Quels modèles de formation pour le formateur ? - Objectif Soins & Management n° 196 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 196 du 01/05/2011

 

Ressources humaines

Jean-Pierre Rongiconi  

RETOUR D’EXPÉRIENCES → Les réformes du système de santé et des formations paramédicales permettent de questionner les identités, postures et missions des formateurs. Les rapports demandés par le ministère de la Santé ont soulevé de nombreuses interrogations sur l’avenir des cadres de santé formateurs, alors qu’est mise en place une réforme en profondeur des professions paramédicales.

Une organisation des soins qui se transforme, une organisation de la formation qui change de modèle, évoluant vers l’universitarisation (licence – master – doctorat) et des référentiels de formation permettant l’acquisition de compétences dessinent le panorama professionnel des formateurs.

UNE RÉFORME, DES CHANGEMENTS

On peut constater que cette réforme des formations répond à deux exigences :

→ dans une société qui change, il est nécessaire que les professionnels puissent suivre les évolutions en redéfinissant leur capital de savoir en fonction des besoins (les leurs et ceux de leur environnement) ;

→ dans un monde qui se complexifie (nouvelles technologies, nouvelles pathologies, intrication des niveaux économiques, sanitaires et sociaux, nouveaux risques…), la formation doit permettre de répondre à des situations de travail qui vont du simple au complexe, mais surtout qui sont nouvelles et inédites.

Cette grande réforme des études des professions paramédicales vise à mettre les différentes formations en adéquation avec, d’une part, les changements attendus par les usagers des services de santé, et avec, d’autre part, la nouvelle organisation de l’offre de soins. Elle cherche également à rentrer dans un système de formation permettant des équivalences au niveau européen.

Inutile de dire que ce contexte de changement est venu fortement impacter les formateurs. À la fois du côté du ou des partenariat(s) avec l’université mais aussi du côté de l’identité professionnelle, de formateur et de soignant. Mais peut-être sont-ce les deux faces d’une même problématique ?

Travailler avec l’université, de nombreux instituts le font, notamment parmi les Instituts de formation des cadres de santé (IFCS), puisque la loi de 1995 avait ouvert la porte au partenariat. Le retour d’expériences de ces tentatives peut être relativement éclairant, et ce, pour différentes raisons exposées ci-après.

L’OFFRE UNIVERSITAIRE ET LA DEMANDE DES IFCS

En 1995, la réforme des études cadres a encouragé, dans son texte, les instituts à développer des partenariats avec les universités. Au fil des années, les partenariats se sont construits avec une grande diversité, tant sur les disciplines administration économie et social, gestion, sciences de l’éducation et autres, qu’au niveau diplôme universitaire, licence, première année de master (60 European Credit Transfert System, Ects), voire master complet (120 Ects). Les instituts ont fait preuve de toutes leurs capacités d’adaptation et de négociation pour utiliser les ressources universitaires existant localement et pour répondre à la demande de leurs clients. Par clients, nous entendons ici à la fois les établissements de santé par le biais des directions des soins et des ressources humaines, mais aussi les étudiants et, au-delà, les équipes et les patients, ou (pour les futurs formateurs en soins et en santé) d’autres étudiants.

LE PROJET DE FORMATION ET LE PARTENARIAT

Travailler ensemble n’est pas simple. Faire travailler ensemble des jeunes et des vieux, des titulaires et des intérimaires, etc. et articuler des différences est même certainement l’un des challenges des cadres aujourd’hui. Alors comment réunir formation professionnelle et universitaire, comment travailler ensemble, autour d’une partition commune qu’est le programme de formation ?

Pour continuer à dérouler la métaphore musicale, il faut ensuite déterminer qui est le chef d’orchestre (et il ne peut y en avoir qu’un, sous peine de cacophonie) et qui est le premier violon. Tant qu’il s’agit d’un diplôme professionnel, qui plus est diplôme de professions fortement réglementées, il nous semble que le professionnel et la formation professionnelle doivent être ceux qui déchiffrent la partition, qui la traduisent dans un dispositif opérationnel et donc qui organisent la formation. Il y a un enjeu fort dans le choix du dispositif Agamben(1), grand lecteur de Foucault, est là pour nous rappeler que « le dispositif a toujours une fonction stratégique concrète et s’inscrit toujours dans une relation de pouvoir ». Le partenariat autour du dispositif de formation est dissymétrique : l’un des deux partenaires fixe le cahier des charges ou la commande et l’autre y répond. Bien sûr, rien ne l’empêche de discuter la commande, voire de décrypter la demande sous la commande (l’implicite sous l’explicite). Pour que le partenariat tende vers une certaine symétrie, il faut, dans certains cas, que la situation soit inversée et que les professionnels (pas en tant qu’individus mais en tant que représentants de l’institution) répondent à des commandes universitaires(2).

