L’impact variable des pôles - Objectif Soins & Management n° 203 du 01/02/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 203 du 01/02/2012

 

Ressources humaines

Mathieu Hautemulle  

GOUVERNANCE → L’impact de la mise en place des pôles et de la nouvelle gouvernance diffère selon les établissements, les pôles, les professions. Tour d’horizon de quelques effets – positifs et négatifs – des nouveaux dispositifs organisationnels sur les divers types de métiers de cadre de santé.

Sauf dérogation de l’Agence régionale de santé (ARS), les établissements publics de santé s’organisent en pôles. Défini par l’ordonnance du 2 mai 2005 puis consacré par la loi Hôpital, patient, santé et territoires (HPST) à l’article L.6146-1 du Code de la santé publique (CSP), ce regroupement des services participe de la “nouvelle gouvernance”, également marquée par la création du directoire et du conseil de surveillance. Du ministère à l’ARS et du directeur d’hôpital au chef de pôle, la ligne hiérarchique s’affirme.

Les cadres portent et transmettent ces réformes, qui ont eu bien plus d’impact pour eux que sur l’exercice infirmier. « On leur demande beaucoup plus dans la gestion de projet et de matériel, dans la rentabilité. Pour le moment, ils ont la tête dans le guidon », observe Marie-Claire Chauvancy, cadre paramédicale de pôle au centre hospitalier sud-francilien, favorable à la loi HPST mais déplorant sa trop rapide mise en œuvre. En septembre 2009 déjà, le rapport de Singly dépeignait des « responsabilités inhérentes aux fonctions d’encadrement, notamment celles des cadres de santé, beaucoup plus lourdes avec la mise en place de la nouvelle gouvernance et l’organisation de l’hôpital en pôles »(1).

Plus d’efforts, de travail, de responsabilités… et de reconnaissance ? Pas sûr. Exemple : en cas de restructuration, « les cadres vont sur le terrain “se coltiner” les mécontents. Et on va les remercier par +0,25 sur la feuille de notes ? C’est dérisoire », dit Philippe Blua, directeur des hôpitaux de Calais et de Saint-Omer et président du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), favorable à des primes individuelles. Les cadres peuvent aussi se sentir “démunis” face aux défis des réformes, en particulier « la motivation et l’entraînement des équipes pour une mise en œuvre effective et respectueuse du personnel », avance le ministre(2).

Les effets de la nouvelle gouvernance varient selon les établissements, voire les pôles (fixés par le directeur après concertation). « L’impact concerne aussi l’organisation du travail, chacun à son niveau, le cadre de santé de pôle pour [le] pôle et le cadre de proximité pour l’unité », indique une étude prospective de 2007(3). Il diffère aussi selon le poste, y compris d’un cadre à l’autre. Et cette hétérogénéité pourrait se renforcer. « Les attributions propres aux cadres supérieurs de santé [CSS], en particulier avec la montée en puissance des pôles, disposent déjà d’une identité marquée, à très forte dimension managériale, la différence de degré avec le niveau des unités de soins devenant même, surtout pour des pôles de grande taille, une différence de nature », suggérait le rapport Yahiel-Mounier fin 2010(4).

LES CADRES PARAMÉDICAUX DE PÔLE S’AFFIRMENT

L’ordonnance du 2 mai 2005 adjoignait au “responsable” de pôle un médecin, deux cadres : l’un soignant, l’autre administratif. La loi HPST, elle, laisse au “chef” de pôle la possibilité de “collaborateurs”. Dans les faits, le trio de pôle est largement resté, éventuellement complété d’un directeur délégué. Plus souvent affirmé concrètement que son pendant administratif, le cadre de santé de pôle est toujours, semble-t-il, un CSS, « en général choisi par le chef de pôle, mais en tout cas jamais imposé par les directions des soins aux chefs de pôles contre leur avis », constate l’Igas en 2010(5).

