Développement d’une politique de recherche en soins - Objectif Soins & Management n° 203 du 01/02/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 203 du 01/02/2012

 

Cahier du management

Marc Catanas  

Ces dernières années, avec la mise en place des PHRI et la réforme des études infirmières, les éléments du contexte sont favorables au développement de la recherche en soins. Or, pour ce faire, de nombreux freins socio-culturels sont à prendre en compte. Aussi, développer une politique de recherche en soins dans les établissements de santé est devenu un enjeu pour les directeurs de soins.

La recherche en soins se développe dans le champ sanitaire et social, et plus particulièrement dans le domaine hospitalier(1). Celle-ci permet la constitution d’un corpus de connaissances valides d’un point de vue scientifique à partir d’une méthode clairement identifiée et reconnue au service d’une pratique(2). Elle se situe dans un champ de pratiques en sciences sanitaires et sociales et n’a pas encore réellement d’objet propre.

Développer une politique de RES en établissement de soins (EDS) présente un triple intérêt : développement de la qualité, sécurité des soins et prise en charge des patients, évolution professionnelle et impacts en matière de santé publique. Seulement, même si plusieurs initiatives en matière de RES sont mises en place en France, plusieurs freins sont identifiés : une organisation des formations professionnelles des soignants qui ne permettent pas de capitaliser des savoirs solides en matière de recherche ; une culture scientifique insuffisamment développée dans les milieux soignants ; une absence de structure, d’équipe de recherche et de stratégie nationale et locale.

Malgré cela, les éléments de contexte sont favorables au développement de la recherche en soins, tant en formation initiale et continue qu’en exercice professionnel. C’est sur ce point que nous allons nous pencher puisque le directeur des soins a, dans ses missions, l’obligation de développer une politique de recherche en soins. Il est essentiel que celui-ci identifie les besoins nouveaux qui émergent afin de les inscrire comme une priorité dans la déclinaison et la mise en œuvre de la politique de soins. Il existe désormais une réelle volonté de mettre en place une politique de recherche en soins. Pourquoi maintenant ? Et pourquoi si tard ? Les directions de soins ont-elles rencontré des difficultés ou des freins ? Et, finalement, pourquoi le directeur des soins éprouve-t-il des difficultés dans la mise en œuvre d’une politique de recherche en soins ?

UN LENT DÉVELOPPEMENT DE LA RECHERCHE EN SOINS

De la formation initiale

C’est dans la formation infirmière dès 1972 que l’on a parlé pour la première fois de RES. Les programmes de formation préparant au diplôme d’État d’infirmiers de 1979 et 1992 proposaient un enseignement de méthodologie de la recherche sur 40 heures axé sur la rédaction du travail de fin d’études.

Actuellement, le programme de formation de 2009 préparant au diplôme d’État d’infirmier(3) propose un enseignement de 100 heures d’initiation à la démarche de recherche (compétence 8 “Rechercher et traiter des données professionnelles et scientifiques”). Cet enseignement dépasse le cadre du mémoire professionnel de fin d’études et doit permettre à l’étudiant de savoir lire une recherche, en ­comprendre les résultats et intégrer les données de la recherche dans sa pratique quotidienne. Cette compétence a été élaborée comme une compétence commune à d’autres professions paramédicales. Aussi, lorsque les travaux de réforme des différents programmes paramédicaux seront terminés, elle sera la même pour tous les enseignements des paramédicaux. C’est le cas par exemple des ergothérapeutes(4) qui viennent de réformer leur programme de formation avec la mise en place d’un enseignement “Initiation à la démarche de recherche” identique à celui des infirmiers.

Des formations doctorales

Une étude récente initiée par l’Arsi(5) a permis de réaliser un état des lieux des infirmiers ayant entrepris des études doctorales et a montré qu’il existe désormais un petit nombre (54) d’infirmiers titulaires (ou en cours d’obtention) de doctorats. Ce faible résultat qui représente 0,1 % des infirmiers s’explique par la longueur du parcours (entre cinq à huit ans, compte tenu du niveau initial universitaire) de formation pour la soutenance d’une thèse, mais aussi par le statut de doctorant qui est très difficilement compatible avec une activité professionnelle annexe. Pour les autres professions paramédicales, nous n’avons trouvé aucune étude similaire à ce jour.

Des universités pionnières en matière de recherche en soins

Deux départements ont formé des infirmiers à un niveau supérieur, mais cela s’est soldé par un échec.

