La jurisprudence récente - Objectif Soins & Management n° 199 du 01/10/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 199 du 01/10/2011

 

Droit

Gilles Devers  

CAS PRATIQUES → Voici ici un examen de quelques récentes décisions de justice montrant la diversité des situations soumises aux tribunaux*.

AMÉNAGEMENT DU POSTE APRÈS UN CONGÉ LONGUE MALADIE

L’aménagement d’un poste, pour raison de santé, ne nécessite pas la consultation du comité médical. Le reclassement est possible, mais il ne peut être envisagé qu’à la demande de l’intéressé.

Cour administrative d’appel de Nantes, 1er août 2011, n° 10NT00483

Une infirmière exerçait ses fonctions au bloc opératoire d’un centre hospitalier régional depuis 1982. À la suite d’un accident vasculaire, survenu en 2004, elle a été placée en congé de longue maladie et a repris ses fonctions, à mi-temps thérapeutique, à compter d’août 2005 pour un an. À l’issue de cette période, elle a été reconnue apte à l’exercice des fonctions en bloc opératoire à temps plein à compter d’août 2006, sur un poste ayant un profil standard pour les infirmiers exerçant en bloc opératoire, avec comme aménagements : pas d’astreinte opérationnelle, pas d’instrumentation, pas d’encadrement à l’enseignement des étudiants, dans la mesure du possible, panseuse en salle d’intervention de courte durée, horaires 7 heures – 15 heures (dont 30 minutes de pause repas).

L’infirmière, estimant que les conditions d’exercice n’étaient pas tenables, a demandé en janvier 2007 son admission à la retraite à compter d’août 2007. Puis elle a saisi le tribunal administratif pour dire que les conditions de sa reprise de travail l’ont contrainte à prendre sa retraite de façon anticipée, et elle demande un indemnisation.

Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d’altération de leur état physique, inaptes à l’exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque cette adaptation n’est pas possible, ils peuvent être reclassés dans des emplois d’un autre corps, s’ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes, ce reclassement étant subordonné à la présentation d’une demande par l’intéressé, et l’administration doit demander l’avis du comité médical départemental. (Statut du 9 janvier 1986, art. 71)

L’infirmière a bénéficié d’un simple aménagement de son poste de travail, mais pas d’un reclassement. Aussi, l’administration n’avait pas à saisir le comité médical départemental pour avis.

Les évaluations du mi-temps thérapeutiques réalisées en octobre 2005, janvier 2006 et avril 2006, signées par l’infirmière, montrent que si celle-ci a retrouvé des réflexes d’infirmière au bloc opératoire, elle présentait toujours un manque de réactivité, une fatigabilité persistante et une difficulté à répondre aux demandes en situation d’urgence. Son état physique avait connu peu d’évolution depuis la reprise de son travail à mi-temps en août 2005. Aussi, les aménagements correspondaient à sa condition physique, compte tenu des nécessités de l’organisation du service. Enfin, le profil de poste standard défini pour le bloc opératoire de neurochirurgie comprend deux types de fonctions spécifiques : panseuse circulante et instrumentiste, sans qu’il soit établi, ni qu’une des deux fonctions comporterait des responsabilités ou des prérogatives plus importantes que l’autre, ni que les rémunérations correspondantes ne seraient pas identiques. Aussi, l’infirmière n’est pas fondée à soutenir que l’aménagement de son poste de travail, qui a conduit à lui confier dans la mesure du possible des fonctions de panseuse en salle d’intervention de courte durée alors qu’elle exerçait auparavant des fonctions d’instrumentiste, aurait emporté une réduction de ses prérogatives et de ses responsabilités. Ainsi, le centre n’a pas commis de faute.

HÉMATOME LORS DU RETRAIT D’UN DRAIN : COMPLICATION NON FAUTIVE

Sauf geste malheureux, la survenance d’un hématome lors du retrait d’un drain constitue une complication connue non fautive d’un traitement chirurgical.

Cour administrative d’appel de Marseille, 11 juillet 2011, n° 09MA01733

Dans un centre hospitalier, une patiente a subi le 11 mai 2004 une intervention chirurgicale en raison d’une hernie de la ligne blanche. Lors du retrait du drain, situé entre l’ombilic et le sein gauche, est apparu un important l’hématome, obligeant à une reprise chirurgicale le 14. La patiente estime que l’intervention a été précipitée et que les soins ont été défectueux. La patiente souffrait depuis une année de cette hernie et l’intervention en semi-urgence était indiquée et justifiée eu égard aux deux épisodes sévères d’engouement qu’elle avait présentés et au risque d’évolution d’une occlusion intestinale.