L’harmonie entre médecin et cadre soignant est cruciale pour le pôle. L’autorité hiérarchique sur ce cadre relève du directeur de l’hôpital (qui peut la déléguer au directeur des soins) et l’autorité fonctionnelle du chef de pôle. Nos interlocuteurs n’ont pas fait état de réelles frictions entre les uns et les autres. Une cadre titulaire d’un master 2 souligne toutefois sa position « à égalité de compétence avec les directeurs des soins, qui s’accrochent à leurs prérogatives ». Le facteur humain compte : la pratique du cadre dépend des relations avec le chef de pôle, le directeur des soins…

Ce sont les cadres paramédicaux de pôle qui ont le plus à gagner au développement polaire. Surtout si la délégation est sensible, ils peuvent espérer une plus grande autonomie en ressources humaines (RH), en choix de formation ou encore en achat de matériel, permettant d’éventuelles économies ou une meilleure réponse aux besoins du personnel. En RH notamment, « il y a vraiment valeur à déléguer » : c’est sur le terrain que des ajustements sont possibles et qu’« on peut faire décoller de beaux projets », d’après la directrice générale de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Mireille Faugère(6). Pour l’heure, les délégations, disparates, ont globalement peu avancé(7). Certains cadres de pôle gèrent le suivi des effectifs, des demandes de remplacement… « Nous centralisons toujours le recrutement, en fonction des besoins de l’institution, confie, de son côté, Jean-Marc Grenier, coordinateur général des soins au CHU de Grenoble et président de l’Association française de directeurs des soins. Mais c’est bien que les pôles puissent donner leur avis sur un candidat. » Les cadres paramédicaux peuvent aussi jouer un rôle dans la mobilité ponctuelle des infirmières au sein du pôle : pour ne pas être perçue comme subie, celle-ci doit être organisée à l’avance, « en concertation dans le cadre du projet de pôle, avec l’encadrement paramédical et la direction des soins pour évaluer les compétences requises et les limites de la mobilité », explique Roselyne Vasseur, directrice des soins et des activités paramédicales à l’AP-HP(8). Bref, dans l’organisation, pour le personnel, ce sont ces cadres qui « font exister le pôle au quotidien », estime Jean-Marc Grenier. « Le leadership de la plupart des CSS dans les pôles est désormais manifeste : ils assurent avec solidité leurs fonctions de management et de gestion (…). Ce sont [eux], pour le moment, qui managent les pôles et en assurent la gestion, selon l’implication plus ou moins grande du chef de pôle », renchérit l’Igas. Le CNG recommande d’ailleurs de s’appuyer sur les chefs et cadres de pôle pour manager(9).

Missions et tâches des cadres paramédicaux ne se métamorphosent pas radicalement, mais leur positionnement implique une surface élargie, un rôle plus “politique”, des relations plus horizontales aux autres professionnels. Mylène Coulaud, CSS dans deux pôles du CHU de Toulouse, se félicite d’une meilleure écoute de sa direction, un nombre accru de relations avec celle-ci et les chefs de pôle. « Ce qui est radicalement nouveau, lit-on dans l’étude prospective, est d’être en responsabilité directe. Les cadres de santé de pôle devront avoir le charisme et l’autorité pour prendre des décisions et être capables d’influencer tant les cadres de santé de proximité et les soignants, que les autres acteurs de la décision (trio managérial et services centraux). » « Des négociations, qui auparavant se faisaient soit entre professionnels au sein des équipes ou entre médecins eux-mêmes, soit avec les directions fonctionnelles et notamment la DRH pour les syndicats », échoient désormais au cadre de pôle, ajoute la mission de Singly.

À la croisée du médical et de l’administratif, ce cadre s’implique par ailleurs particulièrement dans la “responsabilisation” concomittante aux pôles, cet impératif pour les médecins et soignants de scruter régulièrement l’impact financier de leur activité. Les outils de gestion se sont multipliés. Le cadre risque d’être accaparé par la gestion, et de s’éloigner des soins et du patient, en pratique comme dans les esprits. Dans la bouche de cadres soignants coordonnant les pôles, Jean-Marc Grenier entend souvent « un discours médico-économique et non plus médico-soignant, alors qu’il faut un discours médico-économique ET soignant ».