→ À Lyon(6) de 1965 à 1995, le Département infirmier supérieur proposait une maîtrise de sciences et techniques sanitaires et sociales à des cadres infirmiers et devait développer par la suite une école doctorale en soins infirmiers. Cette formation a cessé de fonctionner « faute de candidats et faute de n’avoir pu ou su se régénérer pour survivre et, surtout, qu’elle n’a pu obtenir dans les dernières années de son existence, tous les moyens nécessaires à son maintien »(7)

→ Bobigny(8)(Paris XIII) a ouvert dans un premier temps en 1990 un Deug soins(9) ainsi qu’une formation de 2e cycle licence et maîtrise en sciences sanitaires et sociales option sciences infirmières. Le Deug soins s’est arrêté en 1994 et l’option sciences infirmières de la maîtrise a évolué au fil des années en option cadres experts en soins pour devenir en 2006 qualité en soins. Une école doctorale aurait dû voir le jour, mais l’habilitation à la créer ne s’est jamais produite. In fine, selon R. Magnon et J.-F. D’Ivernois(6,7,8), ces deux expériences n’ont pas abouti pour plusieurs raisons :

→ les leaders infirmiers de l’époque avaient peu soutenu ces expériences,

→ au ministère de la Santé, il s’était produit une confusion entre “expertise” et “expérience”, avec pour effet que les diplômes universitaires ne pouvaient en aucun cas conditionner l’accès à des fonctions infirmières supérieures. D’où une baisse importante de la fréquentation des maîtrises des infirmières,

→ une certaine méfiance des universités vis-à-vis des sciences infirmières : les directeurs de recherche renvoyaient le doctorant vers des disciplines plus académiques que la science infirmière,

→ une certaine méfiance des infirmiers vis-à-vis des formations spécifiques infirmières hors Ifsi : la France est l’un des derniers pays européens à former les infirmières en dehors des universités,

→ des maîtrises intéressant le champ des soins réalisées de façon isolée par les universités et qui ne se sont pas poursuivies par des programmes de DEA et doctorats,

→ un discours d’autonomie prôné par les professionnels qui ne se traduit pas toujours dans les faits.

Peu d’associations professionnelles spécialisées dans la RES

C’est principalement l’Arsi, créée en 1985, qui a contribué à la vulgarisation de la RES. Auparavant, dans les années soixante, l’Anfiide avait intégré la recherche dans ses travaux et le Cefiec avait créé un secteur de “recherche et prospective” dès les années 1980(10).

Mais, depuis, l’Arsi est véritablement devenue la seule association professionnelle en France reconnue comme référence en matière de recherche en soins infirmiers. Elle a d’ailleurs récemment acquis le titre de société savante(11).

La recherche en soins progressivement reconnue

Dans les CHU, certains Centres d’investigation cliniques (CIC) acceptaient des projets de recherche en soins infirmiers. Or, en 2009, le ministère de la Santé a créé les programmes hospitaliers de recherche infirmière (PHRI) au travers d’une circulaire(12). Ce programme doit se dérouler sur trois ans et vient en complément des programmes de recherche existants (PHRC, PREQHOS…) mais sans se substituer à eux. En effet, il concerne spécifiquement les pratiques professionnelles infirmières et leur organisation.

À ce titre, le ministère a reçu 85 projets de recherche infirmière et en a sélectionné 15(13). Fier de ce succès, celui-ci a renouvelé l’expérience en 2010(14) et a étendu ces projets de recherche aux autres professions paramédicales (PHRIP).

LA PROBLÉMATIQUE DE L’OBJET DE RES

En ce qui concerne la RES, en fonction des filières, son objet n’est pas toujours clairement identifié.

Les métiers du soin infirmier

Dans les pays anglo-saxons, l’objet de recherche en soins infirmiers se centre sur le care alors qu’en France, cette notion est investie par les chercheurs en sciences humaines(15). Les chercheurs en soins infirmiers s’orientent plus vers la pratique même des soins. D’ailleurs, il a été créé en 2009 le premier département de sciences infirmières et paramédicales(16) qui a développé quatre axes de recherche : les modèles d’apprentissage, les pratiques et leur niveau de preuve, les soins à la personne âgée et l’environnement de travail de l’infirmière.

Les métiers médico-techniques

Dans la littérature, il n’existe pas à l’heure actuelle de travaux montrant un objet de recherche spécifiquement médico-technique. Ceci ne signifie pas que ces professionnels ne peuvent pas initier des recherches, bien au contraire. Seulement, ces recherches seront soit médicales, soit en lien avec les sciences humaines, soit relèveront d’une pratique.