Elle conteste la technique opératoire, estimant que l’hernie de la ligne blanche dont elle souffrait nécessitait la pose d’une prothèse. Or cette allégation n’est étayée par aucun élément d’ordre médical du dossier et, de plus, la taille du collet ne prédisposait pas la patiente à cette technique qui présente, par ailleurs, des risques de réactions inflammatoires supérieures à la technique mise en œuvre. La technique utilisée était donc adaptée. La patiente soutient avoir alerté l’infirmière, dans l’après-midi du 12 mai 2004, de la présence d’une grosseur après le retrait du drain et elle reproche au médecin de garde de n’être intervenu que le lendemain, la laissant ainsi sans soins toute la nuit.

Toutefois, la feuille de transmissions indique :

→ le 12 mai 2004, aux environs de 19 heures, elle a été vue par un médecin du fait de douleurs ressenties aux jambes et lui a été administré un quart de Lexomil en raison de troubles de sommeil ;

→ lorsque la présence de l’hématome accompagné de douleurs a été signalée à l’infirmière par la patiente, dans la nuit du 12 au 13 mai aux alentours de minuit, le médecin a été appelé et qu’il a été convenu d’une visite dès le matin du 13 mai.

La patiente a été examinée le 13 mai vers 7 heures 30 par le chirurgien qui a décidé une reprise chirurgicale de l’hématome, pratiquée dans l’après-midi. Or la survenance de l’hématome constitue une complication connue non fautive du traitement chirurgical d’une hernie, et les délais de réaction ne montrent aucun retard fautif.

En toute hypothèse, la cicatrice inesthétique localisée sur la partie médiane de l’abdomen est liée à la finesse de sa peau et dépourvue de lien avec l’hématome de paroi survenu au retrait du drain.

EXAMEN SUCCINCT PAR L’INFIRMIÈRE ET L’INTERNE LORS D’UNE ADMISSION EN PSYCHIATRIE

Après un examen trop succinct au service d’entrée, un patient ressort de l’hôpital et se suicide. Le tribunal retient la responsabilité de l’établissement.

Cour administrative d’appel de Douai, 21 juin 2011, n° 10DA00832

Le 20 octobre 2006 à 22 heures 45, M. Alain A., alors âgé de 44 ans, a été admis à la demande de son père dans l’unité intersectorielle d’accueil, d’évaluation et d’orientation d’un centre hospitalier spécialisé (CHS), où il s’est entretenu avec un infirmier puis avec un interne de garde. À sa demande, et contre l’avis de ce dernier, il a quitté le CHS le même jour à 23 heures 30 et a mis fin à ses jours le lendemain, à 10 heures 50, au volant de son véhicule.

M. A a été admis au CHS à la suite d’un état de prostration avec idées suicidaires. Lors de son entretien avec l’infirmier puis avec l’interne de garde, il présentait un état calme sans idée suicidaire manifeste ni troubles du comportement, mais il est établi que M. A avait fait l’objet d’une précédente hospitalisation dans le même établissement en février 2006 à la suite d’une tentative de suicide, et qu’il y avait consulté par la suite. Par ailleurs, alors qu’il avait demandé à ne pas être hospitalisé malgré l’avis contraire de l’interne de garde, ce dernier n’a pas consulté son dossier médical ni informé le médecin senior de garde de cette situation.

Ces fautes engagent la responsabilité du CHS.

PRISE EN CHARGE EN URGENCE D’UN CAS GRAVE

Une prise en charge à domicile amène à un renforcement rapide des équipes, pour finalement constater un décès deux heures plus tard. Mais l’atteinte était très grave, et la responsabilité n’est pas retenue.

Cour administrative d’appel de Nancy, 30 juin 2011, n° 10NC01482

Anaïs a été victime, le 12 février 2005 vers 21 heures, d’un malaise au domicile de ses parents. La mère appelle le centre 15, qui diligente une équipe de trois sapeurs-pompiers, à bord d’un véhicule de secours aux asphyxiés et blessés. Les pompiers sont là quelques minutes plus tard, et un infirmier des sapeurs-pompiers est venu en renfort dans le délai de six minutes.

L’état d’Anaïs s’aggrave brutalement, et les sapeurs pompiers alertent le service d’aide médicale d’urgence, tout en apportant une assistance respiratoire. Survient un premier malaise cardiaque. En lien téléphonique avec le centre 15, ils pratiquent un massage cardiaque, installent un défibrillateur, posent une voie veineuse et procèdent à une injection d’adrénaline, parvenant à rétablir une activité circulatoire. L’équipe Samu, composée d’un médecin, d’un infirmier anesthésiste et d’un conducteur, intervient dans les neuf minutes de l’appel initial. Anaïs est intubée et le médecin réalise plusieurs électrocardiogrammes. Les tracés, tous différents, lui ont paru assez inquiétants pour faire appel au renfort diagnostic d’un médecin plus expérimenté.