LES AUTRES CSS DANS LE FLOU

Un pôle compte en moyenne, selon l’Igas, environ 300 personnes, dont 1,41 CSS. A priori le cadre paramédical de pôle. Que deviennent, alors, les CSS qui ne sont pas nommés à ce poste ? « Dans certains établissements, note l’Igas, [ils] sont parfois bien plus nombreux que les pôles, ce qui, à terme, devrait conduire à leur réduction. » Dans son pôle de pédiatrie, Mylène Coulaud est devenue l’unique CSS. La deuxième est partie à la retraite, la troisième vers un poste à la direction de la formation.

Comme l’explique Roselyne Vasseur, il peut être proposé aux CSS de mener des missions transversales dans les pôles, relatives par exemple à la gestion des ressources humaines ou à la recherche paramédicale. « En effectif, les postes transversaux seront très minoritaires au sein des directions de soins en comparaison des postes de CSS de pôle, aussi les cadres supérieurs de santé sont pour l’essentiel appelés à être des cadres de santé de pôle », indique l’étude prospective. Le caractère flou de certaines missions a par ailleurs suscité une émotion. De même que la dépendance de certains CSS au cadre paramédical de pôle « dans les pôles de taille importante où, à côté des cadres paramédicaux de pôles, ont été maintenus des CSS », rapporte la mission de Singly.

LES CADRES D’UNITÉ OUBLIÉS

Les plus impactés négativement par la nouvelle gouvernance sont les cadres de proximité, à l’échelle de l’unité. « Ils sont les plus exposés à toutes les contradictions du système, à toutes les attentes, analyse Philippe Blua. Ils sont à l’interface de la direction pour améliorer la gestion, de la médecine et de ses logiques propres, des soignants dont la charge de travail augmente et des familles toujours plus exigeantes. » « Le cadre de santé est le pompier du service qui doit éteindre le feu », soupire une professionnelle(10).

Trop occupés à des tâches périphériques, comme la logistique ou le téléphone, confrontés au manque de moyens et d’effectifs, ils constatent aussi, d’après l’EHESPlus(11), « un glissement vers le haut de leur fonction du fait d’un transfert officieux d’une partie des tâches des CSS appelés à des missions plus transversales au sein des pôles ». « Ils voudraient participer à la vie du pôle, pas juste à sa mise en œuvre, complète Jean-Marc Grenier. Comme les praticiens hospitaliers, ils sentent la pression du pôle sur leurs épaules. » Certes, le pôle, organe de gestion, ne s’oppose pas au service, qui demeure la référence pour le personnel et les patients. Mais certains cadres de proximité considèrent le pôle comme un maillon inutile, pouvant de surcroît compliquer leur progression de carrière, selon l’Igas.

Oublié, isolé, le cadre de proximité ? Et pourtant : il reste indispensable pour la gestion quotidienne du service, l’organisation et l’évaluation des soins aux malades, la prévention des risques associés aux soins, l’encadrement des équipes etc. Selon l’étude prospective, ses compétences « ne vont pas fondamentalement changer. L’accent doit toutefois être donné » dans des domaines comme le management d’équipe ou la gestion des conflits.

LA FONCTION DE DIRECTEUR DES SOINS EN MUTATION

La fonction de directeur des soins évolue, mais conserve « une place majeure », souligne Cédric Arcos, de la Fédération hospitalière de France(12). D’abord, « il est le conseiller du chef d’établissement sur les projets de soins, les questions stratégiques, l’évolution des pratiques… » « Avec la gouvernance, confirme Jean-Marc Grenier, on l’a repositionné davantage sur la stratégie, la politique, que sur l’opérationnalité. Pour autant, il a toujours à gérer l’opérationnalité de façon transversale. » Parmi ses missions : homogénéiser les pratiques, aider et conseiller les pôles, veiller à certains équilibres entre eux. « Nous assurons l’animation de l’équipe de cadres, le suivi des projets. Chaque mois, je réunis les cadres de santé sur les projets transversaux », ajoute le coordinateur général des soins du CHU de Grenoble.