Les métiers de rééducation

Les kinésithérapeutes ont identifié un objet de recherche qui leur est propre : la kinésiopathologie(17). Selon J. Vaillant(18), par ses compétences sur le mouvement pathologique (ou perturbé), le kinésithérapeute se trouve à la croisée de différents axes de recherche(18) : comprendre le mouvement pathologique, techniques d’évaluation et thérapeutiques, étude de la relation “kinésithérapique”.

Les psychomotriciens ont leur objet de recherche propre “clinique en psychomotricité” et de nombreuses facultés de médecine organisent des DU sur ce thème. Il en est de même pour les ergothérapeutes : l’ergothérapie est à elle seule objet de recherche.

La recherche en soins est scientifique

La RES est une recherche scientifique puisqu’elle amène à produire des connaissances scientifiques et l’on distingue classiquement deux grands types de recherches(19) : la recherche fondamentale et la recherche appliquée.

La recherche fondamentale

Elle se déroule en laboratoire afin de produire de nouvelles connaissances et des innovations majeures, comme par exemple la théorie du chaos. Pour la recherche en soins, on parle plutôt de recherche appliquée.

La recherche appliquée

Elle regroupe les travaux de recherche scientifique dont l’objectif est de résoudre un problème pratique, ce qui entraînera une production de nouvelles connaissances. La RES est une recherche appliquée et se décompose en recherche quantitative (biostatistiques et mathématiques) et en recherche qualitative (sciences sociales). Avec la recherche scientifique, les evidence based ou résultats probants deviennent la méthode qui aide les praticiens dans leurs choix thérapeutiques. Dans les pays anglo-saxons, on parle désormais de evidence based nursing(20).

La recherche en soins est basée sur la personne humaine

En Europe, la recherche sur la personne humaine est strictement réglementée principalement par la Déclaration d’Helsinki(21) et la Directive européenne du 4 avril 2001(22). Le point important de cette réglementation porte sur le « consentement libre et éclairé » qui doit être obtenu de toute personne qui se porte volontaire pour toute étude. Ces études seront de trois ordres : volontaires sains, volontaires malades ou randomisation(23).

Les difficultés auxquelles sont confrontés les chercheurs lors de la recherche de volontaires sont surtout liées au fait de la part des personnes de se sentir “cobaye”(24).

De plus, si l’on considère l’article L.1121-3 du Code de la Santé publique(25) qui prévoit que les recherches biomédicales doivent être réalisées sous la direction et sous la surveillance d’un médecin justifiant d’une expérience appropriée alors cette disposition peut s’appliquer dans certains cas aux projets de RES.

LA DIRECTION DES SOINS ET SON ENGAGEMENT DANS LA RECHERCHE

Avec le décret du 19 avril 2002 portant statut particulier du corps de Directeur des soins (DS) de la fonction publique hospitalière, la mise en place d’une politique de recherche en soins est officialisée. En effet, dans son article 6, il est stipulé que le directeur des soins « favorise le développement de la recherche, détermine une politique d’évaluation des pratiques de soins et participe à la gestion des risques ». Aussi, de prescripteurs de travail, les directeurs de soins sont devenus des stratèges, créateurs de liens, garants d’une certaine transversalité. Mener une politique de RES relève alors de leur responsabilité. C’est mettre en place des actions qui visent le progrès, en rapprochant les professionnels entre eux et en leur permettant de donner du sens à leur pratique. C’est aussi le moyen de mettre en place une dynamique de qualité de service rendu. Nous allons voir qu’impulser une politique de recherche peut répondre à ces objectifs. D’ailleurs, certains établissements se sont engagés très tôt dans la mise en place d’une politique de recherche en soins sous l’impulsion de la direction des soins.

ENQUÊTE SUR LE TERRAIN D’ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ

Cette enquête a été réalisée à partir d’une grille qui prenait en compte les critères suivants :

→ les freins culturels, distinguant les freins culturels médicaux (la prégnance d’une culture médicale) des freins culturels soignants (l’enseignement insuffisant en formation initiale),

→ les freins organisationnels,

→ les freins en matière d’appropriation par les équipes.

Figure 1. Cette enquête a été distribuée dans plusieurs établissements et auprès de professionnels constituant un échantillon aléatoire réparti en deux catégories : les professionnels provenant d’établissements ayant développé une politique de RES et ceux n’ayant pas développé de politique de RES.

PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE

La recherche pour les professionnels

Figures 2 et 3. Les cadres mettent en avant l’amélioration des pratiques professionnelles et la qualité des soins comme priorité de la RES alors que ce n’est pas forcément le cas pour les soignants et DS.

Figure 4. Les soignants montrent une forte préoccupation pratique. Certains vont jusqu’à trouver la RES comme n’étant pas de leur ressort, réservée exclusivement aux médecins voire élitiste. Chez ceux qui considèrent la RES comme légitime, elle ne peut se faire qu’en laboratoire et ne relève que d’essais cliniques et thérapeutiques, ce qui sous-tend une confusion entre recherche médicale et RES. Étant au contact des patients et au plus près de l’activité, leurs réponses sont le reflet d’un manque de distanciation, élément essentiel pour appréhender la RES.

Cependant, une part non négligeable de soignants voit la recherche comme une évolution des pratiques et des compétences et une amélioration de la qualité des soins et de la prise en charge.

Enfin, les réponses des DS montrent qu’ils ont bien saisi les enjeux des professionnels qu’ils souhaitent fédérer autour des projets de RES.

Freins culturels médicaux

L’influence de la médecine sur la RES est considérée par les professionnels comme quasi-exclusive. Or l’objet de la RES peut également être proche des sciences humaines et sociales.

Figure 5 (cf. page suivante). Au travers des Evidence Based, il s’agissait d’évaluer le degré de comportement scientifique adopté par les professionnels de santé et l’influence de la médecine sur les pratiques de soins. Les soignants ne connaissent pas cette méthode, les médecins sont totalement au clair et les cadres la connaissent pour moitié. Ce qui est paradoxal, c’est que les soignants sont totalement convaincus que la RES est influencée par la médecine mais ignorent une pratique de recherche de la littérature médicale alors que cette même pratique est systématisée dans l’apprentissage médical.

Freins culturels soignants

Figure 6 (cf. page suivante). Tous les professionnels estiment que l’enseignement de la RES n’est pas adapté, et ceci, malgré la réforme récente de la formation au diplôme d’État d’infirmier.

Ce qui apparaît en toile de fond dans ces réponses, c’est l’insuffisance de formation des formateurs d’If avec obligation de master. Les cadres de santé ont un espoir autour de la nouvelle formation préparant au diplôme d’État d’infirmier et les futures réformes des autres diplômes paramédicaux.

Freins organisationnels

Figure 7 (cf. page suivante). Les DS sont convaincus de la nécessité d’inscrire la RES dans le projet de soins ou d’école mais adoptent deux types de comportements : les “attentifs” qui inscriront une politique de RES dans les projets de soins ou d’école lorsqu’ils estimeront que les soignants seront prêts, et les “moteurs” qui ont inscrit sans discuter la RES dans le projet de soins ou d’école et qui estiment que les soignants doivent suivre.

Lorsque les PRS ont été mis en place dans les établissements, les bénéfices sont indéniables, même si certains DS estiment qu’ils manquent encore de recul pour pouvoir en évaluer les bénéfices.

Plus on s’éloigne de l’exercice des soins, plus on considère que les PRS sont compatibles avec la pratique quotidienne des soins puisque la majorité des soignants considèrent que développer des PRS n’est pas possible au quotidien, alors que c’est l’inverse pour les DS, CSS et médecins.

Figures 8 et 9 (cf. page suivante). Les résultats des études sur les conditions de la mise en place de projets de RES selon les soignants, cadres et médecins et les conditions de la mise en place de projets de RES selon les directeurs des soins montrent que, pour pouvoir mettre en place des PRS dans la pratique quotidienne des soins, c’est un grand et long travail collectif qui doit s’amorcer, impulsé par la DS et relayé par l’encadrement.

Figures 10 et 11 (cf. page suivante). Les cadres et médecins sont moins critiques que les soignants et ont un discours apparaissant plus positif.

Figure 12 (cf. page 41). Les DS suivent ce mouvement et expliquent que les professionnels de santé qui élaborent un PRS se heurtent aux aspects méthodologiques pour lesquels ils ne sont pas rompus (lecture d’articles en langue anglaise, utilisation des données probantes, biostatistiques…) ainsi qu’à la pauvreté de la littérature scientifique en soins (le plus gros des publications étant réalisées en langue anglaise).

Figure 13 (cf. page 41). Les formations continues peuvent constituer des aides ponctuelles, mais en aucun cas permettre un changement de culture chez les soignants qui ne peut s’acquérir que dans la durée. Or ce sont les formations longues universitaires type DU ou master qui offrent cette possibilité de prise de recul et d’imprégnation lente d’une nouvelle culture.

