Les AES sous haute surveillance - Objectif Soins & Management n° 188 du 01/08/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 188 du 01/08/2010

 

Qualité, hygiène et gestion des risques

Joëlle Maraschin  

PRÉVENTION → Selon le dernier rapport du réseau de surveillance AES-Raisin, le nombre d’accidents d’exposition au sang (AES) chez les professionnels de santé a diminué de près de 20 % en quatre ans. Outre le respect des précautions standards, une large implantation de matériels de sécurité performants constitue pour les spécialistes une réponse adéquate à la gestion du risque infectieux.

Les derniers résultats sur les AES sont plutôt rassurants. Ils démontrent l’efficacité du travail de sensibilisation effectué depuis des années par le Groupe d’étude sur le risque d’exposition aux soignants (Geres(1)) et l’intérêt d’un dispositif national de surveillance. « C’est en France que nous avons aujourd’hui le plus d’établissements de santé qui participent à la surveillance nationale des AES », souligne Gérard Pellissier, responsable scientifique et de l’organisation du Geres. Chaque établissement de santé est tenu à une surveillance locale des AES. L’interprétation des données est effectuée par le médecin du travail en collaboration avec le Clin, afin de déterminer les actions à mettre en place en concertation avec les différents acteurs. Une surveillance nationale a été mise en place fin 2001 et confiée au Réseau d’alerte d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales (Raisin). Ce réseau associe l’InVs, les cinq CClin et le Geres pour la surveillance des AES.

AMÉLIORATION DES INDICATEURS

Le dernier rapport du Raisin(2) porte sur l’analyse des AES surveillés en 2007. Il montre pour la première fois une nette tendance à la baisse des AES dans les établissements de santé. Cette mise en commun des données des cinq CClin concerne 626 établissements, lesquels représentent 46 % des lits d’hospitalisation complète. En 2007, le taux global pour 100 lits était de 7,5. Comparé au taux global de 2004 – soit 8,9 AES pour 100 lits –, l’incidence des accidents a de fait diminué de 19 %. Les indicateurs par catégories professionnelles montrent de même une diminution importante au fil des années. Ainsi, le taux d’AES pour 100 infirmiers ETP est de 4,6 en 2007 contre 5,9 en 2002.

En matière de respect des précautions standards, le rapport du Raisin estime que le taux de port de gants continue de s’améliorer (66,7 %), et notamment lors de la réalisation d’une injection avec un taux d’utilisation de gants de 43,5 %. S’agissant des AES percutanés lors d’une suture pour lesquels le taux de transmission peut être minoré par l’effet d’essuyage du gant, le port de gants s’observe dans plus de 99 % des cas. La présence du collecteur à portée de main est de 71 %.

ANALYSE DES AES ET SÉROCONVERSIONS

Les victimes d’AES

Le personnel infirmier arrive toujours en tête des victimes d’AES (43,3 % en 2007), suivi des élèves en soins infirmiers et des aides-soignantes (10,3 % pour chaque catégorie), des internes (6,5 %) et des médecins (4 %). Dans 70 % des cas, l’AES est une piqûre. Les projections et les coupures représentent respectivement 19 % et 10 % des AES. Près de la moitié des AES percutanés sont en lien avec la manipulation d’une aiguille. Depuis 2004, les aiguilles à suture arrivent en première position des AES liés à des aiguilles, avant les sous-cutanés.

Séroconversions professionnelles

L’InVs a mis en place une surveillance nationale des contaminations virales chez les soignants à la suite d’un AES. Cette surveillance a été initiée en 1991 pour le VIH, en 1997 pour le virus de l’hépatiteC, puis en 2005 pour le virus de l’hépatite B. Le nombre de séroconversions VIH reconnues chez le personnel de santé au 31 décembre 2007 s’élevait à 14, le nombre d’infections présumées à 34, soit un total de 48. Les textes réglementaires exigent la déclaration d’un accident et une séroconversion pour permettre une indemnisation. Les infirmières et étudiants en soins infirmiers sont les plus touchés : 12 séroconversions documentées et 13 infections présumées. Plus de la moitié des séroconversions documentées auraient pu être évitées par le respect des précautions standards. Parmi les 14 séroconversions documentées, une prophylaxie antirétrovirale a été prescrite pour 6 professionnels seulement. L’échec de la prophylaxie est patent dans 4 cas, c’est-à-dire chez les soignants ayant poursuivi leur traitement pendant au moins 15 jours. Le nombre de séroconversions professionnelles VHC chez le personnel de santé est au nombre de 61. Les services les plus représentés sont ceux d’hémodialyse et d’hépato-gastro-entérologie. Là encore, au moins 30 séroconversions étaient évitables par l’application des précautions standards. Comme pour le VIH, les aiguilles creuses contenant du sang sont le matériel le plus en cause. En ce qui concerne le VHB, aucune séroconversion professionnelle n’a encore été signalée par les médecins du travail depuis 2005, une observation qui ne reflète sans doute pas la réalité.

