La motivation au travail - Objectif Soins & Management n° 190 du 01/11/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 190 du 01/11/2010

 

Ressources humaines

Vincent XAVIER  

CONCEPTS → En ces temps où les projecteurs sont pointés sur les conditions de travail, la gestion des risques professionnels ou les fonctions managériales, il est fréquent que les cadres s’interrogent aussi sur la motivation au travail.

Qu’est-ce que la motivation ? Aujourd’hui, les sciences humaines s’accordent sur la définition générale suivante : « Processus psychobiologiques responsables du déclenchement, de l’entretien et de la cessation d’un comportement ainsi que de la valeur appétitive ou aversive conférée aux éléments du milieu sur lesquels s’exerce ce comportement. »

Cette définition s’appuie sur bon nombre de théories existantes à ce sujet.

LES THEORIES

Je me permets un aparté sur ce mot, “théorie” : selon la définition, il s’agit d’un « ensemble de concepts, de propositions, de modèles articulés entre eux, qui a pour but d’expliquer un phénomène. Une théorie est un discours scientifique sur les connaissances acquises, un système d’explication provisoire, un outil de prévision scientifique, un ensemble de principes permettant d’entrevoir des applications concrètes à partir des généralisations obtenues et un système capable de générer d’autres hypothèses ».

Le terme “provisoire” me paraît important dans la mesure où il indique qu’une théorie est marquée dans le temps et appelée à évoluer. Les théories sur la motivation, et a fortiori la motivation au travail, ne font pas exception.

Je m’arrêterai donc sur les principales théories de la motivation au travail (bien sûr, il en existe d’autres, plus ou moins complémentaires à celles citées). Habituellement, elles sont présentées par courant de pensée, mais j’ai choisi de les présenter par ordre chronologique.

L’idée étant de bien comprendre que les théories (quelles qu’elles soient) sont à la fois marquées par l’histoire et la culture dans lesquelles elles sont nées, mais dépendent aussi fortement de l’histoire et la culture du chercheur. En cela, elles ne sont pas fausses, elles sont parfois simplement marquées par leurs temps, suivant les changements géopolitiques, les conflits entre nations, les crises économiques, les avancées technologiques… et la compréhension qu’on en a à un instant donné.

De même, il me paraît important de préciser que l’adhésion à telle ou telle théorie dépend aussi de l’histoire et la culture du lecteur…

Organisation scientifique du travail : Taylor, 1880

En échange de sa force physique, l’ouvrier reçoit un salaire proportionnel à son rendement. C’est “l’homo économicus” qui est pris en compte par l’organisation scientifique du travail.

Théorie des besoins : Maslow, 1954

La motivation résulterait de la présence de dispositions stables chez l’individu. Le besoin produit un état de déséquilibre, et le comportement vise à rétablir l’équilibre. Selon lui, la motivation, comme cause du comportement, serait hiérarchisée sur cinq stades, symbolisés par une pyramide.

La théorie des deux facteurs : Herzberg, 1959

Cette théorie bifactorielle montre que la motivation pourrait être influencée par des facteurs externes, appelés extrinsèques. La motivation varierait selon des facteurs internes, mais la démotivation influerait selon les facteurs externes, qu’il appelle facteurs d’hygiènes.

Théories X et Y : Mc Gregor, 1960

→ Théorie X : naturellement, l’être humain moyen n’aime pas le travail et l’évitera s’il le peut. Du fait de leur aversion à l’égard du travail, la plupart des gens doivent être contrôlés, voire menacés, afin qu’ils travaillent suffisamment dur. Ainsi, les travailleurs ne fournissent l’effort attendu que sous la contrainte ou contre récompense (le salaire). Il ne déploie vraiment son intelligence que pour contourner les règles.

→ Théorie Y : faire des efforts physiques et mentaux au travail est aussi naturel que s’amuser et se reposer.

Le contrôle et la punition ne sont pas les seules façons de faire travailler les gens. L’individu sera capable de se réaliser si l’on l’associe aux buts de l’organisation. Si un travail apporte des satisfactions, alors l’engagement envers l’organisation s’améliore. L’homme moyen est capable d’apprendre.

Théorie de l’attribution : Heider, 1960

La motivation résulterait de la compréhension naïve que l’individu se fait de la réalité qui l’entoure, des raisons qui expliquent, à son avis, les événements qui surviennent ou les comportements (instrumentalité) qu’il considère comme désirables (valence).