L’ENVIE DE TRAVAILLER ENSEMBLE, DE CO-CONSTRUIRE

Finalement, travailler ensemble nécessite longueur et patience. La mode est à la transversalité, à la gestion par projet, à l’éphémère. On répond à une demande puis l’équipe se disperse ou se reconfigure pour répondre à une autre. Là, il s’agit d’apprendre à se connaître, à faire ensemble, à se reconnaître. J’ai besoin de l’autre pour construire un dispositif pertinent, pour évaluer, je sais sur quels points je peux m’appuyer, nous formons un groupe – avec un but commun partagé.

Nous savons depuis les travaux d’Abric(3) (1994) sur les représentations sociales, que faire une activité en commun modifie les représentations sociales ou tout au moins les éléments périphériques de la représentation.

L’intérêt d’une équipe n’est pas d’être la somme de pareils, mais la combinaison de différents. Sans rentrer dans la question pourtant essentielle des compétences collectives. La constitution, avec le temps, d’équipes mixtes professionnels/universitaires permet de répondre à la complexité croissante des situations de formation et de soins. Peu à peu, la culture de celui qui a répondu à la commande est venue occuper les espaces laissés libres, un langage commun apparaît(4).

En résumé, si l’on se donne du temps, si l’on ne brusque pas les choses, il devient impossible d’envisager de ne plus travailler ensemble.

L’IDENTITÉ PROFESSIONNELLE DU FORMATEUR

L’identité professionnelle du formateur permet aussi de soulever quelques questions intéressantes. En effet, un certain nombre d’événements récents sont venus questionner très fortement le métier de formateur en soins. L’ensemble de ces questions qui traversent, agitent et inquiètent parfois les formateurs tournent autour du statut, de l’identité et de la formation.

La question des cadres en France

Cadre, est-ce un métier ou un statut qui se décline dans différents métiers ? Les formateurs en soins sont aujourd’hui des cadres de santé. Il y a de nombreuses années, la formation des cadres formateurs était une formation distincte (jusqu’en 1975). Ce n’est plus le cas : un seul et même diplôme prépare à l’exercice de cadre de santé en unité de soin et de cadre de santé en institut de formation.

En France, des exercices et des missions très différents sont recouverts par le vocable de cadre(5), ce qui peut entraîner un certain nombre de difficultés de compréhension (bien au-delà du domaine de la santé, voire dans l’entreprise(6)). Il y a donc des cadres qui encadrent une équipe, mais aussi des cadres qui sont des experts (soit dans un des domaines de la production, soit dans la gestion des ressources humaines) puis les formateurs. De ce fait, cadre n’est pas un métier, mais un statut. On comprend alors l’idée qui parcourt le rapport de la mission De Singly(7). Ce rapport autour du “concept” de cadre hospitalier essaye de faire naître un métier de cadre distinct, ce qui est plutôt intéressant mais ne va pas sans inquiéter les cadres formateurs. De fait, au-delà d’un certain nombre de compétences communes aux cadres qui encadrent, nous pouvons penser qu’encadrer des équipes de soins nécessite aussi des compétences spécifiques. Sur ces questions des métiers de cadre, la réflexion du Cefiec semble un point de départ intéressant.

Les cadres formateurs en Ifsi se voient ensuite confrontés à une réforme de la formation de grande ampleur. L’identité du formateur doit s’attaquer de front à deux remaniements identitaires. Un premier dont l’origine est externe : l’inscription dans un dispositif universitaire du fait de l’accès en sortie de formation au grade de licence pour les infirmiers. Dispositif pour lequel, nous l’avons vu précédemment pour les IFCS, il faut quelques années pour le roder et l’habiter pleinement. Difficulté supplémentaire : le choix du partenaire est contraint, ce qui réduit les marges de manœuvre et de négociation. Seul le temps apportera les réponses sur ces changements.

Le second remaniement est plus délicat car interne. En effet, les éléments que le nouveau programme amène avec l’acquisition de compétences, le travail autour de la réflexivité, conduisent à une révision en profondeur de la posture de formateur.

Lesne(8) a défini une typologie de la pédagogie qui peut permettre de redessiner cette identité. Il définit trois modes de travail pédagogique (MTP). Le premier de type transmissif à orientation normative, le deuxième incitatif à orientation personnelle, le troisième de type appropriatif centré sur l’insertion sociale. Qu’il nous suffise de dire, qu’entre autres, ces modes de travail ont des visées différentes : donner une forme par une action didactique centrée sur l’individu, pour le premier, induire le développement personnel par des actions de prise de conscience dans le cadre de petits groupes, pour le deuxième, et enfin aider à l’appropriation cognitive du réel par une action pédagogique reliée étroitement aux activités réelles des personnes en formation, pour le dernier. Être formateur, c’est sans nul doute articuler les trois modes simultanément ou alternativement en fonction du projet, du groupe en formation. En fonction des attentes et de la mise en œuvre d’un programme, l’un ou l’autre mode sera dominant.

