DÉCRYPTAGE → Pour engager la responsabilité, il y a une nécessité de la faute. Elle se retrouve dans les trois grands régimes de responsabilité : le civil pour les professionnels libéraux ou les établissements privés, l’administratif pour les établissements publics et le pénal pour tous.
Pour le droit civil, la relation de soin est un contrat, chaque fois conclu entre un thérapeute et un patient. Dans le cadre de ce contrat, le praticien ne s’engage jamais à la guérison qui serait un résultat. Il s’engage à mettre en œuvre tous les moyens pour tendre vers le meilleur résultat possible. C’est l’exemple même de la catégorie juridique appelée l’obligation de moyens.
La jurisprudence de la Cour de cassation a posé ces principes par le célèbre arrêt Mercier de 1936 : « Il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le praticien, l’engagement, sinon, bien évidemment, de guérir le malade, du moins de lui donner des soins consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science. » Aussi, la responsabilité commence quand le thérapeute n’a pas mis en œuvre les moyens dont il disposait pour aller vers le meilleur résultat possible, ce qui caractérise la faute.
Si la société attend beaucoup des équipes soignantes de l’année 2012 qui bénéficie de professionnels de haut niveau, de l’imagerie médicale et de toutes les capacités scientifiques, le principe reste : la faute est de ne pas avoir mis en œuvre tous les moyens pour aller vers le meilleur résultat possible. La Cour de cassation rappelle que « la responsabilité du médecin est subordonnée à la preuve d’une faute commise dans l’accomplissement de l’acte médical »
Par exemple, un diagnostic n’est pas celui qui avait été porté à l’origine. Il y a eu erreur, ce qui est un fait objectif. Mais cette erreur est-elle fautive ? Si le médecin a agi dans son domaine de compétence, en prescrivant les examens adaptés, en sollicitant des avis spécialisés, avec un bon interrogatoire du patient et une solide étude du dossier, et que malgré tout, il s’est trouvé devant une situation qu’il n’a pas su analyser, on ne retiendra pas la faute. Si, en revanche, il s’est aventuré sur des terres qui ne sont pas les siennes, n’a pas sollicité les avis spécialisés, a omis des examens reconnus comme nécessaires, ou s’il a procédé à une lecture inattentive de ces examens, on entrera dans le domaine de la faute.
La responsabilité administrative concerne l’activité des établissements publics, c’est-à-dire du service public hospitalier. Dans l’analyse juridique, on ne retrouve pas la notion du contrat. Le patient est usager d’un service, et il est en droit d’attendre une certaine qualité du service. La pratique procédurale est différente, mais on retrouve des données assez proches. Le service hospitalier doit produire une certaine qualité des soins, qui est en corrélation avec les moyens qui lui ont été alloués. S’il n’offre pas cette qualité, il se situe sur le terrain de la faute. C’est la notion qui est très bien reconnue par la jurisprudence qui n’évoque jamais la faute médicale ou la faute hospitalière, mais « la faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ». L’approche est très contextualitée. Chaque fois, il est demandé, en tenant compte de la meilleure pratique médicale, de répondre à cette question : « Au regard de ce qui est attendu du service public hospitalier, les faits traduisent-ils un manquement ou une insuffisance que l’on puisse qualifier de faute de nature à engager la responsabilité du service hospitalier ? » Cette analyse permet de se détacher de l’erreur. Le service public ne peut pas être responsable pour de simples erreurs. En revanche, si l’erreur a été causée par une faute – l’équipe n’ayant pas fait ce que l’on était en droit d’attendre d’elle – alors la responsabilité est engagée. Le Conseil d’État sanctionne une erreur de diagnostic « si elle est constitutive d’une faute médicale »
On passe ici de la notion de responsabilité à celle de culpabilité.
Le Code pénal (CP) connaît par principe la faute intentionnelle, c’est-à-dire celle commise avec intention de nuire. C’est dans son article 121-3 alinéa ? 1 : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. » De manière exceptionnelle, on peut retrouver ce genre de fautes dans la pratique hospitalière (coup violent, agression sexuelle…). En revanche, dans la pratique courante, la notion en cause est celle de la faute involontaire.
C’est une faute, qualifiée comme telle par la loi pénale, mais considérée comme involontaire car l’auteur n’était pas animé par l’intention de nuire. La référence est l’article 121.3 alinéa 3 du CP, qui retient les notions de maladresse, négligence ou inattention : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »
Un geste chirurgical a été malheureux, ce qui est certain car il a causé un dommage. Mais l’apparition du dommage ne veut pas dire que le geste est fautif. L’erreur – qui est constatée – est un fait objectif. Mais le Procureur prouve-t-il que le médecin a été imprudent ou négligent dans sa démarche ? On est ici proche des notions évoquées au civil et à l’administratif, mais avec un clivage qui est sans doute encore plus net : la prudence ou l’imprudence, l’attention ou la négligence, l’action attentive ou l’inattention. D’un côté, l’erreur, de l’autre, la faute…
Il ne peut être reproché au médecin une erreur de diagnostic qui n’est pas une faute au sens du CP
Le législateur a pensé qu’il fallait protéger celui qui a pour tâche d’organiser le travail commun, et qui doit à cet effet prendre nombre de décisions. Ce rôle du “décideur” étant essentiel, il est apparu nécessaire de lui créer une zone d’autonomie supplémentaire. La loi définit d’abord ce décideur. Dans le fonctionnement des hôpitaux, cela concerne toutes les fonctions de direction ou d’encadrement. Pour que ce décideur soit reconnu pénalement coupable, la référence aux diligences normales ne suffit plus. Il faut prouver soit qu’il a violé « de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité » prévue par la loi ou le règlement, soit qu’il a commis « une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ». Ces notions sont propres à interprétation, et la jurisprudence n’est pas encore totalement définie. Mais on voit bien à quel point le législateur a entériné ce passage entre l’erreur et la faute, vu que, pour les professionnels qui ont pour mission de décider de l’organisation des soins, la faute simple ne suffit plus : il faut encore prouver la faute caractérisée pour que leur responsabilité pénale puisse être engagée. La faute simple du décideur n’engage plus la responsabilité pénale.
(1) Cour de cassation, 1re chambre civile, 4 janvier 2005, n° 03-13579.
(2) Conseil d’État, 24 février 1995, n° 138382 ; Conseil d’État, 6 mai 1988, n° 64295.
(3) Conseil d’État, 30 novembre 2007, n° 282017.
(4) Cour de cassation, chambre criminelle, 29 juin 1999, n° 98-83517.
(5) Cour de cassation, chambre criminelle, 4 mai 2004, n° 03-86175.
(6) Cour de cassation, chambre criminelle, 13 février 2007, n° 06-82202.
(7) Cour de cassation, chambre criminelle, 29 juin 1999, n° 98-82300.
(8) Cour de cassation, chambre criminelle, 28 octobre 1971, n° 70-90750.