Éviter les événements indésirables graves liés aux soins - Objectif Soins & Management n° 205 du 01/04/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 205 du 01/04/2012

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

Anne-Lise Favier  

GESTION DES RISQUES On estime qu’un service de trente lits voit se dérouler tous les cinq jours un événement indésirable grave (EIG) lié aux soins. Comment surviennent-ils ? Sont-ils évitables ? Comment doivent-ils être pris en charge et déclarés ? Le point sur la question.

Soins intensifs, avril 2009 : un patient polytraumatisé et polytransfusé de groupe B+ en coagulation intravasculaire disséminée attend une transfusion de plaquettes et de plasma. Une infirmière lui pose par erreur un concentré de globules rouges de groupe A+. La transfusion est immédiatement arrêtée par un interne, alerté par la couleur de la tubulure par rapport à la prescription. Aucune conséquence clinique ou biologique pour le patient n’est enregistrée.

Cet événement indésirable survenu il y a trois ans dans un établissement de santé n’est qu’un exemple de ce qui arrive ou peut arriver tous les jours dans un établissement hospitalier. Fatigue, inattention, surcharge de travail, toutes les raisons existent pour expliquer la survenue de tels incidents. Depuis 2004 et la loi de santé publique, ces EIG sont scrutés, analysés afin de mieux les prévenir. C’est l’enquête Eneis (Enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins) conçue en 2004 à l’initiative de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) qui évalue l’importance des EIG liés au processus de soins à l’origine d’une admission en établissement de santé ou observés chez les patients pris en charge dans les établissements de santé. La dernière étude parue (“Études et résultats” n° 761 de mai 2011) montre que la fréquence de survenue des EIG pour 1 000 jours d’hospitalisation est de 6,2, une moyenne qui rassemble les EIG survenus en chirurgie (9,2) et ceux de médecine (4,7): rapporté à un service moyen de trente lits, cela signifie qu’en moyenne il survient un événement indésirable grave tous les cinq jours. Sur l’ensemble des établissements de santé publics et privés du pays, 900 EIG surviennent chaque jour, soit entre 275 000 et 395 000 EIG sur l’ensemble des 54 millions de journées d’hospitalisation enregistrées… Donnée importante également, Eneis évalue qu’environ 4,5 % des séjours à l’hôpital (soit entre 330 000 et 490 000 admissions) sont causés par un EIG, autant dire qu’ils auraient peut-être pu être évités (notamment 160 000 à 290 000 d’entre eux). Autre enseignement de cette étude, les EIG survenant pendant l’hospitalisation sont le plus souvent en chirurgie et sont associés à des actes invasifs, tandis que les EIG à l’origine d’admissions sont liés à certains produits de santé (iatrogénie par exemple).

DIVERS DEGRÉS DE GRAVITÉ ET CAUSES VARIÉES

Les chiffres sont stables par rapport à 2004, année où la première enquête a été lancée. Est-ce à dire qu’aucun progrès n’a vu le jour ? Non pour les auteurs de l’enquête, qui estiment que la stabilité des chiffres s’explique notamment par la modification de la structure d’âge des patients hospitalisés, de la complexité des actes et des prises en charge, et enfin par la modification des conditions de travail.

À partir de quand un événement indésirable est-il considéré comme grave ?

Selon les spécialistes, dès lors qu’il entraîne un handicap ou une incapacité à la fin du séjour à l’hôpital, quand il met en jeu le pronostic vital d’un individu ou lorsqu’il entraîne une hospitalisation ou une prolongation de celle-ci. Parfois, les événements peuvent sembler plus ou moins graves, avec des conséquences plus ou moins réversibles : parmi les EIG recensés dans l’enquête Eneis, on trouve ainsi pêle-mêle une gêne respiratoire de quelques jours, mais aussi des pertes sensorielles ou motrices définitives.

Identifier les causes

Pour identifier la cause réelle de ces EIG, les médecins ont analysé l’ensemble des incidents ou accidents survenus et ont observé que la plupart d’entre eux étaient dus à une « pratique médicale sous-optimale, une perte de temps, une rupture dans la continuité des soins, des déviances par rapport à des protocoles, des règles ou des recommandations ». Ils étaient donc clairement évitables. Alors qu’ils s’observent aussi bien dans les services de médecine que de chirurgie, ils peuvent parfois avoir des conséquences lourdes. Si, le plus souvent, il s’agit d’un prolongement d’hospitalisation, il peut également y avoir à fréquence égale une mise en jeu du pronostic vital ou une incapacité à la sortie de l’hôpital (plus rarement un décès : on estime ainsi entre 10 et 15 000 le nombre de patients morts des suites d’un EIG*).

