Les Toc - Objectif Soins & Management n° 203 du 01/02/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 203 du 01/02/2012

 

Point sur

Thierry Pennable  

Qu’ils soient considérés comme une maladie à part entière ou comme le symptôme d’une névrose, les retentissements socioprofessionnels des troubles obsessionnels-compulsifs entraînent souvent un isolement social et affectif qui peut conduire à une dépression sévère. Ils nécessitent une prise en charge.

De plus en plus, les troubles psychiques sont envisagés selon deux paradigmes différents et parfois opposés. Les troubles obsessionnels–compulsifs (Toc) et leur traitement bénéficient donc de deux approches, l’une psychanalytique, l’autre comportementale. Les personnes concernées peuvent s’orienter vers l’une ou l’autre de ces prises en charge en fonction de leurs propres représentations du trouble et du traitement à lui apporter.

MALADIE OU SYMPTÔME

Un trouble identifié

Les Toc sont décrits par une liste de critères diagnostiques par les classifications internationales(1). Il consiste en une gêne pour les activités habituelles et une perte de temps lorsque la personne y consacre plus d’une heure par jour. Le Toc s’organise autour de quatre symptômes : l’obsession, la compulsion, l’anxiété et l’évitement. L’anxiété s’entend par un sentiment de crainte, d’appréhension et de mise en alerte. Elle est aggravée par les situations de stress et calmée provisoirement en cas de Toc par la réalisation de “rituels” (compulsions). L’évitement des situations déclenchantes est une autre stratégie pour lutter contre la maladie. L’invalidité vient du fait que le sujet, envahi par les obsessions et les rituels, ne peut parfois plus travailler.

→ Obsession et compulsion

L’obsession est une pensée qui fait irruption de façon brutale et répétitive qui exprime une crainte de provoquer un dommage ou un malheur si le sujet n’y prend pas garde. Consciente de cette pensée, la personne concernée fournit des efforts peu efficaces et épuisants pour tenter de la repousser. Les obsessions relèvent de plusieurs thèmes : obsessions de souillure, d’erreurs et de désordre, obsessions agressives ou de malheur, et de superstition. « Tout le monde a des obsessions, des petites manies, mais dans le Toc, une fonction d’alarme s’est déréglée et conduit à l’exagération d’un phénomène normal », distingue le docteur Alain Sauteraud, médecin psychiatre, spécialiste du trouble obsessionnel compulsif, Bordeaux (33). La majorité des patients souffrent de plusieurs types d’obsessions qui varient au cours de la vie.

Aussi appelée rituel, la compulsion est un acte que la personne ne peut s’empêcher de réaliser, le plus souvent contre sa volonté, pour tenter d’apaiser son angoisse et de neutraliser ses idées obsédantes. Les grands thèmes sont le lavage, la vérification et les conjurations qui consistent par exemple à réciter scrupuleusement des listes de mots ou de chiffres dans un certain ordre. Toute distraction ou toute pensée interférant au cours du rituel oblige la personne à le reprendre depuis le début. Comme pour les obsessions, les thèmes des compulsions varient au cours de la maladie.

→ Les Toc chez les enfants

Ils répondent aux mêmes critères diagnostiques que les adultes. Toutefois, un enfant qui refuse de porter des vêtements d’une certaine couleur ou qui se lave souvent les mains ne souffre pas forcément de Toc. Comme pour les adultes, c’est le critère de la durée consacrée au trouble qui doit inciter à consulter. « Tous les enfants ont des obsessions particulièrement fortes à certains âges de leur vie, c’est développemental. De même que des rituels normaux qui font partie de son développement psychomoteur », rappelle Alain Sauteraud. Les rituels du coucher sont les plus habituels chez les enfants de 2 à 5 ans, comme dormir avec la même peluche placée toujours au même endroit. Plus tard, entre 7 et 10 ans, certains répètent des petites phrases ou des chiffres magiques, ou évitent de marcher sur des lignes sur le trottoir. Ces petits rituels rassurent l’enfant face aux épreuves de son âge, comme une interrogation écrite à l’école.