Les professionnels sont conscients qu’il faut créer dans les If des ateliers de recherche scientifique documentaire (PubMed, Medline, Cochrane Library, Evidence Based…) et de lecture de documents scientifiques francophones et de langue anglaise avec l’aide des médecins chercheurs universitaires.

Figure 14 (cf. page 41). Au travers des réponses des cadres émerge l’idée de décloisonnement puisque, d’une part, les cadres demandent aux soignants de s’intéresser à ce que font les médecins et, d’autre part, les cadres demandent aux formateurs de sortir des If et d’apporter leur expertise dans l’aide méthodologique aux PRS.

Figure 15 (cf. page 41). Les DS jugent indispensable d’inscrire la RES dans les projets de soins ou d’école, car c’est le moyen essentiel de valorisation institutionnelle ?: congrès, journées professionnelles, colloques assortis d’une publication sur les revues professionnelles, communication régulière des PHRI et PHRP obtenus ainsi que l’état d’avancement des travaux aux différentes instances de l’hôpital (CSSIRMT, CME…).

Il s’agit aussi de développer une collaboration étroite entre If et EDS afin de dégager des préoccupations communes et mutualiser les compétences.

CONTRIBUTION DU DIRECTEUR DES SOINS À LA MISE EN PLACE D’UNE PRS

Une déclinaison dans le projet de soins

La mise en place d’une politique de RES nécessite une politique et une stratégie déclinées au plus haut niveau de l’établissement.

Le DS, parce que positionné au sein même de l’équipe de direction, a la responsabilité de promouvoir un haut niveau de qualité et de sécurité des soins. Pour ce faire, la mise en place de projets de recherche vient en complément des démarches d’amélioration continues de la qualité.

Afin d’être en adéquation avec les objectifs du projet d’établissement, mettre en place une politique de soins passe par l’élaboration et la mise en œuvre du projet de soins avec une articulation possible avec le projet médical. Parce que les projets de soins se déclinent généralement sur cinq ans, ce temps est suffisamment long pour exploiter des recherches puisque les PHRIP doivent se décliner sur trois ans. Cela laisse le temps aux équipes de préparer et d’évaluer les bénéfices d’une telle entreprise. Cela permet aussi aux DS d’évaluer les atteintes des objectifs en matière de RES.

Mettre en place une PRS passe par un changement de culture

Il s’agit d’opérer un profond changement de culture pour que les soignants s’approprient la recherche et acquièrent un raisonnement scientifique parce que, face à un problème de soins, ce sont souvent l’intuition et le bon sens qui prévalent.

Or soigner l’humain ne peut plus se satisfaire de raisonnements de type « on a toujours fait comme ça ! », mais plutôt d’un véritable raisonnement scientifique.

Un engagement à devenir une institution scientifique

Depuis leur création en 1958(26), les CHU assurent des missions d’enseignement et de recherche en s’appuyant sur leurs équipes Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) ou du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Département de la recherche clinique et de l’innovation (DRCI), du Centre d’investigation clinique (CIC) et/ou du Centre de recherche clinique (CRC), ainsi que sur leurs partenariats avec les instituts de recherche. Les DS exerçant en CHU peuvent travailler avec les CIC en s’associant avec les équipes médicales de recherche pour s’aider de leur expertise. En revanche, parce que les CHG (centre hospitalier gériatrique) et les CHS (Centre hospitalier spécialisé) n’ont pas tous à leurs portées des structures de recherche, il serait alors envisageable pour les DS exerçant dans ce type d’établissements de créer des partenariats avec des directions de soins de CHU afin de mutualiser les compétences en matière de RES. En ce qui concerne les infirmiers, dans le cadre de l’universitarisation, les DS auront la possibilité de développer des PRS spécialisés dans les questions d’apprentissage et de pédagogie avec l’aide de chercheurs universitaires, voire s’associer avec les directions de soins des établissements. Cela peut se développer par la participation des cadres formateurs aux différents travaux de la DS de l’EDS par exemple.

Des leaders qualifiés pour guider le développement d’une politique de recherche en soins

Il est possible de constituer une équipe recherche soit autour d’un DS, soit autour d’un CSS délégué à cette tâche qui aurait suivi un cursus universitaire long, l’ayant conduit à un niveau doctoral ou master Recherche.

La mise en place des masters en sciences cliniques infirmières devrait être le moyen de former à un haut niveau des soignants ou cadres, devenant de ce fait des relais au niveau des équipes.

