Stratégie d’évaluation continue de la qualité des soins infirmiers - Objectif Soins & Management n° 202 du 01/01/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 202 du 01/01/2012

 

Ressources humaines

Sylvie Camadro*   Françoise Aubert**   Corinne Sliwka***   Jean Delran****   Anne-Marie Veillerobe*****  

PÉDAGOGIE → Dans cet article sont présentés la stratégie institutionnelle et les moyens mis en œuvre pour réaliser l’évaluation globale de la qualité des soins au groupement hospitalo-universitaire Pitié-Salpêtrière/Charles Foix.

À l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, la direction des soins a impulsé, dès 2005, une politique d’évaluation des pratiques professionnelles. Mais cette direction ne disposait pas d’un outil global de la qualité de soins infirmiers, mesurant la satisfaction des patients concomitante aux soins et les moyens matériels et organisationnels mis au service des prestations.

CHOIX DE L’OUTIL

L’Instrument global d’évaluation de la qualité des soins infirmiers (IGEQSI) a été développé au Québec par le professeur Raymond Grenier. Cet instrument permet de réaliser des audits centrés sur la qualité du service rendu aux patients spécifiquement par les infirmiers. Il est structuré autour de six dimensions de soins qui mesurent la qualité des soins sous l’angle de la structure (organisation et fonctionnement de l’unité de soins), des processus (observation des pratiques infirmières), des résultats (recueil de la satisfaction exprimée par les patients). 31 normes de qualité déclinées en 403 critères d’évaluation se rapportent à ces dimensions.

Cet instrument permet une approche d’évaluation vraiment globale de la qualité des soins infirmiers. Les résultats obtenus permettent de renseigner les critères du manuel de certification et de les relier aux évaluations de pratiques professionnelles et aux pratiques exigibles prioritaires de la Haute Autorité de santé (HAS).

STRATÉGIE DE DÉPLOIEMENT

Étape 1 : la constitution du comité de pilotage

La direction du groupement hospitalo-universitaire (GHU) a fait le choix de déployer l’outil en deux phases. La première a concerné l’hôpital Pitié-Salpêtrière, la seconde concernera l’hôpital Charles-Foix. La stratégie de déploiement présentée est celle de la première phase.

Le comité de pilotage était constitué de professionnels issus de la direction des soins : deux directeurs des soins, trois cadres de santé transversaux experts en hygiène et en soins, une coordinatrice du projet, un administrateur du qualiticiel. Il comprenait également des professionnels issus des services cliniques : un cadre paramédical de pôle et quatre cadres de santé (ou supérieurs). La société Medi Conseil et Formation a accompagné le comité de pilotage chargé de la conduite du projet de déploiement de cet instrument.

La planification du projet

Compte tenu de la taille de l’établissement, le choix a été fait de réaliser les audits en deux phases : les secteurs d’hospitalisation traditionnelle et de semaine en 2010 et 2011, et les services ambulatoires en 2012.

La validation des référentiels de l’IGEQSI

L’instrument propose différents référentiels. Sept d’entre eux ont été utilisés : médecine/chirurgie, soins intensifs, néonatologie, obstétrique maman, obstétrique bébé, urgences, salle de surveillance post-interventionnelle, psychiatrie. Chaque référentiel comporte plusieurs listes de critères. Pour chacun d’eux, une note explicative destinée à l’auditeur indique la manière de les renseigner. Ces notes explicatives ont été précisées et adaptées par les membres du comité de pilotage afin de répondre aux réalités et aux exigences institutionnelles dans les pratiques de soins dans l’établissement.

La définition des standards de qualité

Des standards correspondant au niveau de qualité exigé ont été proposés par le comité de pilotage pour chaque dimension et pour chaque norme de l’instrument. Ils ont été validés, in fine, par la coordinatrice générale des soins.

Étape 2 : la préparation des audits

La détermination du nombre de jours d’audit par service

Le nombre de jours d’audits dépend du nombre de lits dans les services. Le nombre de jours d’audits a été déterminé comme suit :

→ 3 jours d’audits en dessous de 15 lits,

→ 5 jours d’audits de 15 à plus de 40 lits,

→ 10 jours d’audits au-dessus de 40 lits.

Au cours de chaque journée d’audit, quatre listes pour mesurer la qualité des soins auprès des patients et une liste permettant d’évaluer le fonctionnement de l’unité de soins ont été renseignées par les auditeurs.

La détermination du profil des patients

Pour les services de médecine et de chirurgie, les listes concernant les patients sont spécifiques de leur profil en termes d’autonomie, semi-autonomie et dépendance. L’étape préalable à la réalisation des audits a consisté à établir le profil de tous les patients présents un jour donné dans les services cliniques. Ceci s’est fait à l’aide d’une grille spécifique, dénommée Rusch médicus. Ainsi, des ratios de patients autonomes/semi-autonomes et dépendants ont pu être déterminés.