MATÉRIEL DE SÉCURITÉ

Bon nombre d’AES auraient pu être évités, notamment par le port de gants et des collecteurs à proximité. Le rapport du Raisin estime toutefois que les limites en matière de stratégie pédagogique risquent d’être atteintes. « Il est évident que seule l’implantation la plus large possible de matériels de sécurité performants peut amener une réponse forte et durable en termes de gestion du risque AES », soulignent les auteurs. Les données permettent de penser que l’implantation des matériels de sécurité évolue lentement. S’agissant des dispositifs médicaux à risque, la part des matériels de sécurité est de 31 % pour les cathéters, 56 % pour les seringues à gaz du sang, 32 % pour les aiguilles de chambre implantable et 79 % pour les seringues à injection d’héparine.

Une efficacité incontestable

Une étude de médecins du travail et du Geres a montré l’importance de la réduction des AES obtenue avec du matériel de sécurité(3). Le risque de piqûre lors des prélèvements veineux est ainsi réduit de plus de 75 % dans les unités utilisant majoritairement des matériels sécurisés.

Le taux de piqûre pour 100 000 actes réalisés en intraveineux est de 4,4/100 000 dans les services équipés de matériels sécurisés, alors qu’il est de 17,8/100 000 dans les services peu ou pas dotés.

Les différents types

Il existe trois types de matériel de sécurité. L’activation de la sécurité peut être automatique (ou passive), ne nécessitant aucune intervention de l’utilisateur (certains cathéters protégés, des autopiqueurs autorétractables pour prélèvement capillaire…).

D’autres matériels sont dits semi-automatiques, avec une mise en sécurité automatique déclenchée par l’utilisateur, soit avec la main tenant le dispositif, soit avec la main controlatérale (cas de certains cathéters protégés, seringues, corps de pompe…).

Enfin, les matériels de sécurité active nécessitent que la sécurité soit réalisée par l’utilisateur, à une main (cas de certaines aiguilles protégées, d’épicrâniennes) ou à deux mains (cas de certaines épicrâniennes, corps de prélèvement ou seringues double corps…).

Le choix d’un matériel de sécurité

Une étude menée par les chercheurs du Geres, publiée en avril dernier(4), a comparé l’efficacité respective des différents matériels de sécurité actuellement sur le marché. Cette étude porte sur 61 établissements de santé. En deux ans, plus de 22 millions de dispositifs de sécurité ont été commandés, et 453 AES par piqûre ont pu être documentés et analysés par les chercheurs. Cette étude permet d’avoir une estimation du nombre d’AES par types de matériel de sécurité utilisé (taux de piqûre pour 100 000 dispositifs commandés). S’agissant des dispositifs à activation manuelle, l’étude montre que le taux est de 5,2 pour les dispositifs à étui coulissant vers l’avant (généralement activés à deux mains) et 2,94 pour les dispositifs à manchon basculant (généralement activé à une main). Ce taux est de 1,18 pour les dispositifs semi-automatiques et de 0,06 seulement pour les dispositifs automatiques. Le même gradient d’efficacité est observé pour certains gestes comme le prélèvement artériel ou veineux, le cathétérisme veineux ou l’injection sous-cutanée avec seringue pré-remplie.

En dépit des limites de l’étude, les auteurs estiment que les dispositifs de sécurité automatique sont les plus efficaces pour la prévention des AES. Ils sont aussi les plus coûteux, ce qui peut représenter un obstacle à leur utilisation dans les établissements de santé. Leur éventuel surcoût pourrait être compensé par une diminution des AES et par un moindre besoin de former les soignants à leur utilisation.

NOTES

(1) Geres, www.geres.org.

(2) Le denier rapport du Raisin sur le site de l’InVs : http://www.invs.sante.fr/publications/ 2009/raisin_surveillance_aes/raisin_surveillance_aes.pdf.

(3) Role of safety-engineered devices in preventing needlestick injuries in 32 french hospitals, Infection Control and Hospital Epidemiology, january 2007, vol. 28, n° 1.

(4) Needlestick injury rates according to different types of safety engineered devices, Infection Control and Hospital Epidemiology, april 2010, vol 31, n° 4.

Pour en savoir plus

Le Geres organise sa 20e journée annuelle le 10 décembre à la faculté de Médecine Xavier-Bichat dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Au programme : la surveillance AES-Raisin, les résultats de l’enquête Vaxisoin, la présentation de l’édition 2010 du guide des matériels de sécurité, les AES dans les Ehpad…