La victime a fait plusieurs arrêts cardio-respiratoires, obligeant à pratiquer des chocs électriques. Elle est enfin conduite au service des urgences du centre hospitalier, mais elle décède après deux heures de réanimation.

Lors de l’appel téléphonique de la mère au centre de traitement d’alerte des sapeurs-pompiers, celle-ci n’a pu être mise en contact téléphonique qu’avec les services de secours et non immédiatement avec le service d’aide médicale d’urgence. Mais l’état de sa fille, encore consciente, ne permettait pas de prévoir la dégradation qui allait suivre et ne justifiait pas l’intervention d’une équipe du service médicalisé d’urgence. En outre, les délais d’intervention des sapeurs-pompiers ont été sensiblement plus brefs que ceux ordinairement constatés, et la victime a reçu de leur part des soins diligents et administrés avec compétence.

Elle a bénéficié, dans des délais suffisamment brefs, d’une assistance médicale et d’un transport médicalisé qui n’ont pas empêché l’évolution fatale de son état. Au demeurant, l’autopsie et les examens pratiqués n’ont pas permis de déterminer la cause du décès plus précisément qu’une insuffisance cardiaque.

TRAFIC DE SUBUTEX DANS UN ÉTABLISSEMENT

La fait qu’un patient toxicomane qui, en ville, bénéficiait de prescription de Subutex, ait pu en conserver sur lui et en remettre à une patiente en hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) constitue une faute de service.

Cour administrative d’appel de Marseille, 11 juillet 2011, n° 09MA01562

Une jeune femme, âgée de 23 ans, souffrant de troubles importants du comportement, caractérisés notamment par des conduites à risques non critiquées avec déni de troubles, a été hospitalisée sur demande de sa mère le 2 février 2005 au sein d’un CHS. Le 15 février, elle a inhalé du Subutex, réduit en poudre et échangé contre des cigarettes par un autre patient toxicomane, en hospitalisation libre, qui, lors de son entrée, avait gardé ces cachets, prescrits comme traitement de substitution par des médecins de ville.

La jeune femme est décédée dans la soirée du 15 février 2005 d’un syndrome asphyxique sur inhalation bronchique de liquide gastrique favorisé par une surdose médicamenteuse résultant d’une inhalation massive de Subutex, alors qu’elle était déjà sous antidépresseurs.

Ce patient toxicomane a été poursuivi au pénal pour homicide involontaire et condamné à deux ans de prison ferme. Les parents de la victime ont ensuite saisi le tribunal administratif en réparation du préjudice moral consécutif aux fautes commises par l’hôpital, et indépendante de celle commise par le patient.

Le CHS est organisé de manière que les personnes hospitalisées d’office et les personnes en placement libre soient hébergées dans des unités différentes. Mais, en raison de travaux dans une partie des bâtiments de l’hôpital, réduisant les places disponibles dans ceux hébergeant les personnes en placement libre, la jeune femme et le toxicomane ont été hébergés dans la même unité. Alors que leurs statuts d’hospitalisation les soumettaient à des contraintes différentes, empêchant notamment que le patient toxicomane et ses affaires soient fouillés à l’entrée dans le service hospitalier, le fait que la jeune femme ait pu se procurer une substance dangereuse dans l’enceinte de l’unité où elle était hébergée révèle une défaillance dans la surveillance constante qu’il devait lui garantir, dans le cadre d’une hospitalisation sur demande d’un tiers.

Le centre hospitalier, pour sa défense, soutient qu’aucun élément ne permettait de craindre que des substances dangereuses puissent passer de l’un à l’autre dans l’enceinte du service, et ainsi qu’aucun défaut dans la vigilance ne peut lui être reproché. Or le fonctionnement du service ayant permis au toxicomane de proposer la substance fatale ne correspondait pas aux principes d’organisation sur lesquels l’habilitation préfectorale à soigner les personnes hospitalisées sous contrainte lui avait été délivrée. Par ailleurs, l’infirmière ayant procédé aux formalités d’entrée du patient ce dernier,lui avait demandé de vider ses poches, et le patient lui avait remis une plaquette de Subutex. Pour la Cour, il était envisageable qu’il en détienne encore dans ses autres affaires, et l’absence de toute autre démarche est une faute qui engage la responsabilité du centre hospitalier.

La Cour impute les conséquences de ce décès pour les deux tiers au patient toxicomane et pour le tiers restant au centre hospitalier.

NOTES

* Le numéro de la requête permet d’accéder au texte complet de la décision sur le site legifrance.fr.