recevoir les plaintes. La main courante n’est pas une plainte, elle ne permet pas de déclencher une procédure d’enquête. C’est simplement une déclaration des faits. Il y a parfois des réticences, mais il faut insister.

QUELLES SUITES DONNERA LA POLICE ?

La police enquêtera. Elle recueillera les éléments qui permettront de caractériser les faits, notamment par des auditions, des certificats médicaux, les témoignages et éventuellement l’exploitation des vidéos.

Une agression est souvent très rapide, et les témoignages ne sont pas toujours très précis. Aussi, un élément décisif de l’enquête est la qualité descriptive des certificats médicaux.

COMMENT PROUVER ?

La preuve est toujours difficile quand il s’agit d’un événement soudain, commis en groupe, et que les principaux témoins sont eux-mêmes partie prenante, comme dans cette affaire où le personnel présent a participé à stopper cette agression. Mais les tribunaux correctionnels sont habitués à ce genre d’affaire, et savent se forger une conviction à partir d’un dossier d’enquête.

Dans le cas présent, l’agresseur principal était reconnu par la victime, par les témoins, et est reconnaissable sur la vidéo. L’autre a contesté, mais cela n’a pas convaincu le tribunal… et la personne condamnée n’a pas fait appel.

QUELLES SONT LES CONDAMNATIONS PÉNALES POSSIBLES ?

Si les auteurs sont retrouvés et arrêtés, l’affaire sera renvoyée devant le tribunal correctionnel. Les peines encourues sont de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Pour chaque affaire, le tribunal apprécie ce que doit être la peine, en fonction des faits, des personnalités, du contexte…

Dans l’affaire de Grenoble, la peine prononcée de dix mois montre que le tribunal a estimé ces faits graves. Mais est-il impossible de donner un avis sur une peine sans avoir suivi l’audience ?

COMMENT SONT INDEMNISÉES LES VICTIMES ?

le régime de la prise en charge par les accidents du travail joue tout d’abord. Or une agression sur le lieu du travail est un accident du travail qui ouvre donc droit à ce régime particulier de prise en charge.

Mais quand vient la convocation devant le tribunal, les victimes seront avisées et elles devront préparer leur dossier pour demander l’indemnisation lors de l’audience. C’est-à-dire qu’à partir du moment où l’enquête pénale est en cours, elles n’ont pas d’autre procédure à engager.

EST-IL NÉCESSAIRE D’AVOIR RECOURS À UN AVOCAT ?

Si le personnel ne s’estime pas suffisamment informé, il peut consulter un avocat après les faits pour être éclairé sur ce que seront les suites et la manière dont ses droits seront respectés. Mais si l’affaire est renvoyée directement en correctionnelle, ce qui est le cas dans une agression de ce type, le recours à l’avocat n’est pas indispensable.

Si les dommages restent limités, il est possible de réclamer une indemnisation au tribunal par un simple courrier.

En revanche, s’il y a des suites médicales, il est en pratique préférable de recourir à un avocat, qui verra s’il y a lieu de faire désigner un expert pour évaluer le préjudice et pour ensuite proposer au tribunal un chiffrage de ce préjudice.

Qu’EST-CE QU’UN BUREAU D’AIDE AUX VICTIMES ?

Dans les palais de justice, des bureaux d’aide aux victimes organisent des permanences pour accompagner les victimes dans leurs démarches judiciaires. Ils peuvent par exemple fournir des informations sur une procédure en cours, accompagner une victime lors d’un procès, ou expliquer comment effectuer certaines démarches.

En tout, ce sont 49 bureaux d’aide aux victimes qui sont situés dans les tribunaux de grande instance.

LE PERSONNEL DOIT-IL ASSUMER LES FRAIS DE LA DÉFENSE ?

Les frais de défense doivent être pris en charge par l’établissement, au titre de la protection fonctionnelle qui est une disposition fondamentale du statut de tous les agents publics (article 11, paragraphe 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983). Ainsi, toute personne agressée sur son lieu de travail peut librement choisir un avocat qui la conseillera en toute indépendance, et qui, dans le respect de ses règles déontologiques, établira la facture qu’il présentera à l’hôpital. Cette garantie fonctionnelle fonctionne très bien et elle rend inutile le recours aux assurances sur ce plan.

