Non-respect des protocoles et responsabilité pénale du cadre | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 190 du 01/11/2010

 

Droit

Gilles Devers  

RÈGLES → Le cadre de santé qui ne fait pas respecter les protocoles engage sa responsabilité pénale. Le 7 septembre 2010*, la Cour de cassation a rendu un arrêt qui rappelle aux cadres quelle est la réalité de leur responsabilité et qui souligne aussi l’importance des protocoles internes.

L’affaire jugée concerne le décès d’une patiente de 77 ans, souffrant d’insuffisance respiratoire, soignée dans le service de pneumologie d’un centre hospitalier, et décédée dans le service le 10 mai 2003. Or il était rapidement apparu que la mort était due à une erreur de manipulation par l’infirmière, un flacon d’eau stérile ayant été remplacé par un flacon d’eau chlorée pour humidifier l’oxygène que respirait la malade.

LA PROCÉDURE

Alors que les faits ne laissaient aucun doute sur le caractère accidentel du décès, c’est uniquement le 26 août 2003 que le procureur de la République de Metz a été informé. Un retard inadmissible, mais ce genre de pratique contraire à la loi arrive hélas trop souvent. Des faits susceptibles de constituer une infraction doivent faire l’objet, et sans délai, d’une information du procureur. L’initiative revient au directeur d’établissement mais, en cas de carence du directeur, toute personne, et spécialement l’encadrement, doit faire le nécessaire. C’est l’application des dispositions de l’article 40 alinéa 2 du Code de Procédure pénale : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République. » Le texte ne prévoit pas de sanction expresse, mais l’idée est que nul ne doit faire obstacle, même avec de bonnes intentions, au cours de la justice. Un juge d’instruction a été désigné et, à l’issue de ses investigations, ce juge a renvoyé devant le tribunal correctionnel, sous le chef d’homicide involontaire, Brigitte, l’infirmière qui avait mis en place le flacon d’eau chlorée, Roger, le cadre de santé responsable du service, et le centre hospitalier, en tant que personne morale. Tous trois ont été déclarés coupables par le tribunal, puis par la cour d’appel. Seul le cadre infirmer a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, et c’est pour cette raison que l’arrêt de la Cour traite spécifiquement de la responsabilité du cadre de santé. Une personne qui n’a pas causé directement le dommage mais qui a créé ou contribué à créer la situation menant à la réalisation du dommage ou qui n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, voit sa responsabilité pénale engagée s’il est établi qu’elle a commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer.

Par application des articles 121-3, alinéas 3 et 4, et 221-6 du Code pénal, l’accusation était d’avoir involontairement causé la mort de Marie par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, en l’espèce en ne faisant pas appliquer le protocole n° 27.48 validé le 15 janvier 1998, concernant l’aspiration oro-pharyngée et trachéo-bronchique entraînant ainsi la confusion des flacons d’eau stérile et d’eau chlorée. Le 10 septembre 2009, la cour d’appel de Metz, chambre correctionnelle, l’avait condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis pour homicide involontaire.

LES FAITS

Marie, née le 18 août 1925, souffrait depuis déjà de nombreuses années de graves insuffisances respiratoires. De fréquentes hospitalisations étaient nécessaires au sein du service de pneumologie H1 de l’hôpital. Roger était le cadre de ce service et son homologue, Christiane, du H2, alors que Denise, cadre supérieur, chapeautait les deux services.

Au cours des hospitalisations, un apport en oxygène était assuré à la patiente, sous constante surveillance. Pour humidifier cet apport, un tuyau était utilisé sur lequel était placée une bouteille d’eau stérile de 500 ml vissée sur un barboteur à l’intérieur duquel l’oxygène trempait avant d’être envoyée vers le patient.

Le 10 mai 2003, vers 14 heures, Brigitte, infirmière, a pris son service en compagnie d’une élève infirmière et de deux aides-soignantes. Elle a préparé son chariot pour effectuer sa tournée, en y déposant trois bouteilles d’eau stérile de 500 ml prises sur une étagère à l’endroit où elles étaient habituellement entreposées afin de pouvoir changer, si besoin, l’eau des barboteurs. Brigitte a commencé sa tournée auprès des malades par Marie. Constatant que le barboteur était vide, elle a procédé au changement du flacon et a continué sa tournée. Quelques minutes plus tard, elle a été rappelée par les deux aides-soignantes, elles-mêmes alertées par la patiente.

En entrant dans la chambre, Brigitte a senti une forte odeur de chlore, et elle a constaté, après dévissage, que la bouteille qu’elle venait de placer sur le barboteur était chlorée. La patiente avait du reste déjà retiré d’elle-même le tuyau d’oxygène qui l’alimentait. Brigitte a immédiatement changé le système d’oxygénation et a appelé le médecin de garde. Hélas, l’état de santé de la patiente s’est rapidement dégradé, conduisant à des soins de réanimation : ventilation, intubation, administration d’adrénaline et d’atropine, puis massage cardiaque. Mais l’atteinte avait été trop forte et le décès a été constaté vers 17 h 25.