Le symptôme d’une névrose obsessionnelle

→ L’inconscient

« Pour la psychanalyse, le Toc n’est pas un trouble isolé, mais un symptôme névrotique de la névrose obsessionnelle, traduite parfois par névrose de contrainte », explique le professeur Bernard Brusset, psychiatre et psychanalyste, membre de la Société psychanalytique de Paris(2). Le sujet est en proie à des contraintes internes qui viennent de l’inconscient sous forme d’images et de pensées parasites. Il est assiégé par des idées qu’il ressent comme étrangères à lui parce qu’elles sont couvertes par le refoulement (obsession vient du latin obsessio : action d’assiéger, blocus). Carole Ruffiat, psychanalyste et psychothérapeute à Nîmes (30), définit le Toc comme « un symptôme caractérisé par la répétition d’actes ou de pensées identiques auxquels le sujet ne peut absolument pas se soustraire, tant le niveau d’angoisse et de souffrance est important ».

→ Une solution de compromis

Son déclencheur serait une recherche de plaisir, une pulsion du “ça”(3), qui s’exprime sur des modes de pensées infantiles désapprouvées par la morale et le jugement (sur-moi) qui n’autorise aucun plaisir et frustre trop fortement l’individu. « La pulsion s’exprimerait alors sous une forme déguisée, inconsciente et contraire », précise Carole Ruffiat.

Une sorte de compromis trouvé par la partie adulte, le “moi”. Par exemple, en réponse à un sentiment d’agressivité ou de destruction, l’individu sera particulièrement méticuleux, ordonné, propre et obséquieux. Cependant, cette tentative de neutralisation reste incomplète, et le sujet n’a d’autre choix que de répéter ces actes à l’infini. « Les Toc prennent leur origine dans une compulsion de répétition », explique la psychanalyste.

DES TRAITEMENTS LIÉS À LA CONCEPTION DU TROUBLE

Les thérapies cognitivo-comportementales

C’est le traitement de référence pour les tenants d’une approche comportementale des Toc, également recommandé par la Haute Autorité de santé (HAS). La durée habituelle d’une séance est d’environ une demi-heure. Le patient, avec le psychothérapeute, met au point un exercice de psychothérapie comportementale. Il s’expose de façon progressive, mais prolongée et répétée, aux situations déclenchant l’anxiété, sans faire de rituel ou en faisant moins de rituels que d’habitude. Le patient répète cet exercice jusqu’à une “habituation” avec disparition de l’anxiété. Les obsessions s’abaissent dans le même temps quand le patient se rend compte qu’en diminuant ou en cessant ses rituels, il ne se produit pas de malheur. L’« exposition avec prévention de la réponse » n’est possible que si le patient critique spontanément ses obsessions, sinon une analyse des activités répétitives doit chercher à identifier les croyances erronées qui déclenchent les obsessions. Lorsqu’elle doit se prolonger tout au long de la vie, la thérapie cognitivo-comportementale ou TCC prend la forme d’une “hygiène comportementale”, sous forme de petits exercices qui aident le patient à s’autonomiser.

Une bonne indication de la psychanalyse

La névrose obsessionnelle est une des grandes névroses classiques avec l’hystérie et la phobie. Pour Bernard Brusset, « le Toc est une manifestation de l’inconscient qu’il faut interroger qui est à la fois un fantasme inconscient et un mécanisme de défense. C’est donc une bonne indication de la psychanalyse ». Une psychanalyse classique est un traitement idéal quand c’est possible. Une cure type, de trois ou quatre séances de 45 minutes par semaine, en position allongée ou en face-à-face. En fonction des disponibilités du patient et de l’analyste, la psychothérapie peut être aménagée, deux séances par semaine minimum, pour qu’il y ait une continuité d’une séance à l’autre et un vrai travail.

Une thérapie de soutien, longue, n’a pas vraiment de sens et signifie que le traitement psychanalytique n’est pas possible. Bernard Brusset concède qu’« elle peut toutefois être préparatoire, et déboucher sur un traitement psychanalytique par la suite ». De son côté, Carole Ruffiat observe que « le conflit névrotique est déjà consommateur d’énergie, et la tentative de neutralisation de l’angoisse par le Toc réclame aussi de l’énergie ». Cette énergie consommée n’est plus disponible pour la psychothérapie. La cure n’en sera que plus longue. Son cadre doit alors être changeant (rythme, jour, heure) au risque d’en faire un nouveau rituel et symptôme pour le patient.