Dans tous les autres services cliniques (obstétrique maman, obstétrique bébé, néonatologie, urgences, salle de surveillance interventionnelle et psychiatrie), il existe un référentiel spécifique dont les critères s’appliquent à tous les patients.

Étape 3 : la réalisation des audits

La formation des auditeurs

L’objectif de cette formation est l’appropriation de l’outil. D’une durée de quatre jours en discontinu, cette formation a comporté des exercices théoriques avec le renseignement de critères d’évaluation dans le dossier de soins d’un patient hospitalisé rendu anonyme et des exercices pratiques sous forme de jeux de rôle visant à faciliter l’interview des soignants et des patients. Un entraînement à l’utilisation de l’outil dans un service clinique a été réalisé.

Le plan de charge des auditeurs

Les audits ont été réalisés tous les jours sauf samedi, dimanche et jours fériés, ou période de congés scolaires, sur la tranche horaire de 8 à 16 heures.

Chaque auditeur a réalisé trois ou quatre journées d’audits avec un intervalle de temps d’une à deux semaines entre chaque. Il s’est rendu à chaque fois dans un service clinique différent et n’appartenant pas au pôle dans lequel il était affecté en tant que soignant ou cadre de santé. Le planning des auditeurs a été porté à leur connaissance et celle de leur encadrement trois mois à l’avance, pour anticiper au maximum l’organisation dans les services.

LEVIERS

Le choix des auditeurs

Les auditeurs ont été recrutés sur la base du volontariat. Ils étaient infirmiers, infirmiers faisant fonction de cadre de santé, cadres de santé et cadres supérieurs de santé. Cette diversité de fonctions des auditeurs était souhaitée pour généraliser l’appropriation de la démarche d’audit de soignants, quel que soit leur niveau d’intervention auprès des patients.

Les référents IGEQSI

Des référents avaient pour missions d’informer leurs équipes sur la planification des audits, d’accueillir et orienter les auditeurs les jours dits, de mettre à leur disposition les documents utiles. Le planning des audits ayant été communiqué trois mois à l’avance, les référents ont pu mener à bien ces différentes missions.

BILAN D’ÉTAPE

Les leviers

La formation des auditeurs

Au total, 70 auditeurs ont été formés. Tous se sont fortement impliqués dans la réalisation des audits.

La réalisation des audits

356 jours d’audit au total au cours des années 2010 et 2011 :

→ plus de 1 000 patients interviewés avec des observations directes de leur environnement et des recherches d’informations dans les dossiers de soins ;

→ 356 observations des unités de soins avec des questions aux soignants et aux cadres de santé et des observations de pratiques professionnelles.

Les rapports d’audits

Les résultats sont présentés sous la forme de rapports présentant le niveau de qualité, les forces en matière de qualité et les opportunités d’amélioration.

Les plans d’actions à l’issue des résultats

Deux types de plans d’action ont été formalisés :

→ au niveau de la direction des soins : détermination d’actions prioritaires au regard des indicateurs du projet de soins institutionnel ;

→ au niveau des pôles : détermination de plans d’action au regard des indicateurs définis dans les projets de soins des pôles.

Le retour des auditeurs

Le retour d’expérience fait par les auditeurs démontre l’impact positif de la démarche, tant sur les pratiques organisationnelles et de management que sur les pratiques de soins.

→ L’utilisation d’un outil global et commun pour l’évaluation de la qualité a contribué au décloisonnement des équipes de cadres. Les échanges entre eux à l’issue des audits ont permis la prise de conscience des problématiques communes et du besoin de partage des solutions efficaces. Les observations et le questionnement au cours des audits dans les unités ont également permis aux auditeurs, par effet de miroir, de réfléchir très concrètement sur la qualité des soins dans leur propre service.

→ La légitimité des cadres de santé se trouve renforcée dans le management de la qualité et l’organisation des soins. L’IGEQSI est un outil de pilotage de la qualité des soins en lien avec les exigences des manuels de la HAS. L’appropriation des critères de l’IGEQSI leur a permis d’identifier des points de contrôle nécessaires, et d’envisager, pour certaines activités à risques, l’établissement d’une fiche de contrôle ou check-list, notamment dans le cadre de la prévention des risques.

→ L’instauration d’une dynamique d’équipe a été renforcée par le rendu systématique des résultats dans les services et par l’implication largement encouragée des soignants dans l’analyse des points à améliorer.

→ Le développement des compétences des cadres de santé en matière d’audit est une plus-value dans leur pratique de management au quotidien. Outre l’appropriation des référentiels de l’IGEQSI, la gestion des temps de préparation et de réalisation des audits ainsi que la posture de l’auditeur (rigueur, neutralité et objectivité) et son adaptation (souplesse) par rapport aux situations de travail dans les services, sont des composantes essentielles de la qualité de l’évaluation.

L’audit de la qualité des soins est aussi au service de la gestion des compétences des soignants en ce qu’il permet de faire émerger des besoins de formation.