Nous avons aujourd’hui avec la réforme des études le basculement d’un mode majeur vers un autre. Le MTP incitatif garde une place importante et probablement identique, le MTP transmissif se réduit considérablement (ce qu’il en reste glisse largement vers l’université), au profit d’un MTP appropriatif qui prend une place considérable, tant dans l’esprit du programme que dans la réalité.

Et voilà qu’au cours de ce travail de reconstruction identitaire qui consomme une énergie considérable arrive le rapport de l’Igas, dit rapport Yaël/Mounier(9). La question de la professionnalisation des formateurs ou plus exactement de leur déprofessionnalisation est clairement posée. On peut s’interroger sur une stratégie qui crée du doute, du malaise chez ceux qui sont en train de mettre en place une réforme importante.

Certes, la question de formateurs issus des métiers d’origine semble réglée dans le bon sens. En revanche, le temps de la professionnalisation des formateurs disparaît, au profit d’un turn-over dont le sens nous échappe. Et cela arrive au moment où, justement, bon nombre de formateurs complètent leurs cursus professionnels par une formation universitaire (parfois commencée en formation cadres).

Les formateurs sont des professionnels réflexifs, qui interrogent leurs pratiques pédagogiques et les font évoluer (parfois malgré l’obsolescence d’un programme 1995 pour les cadres de santé) pour être au plus près des besoins en santé de la population.

Le dynamisme des cadres formateurs

Pour avoir la chance d’accompagner des groupes de cadres de santé formateurs lors d’une unité d’enseignement de master 2 (éducation, encadrement et formation dans le champ de la santé et le travail social) sur l’analyse des pratiques, je voudrais témoigner de la formidable dynamique de ces cadres à l’arrivée du nouveau programme. Tous se sont lancés dans un travail de réflexion sur les différentes pistes qui ont surgi, portfolio, réflexivité, compétences, analyses des pratiques, et ont produit des travaux d’une qualité remarquable.

CONCLUSION

Une nouvelle question : par où doit-on entamer une réforme ? Peut-être par la formation de ceux qui vont la conduire. Ce n’est pas le choix qui a été fait, la réingénierie de la formation des cadres de santé sera l’une des dernières à être mise en œuvre semble-t-il. Les partenariats université/institut de formation professionnelle pourraient aboutir à de nouveaux professionnels de la formation qui seraient des enseignants-chercheurs, formateurs. Enseignant pour travailler sur la transmission des normes, chercheur pour découvrir de nouvelles pistes, formateur pour explorer la différence et l’écart.,

(1) Giorgio Agamben. Qu’est ce qu’un dispositif ? Rivage. Paris, 2007. « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. »

(2) Sans rentrer dans les détails, c’est ce qui se passe à Aix-en-Provence. L’IFCS du Sihpa, dans la formation des cadres, est le commanditaire, le département des sciences de l’éducation par le biais de la première année du master éducation, encadrement et formation dans le champ sanitaire et le travail social, répond à la demande et pour la deuxième année du master l’université est le commanditaire, l’IFCS répond à la commande en gérant 3UE.

(3) Jean-Claude Abric. Pratiques sociales et représentations. Paris. Puf, 1994.

(4) Sans aller jusque-là : « Le tourbillon destructeur de l’histoire, en balayant à tous vents les cultures en miettes, disperse aussi des spores. » E. Morin. Le paradigme perdu. Le Seuil. Paris, 1973. Mais avec l’idée des spores et de l’intégration d’une partie du trésor culturel de l’autre civilisation.

(5) Luc Boltanski. Les cadres : la formation d’un groupe social. Éditions de Minuit. Paris, 1982. Paul Bouffartigue et Charles Gadea. Sociologie des cadres. La Découverte Paris, 2000.

(6) Lire : Olivier Cousin (2008) Les cadres à l’épreuve du travail et Éric Roussel (2007) Vies de cadres. Pur. Rennes.

(7) Rapport de la mission cadres hospitaliers présenté par Chantal de Singly.

(8) Marcel Lesne. Travail Pédagogique et formation d’adultes. Paris. L’Harmattan, 1994.

(9) Michel Yaël et Céline Mounier. Quelles formations pour les cadres de santé ? Rapport de l’Igas, 2010.