L’annonce d’un dommage lié aux soins - Objectif Soins & Management n° 197 du 01/06/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 197 du 01/06/2011

 

Point sur

Orianne Hurstel  

Si les hôpitaux français recensent 300 à 400 000 événements indésirables graves (EIG) par an, on estime qu’une autre partie fait l’objet d’un silence gêné et coupable. La HAS publie, à l’issue d’un travail d’envergure, un guide pour accompagner soignants et établissements dans une démarche de communication empathique et efficace. Revue de synthèse.

Un événement indésirable associé aux soins en établissement de santé est défini comme « tout incident préjudiciable à un patient hospitalisé survenu lors de la réalisation d’un acte de prévention, d’une investigation ou d’un traitement »(2). Il est considéré comme grave lorsqu’il conduit au décès, à la mise en jeu du pronostic vital ou à la perte permanente d’une fonction par le patient, ou encore s’il nécessite une hospitalisation en réanimation ou en réintervention non programmée au décours d’un acte thérapeutique.

COMMUNICATION ET CONFIANCE

Dans ce cadre, l’annonce d’un dommage associé aux soins est un devoir moral, éthique autant qu’une obligation légale(3). Pourtant, au-delà de ces considérations réglementaires, cette annonce est avant tout une affaire de relations humaines difficile, souvent synonyme de souffrance physique et psychologique d’un patient déjà rendu plus vulnérable par la maladie, et d’une culpabilité sourde des soignants face à un manquement à leur devoir de protection du malade (qu’ils soient ou non en faute). C’est à ce “mur du silence” qu’il convient de s’attaquer lorsqu’on envisage de rendre l’annonce plus sereine et donc plus efficace. Les bénéfices sont à la hauteur de la pénibilité de la tâche : il s’agit ni plus ni moins de maintenir ou de restaurer la confiance entre le soignant et le soigné, d’assurer la continuité des soins et d’améliorer les pratiques professionnelles. Le “déni face au dommage”, le manque de communication encore fréquemment dénoncé par les associations d’usagers et de patients, ne font qu’augmenter la détresse et alimenter la colère du patient, qui se sent mis à l’écart, voire méprisé par le corps soignant. Pour autant, il ne s’agit pas ici de protocoliser l’annonce faite au patient et à son entourage mais bien de sensibiliser les soignants à la nécessité d’être préparé à cette éventualité et de savoir réagir au mieux pour apaiser la relation, prendre les bonnes décisions et transformer un événement indésirable en un bénéfice tant individuel que collectif, malgré un contexte émotionnel lourd.

SOUFFRANCE EN FACE-À-FACE

Faire en sorte d’institutionnaliser un modus operandi pour une annonce de dommage lié aux soins plus précise, plus respectueuse du patient et plus efficace dans la gestion des risques passe inévitablement par une prise de conscience de la souffrance du professionnel de santé dans cette situation. Que le dommage soit lié à une erreur, à un aléa thérapeutique ou à une faute(4), l’homme ou la femme derrière le professionnel se sent immédiatement coupable, jugé(e) et jaugé(e) par ses pairs, au point d’être parfois qualifié(e) de “seconde victime”. Considérer l’impact sur le patient est indissociable de l’impact sur son soignant référent : si ce dernier n’est pas accompagné dans sa situation de souffrance, sa pratique et son comportement envers ses patients en général peuvent en être altérés. Au-delà, la crainte d’une procédure judiciaire engagée par la victime du dommage ou par son entourage est un frein non négligeable à une déclaration en bonne et due forme de l’incident. À des freins individuels s’ajoutent donc ces freins institutionnels où le silence est régi par la peur d’une atteinte à l’image de marque, voire par la pression du coût des dédommagements supposés.

POLITIQUE DE GESTION DES RISQUES

Dès lors, on comprend mieux l’intérêt d’intégrer l’annonce dans une politique globale de gestion du risque impliquant tous les acteurs du parcours de soin, sans jugement, dans le soutien. Une réflexion politique et managériale qui prend naissance bien avant la survenue d’un incident, précisément pour mieux l’anticiper.