Les cadres constituent le relais et le moyen de développer localement des projets de RES. L’enquête a montré que, sans leur implication, aucun projet ne peut aboutir. Fédérer les cadres autour des questions de RES devient alors un nouvel enjeu pour les directions de soins.

Des ressources nécessaires pour financer la recherche

L’instruction DGOS du 9 juillet 2010 relative au PHRIP pour 2011(27) précise que, pour chacun des projets retenus, les crédits seront délégués à l’établissement de santé coordonnateur au titre d’un exercice tarifaire (enveloppe Migac, Missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation), renouvelables pour la seule durée du projet. Ces crédits n’ont pas de caractère pérenne et donnent lieu à un suivi spécifique sur le plan national.

L’acquisition d’un raisonnement scientifique

Acquérir un raisonnement scientifique ne peut s’initier qu’en formation initiale, ce que devrait permettre le programme conduisant aux études d’infirmier de 2009. Outre les 100 heures d’enseignements sur la méthodologie de la recherche, ce programme propose une unité d’enseignement de 200 heures : “Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles” pour faire travailler les étudiants sur des situations professionnelles et les aider à démontrer ce qui pose problème, en faire une analyse critique grâce à une recherche documentaire. C’est ici que les Evidence Based prennent leur sens. Les infirmiers pourront mettre en place des ateliers de recherche documentaire incluant les données probantes et la pratique de recherche documentaire de productions scientifiques : PubMed, Medline, Cochrane, J. Stor…

La connaissance de la langue anglaise

C’est un élément indispensable pour entreprendre une recherche, puisque la plupart des travaux sont publiés en anglais et l’enquête a montré que les soignants qui travaillent actuellement sur les projets de RES se heurtent à cet obstacle. Savoir lire un texte scientifique en anglais est indispensable pour poursuivre la recherche. L’insertion d’enseignement d’anglais a fait l’objet du récent programme des études conduisant au diplôme d’État d’infirmier et cela fera surement l’objet d’une même réforme pour les autres formations paramédicales.

La compréhension des biostatistiques

Actuellement, aucun véritable enseignement de biostatistique n’est prodigué en formation paramédicale initiale. Or, lorsque l’on fait de la recherche, on est rapidement confronté à l’outil statistique. Il sera important d’intégrer l’apprentissage de la biostatistique en formation initiale, mais surtout de le développer en second cycle. Pour les soignants engagés dans les recherches type PHRI, il serait judicieux de leur apporter une initiation soit avec l’aide des médecins du CIC, soit à l’aide d’une formation continue.

Longueur de la formation doctorale et activité professionnelle

Entreprendre des études doctorales est une nécessité pour qui s’intéresse à la recherche de façon académique. Les directions de soins ont intérêt d’avoir dans les équipes des soignants en formation doctorale ou titulaires de doctorats car, pour pérenniser une politique de recherche, les PHRIP ne sont qu’une étape qu’il faudra dépasser. Seulement, l’inscription de soignants dans un cursus universitaire pose deux problèmes : concilier thèse et activité professionnelle, et aider ces jeunes docteurs en soins à trouver leur place dans l’institution.

Être professionnel et mener une thèse

Être professionnel et mener une thèse est compliqué puisqu’il existe plusieurs statuts de doctorants(28).

→ Les doctorants titulaires d’un CDD pour un doctorat en trois ans, avec une dérogation sur six ans pour les professionnels. Le contrat le plus répandu est le contrat d’allocataire de recherche. Des postes d’ATER (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) sont également disponibles pour préparer ou terminer une thèse de doctorat. C’est le cas de quelques chercheurs soignants qui déposent une demande de mutation de la fonction publique.

→ Les doctorants recevant des libéralités : statut non compatible avec un professionnel.

→ Les doctorants fonctionnaires en position d’activité qui effectuent leur thèse dans un laboratoire de recherche rattaché à un établissement public.

→ Les autres (65 % des cas) qui ont généralement une activité extérieure salariée pour subvenir à leurs besoins quotidiens et liés à la thèse (photocopies, informatique…). C’est le cas de la plupart des soignants qui ont entrepris une thèse. À savoir que le taux de non-financement est comparable au taux d’abandon(29).

Finalement, soit le thésard conduira sa thèse en six ans (parcours long qui présente le risque de fuite du thésard) et choisira une discipline plus compatible avec un travail professionnel – comme les sciences humaines qui, même si elles ont un objet de recherche proche de celui des soins, ne constituent pas en soi la discipline des soins – soit il négociera le financement total de sa formation (prise en charge possible dans certains CHU mais rares).