→ Les objectifs de l’analyse

Le but est de permettre à l’individu de prendre conscience progressivement de ses désirs et émotions enfouis contre lesquels il lutte et tente de trouver, par les Toc, des solutions mal adaptées. Il s’agit de comprendre le sens des symptômes, de remonter à leur source et de démêler les significations. À l’exemple des fantasmes inconscients sado-masochiques, souvent en jeu dans les névroses obsessionnelles. Quand le sado-masochisme fait partie de la relation entre patient et thérapeute, l’évolution du traitement est plus difficile car le patient trouve une jouissance à mettre en échec la thérapie.

→ Conditions d’une cure analytique

Des cas sont tellement anciens, tellement automatisés, que la psychanalyse n’est pas possible. « Dans ces cas-là, les médicaments et les thérapies comportementales peuvent être utiles », conseille le docteur Brusset. Pour que l’analyse soit opérante et apporte des résultats, il faut qu’il y ait suffisamment de phénomènes de transfert(4). Tous les patients ne sont pas accessibles au traitement psychanalytique. « Le patient doit avoir le désir de comprendre ce qui se passe et souhaiter se comprendre mieux », complète le psychanalyste. Une prise en charge précoce est souhaitable, dès l’enfance, l’adolescence ou le jeune adulte, avant que les mécanismes ne soient figés et automatisés et pris dans des systèmes rigides. Les résultats sont très bons chez les enfants.

LA PLACE DES MÉDICAMENTS

« L’enjeu du traitement est d’améliorer le plus possible les symptômes avec le moins d’effets indésirables », précise Alain Sauteraud. Les antidépresseurs sérotoninergiques sont recommandés par la HAS. « Environ 80 % des patients prennent des médicaments car la maladie guérit seulement dans 15 à 20 % des cas avec la psychothérapie », conclut le spécialiste. Les traitements combinant antidépresseurs et psychothérapie permettent d’alléger les exercices de TCC et de diminuer les dosages médicamenteux.

Les antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine (IRS) sont préconisés en première intention. Si la réponse au traitement initial par IRS est insuffisante, un deuxième IRS est essayé, puis un troisième, qui est dans ce cas la clomipramine (Anafranil). Dans le cas d’un Toc résistant, lorsque le trouble a résisté au moins à deux IRS et à une thérapie comportementale qui a duré au moins 12 heures en séance, d’autres stratégies spécialisées sont utilisées, comme de faibles doses de neuroleptiques. En présence d’un autre trouble anxieux, trouble panique par exemple, les anxiolytiques de type benzodiazépines peuvent être intéressants. Dans le cas d’un trouble bipolaire (10 % des malades souffrant d’un trouble bipolaire ont un Toc), un régulateur de l’humeur (Téralithe, Tégrétol, Dépakote…) sera alors préféré à l’IRS.

Du point de vue de la psychanalyse, Bernard Brusset souligne que les médicaments sont très compatibles avec la cure analytique, « à condition qu’ils n’abrutissent pas le patient, ne suppriment pas ses rêves et que le patient ne soit pas dans un état second ». Considérant qu’il peut y avoir une réaction dépressive ou d’angoisse à la névrose obsessionnelle. Les médicaments sont alors utilisés le moins longtemps possible et à la dose la plus faible, pour aider le patient à faire face à ses symptômes. Dans le cas d’un symptôme dépressif, par exemple, les antidépresseurs peuvent rendre possible un travail psychanalytique. Même point de vue pour Carole Ruffiat, « la cure analytique doit parfois se cumuler avec un traitement médicamenteux selon le niveau d’angoisse et de souffrance subies. En psychanalyse, la règle pour atteindre une efficacité est qu’il faut angoisser, mais ni trop, ni trop peu… ».

NOTES

(1) Diagnostical and Statistical Manuel of Mental Disorders, 4e édition (DSM-IV) ; Classification of Mental and Behavioural Disorders (CIM 10).

(2) Bernard Brusset est professeur émérite de l’Université Paris-Descartes, ancien chef de clinique et assistant des Hôpitaux de Paris.

(3) En référence à la 2e topique établie par Sigmund Freud (1920) : le “ça”, réservoir de l’énergie psychique sous la dépendance du principe de plaisir ; le “sur-moi” a un rôle de censeur, de juge, qui se constitue à partir des exigences et des interdits parentaux ; le “moi”, pôle défensif de la personnalité, se développe au contact de la réalité extérieure, en lien avec les exigences du ça et les interdits du sur-moi.

