Posture réflexive : une clé du nouveau référentiel - Objectif Soins & Management n° 192 du 01/01/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 192 du 01/01/2011

 

Recherche et formation

Nadine Pelleter  

APPRENTISSAGE → Le nouveau référentiel de formation impose aux formateurs une nouvelle voie d’apprentissage : l’analyse réflexive. Une mise en “réflexion” de la pratique pour élaborer et produire du savoir. Une nouvelle posture à acquérir pour devenir un praticien réflexif. Point sur ce nouveau mode d’apprentissage.

La posture réflexive fait référence à une modalité d’apprentissage déterminante, figure de proue d’un projet pédagogique chargé de porter les espoirs des nouveaux enjeux professionnels, tels que l’organisation européenne des formations paramédicales et l’approche par les compétences. Outil de changement dans une vague de réformes amorcées dans les métiers de la santé, l’exercice de la réflexivité s’accompagne d’un changement de conceptions des savoirs et de l’apprendre qui affecte le milieu de la formation professionnelle et, au-delà, s’inscrit dans un mouvement de réorganisation socio-économique des sociétés modernes dans le monde. Le référentiel de formation octroie à l’analyse de situation une place déterminante dans l’acquisition des compétences des étudiants infirmiers (1).

Ce recentrage de la formation sur la pratique revient à considérer les situations cliniques comme une source de connaissances à laquelle l’étudiant va puiser pour développer ses compétences. Cette construction des savoirs à partir de l’agir professionnel engage le développement d’une posture réflexive à la fois pour les formateurs en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), les personnels des terrains de stage et les étudiants infirmiers.

Apprendre autrement et autre chose ? Cette question nous amène à reconsidérer le métier d’infirmier dans la période d’évolution globale où il se trouve et réinterroge le dispositif en alternance, bastion traditionnel de sa professionnalisation. La démarche d’analyse à l’œuvre dans le programme de 1992 permettait déjà d’analyser l’écart entre le travail prescrit et le travail réel, sujet au cœur du processus de professionnalisation.

L’ANALYSE RÉFLEXIVE : DE QUOI S’AGIT-IL ?

Mais comment se négociait cet écart ? Selon les situations, la théorie dominait-elle en prenant la pratique en faute, ou était-ce la pratique qui parvenait à se dire et à s’argumenter ? La sémantique s’est aujourd’hui enrichie des termes “réflexivité” et “posture”, nouveaux savoir-faire dont les significations sont précisément à saisir. Ainsi l’exercice réflexif constitue-t-il un moyen supplémentaire pour aider le praticien à s’interroger plus en profondeur sur son action, le travail d’analyse des pratiques gagnant en efficacité et en légitimité.

L’indication de posture, dans sa référence au corps, rappelle qu’il s’agit d’une activité, d’un exercice à actualiser, d’un agir impliquant le sujet.

N. Faingold (2) précise, à propos des dispositifs de réflexivité instaurés au niveau de la formation professionnelle : « La mise en œuvre de ces dispositifs suppose un changement de posture des formateurs passant du dire à l’écoute, de la transmission du savoir à un rôle d’aide à la prise de conscience et à la construction de l’identité professionnelle » et cite comme entrée possible dans cette compétence l’entretien d’explicitation de Vermersch (3).

J. Dewey (4) associe au concept du pragmatisme la posture réflexive dans laquelle, dit-il, l’expérience prend une dimension éducative qui en constitue la dimension éthique, ne cherche pas le succès de l’action mais gagne lorsqu’elle apporte des connaissances et ouvre la voie à d’autres perspectives.

P. Perrenoud (5) nous rappelle que la posture réflexive n’est pas de l’ordre du savoir que l’on délivrerait au titre d’une discipline d’enseignement, mais qu’elle a à voir avec le rapport au savoir, les représentations de l’agir, la posture de questionnement et qu’elle est donc une compétence à acquérir. Son exercice dans les structures nécessiterait ce que P. Perrenoud nomme un “contrat” qui explique aux différents protagonistes l’intérêt de la démarche.

Étant donné que c’est un peu une posture révolutionnaire dans le sens où elle change les places vis-à-vis des savoirs, son exercice nécessiterait de se sentir “autorisé”.

En effet, il s’agit bien pour le référent pédagogique de partager avec le stagiaire des réflexions sur le métier et donc des doutes, des difficultés, des paradoxes, de ne plus se cacher derrière un rôle lissé avantagé, mais au contraire de dévoiler les mécanismes et les conséquences de l’activité en réflexion, de savoir utiliser les erreurs comme des occasions d’analyser et de progresser.

La réflexivité, concept pragmatique à la manière de J. Dewey, interroge aussi la situation de formation, réalité conceptualisée par M. Sorel (6). Selon l’auteure, l’apprentissage se réalise en situation, ensemble relationnel, organisation active, espace de réalisation de tensions, système ouvert pensé dans un partenariat avec l’environnement distal et proximal, entre les formés, les formateurs et les savoirs en jeu.