L’ENQUÊTE

Déclaration de l’infirmière

L’enquête a établi le processus utilisé par le personnel du service de pneumologie pour confectionner les solutions d’eau chlorée destinées au nettoyage des tuyaux employés lors des trachéotomies : il ajoutait une pastille de chlore aux flacons d’eau stérile destinés à l’humidification de l’oxygène. L’infirmière a d’ailleurs reconnu cette pratique. L’infirmière n’avait rien remarqué à l’ouverture de la bouteille avant sa mise en place sur le barboteur. Les bouteilles étaient pourtant équipées d’un bouchon en plastique serti d’une bague nécessitant une manipulation à l’ouverture, de telle sorte que lorsque l’on dévissait le bouchon en forçant sur la bague de sertissage, on rencontrait une nette résistance, et lorsque la bague cédait, un bruit caractéristique « nettement audible » se faisait entendre. Brigitte avouait honnêtement qu’elle avait machinalement dévissé la bouteille dont elle s’était emparée : « J’ai pris le flacon, je l’ai dévissé : je le fais toujours très vite. Je n’ai rien senti. Je l’ai posé. Quand j’ai vérifié si l’oxygène passait, je n’ai pas senti l’odeur de chlore. Ça a dû commencer à sortir un peu plus tard. »

L’expertise

Une expertise puis une contre-expertise ont été ordonnées en vue d’expliquer les circonstances entourant le décès. Les rapports ont conclu que « l’inhalation de vapeurs de chlore était directement responsable de la détresse respiratoire et de l’arrêt cardiaque irréversible ayant entraîné la mort chez une patiente présentant un terrain particulièrement fragile, à savoir un asthme chronique vieilli arrivé au stade de l’insuffisance respiratoire chronique sévère sur une broncho-pneumopathie chronique obstructive conjuguée d’une insuffisance cardiaque ».

Au sein du centre hospitalier, et concernant plus particulièrement l’aspiration oro-pharyngée et trachéo-bronchique, le Comité de lutte contre les infections nosocomiales (Clin) avait validé le 15 janvier 1998 un protocole n° 27-48. Aux termes de ce document, l’eau de rinçage du matériel utilisé pour l’aspiration trachéo-bronchique devait être de l’eau du réseau (et non de l’eau stérile) à laquelle devait être ajouté un détergent-désinfectant dilué à 0,5 % (un sachet de 20 cl pour 4 litres d’eau), à l’exclusion de pastilles de chlore jugées trop agressives et d’un emploi « dangereux ». L’expert de conclure : « Si ce protocole avait été appliqué, il n’y aurait pas eu d’accident. » Les deux autres experts, l’un pneumologue, l’autre médecin légiste, aboutissent du reste sensiblement à la même conclusion : « Le respect du protocole n° 27-48 du Clin aurait probablement permis d’éviter l’accident. »

La défense du cadre

La défense du cadre reposait sur deux points.

Un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité ne peut être réprimé que si cette obligation est prévue par une loi ou un règlement. Or le cadre estimait que ne répond pas à ces exigences un protocole établi par un Comité de lutte contre les infections nosocomiales. Il affirmait, dans le même temps, que le protocole hospitalier devait être suffisamment précis, ce qui n’était pas le cas.

Par ailleurs, le cadre soutenait qu’il doit exister un lien de causalité certain entre la faute prétendue et le décès, alors que le second rapport d’expertise retient un lien de causalité seulement probable.

Ce qu’a jugé la cour

Roger était responsable en tant que cadre de santé du service de pneumologie et, à ce titre, il avait autorité sur les infirmières et les aides-soignantes travaillant sous ses ordres dans le service. Il se devait également de veiller au respect des règles édictées par soit un protocole, soit des procédures validées.

D’une manière générale, il résulte des pièces du dossier que le protocole de 1998 sur les aspirations trachéales n’était nulle part appliqué dans les services H1 et H2. De plus, les infirmières des services concernés n’étaient même pas au courant de l’existence de ce protocole et de ses recommandations.

Il résulte de surcroît de la déposition de Christiane, cadre du service H2, que, lors des réunions périodiques de service auxquelles son collègue Roger participait, au même titre que l’ensemble des agents des services considérés, il était bien précisé par Denise, le cadre de santé supérieur chapeautant les services H1 et H2, que les protocoles devaient être appliqués. Or cela n’a pas été le cas : les équipes infirmières continuaient à utiliser l’eau de Javel en lieu et place du détergent-désinfectant préconisé. Et Roger a expliqué que les protocoles étaient ignorés car, d’après lui, « les pratiques en vigueur étaient satisfaisantes », précisant même ceci : « Nous n’avions aucune perception du risque, compte tenu que les flacons additionnés de chlore devaient être marqués au feutre indélébile et qu’en théorie, ils étaient utilisés immédiatement après chloration. La confusion ne devait pas être possible. » État d’esprit qui faisait dire au médecin inspecteur régional de la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales que « le service placé sous l’autorité de Roger fonctionnait dans sa routine et qu’il ne se posait plus de questions ». La cour relève encore que les relations interprofessionnelles étaient dénuées d’aménité, certains intervenants reprochant à Roger d’être peu « coopératif » et « syndicalisé à outrance ». Enfin, à supposer que le protocole de 1998 ait eu besoin d’être mieux appliqué et/ou amélioré dans la pratique quotidienne, notamment dans le choix du récipient devant recueillir l’eau du réseau destinée à la désinfection du matériel médical pour éviter la confusion avec la bouteille ou le flacon contenant l’eau stérile, il appartenait à Roger, en sa double qualité de cadre de santé et de “référent en hygiène hospitalière”, de faire remonter les difficultés auxquelles son service était confronté auprès du Clin pour obtenir les améliorations souhaitées. Or, il s’est abstenu de toute démarche en ce sens, malgré la tenue de plusieurs réunions, dont une du 2 février 1998 qui était pourtant prévue à cet effet.

CONCLUSION

Cet arrêt rappelle que l’autorité confiée par la loi au cadre de santé ne va pas sans contrepartie, et qu’à ce titre, le cadre doit assumer toutes les responsabilités qui sont les siennes. Au passage, la Cour de cassation confirme son approche non formaliste des règles permettant d’identifier les risques particuliers pour la santé : un protocole peut être considéré comme une règle de sécurité.

* Cour de cassation, chambre criminelle, 7 septembre 2010, n° 09-88385, disponible sur le site Internet www.legifrance.gouv.fr.