Le devenir des docteurs en sciences des soins

Là aussi, les directions de soins devront réfléchir sur leur place dans les établissements. Aujourd’hui, les doctorants soignants occupent des fonctions de formateur en If, peu ont trouvé une place dans les équipes hospitalières. Peut-être pourront-ils devenir initiateurs de projets de recherche en soins dans les établissements ? Un lien évident est à établir entre compétences de ces chercheurs et PHRIP. Il est aussi possible d’examiner avec les équipes des CIC leur statut afin de peut-être les intégrer en tant que praticien chercheur en soins.

Les produits de la recherche, qu’en fait-on ? Qui les lit ?

Les données issues de la recherche seront-elles lues et réinvesties sur le terrain ? Les directions de soins ont un travail de réflexion à mener car, pour que les publications scientifiques soient consultées, il faut que celles-ci présentent un intérêt pour celui qui cherche l’information. Par exemple, les infirmiers ont dans leurs bibliothèques de nombreux mémoires et travaux d’étudiants.

Rares sont les professionnels de santé qui s’y intéressent à part quelques curieux. D’où l’intérêt d’inculquer une culture scientifique dès la formation initiale afin que les soignants aient le réflexe d’aller consulter les publications scientifiques, mais aussi de participer à des congrès et des colloques.

CONCLUSION

Développer une politique de recherche en soins est un véritable chantier pour les DS. C’est un travail de longue haleine puisque les premiers bénéfices ne seront visibles que dans bien des années. Cela se fera par le développement d’une véritable culture scientifique, initiée dès la formation initiale, et l’accompagnement des équipes sur le terrain autour de recherches appliquées. L’implication de l’encadrement et des équipes médicales est indispensable pour les équipes de soins souhaitant s’engager dans des projets de recherche.

L’encadrement supérieur et de proximité est ici stratégique, parce qu’il est le lien entre direction de soins et soignants, mais aussi parce qu’il est responsable de la qualité des soins prodigués aux patients. Accompagnés par la direction des soins, les cadres pourront s’affirmer comme vecteurs de changements en amenant les équipes à développer des actions de RES.

Le développement d’une politique de RES passe aussi par la formation de haut niveau de soignants qui souhaitent s’impliquer dans des travaux de recherche. Il s’agira pour les directions de soins de développer un accompagnement afin de permettre à ces soignants de reprendre le chemin des établissements de soins une fois leur thèse en poche. Ceci nécessitera la redéfinition de métiers, voire la création de nouveaux statuts.

Les questions autour de la mise en place d’une politique de RES sont nombreuses et complexes, liées aux objectifs de qualité et d’amélioration de pratiques et aux modalités de prise en charge. La nécessité de faire évoluer les pratiques de soins nous amène en tant que directeur des soins à devoir identifier les forces et faiblesses des soignants vis-à-vis de cette démarche. Mais, plus que tout, il s’agira de travailler le fossé qui risque d’exister entre les soignants qui pratiquent les activités et ceux qui les conçoivent.

La question reste celle d’un possible, celle d’une réelle fécondation mutuelle. Comme F. Acker(30), nous nous posons la question de la production de savoirs de soins. Pourquoi finalement produire ces savoirs ? Celle-ci explique que c’est pour que les professions du soin fassent entendre leur voix qui n’est pas prise en compte dans les reconfigurations en cours des politiques de santé alors qu’ils sont garants de toutes les activités de soins. Nous pensons que cette écoute doit leur être accordée par les directions de soins.

NOTES

(1) Jovic L., “Les enjeux de la recherche en soins infirmiers”, revue Soins pédiatrie puériculture, n° 244, octobre 2008, p. 41.

(2) Eymard C. Initiation à la recherche en soins et santé, éditions Lamarre, 2003, p. 9.

(3) Ministère de la Santé, arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier, JORF n° 0181 du 7 août 2009 p. 13203 texte n° 18, http://legifrance.gouv.fr/ affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020961044&categorieLien=id.

(4) Ministère de la Santé, arrêté du 5 juillet 2010 relatif au diplôme d’État d’ergothérapeute www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=?cidTexte=JORFTEXT000022447668&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id.

(5) Jovic L., Isambart G., “Des infirmières docteurs en sciences ou doctorantes : état des lieux dans le contexte français”, revue Recherche en soins infirmiers, n° 100, mars 2010, p. 145 à 147.

(6) Magnon R. Les infirmières : identité, spécificité et soins infirmiers, Masson éditeur, 2006, p. 58 à 60.