« La direction des soins doit animer et coordonner la filière paramédicale, au-delà de la gestion quotidienne. Les cadres en sont demandeurs », corrobore Roselyne Vasseur. À noter, par ailleurs, que le directeur des soins siège au directoire, qui conseille le directeur aux pouvoirs accrus.

D’autres directions, notamment celle des ressources humaines (RH), semblent suivre cette même double tendance : offrir un appui à l’encadrement des pôles et leur laisser plus d’autonomie. « L’organisation de l’hôpital en pôles, la contractualisation interne et la délégation de gestion font de la fonction RH une fonction de plus en plus partagée, voire éclatée », note l’Adrhess(13). Elle aussi, la DRH peut craindre la perte de pouvoirs, et refuser des délégations à des pôles (surtout si tout leur encadrement n’a pas encore été formé à la gestion) « dès qu’il y a beaucoup de 0… » en jeu, sourit un acteur. Mais les réticences à la délégation peuvent aussi venir du pôle lui-même…

UNE NÉCESSAIRE CLARIFICATION

À la direction, le cadre général (et certaines prérogatives non délégables), aux pôles, les marges de manœuvre : telle est la philosophie générale. La nouvelle gouvernance est censée rapprocher la prise de décision du terrain dans un esprit managérial inspiré du privé : piloter des projets et des équipes, fixer des objectifs (voir les contrats de pôle, article R.6146-8 du CSP) et en contrôler l’accomplissement, prendre en compte l’économique. « Les nouvelles méthodes managériales, à base de projets, de contrats et d’indicateurs de performance, ont multiplié, pour les cadres en particulier, les sources d’insécurités, de conflits et le stress », écrit Frédéric Pierru, sociologue au CNRS(14). Relations et lieux de pouvoir se modifient. Dans ce contexte, les missions des acteurs doivent être clarifiées, précisées. « En réalité, les hôpitaux ne sont pas sur-managés, mais sous-managés : il peut arriver que des personnels manquent d’une personne référente pour relayer leurs préoccupations », observe Jean-René Ledoyen, de l’École des hautes études en santé publique. Beaucoup appellent également, entre autres, à amplifier les délégations, à développer l’intéressement (entravé en partie par les tensions budgétaires), à mieux adapter les formations ou à les rendre communes aux encadrants médicaux, soignants et gestionnaires.

NOTES

(1) bit.ly/xHdLPm.

(2) Lettre à la mission Fellinger-Boiron en 2011 : bit.ly/zA4FIK.

(3) Dans le cadre des travaux de l’Observatoire national des emplois et des métiers de la fonction publique hospitalière : bit.ly/w54WZa.

(4) bit.ly/yM06oV

(5) bit.ly/wYczit.

(6) Dépêche APM du 16/11/2011.

(7) Cf., entre autres, ces statistiques de 2011 de la Direction générale de l’offre de soins : bit.ly/zJNOST.

(8) Par ailleurs membre de notre comité de rédaction.

(9) Rapport du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG): bit.ly/yQhnh3.

(10) Citée dans cette récente étude du SMPS : bit.ly/zEyr7d.

(11) Cf. cette étude de l’EHESPlus (désormais EHESP Conseil) en 2008 : bit.ly/zIDTC4.

(12) Organisatrice des Rencontres du management de pôles, dont la 4e édition s’est tenue en novembre dernier : bit.ly/wtvqQ1.

(13) Cf. le site de l’Association pour le développement des ressources humaines des établissements sanitaires et sociaux (Adrhess) : bit.ly/zXUO1i.

(14) « Le travail, angle mort de la réforme », Pratiques. Les cahiers de la médecine utopique, n° 47 (10/2009).