Enseignante-chercheure en sciences infirmières - Objectif Soins & Management n° 204 du 01/03/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 204 du 01/03/2012

 

MARTINE GUINARD

Parcours

Joëlle Maraschin  

Ancienne infirmière scolaire passionnée de santé publique, Martine Guinard s’est battue pendant des années pour la reconnaissance des sciences infirmières. Aujourd’hui enseignante-chercheure au sein du Département des sciences infirmières et paramédicales (DSIP) de l’Ehesp*, elle intervient dans le cadre du premier master consacré à cette discipline.

« Les infirmières ont tellement de choses à apporter pour les soins, notamment dans le domaine de la santé publique. Elles sont encore si souvent bloquées dans leurs projets, leurs recherches », souligne Martine Guinard, l’une des rares infirmières enseignantes-chercheures en France. À un an de la retraite, Martine Guinard n’a rien perdu de sa combativité pour la profession infirmière. Après avoir passé, à l’âge de 61 ans, un doctorat en sciences de l’éducation, elle a pu intégrer en 2009 le premier et le seul laboratoire universitaire de recherche en sciences infirmières, le Lari, au sein du nouveau département DSIP de l’Ehesp. « La France est très en retard en matière de développement des sciences cliniques infirmières, nous en sommes encore aux balbutiements. Mais la dynamique est là, et je suis fière de participer à cette évolution », poursuit-elle.

La construction de la filière infirmière LMD

Le DISP, dirigé par Monique Rothan-Tondeur, comprend trois laboratoires de recherches dont le Lari. Ce laboratoire, situé dans une aile désaffectée de l’hôpital AP-HP Charles-Foix à Ivry-sur-Seine, est constitué d’une petite équipe de trois enseignants-chercheurs, dont Martine Guinard, deux ingénieurs de recherche et d’étude, deux doctorantes et une assistance pédagogique. « Il n’existe pas encore de doctorat en sciences infirmières reconnu par les universités », regrette Martine Guinard. De fait, les doctorantes du laboratoire devront passer des doctorats de santé publique ou d’autres disciplines option sciences infirmières. La situation devrait cependant évoluer à court ou moyen terme, plusieurs des enseignants-chercheurs du laboratoire préparant leur habilitation à diriger des recherches. Ancienne bénévole au Planning familial, Martine Guinard a choisi de conduire sa recherche infirmière sur un thème qui lui tient à cœur, à savoir la clinique infirmière dans le cadre de la délivrance d’une contraception d’urgence.

Le DISP a aussi pour mission de mettre en place des formations spécifiques pour les infirmières et les autres professionnels paramédicaux, en l’occurrence des modules de formation dans le cadre de la formation continue, mais aussi un master en sciences cliniques infirmières, en partenariat avec l’université de Marseille Méditerranée. Le master propose actuellement trois spécialités, infirmières de pratiques avancées en cancérologie, en gérontologie et infirmière de parcours complexe de soins. Martine Guinard, enseignante dans ce master, souhaite mettre en place à la rentrée prochaine une spécialité d’infirmière experte en santé publique. Les cours du master 1 sont dispensés dans les locaux du département à l’hôpital Charles-Foix, ceux du master 2 à l’université de Marseille. Ils ont été regroupés sur une semaine par mois de manière à faciliter l’accès à ce diplôme universitaire pour les professionnels en exercice. En dépit de leur motivation pour améliorer leurs pratiques de soins, les professionnelles ont encore des difficultés à obtenir des subventions au titre de la formation continue.

De l’Éducation nationale à la santé publique

Née en 1948, Martine Guinard a suivi ses études infirmières à l’école de la Croix-Rouge de Lyon. Peu de temps après l’obtention de son DE, elle choisit la profession d’infirmière scolaire. Mutée dans un lycée professionnel, elle est très vite touchée par la précarité des adolescents issus de milieux dits défavorisés.

Souhaitant mieux communiquer et aider ces jeunes gens en difficulté, elle suit des études universitaires de psychologie et passe une licence de psychologie en 1975. Elle suit ensuite son mari au Cameroun, envoyé en coopération pour travailler dans un hôpital de brousse. Apprenant qu’elle est infirmière, les autorités de santé locales lui proposent de diriger une pouponnière de 80 orphelins. L’expérience, qui dure près de deux ans, est très formatrice, puisqu’il s’agit de mettre en place un vrai projet de soins dans un contexte de grande pauvreté. De retour en France, elle s’arrête de travailler pendant cinq ans pour élever ses jeunes enfants. Femme engagée, elle assure bénévolement les permanences du Planning familial de l’hôpital de Saint-Julien-en-Genevois.

Puis elle reprend son activité professionnelle, cette fois-ci dans un gros lycée polyvalent d’Annemasse. « J’étais la seule infirmière dans un bahut de 2 000 élèves et 250 internes », se souvient-elle. Pour approcher la santé de cette population de lycéens issus de milieux très différents, Martine Guinard entreprend de suivre des études de santé communautaire à l’Institut de médecine sociale et préventive de l’université de Genève. Cette formation lui donne des outils pour construire un projet d’éducation à la sexualité et de prévention des MST-VIH. « J’ai vu très vite les limites des messages de prévention habituels, dans lesquels la sexualité n’est abordée le plus souvent que sous l’angle des dangers », explique-t-elle. Elle constitue une équipe pluridisciplinaire réunissant des médecins, des infirmières, des psychologues scolaires, des enseignants, mais aussi des parents et des intervenants extérieurs.

Pour porter cette nouvelle approche et l’étendre aux autres établissements scolaires de la région, Martine Guinard accepte en 1991 un poste de conseillère technique du rectorat de Grenoble. Son projet d’éducation à la santé, de la primaire à la terminale, est financé par le ministère de la Santé et la région. Mais ce projet ambitieux aurait dérangé d’autres porteurs de projets à l’Éducation nationale. Faute de subvention, l’expérience est arrêtée en 1996. Martine Guinard proteste en vain, mais elle n’est pas entendue. « Malgré mes diplômes universitaires, je restais infirmière conseillère technique et donc cadre B dans la fonction publique d’État avec l’impossibilité de prendre quelque décision », déplore-t-elle.

Elle change de poste en 1998 pour s’occuper pendant trois ans d’un service de santé pour les étudiants lyonnais. Elle passe alors un master de santé publique à Genève. En 2001, elle se met en détachement de l’Éducation nationale pour occuper un poste de formatrice dans un Ifsi privé de Lyon. Tout en enseignant la santé publique aux futures professionnelles, elle se lance dans un doctorat en sciences de l’éducation. Son sujet de thèse est la formation initiale des infirmières à l’écoute, le conseil et l’éducation à la sexualité.

Dès l’obtention de son doctorat, elle est recrutée par l’Ehesp dans le cadre de la création du département de sciences infirmières. Mais, pour l’éducation nationale, Martine Guinard est toujours cadre B, en dépit de son doctorat. Elle a donc dû se mettre en disponibilité et accepter un contrat précaire pour travailler comme enseignante-chercheure.

Sur le fond d’écran de son ordinateur, Martine Guinard a placé l’image d’un funambule souriant en exercice sur un fil devant un lumineux soleil. « Je suis comme ce funambule, commente-t-elle. Je vois le soleil, je marche sur un fil, et je continue de me battre pour continuer à être une infirmière de santé publique ».

NOTES

* Contact master, DSIP-ORIG, hôpital Charles-Foix, 7, avenue de la République, 94205 Ivry-sur-Seine cedex. Tél. : +33 (0)1 49 59 42 07. Mail : mastersci@ehesp.fr.