COMMENT LA POSTURE RÉFLEXIVE CHANGE LE RAPPORT AU SAVOIR

Dans son ouvrage Le Praticien réflexif, D. Schön (7) parle de « crise de confiance » du savoir professionnel ; l’auteur constate que la modernité technologique et managériale a complexifié énormément le travail des professionnels et que la société attend des métiers et professions qu’ils répondent à l’ensemble des problèmes qui se posent aujourd’hui. Les situations que les praticiens rencontrent dans leur travail sont souvent complexes, singulières, amenant des questions éthiques sous-tendues par des contraintes économiques et politiques. Le professionnel se retrouve à devoir réaliser une tâche dans un contexte et une situation particulière qui s’imposent à lui. Cet “agir” déployé alors est la partie de la situation qui reste à formaliser, à questionner, à comprendre. Ainsi, la pluralité des domaines de compétences mis en jeu au travers de ces situations démontre, au moment de leur application pour résoudre des problèmes concrets, les limites de l’efficacité d’une technique tirée uniquement de l’enseignement des sciences fondamentales. La dichotomie entre la théorie et la pratique a été à la base des apprentissages dans les systèmes éducatifs de notre société. Ainsi l’application de la théorie dans la pratique est-elle en œuvre dans le dispositif de formation en alternance. Cependant, la démarche réflexive bouleverse le rapport institué entre la théorie et la pratique dans le sens où elle opère un changement dans la hiérarchie et la représentation du savoir, la pratique devenant source de connaissances et non plus seulement lieu d’application des savoirs théoriques.

Aussi va-t-il s’agir pour les formateurs des Ifsi de modifier des habitudes, d’être capables d’adopter un nouveau paradigme, d’abandonner la posture transmissive qui s’appuie sur un contenu préparé à l’avance, pour une posture réflexive plus exigeante parce qu’elle appelle sur le moment une implication véritable de la part des formés et du formateur et génère, parce que a priori moins objective, d’avantage de sentiments d’incertitude ou d’insécurité.

La nécessité d’adopter la technique de la réflexivité, notamment en termes de miroir au sens psychanalytique, est un nouveau savoir-faire dans le champ de la pratique des formateurs et des soignants, dans sa dimension psychopédagogique. Cependant, comme elle est plus qu’une technique d’introspection du praticien, elle demande de pouvoir se mettre en posture réflexive, posture qui consiste à témoigner d’un rapport au savoir qui est au service de la connaissance. Dans la conception de la posture réflexive relevant du pragmatisme, ce sont le doute, le sens critique, les difficultés, les paradoxes qui sont les éléments à partager entre professionnels et stagiaires. Aussi, le praticien devra-t-il pouvoir concilier cette posture pédagogique avec d’autres postures professionnelles déjà acquises, implantées, entretenues, voire éloignées des valeurs de la posture réflexive.

La réflexivité est le moyen approprié pour conscientiser les savoirs qui “font faire” et donc est au service de la compétence (8).

Les formateurs déjà familiarisés à l’analyse de pratique en termes de résolution de problèmes savent mobiliser les savoirs théoriques qui “apprennent à faire” et donnent du sens aux situations professionnelles, cela dans le principe d’application de la théorie à la pratique. Les infirmiers, cadres formateurs et tuteurs doivent désormais identifier et formaliser les savoirs de l’agir qui “apprennent à savoir” et passer ainsi dans le paradigme réflexif. Le référentiel de formation du programme des études menant au diplôme d’État d’infirmier détient bien la structure appropriée à la pratique de la réflexivité dans une conception du savoir qui se construit. Les compétences professionnelles à développer rappellent cependant en permanence l’importance de préserver l’articulation de l’Ifsi avec les stages cliniques.

NOTES

(1) Référentiel de formation (annexe III de l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier).

(2) Faingold N. (2008) : Analyse de pratiques et formation, IFCS Paris Pitié-Salpêtrière.

(3) Technique d’entretien permettant un travail de remémoration du vécu d’un moment de la pratique du sujet, dans un processus de réfléchissement.

(4) Chercheur américain (2003) in : Frega (2006), John Dewey et la philosophie comme épistémologie de la pratique, Paris L’Harmattan : Michel Fabre in : Recherche en éducation n° 5, juin 2008.

(5) Perrenoud P. (2001), Mettre la pratique réflexive au centre du projet de formation, in : Cahiers pédagogiques n° 390, pp. 42-45, chercheur à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, université de Genève.

(6) La situation de formation : un système à la recherche de son équilibre, M. Sorel (2009), maître de conférence à l’université de Descartes, Paris V.

(7) Chercheur aux États-Unis dont les travaux portent notamment sur les notions de savoir et d’éducation professionnelle, Schön D.A. [1983] (1994), Le praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, chapitre 1.

(8) M. Sorel (2008), Savoirs Revue internationale de recherches en éducation et formation des adultes.

Bibliographie

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→ Bachelard P. Apprentissage et pratiques d’alternance. Paris, L’Harmattan, 1re édition 1994, Alternance et développement.

→ Barbier J.-M. (sous la direction). Savoirs théoriques et savoirs d’action. Paris, Puf, 1re édition 1996, Éducation et formation.

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→ Blanchard-Laville, Cl. Les enseignants entre plaisir et souffrance. Paris, L’Harmattan.

→ Blanchard-Laville Cl., Fablet D. (sous la direction) L’analyse des pratiques professionnelles. Paris, L’Harmattan, 2000.

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→ Sorel M., Wittorski R. La professionnalisation en actes et en questions. Paris, L’Harmattan, Action et savoir, 2005.

→ Wittorski R. Formation, travail et professionnalisation. Paris, L’Harmattan, Action et savoir, 1re édition 2005.

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→ Les compétences infirmières et la formation initiale. In : Soins, n° 733 tiré à part, 2009.

→ Le référentiel de formation infirmière, une évolution nécessaire. In : Soins Cadres de santé, supplément au n° 68, 2009.

→ La pédagogie au quotidien. In : Soins Cadres de santé, supplément au n° 72, 2009.

→ La réforme des études d’infirmier, entre légitimité, volonté des acteurs et temps d’appropriation. In : Soins Cadres de santé, n° 74, pp. 45-48, mai 2010.