(4) Mécanisme par lequel un sujet reporte sur le psychanalyste les sentiments d’affection ou d’hostilité qu’il éprouvait primitivement, surtout dans l’enfance, pour ses parents ou ses proches.

CHIFFRES

ÉPIDEMIOLOGIE DES TOC

→ Environ 2 % de la population adulte.

→ 4e pathologie psychiatrique la plus fréquente (après les troubles phobiques, les troubles liés aux toxiques, alcool et drogue, et les troubles dépressifs.

→ 10e cause d’invalidité toutes pathologies confondues selon l’OMS.

→ Les Toc représentent 2,2 % du handicap mental.

Source : Le Trouble obsessionnel compulsif, docteur Alain Sauteraud,

TOC Principaux thèmes

Les obsessions

→ Obsessions de souillure, les plus fréquentes. Ce sont les craintes de la saleté, de la contamination ou de la maladie. Le mode de contamination redouté est souvent le simple contact, même si le germe en question n’est pas transmissible par ce biais. Le type de maladie est influencé par l’actualité (cancer, sida, méningite…).

→ Obsessions d’erreur et de désordre, deuxième type le plus fréquent : crainte d’avoir oublié de fermer le gaz ou la porte ; un doute permanent ; peur d’oublier ou d’avoir mal compris ; de jeter un objet par erreur…

→ Obsessions agressives : crainte d’agresser, de violer ou bien de tuer un être cher ; la personne a peur de passer à l’acte sans que l’on puisse l’en empêcher ; crainte d’un acte violent ou blasphématoire… Les obsessions sexuelles font partie de ce thème.

→ Obsessions de malheur et de superstition : superstitions liées aux chiffres, aux formes ou aux couleurs. Dans les obsessions religieuses, il y a une crainte de provoquer le sort ou la colère de Dieu.

Les compulsions

→ Lavage des mains, du corps, des objets rentrant dans la maison ou de la maison elle-même…

→ Vérifications des portes, des fenêtres, du gaz, des comptes du ménage… Également les rituels d’ordre et d’équilibre qui poussent à classer, aligner, ranger, etc.

→ Conjurations, aussi appelées rituels magiques. Les ruminations : dire des petites phrases, faire des prières, compter mentalement… Les répétitions de gestes : se lever et s’asseoir de façon répétitive, toucher plusieurs fois un objet, etc.

BIBLIOGRAPHIE

Je ne peux pas m’arrêter de laver, vérifier, compter. Mieux vivre avec un Toc, Dr Alain Sauteraud, ancien chef de clinique des universités, spécialiste du trouble obsessionnel-compulsif, éditions Odile Jacob, 334 pages, Paris, janvier 2000, 2e édition, 2002. Rédigé sous la forme d’un guide pratique, l’ouvrage répond aux questions qui se posent sur les TOC, sur la façon de l’appréhender et de le traiter, en donnant des outils pour réagir face à un trouble trop envahissant. – Le Trouble obsessionnel-compulsif. Le manuel du thérapeute, Dr Alain Sauteraud, ancien chef de clinique des universités, spécialiste du trouble obsessionnel-compulsif, éditions Odile Jacob, janvier 2005. L’approche thérapeutique détaillée des TOC intéressera tous ceux qui veulent en savoir plus sur le sujet. – La névrose obsessionnelle, sous la direction de Bernard Brusset et Catherine Couvreur, éditions Presses universitaires de France (Puf), Collection Monographies de la Revue française de psychanalyse, 3e édition, février 2002. Écrits par des psychanalystes, ce livre explicite les conceptions psychanalytiques de la névrose obsessionnelle et la place que laissent à la psychanalyse les traitements chimiothérapiques et comportementaux. – L’Association française des personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs (Aftoc) apporte un soutien aux malades et familles : mise en relation de membres, informations pratiques (adresses de thérapeutes, associations…), permanences téléphoniques. Internet : www.aftoc.org. – L’Association française de thérapie comportementale et cognitive vise à promouvoir la pratique, l’enseignement et la recherche en matière de thérapie comportementale et cognitive. Trouver un thérapeute proche de chez vous dans la rubrique “contacts”. Internet : www.aftcc.org.