PRÉVENIR POUR RÉDUIRE LE NOMBRE

En première ligne de survenue de ces EIG, les actes invasifs (endoscopies par exemple) et chirurgicaux suivis par l’administration de produits de santé (médicaments mais aussi dispositifs médicaux implantables comme les pacemakers) et, enfin, par les infections nosocomiales. Chaque année, on estime le surcoût lié à ces EIG à près de 700 millions d’euros pour l’ensemble des établissements de santé (d’après une récente étude de l’Irdes téléchargeable sur www.irdes.fr/Publications/2011/Qes171.pdf). Ces événements indésirables graves sont-ils tous évitables ? La réponse est malheureusement non. L’étude Eneis estime néanmoins qu’entre 95 000 et 180 000 d’entre eux peuvent être évités chaque année et surtout qu’ils « n’auraient pas eu lieu si les soins avaient été conformes à la prise en charge considérée comme satisfaisante au moment de (la) survenue (de l’EIG) ». C’est donc qu’il existe des outils à disposition des professionnels de santé qui permettent de les prévenir. C’est notamment le cas de la certification des établissements, qui vise plus de qualité autour du soin, mais aussi l’accréditation des médecins et le listing des événements porteurs de risques. Dans le même ordre d’idée, les revues de mortalité et morbidité participent de l’amélioration continue de la qualité de soins tout comme la check-list du bloc opératoire qui aide à éviter certains incidents ou accidents au décours d’une opération.

Bon à savoir également, il existe une catégorie de patients plus facilement touchée par les EIG : la fragilité (liée à l’âge, à la maladie ou à l’état général) ou le comportement du patient sont d’ailleurs deux facteurs reconnus pour favoriser la survenue de l’EIG. La prévention passe donc aussi par l’encadrement plus drastique de cette catégorie de patients.

* Chiffre estimatif basé sur des études statistiques.

« Comment informer le patient »

La Haute Autorité de santé a édité un guide d’information à destination des professionnels de santé afin de mieux appréhender l’annonce au patient de la survenue d’un événement indésirable. Ce guide vise à aider le professionnel à trouver la meilleure façon d’annoncer les choses. Il lui permet de mieux répondre aux attentes et aux besoins légitimes des patients, ainsi que de rassurer et d’accompagner les professionnels de santé dans cette démarche souvent difficile.

Toutes les informations se trouvent sur ce lien raccourci vers la Haute Autorité de santé http ://petitlien.fr/5v56.

Que faire en cas d’EIG ?

Amorcée avec la loi du 4 mars 2002 qui inscrit le principe de « déclaration des EIG liés à des soins réalisés lors d’investigations, de traitements ou d’actions de prévention autres que les infections nosocomiales », l’obligation de déclaration d’un EIG figure dans la loi de santé publique du 9 août 2004 (article 117).

Une expérimentation a été menée par l’InVS il y a un an et demi auprès de 82 établissements de santé pour définir un dispositif de déclaration des EIG (en vue d’éventuelles alertes), d’en tester la faisabilité, la pertinence et l’efficacité, et enfin pour identifier les conditions et les modalités de sa généralisation. Il en ressort qu’un tel dispositif est non seulement jugé utile par le corps hospitalier, mais qu’il participe d’une sensibilisation à la culture de sécurité où le gestionnaire des risques occupe une place centrale. Avant d’être généralisé, ce dispositif, qui privilégie la qualité à la réactivité, devra être revu sur certains points : typologie consensuelle, renfort de la transparence ou encore communication autour du patient. Le gestionnaire des risques est plus que jamais l’interlocuteur privilégié autour de la survenue d’EIG. C’est lui qui déclare à l’autorité compétente (agence du médicament, par exemple) la survenue d’un EIG. Et c’est donc à lui que doit être signalée toute survenue d’un EIG dès lors qu’elle est connue. À la suite de ce signalement, une équipe pluridisciplinaire se réunit pour une analyse approfondie des causes et l’élaboration de mesures correctives lorsque cela est possible. Au niveau régional, la Cellule régionale d’appui (CRA) sensibilise et forme les acteurs au signalement des EIG, tout en apportant un appui méthodologique aux établissements pour l’élaboration de mesures correctives. Le tout est transmis à l’InVS qui pilote l’étude sous l’égide du ministère de la Santé (DGOS).