(7) Magnon R., opus cite p. 60.

(8) D’Ivernois J.-F. “Enseignements à tirer d’une expérience française : les sciences infirmières à l’UFR de Bobigny”, revue Recherche en soins infirmiers, n° 93, juin 2008, p. 111 à 113.

(9) Ce Deug était superposé aux enseignements des deux premières années pour l’obtention du diplôme d’État d’infirmier.

(10) Magnon R. Les infirmières : identité, spécificité et soins infirmiers, Masson éditeur, 2006, p. 133.

(11) Guillot M., Rosello J. “Une société savante : de quoi parlons-nous ? L’Arsi : une société savante ?”, revue Recherche en soins infirmiers, n° 92, mars 2008.

(12) Circulaire n°DHOS/MOPRC/RH1/2009/299 du 28 septembre 2009 relative au programme hospitalier de recherche infirmière pour 2010, www.sante-sports.gouv.fr/IMG/pdf/circulaire_299_280909-2.pdf.

(13) Portail du ministère de la santé, résultats PHRI 2010 : www.sante-sports.gouv.fr/IMG/pdf/resultats_PHRI_2010.pdf.

(14) Instruction n° DGOS/PF4/2010/258 du 9 juillet 2010 relative au programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) pour 2011, www.sante-sports.gouv.fr/IMG/pdf/instruction_258_090710.pdf

(15) Molinier P., “Le Care : ambivalences et indécences”, revue Sciences humaines, n° 177, décembre 2006.

(16) Département des sciences infirmières et paramédicales. Portail Internet Ehesp, www.ehesp.fr/info/recherche/departements/departement-des-sciences-infirmieres-et-paramedicales/contexte.

(17) Bergea J., Cotret Y., “Théories et modèles”, revue Kinéscope n° 11, octobre 2008, p. 5-8.

(18) Vaillant J., “Kinésithérapie & recherche. Au cœur de la recherche”, revue Kinéscope n° 16, octobre 2009, p. 24-25

(19) Manuel de Frascati, Méthode type proposée pour les enquêtes sur la recherche et le développement expérimental, Éditions de l’OCDE, 2002, www.uis.unesco.org/Library/Documents/OECDFrascatiManual02_fr.pdf.

(20) Doyon O. “L’application des pratiques fondées sur les résultats probants : une démarche de changement au quotidien, un signe de maturité professionnelle” in Sliwka C. et Delmas P. (coll.) Profession infirmière : quelle place et quelles pratiques pour l’avenir ? Éditions Lamarre, 2009, p. 151 à 189.

(21) Association médicale mondiale, Déclaration d’Helsinki, Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains, 1968, 2008, www.wma.net/fr/30publications/ 10policies/ b3/17c_fr.pdf.

(22) Directive 2001/20/CE du Parlement européen et du conseil du 4 avril 2001 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d’essais cliniques de médicaments à usage humain : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2001:121:0034:0044:fr:PDF.

(23) Random en anglais signifie “au hasard”

(24) Le Floch J.-P., Perlemuter L. Essais thérapeutiques et études cliniques, collection Abrégés de médecine, éditions Masson, 1995, p. 1 et 2.

(25) Code de la Santé publique, Titre II, Les recherches biomédicales, article L.1121-3, www.medileg.fr/Code-Sante-Publique-Article-L-1121,369?debut_articles_meme_rubrique24=60.

(26) Ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre 1958 relative à la création de centres hospitaliers et universitaires, à la réforme de l’enseignement médical et au développement de la recherche médicale dite ordonnance Debré : http://legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?cidTexte=JORFTEXT000000886688&idArticle=LEGIARTI000006697898.

(27) Instruction n° DGOS/PF4/2010/258 du 9 juillet 2010 relative au programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) pour 2011, www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/instruction_258_090710.pdf.

(28) Les doctorants en France, article portail Internet Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/ Doctorat_(France)#Les_doctorants_en_France.

(29) Moguerou P., Murdock J., Paul J.-J., “Les déterminants de l’abandon en thèse : étude à partir de l’enquête Génération 98 du Céreq”, 10es Journées d’études Céreq – Lasmas-IdL, “Les données longitudinales dans l’analyse du marché du travail”, Caen, 21, 22 et 23 mai 2003 in Wikipedia Les doctorants en France.

(30) Acker F. “Formation universitaire et recherche infirmière : un chantier pour la profession, la santé, la société ?”, revue Recherche en soins infirmiers n° 93, 2008, p. 122 à 124.

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