Les limites

Le retour d’expérience, par les auditeurs, met aussi en évidence quelques limites de l’instrument : l’architecture de l’instrument par dimensions de soins-normes de qualité-critères d’évaluation est complexe et nécessite un long temps d’appropriation. Les vocables et les tournures de phrase, très canadiens, ainsi que les critères d’évaluation ne correspondant pas, pour certains, aux pratiques usuelles de l’établissement, ont parfois surpris les auditeurs. La présentation des rapports d’audits suit l’architecture de l’instrument. Pour éviter de renouveler des évaluations exigées par la certification, il a été nécessaire de réfléchir à une stratégie de présentation des résultats plus conforme à celle du manuel de la HAS.

MÉTHODE D’EXPLOITATION DES RÉSULTATS

Les résultats des audits dans les pôles sont édités à la fin de chaque phase d’évaluation. Les résultats globaux, à l’échelle de l’hôpital, seront également présentés à la fin de l’année 2011.

Il ressort d’ores et déjà que pour certaines pratiques, les critères de l’IGEQSI pourront être enrichis d’autres critères d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Certains critères pourront aussi être regroupés, pour constituer l’évaluation des pratiques exigibles prioritaires (PEP) demandées par la HAS. L’enjeu de l’exploitation des résultats pour chaque pôle est de rendre pérenne la démarche d’amélioration continue de la qualité. Pour ce faire, l’encadrement supérieur d’un des pôles cliniques a fait le choix d’adopter une méthode d’exploitation des résultats par thématique de soins.

En effet, l’outil IGEQSI présente des résultats sur des strates d’évaluation différentes : dimension-norme-critère, ce qui tend à en complexifier la lecture. L’objectif est de faciliter une appropriation homogène des rapports d’audits et d’impulser une dynamique participative pour leur exploitation dans tous les services du pôle.

→ Appropriation homogène, car tant sur la forme que sur le fond, les rapports d’audits sont présentés de la même manière dans tous les services du pôle.

→ Dynamique participative, car il convient d’impliquer aussi bien les infirmiers que les cadres pour aboutir in fine à des plans d’actions d’amélioration consensuels, réalistes et pertinents.

Les critères ont été regroupés dans les thématiques suivantes :

→ dossier de soins : obligation institutionnelle,

→ qualité des soins infirmiers : critères relatifs à la charte du patient hospitalisé,

→ gestion des risques : incendie, transfusion sanguine et techniques d’isolement,

→ prise en charge de la douleur : évaluation transversale et infirmière,

→ soins d’hygiène et confort,

→ prestations externes : soins infirmiers, plateau médico-technique et transports.

Les critères dont les scores sont inférieurs aux standards définis par la direction des soins font systématiquement l’objet d’une analyse des causes. Cette analyse repose sur la description des faits et la recherche des différentes causes expliquant l’insuffisance des scores.

L’application d’une méthode de résolution de problème constitue la première étape du plan d’amélioration. L’analyse des résultats consiste également en la valorisation et la reconnaissance de la qualité des prestations des professionnels, tant au plan technique que relationnel.

Les cadres de santé auditeurs ont été sollicités en priorité pour le travail d’analyse. En effet, leur connaissance des critères de l’instrument et des sources d’information correspondantes en ont fait des personnes ressources auprès de leurs collègues pour analyser les résultats de manière pertinente et constructive.

PERSPECTIVES

L’IGEQSI s’est révélé être un outil de pilotage de la qualité des soins intéressant pour tous les cadres, quel que soit leur niveau d’encadrement : pôle, service, unité. L’utilisation des résultats servira autant le renseignement des indicateurs des objectifs du projet de soins du pôle que le renseignement des critères du manuel d’auto-évaluation en vue de la certification. Dans une présentation correspondant à nos besoins d’informations, il sera un outil d’aide à la décision pour prioriser les pratiques ou les situations de soins nécessitant de conduire des actions d’amélioration pertinents et efficaces. Les équipes soignantes et d’encadrement du pôle étaient déjà très impliquées dans la démarche d’évaluation de la qualité des soins. La formation spécifique consacrée à la démarche d’évaluation avec cet instrument et au rôle de l’auditeur, suivie de la mise en application directe et répétée dans les services extérieurs au pôle, ont été des facteurs certains de développement des compétences des soignants en matière d’audit. Ces compétences seront réinvesties dans le pôle pour pérenniser la démarche qualité des soins. La reconnaissance des compétences des professionnels expérimentés en audits se traduira par l’attribution de responsabilités particulières dans l’organisation et la réalisation d’audits, quel qu’en soit l’objet, dans le domaine des soins.

Au final, la réalisation des audits, l’exploitation et l’analyse collective des résultats ont offert une vision de la qualité des soins partagée entre l’encadrement et les soignants. En cela, l’IGEQSI a été un élément fédérateur important des équipes soignantes pour travailler, de manière continue, la qualité des services rendus aux patients.