Pour éviter la déstabilisation de l’individu et de son établissement face à un dommage, la première étape, la plus évidente, reste la formation, initiale comme continue. L’annonce relève d’une forme de communication de crise qu’un professionnel de santé ne peut improviser : elle passe par l’écoute active et l’empathie, et exige de maîtriser tant son langage verbal que corporel dans un moment relationnel tendu. La relation soignant-patient est un face-à-face qui renvoie chacun à sa propre humanité, ses forces, ses faiblesses : envisager cet entretien comme une compétence à part entière n’est pas anodin.

PROCESSUS D’ANNONCE

Un professionnel formé saura toujours se placer du point de vue du patient, sans jamais négliger les conséquences toutes personnelles que ce dommage peut avoir sur lui. Ainsi, un événement indésirable considéré comme mineur par le soignant peut, du fait du vécu et du parcours de soins du patient, avoir des répercussions bien plus importantes. Assurer la continuité des soins du patient est essentiel dans sa prise en charge, qui se doit d’être pluridisciplinaire. Un plan de soins sera ainsi élaboré et soumis à son approbation, de même que les personnes présentes lors de l’entretien et l’analyse qui en découlera. La formalisation du rendez-vous d’annonce ne doit en aucun cas aller contre la volonté du patient, qui doit se sentir respecté et considéré. Il peut ainsi se faire accompagner lors de l’entretien. L’établissement, de son côté, ne sera pas représenté par plus de trois personnes, pour éviter le déséquilibre des forces.

Dès lors, on entre dans la phase de mise en place proprement dite. Étant données sa gravité et ses conséquences (effectives et possibles), cet entretien doit être impérativement bien préparé parl’équipe soignante, sur le fond comme sur la forme. Sur le fond, il faut s’accorder sur la façon d’aborder le patient, son entourage, leur expliquer en tenant compte de leur vécu et de leur singularité ce qui s’est passé (si on le sait) ou le stade d’avancement des investigations sur les raisons d’un tel incident. Des choix déterminants s’imposent :

→ le bon endroit : calme, à l’écart de tout passage, de préférence sans poste téléphonique, propice à un échange de qualité ;

→ les bonnes personnes : le professionnel en charge du patient au moment du dommage (s’il est en état psychologique d’assister à cet entretien), le médecin responsable et souvent une tierce personne, membre de la direction, représentant ou médiateur ;

→ les bons mots : utiliser un vocabulaire simple et clair, loin de tout jargon médical, pour un dialogue équitable.

Au-delà, l’annonce sera articulée de la façon suivante :

→ présentation des personnes présentes et de leur rôle ;

→ reconnaissance du dommage subi, avec empathie et sincérité : la personne présente doit saisir l’attention et l’intérêt qui lui sont portés à ce moment-là ;

→ description des faits et des mesures prises pour éviter leur réitération ;

→ expression de regrets et présentation d’excuses, non pas dans un état d’esprit fautif, mais dans un dialogue respectueux et responsable, « je vous présente mes excuses pour ce qui s’est passé »;

→ propositions faites au patient : pour son traitement d’abord (continuité des soins) mais aussi un soutien psychologique suite au dommage subi ;

→ finalisation de l’entretien par l’identification d’un référent qui assurera le suivi du dossier et déterminera, si besoin, des rendez-vous ultérieurs.

À l’issue de cette annonce, les professionnels de santé en charge devront s’attacher à retracer cet évènement indésirable / indésirable grave dans le dossier médical du patient. De la même façon, un large débriefing permettra de prévoir la prise en charge du patient, l’amélioration des pratiques et surtout d’offrir une cellule de soutien aux professionnels en cause.

Deux cas particuliers impliquent une réaction adaptée :

→ l’annonce immédiate : dans un contexte d’urgence, les professionnels de santé doivent respecter le même processus, mais de façon condensée et en prenant d’autant plus garde aux termes employés. Cela suppose que leur formation en amont soit bien cadrée par des simulations de ce genre de situation ;

→ l’annonce d’un dommage causé par un tiers : il s’agit d’informer le patient en toute transparence et sans accabler le professionnel responsable mais absent. Toutes les décisions se prendront en accord entre le patient et le nouveau professionnel de santé afin de prendre les décisions de soin qui s’imposent.