La théorie du besoin de réalisation : McClelland, 1961

McClelland fait ressortir trois types de besoins favorisant la motivation au travail : les besoins de réalisation (l’envie de réussir, l’accomplissement), les besoins de pouvoir (la volonté d’avoir de l’influence sur autrui), les besoins d’affiliation (le besoin de relations sociales satisfaisantes).

Théorie de l’équité : Adams, 1963, 1965

La théorie de l’échange considère que la motivation résulterait d’une recherche d’équité entre la contribution de l’individu et ce qu’il en retire, compte tenu de ce qu’il perçoit être la ration contribution-rétribution de son groupe de référence. La perception d’iniquité serait à la source d’attitudes aversives et de comportements d’ajustement adoptés au travail.

Théorie des attentes : Vroom, 1964

La motivation résulterait de la perception qu’a un individu que ses efforts vont entraîner un résultat, que ce résultat va se traduire par des conséquences (instrumentalité) qu’il considère comme désirables (valence). Cette théorie s’aligne dans les travaux de Adams.

Théorie de l’aménagement du travail : Herzberg, 1966

La motivation serait liée à la présence de certaines caractéristiques particulières dans le travail. Ces caractéristiques (responsabilité, autonomie…) contribueraient à l’émergence de certains états psychologiques chez l’individu, qui influeraient sur la motivation et le rendement.

Théorie de l’activation : Scott, 1966

La motivation serait liée à la stimulation de l’attention. Elle serait optimale lorsque la tâche est moyennement difficile, c’est-à-dire lorsque le rapport entre la probabilité de succès (PS) et la valeur du succès escompté (1-PS) est le plus élevé.

Théorie des objectifs : Locke, 1968

Le comportement serait intentionnel. La stimulation à agir dans un sens donné résulterait d’abord de l’existence d’un objectif à poursuivre. La motivation et surtout la performance seraient influencées par la nature des objectifs (clarté, niveau de difficulté, spécificité), la valeur du but pour la personne (niveau d’attraction, niveau d’engagement), la façon suivant laquelle elles sont déterminées (assignation, participation) et l’effet de la progression vers l’atteinte de l’objectif (feed-back).

Théorie ERD : Alderfer, 1969

Adaptation de la théorie des besoins aux situations de travail, selon lui, la motivation de l’individu consisterait à agir en vue de satisfaire trois catégories de besoins : Les besoins d’existence (E), les besoins de rapports sociaux (R), les besoins de développement personnel (D).

Théorie behavioriste : Skinner, 1974

Dans la lignée des travaux de Pavlov, selon lui, la motivation serait un apprentissage associatif résultant de l’apparition d’une conséquence positive à la suite d’un comportement donné. L’absence de renforcement ou un renforcement négatif (punition) devrait conduire à la cessation ou à l’évitement du comportement.

Théorie de la connaissance des résultats : Hackman & Oldham, 1976

Dans leur théorie de la motivation sur les caractéristiques de la tâche, ils ont démontré l’importance de la connaissance des résultats pour rendre un travail motivant. Le fait de connaître les résultats obtenus grâce à son travail stimule l’intérêt de l’individu en lui indiquant le niveau de rendement atteint, ce qui lui permet d’ajuster ses efforts en lui fournissant les éléments nécessaires pour corriger la progression de ses activités.

Théorie de l’apprentissage social : Bandura, 1977

La motivation s’expliquerait par des schémas, c’est-à-dire les représentations cognitives développées par la personne pour comprendre son environnement et guider son action. Certains courants théoriques se préoccupent, entre autres, de la façon suivant laquelle l’individu décode et traite les indices sociaux et cognitifs qu’il reçoit pour interpréter la réalité.

Théorie de la perception de soi : Bandura, 1977

La motivation résulterait de la confiance qu’a un individu concernant sa capacité d’accomplir ce qu’on attend de lui. Diverses variables, comme le sentiment d’efficacité personnelle, l’estime de soi ou le type de contrôle personnel, ont des répercussions sur l’image de soi que se fait la personne.

Théorie de la motivation sociale : Ferris, 1978

La motivation serait influencée en bonne partie par le groupe de référence. Comme la dynamique des groupes entraîne l’émergence de normes sociales et d’une cohésion de groupe, les pressions vers la conformité ou l’imitation sociale auraient un effet important sur la structure du comportement individuel.

Théorie des contraintes situationnelles : Peters, 1980

La motivation serait influencée par des contraintes situationnelles, c’est-à-dire par des conditions qui facilitent ou restreignent l’habileté individuelle ou la possibilité d’atteindre un résultat.