Le régime de la protection fonctionnelle est explicité par la circulaire n° 2158 du 5 mai 2008 relative à la protection fonctionnelle des agents publics de l’État. C’est un principe général, qui peut être invoqué dans la fonction publique hospitalière.

QUE SE PASSE-T-IL SI LES AGRESSEURS SONT INSOLVABLES ?

Comme pour toute agression, existe la possibilité d’être indemnisé par le Fonds d’indemnisation des victimes, sous condition que les faits aient entraîné une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnelle égale ou supérieure à un mois (Code de procédure pénale, article 706-3).

COMMENT S’ORGANISE LA PROCÉDURE D’INDEMNISATION ?

La victime peut exercer son recours directement envers l’agresseur, mais elle peut aussi solliciter les services de protection des victimes, et deux régimes se combinent alors.

Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale du préjudice qui en résulte (Code de procédure pénale, article 706-3). Les fonds sont versés par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, qui se fait ensuite rembourser auprès de l’auteur des faits.

Dans le même temps, la collectivité publique, dont dépend un agent victime de violences dans le cadre de ses fonctions, est tenue de réparer le préjudice résultant de ces violences, par application de l’article 1 de la loi du 13 juillet 1983.

Ainsi, si le Fonds de garantie des victimes peut, après avoir indemnisé la victime, réclamer le remboursement de l’indemnité à l’établissement (Conseil d’État, avis n° 333407 du 7 avril 2010 et CAA Lyon, n° 07LY01989, 9 novembre 2010).

OÙ PEUT-ON SE RENSEIGNER ?

Les premiers contacts sont la direction de l’établissement, au titre de la protection fonctionnelle, ou un avocat.

Pour la perception de l’indemnisation, on peut contacter le Service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (Sarvi), qui complète le système d’indemnisation des victimes articulé autour des Commissions d’indemnisation des victimes d’infractions (Civi). Ce service s’adresse aux victimes qui ont subi de légers préjudices corporels ou certains dommages aux biens, qui ne peuvent être indemnisés par les Civi et qui ont souvent du mal à faire exécuter les décisions de justice, laissant un désagréable sentiment d’impunité et d’inefficacité.

QUELLE EST LA POLITIQUE DU MINISTÈRE ?

Le ministère se préoccupe de langue date de la sécurisation des activités hospitalières. On peut citer :

→ la circulaire du 15 juin 2007 relative à la mise en place du plan Hôpital 2012,

→ la circulaire du 15 juillet 2009 relative aux axes et aux actions de formation prioritaires,

→ le protocole santé-sécurité-justice du 12 août 2005, modifié en 2010.

A été créé, en 2005, un service dénommé depuis début 2011 l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS)*, qui centralise les informations.

Extrait de la circulaire n° DHOS/P1/2000/609 du 15 décembre 2000

Prévention et accompagnement des situations de violence.

La circulaire synthétise ainsi l’article 11, paragraphe 3, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.

Toute collectivité publique est tenue de protéger ses agents contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être victimes à l’occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Les chefs d’établissement veilleront à sensibiliser et impliquer les cadres de leur établissement à la politique mise en œuvre pour protéger les agents contre les menaces et les violences.

Le champ de la protection s’avère extrêmement large. Il peut s’agir de violences physiques ou bien de violences verbales ou écrites, ou encore des dommages aux biens.

Les modalités pratiques sont les suivantes :

→ En cas de dommages matériels, l’indemnisation peut être immédiate (sur pièces justificatives), sans qu’il soit nécessaire d’identifier au préalable le ou les auteurs des faits.

→ Surtout, l’établissement dispose de la possibilité d’agir lui-même directement soit en saisissant le procureur de la République, soit par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. C’est la voie qu’il convient de privilégier dans la plupart des cas. Elle répond au souci parfois constaté chez l’agent de ne pas apparaître dans la procédure.

→ En tout état de cause, si l’agent entend déposer lui-même une plainte et se constituer partie civile pour obtenir des juridictions répressives l’indemnisation de ses préjudices personnels, il doit bénéficier du remboursement des honoraires et des frais de procédure résultant de son action.

Le 08 Victimes

Un numéro unique, national, pour toutes les victimes, le “08 Victimes”. Ce numéro est un point d’entrée unique pour toutes les victimes d’infractions, quelle que soit la forme de l’agression ou le préjudice subi.

Le 08 Victimes (soit le 08 842 846 37) est un numéro non surtaxé, disponible 7 jours sur 7, de 9 heures à 21 heures.