AU-DELÀ DU DOMMAGE

La fréquence des dommages répertoriés ces dernières années amène à s’interroger sur l’amélioration des pratiques professionnelles et, si certains sont inévitables, un traitement plus humain et réfléchi de l’annonce du dommage. Être confronté à ce type d’événement est traumatisant pour le patient, pour son entourage et pour les professionnels mis en cause. Il convient donc, d’une part, d’établir des processus de gestion internes en amont, mais également d’analyser toute nouvelle démarche mise en place a posteriori. A-t-on bien informé ? Aurait-on pu faire mieux ? Quel impact sur le patient ? Quel impact pour le(s) professionnel(s), l’équipe, le service, l’établissement ? Aujourd’hui, le recueil des EIG en établissement de santé comme en ville se heurte à un véritable mur d’embarras et de silence, là où prendre le problème à bras-le-corps permettrait précisément d’en réduire le nombre et l’occurrence. Plusieurs indicateurs précieux restent à mettre en place : suivi du nombre de plaintes et de réclamations, suivi du nombre d’EI déclarés, suivi du nombre d’EI analysés, etc.

L’évaluation de l’impact de la démarche permettrait ainsi à chaque professionnel de se positionner dans une boucle d’amélioration continue de ses pratiques et d’entretenir une relation constructive avec les patients ayant subi un dommage.

NOTES

(1) Annonce d’un dommage associé aux soins, guide destiné aux professionnels de santé exerçant en établissement de santé ou en ville, mars 2011, HAS, collection “Amélioration des pratique et sécurité des patients”, disponible sur www.has-sante.fr.

(2) Décret 2010-1408 du 12 novembre 2010.

(3) Article L. 1111-2 du Code de la Santé publique et article 35 du Code de Déontologie médicale.

(4) Se référer aux définitions précises de ces occurrences dans le guide de la HAS susmentionné, p. 51.

DIX CONDUITES À ÉVITER

1. Nier ses propres émotions ou les renvoyer au patient en guise de “défense”.

2. Rester isolé alors qu’un soutien extérieur est nécessaire.

3. Refuser que le patient soit accompagné lors de l’entretien d’annonce du dommage.

4. Manifester de l’agressivité.

5. Utiliser le jargon médical.

6. Spéculer sur les faits.

7. Blâmer une personne.

8. Nier ou dissimuler le dommage du patient.

9. Culpabiliser le patient.

10. Nier sa propre responsabilité le cas échéant.

DIX REPÈRES INCONTOURNABLES

1. Acquérir ou perfectionner des connaissances et compétences en communication.

2. Communiquer de manière respectueuse, claire, sincère et transparente avec le patient.

3. Communiquer sur des faits connus et sûrs.

4. Reconnaître le dommage.

5. Exprimer des regrets et des excuses.

6. Répondre aux besoins du patient.

7. Prendre en compte l’entourage du patient.

8. Respecter la confidentialité.

9. Respecter l’individualité du patient.

10. Répondre aux besoins des professionnels.

MÉTHODOLOGIE

Techniques de communication pour aborder l’annonce

Extraits de fiches techniques disponibles dans le guide de la HAS, rédigées par des professionnels experts.

→ Le questionnement éthique

C’est une méthode de décision et d’apaisement qui consiste à s’interroger sur sa pratique, tout au long de sa carrière, à réfléchir sur la société que l’on souhaite, société qui serait à la fois image et conséquence de ses actes.

→ L’écoute active

Elle permet au professionnel de créer un climat propice à l’expression du patient, quant à son ressenti, à l’événement indésirable lui-même et aux questions qu’il soulève. Elle suppose une interrogation en amont du professionnel sur lui-même, sur ses ressources et ses fragilités. En entretien, elle consiste à jouer autant sur les paroles que sur les silences, la reformulation étant nécessaire pour s’assurer d’un échange ouvert et efficace dans une relation d’aide.

→ Les réactions prévisibles des patients

L’annonce d’un dommage lié aux soins s’apparente à un travail de deuil pour le patient et ses proches. Dès lors, la relation soignant-soigné doit être supportée par des attitudes aidantes et une libre expression des sentiments respectant le rythme et les coutumes de chacun.

→ La prise en charge des professionnels de santé

Elle pose la question d’une démarche adaptée au milieu et aux circonstances dans lesquels le professionnel évolue : elle nécessite une confidentialité absolue doublée d’un dialogue poussé amenant le professionnel à prendre conscience qu’il a besoin d’aide.