Théorie du contrôle : Carver & Scheier, 1981

La motivation serait un processus d’autorégulation à caractère cybernétique suivant lequel l’individu comparerait constamment les objectifs poursuivis aux résultats obtenus, et ainsi ajusterait en conséquence tant sa perception que son action afin de réduire les désaccords observés.

Théorie des compétences appropriées : Nicholls, 1984

Une personne impliquée et motivée dans son travail se doit de posséder les habiletés et les qualifications qui correspondent à son emploi. La performance au travail, l’engagement au travail seraient associés à un certain nombre de traits de personnalité tels que la conscience, l’amabilité, l’ouverture d’esprit, l’orientation vers un objectif, etc.

Théorie des besoins de croissance et des valeurs de travail : Katzell & Thompson, 1990

Il y aurait un lien de besoins de croissance entre la motivation et la présence chez une personne, c’est-à-dire les besoins de réussite et les besoins d’épanouissement, qui seraient directement reliés à l’investissement au travail. D’autres recherches ont démontré qu’il existait un lien entre l’existence d’attitudes positives à l’égard du travail et le désir de s’y investir.

La motivation au travail : Francès, 1995

« L’ensemble des aspirations qu’un travailleur attache à son emploi, chacune d’elles étant affectée d’un coefficient de probabilité qu’il conçoit de voir ces aspirations se réaliser dans l’emploi, en fonction du travail accompli, de la reconnaissance de ce travail par l’organisation, etc. »

La motivation au travail : Lévy-Leboyer, 1998

« Être motivé, c’est avoir un objectif, décider de faire un effort pour l’atteindre et persévérer dans cet effort jusqu’à ce que le but soit atteint. » La motivation confère trois caractéristiques à toute conduite : La force, la direction, la persistance.

Selon elle, toute conduite est orientée vers un but (direction) auquel la personne attribue une certaine valeur. L’intensité (la force) et la persistance de l’action dénotent la valeur qu’attribue la personne à l’objectif qu’elle poursuit. En résumé, la motivation au travail se définit comme un processus qui active, oriente, dynamise et maintient le comportement des individus vers la réalisation d’objectifs attendus.

DE LA THÉORIE À LA RÉALITÉ

Bien entendu, ces théories et ces définitions sont amenées à évoluer.

Comme je l’ai dit, toutes les théories, dont celles concernant la motivation, sont des modèles explicatifs. De fait, aucune ne décrit totalement la réalité, mais aucune n’est complètement à côté de la réalité.

Lorsque j’interviens auprès de chefs d’entreprise, d’étudiants infirmiers ou ingénieurs, ou de salariés et qu’on me demande comment motiver une équipe ou comment se motiver soi-même, j’ai tendance à répondre : « Cela dépend de la théorie à laquelle vous adhérez. »

Lorsque nous avons des équipes à gérer, ce qu’il est important de retenir, c’est que chaque individu, en fonction de son histoire, de son éducation, de sa culture, de son environnement, du contexte, du groupe dans lequel il évolue, de la tâche confiée… peut ne pas être motivé de la même manière. En clair, ce qui motive l’un peut ne pas motiver l’autre. De même, ce qui motive l’un ici et/ou aujourd’hui peut ne pas le motiver ailleurs et/ou demain.

En clair, si le cadre, le responsable d’équipe ou le manager considère que la théorie de Taylor est la plus proche de ses valeurs, il aura probablement tendance à considérer que tant que les individus sont rémunérés, ils doivent faire le travail pour lequel ils ont été engagés. Ce qui me paraît, même si ce n’est pas faux, quelque peu réducteur.

Un autre, qui aura des affinités avec les théories de Mc Gregor et Skinner, aura probablement tendance à fonctionner avec son équipe sur un système de récompenses/punitions. Avec les limites qu’elles présentent.

Lorsqu’on gère une équipe, il me paraît important de connaître nos valeurs, nos représentations sociales et ces différentes théories pour pouvoir motiver chaque individualité au sein du groupe.

Certains individus au travail vont être motivés par la rémunération (en termes de statut ou d’utilisation qu’ils en ont), d’autres seront motivés par l’autonomie qui leur est laissée, d’autres parce qu’ils connaissent clairement les objectifs attendus et qu’ils les ont atteints…

C’est cette prise en compte qui, à mon avis, donnera à chacun la motivation au travail.