La sociologie au service d’un IFCS - Objectif Soins & Management n° 187 du 01/06/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 187 du 01/06/2010

 

DOMINIQUE BOURGEO

Parcours

Joëlle Maraschin  

Ancien manipulateur en électroradiologie médicale, Dominique Bourgeon dirige aujourd’hui l’IFCS du CHU de Poitiers. Ce docteur en sociologie, qui continue de publier dans une revue de sciences sociales, s’appuie notamment sur sa formation universitaire pour former les cadres de demain à l’animation des collectifs de travail.

Directeur des soins, Dominique Bourgeon fait partie de ces rares directeurs d’Instituts de formation des cadres de santé (IFCS) non issus de la filière infirmière. « Même si je ne n’aime pas mettre en avant mon doctorat de sociologie, il me donne un discours qui permet de dépasser les identités professionnelles, constate-t-il. Quelle que soit la formation initiale, les problématiques managériales sont communes pour des cadres en formation confrontés demain à des collectifs et à des grands enjeux institutionnels. »

Un cadre de terrain tenté par la formation

Né en 1957 à Tournus en Bourgogne, le jeune bachelier d’alors quitte sa région natale pour venir suivre la formation de manipulateur en électroradiologie à l’école de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Diplômé à 22 ans, il passe ses dix premières années de sa vie professionnelle au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bicêtre. Manipulateur pendant sept ans, il estime avoir fait le tour de l’aspect technique de son métier lorsqu’il intègre l’école des cadres en 1987.

Cadre de santé dans un service de neuro-radiologie à Bicêtre, il choisit cependant de basculer vers la formation au bout de quelques années. « C’était une époque difficile, en pleine épidémie de sida. Ayant moi-même des enfants, j’étais très sensible à la maladie de tous ces jeunes gens que nous voyions décliner de scanner en scanner », confie-t-il.

Il postule avec succès pour un poste de formateur à l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) pour préparer les aides-soignants aux concours d’entrée dans les écoles. Tout en continuant d’enseigner les matières scientifiques aux jeunes qui préparent les concours, il passe une maîtrise à l’université de Dauphine. Son directeur de mémoire est un sociologue. « C’est grâce à cette maîtrise que j’ai vraiment découvert la sociologie et l’anthropologie. J’ai souhaité très vite aller jusqu’au bout d’une formation universitaire et passer un doctorat », poursuit-il. Il s’inscrit en DEA de sociologie à l’université de Nanterre et se lance sur son temps personnel dans une démarche de recherche.

L’école des cadres de l’hôpital Sainte-Anne souhaite intégrer dans son équipe un cadre de santé engagé dans une formation universitaire. Il est retenu pour ce poste et enseigne de 1998 à 2001 la méthodologie de la recherche aux futurs cadres. En même temps, il poursuit sa thèse de sociologie à Nanterre. « Ma casquette universitaire a été très utile pour gérer le partenariat entre l’école de Sainte-Anne et l’université de Bobigny, je parlais le même langage que les chercheurs en sciences humaines de l’université », commente-t-il.

Une année sabbatique en doctorat

Souhaitant vraiment devenir sociologue, il demande en 2001 un congé de formation professionnelle pour continuer ses recherches. Sa demande est acceptée par l’ANFH (Association nationale pour la formation permanente des personnels hospitaliers). « Mais je n’ai pas réussi à boucler ma thèse en une année. Il m’a fallu cinq ans en tout, ce qui est un délai normal pour un doctorat en sciences humaines », ajoute-t-il. À l’occasion de cette année sabbatique, il remet quelque peu en question sa vie parisienne.

Son épouse, infirmière et cadre de santé, lui propose de partir en province, à Poitiers d’où elle est issue. Dominique Bourgeon est d’accord et se met à chercher un poste dans la région poitevine. « Ce n’est pas évident de trouver un poste pour un cadre supérieur issu de la filière manipulateur en électroradiologie. Nous avons beaucoup moins de possibilités que les professionnels issus de la filière infirmière », précise-t-il. Il est malgré tout recruté comme cadre supérieur au CH de Bressuire, dans les Deux-Sèvres. « En charge de tout le secteur médico-chirurgical, j’étais un peu terrorisé d’accepter cette mission, reconnaît-il. Mais je me suis appuyé sur les cadres infirmiers, et ça a marché. »

L’hôpital, qui souhaite se doter d’un gros plateau technique, lui propose de passer le concours de directeur des soins afin de mettre en œuvre cet ambitieux projet. En 2004, il intègre l’ENSP (École des hautes études en santé publique). Mais le projet de plateau technique tombe à l’eau, il est de nouveau obligé de chercher un poste correspondant à ses nouvelles qualifications.

Poste de coordinateur

Il est retenu en octobre 2004 comme directeur de l’Institut de formation des manipulateurs en électroradiologie du CHU de Nantes. En 2006, la direction de l’établissement le nomme sur un poste de coordinateur des instituts de formation. « Nantes a en effet eu l’idée de créer un pôle de formation regroupant l’ensemble des instituts sous l’autorité d’un coordinateur, explique Dominique Bourgeon. Ce fut une expérience extraordinaire de participer à cette initiative. » Travaillant en étroite collaboration avec une DRH adjointe, Dominique Bourgeon anime des groupes de travail transversaux, tant sur le développement de la recherche en soins et la formation continue que sur la promotion d’une démarche qualité. « Le challenge était d’impulser une politique pour pérenniser des instituts de formation dans une passe difficile », précise-t-il.

En dépit de la richesse de ses missions au sein du pôle formation de Nantes, Dominique Bourgeon postule à l’été 2008 pour le poste de directeur de l’IFCS de Poitiers pour se rapprocher enfin de son épouse et de ses enfants.

Poitiers, un nouveau défi pour une meilleure vie

« Je passais la semaine à Nantes et je rentrais à Poitiers pour le week-end. Cette vie professionnelle loin de ma famille était de plus en plus pesante », confirme-t-il. À la rentrée 2008, il prend ses nouvelles fonctions à l’IFCS. « J’ai évidemment bousculé pas mal de choses en prenant la direction de l’institut de formation. Mon challenge d’aujourd’hui est vraiment de positionner l’IFCS dans le sens des grandes évolutions à venir », indique Dominique Bourgeon.

Dans l’axe des recommandations de la mission de Singly, il met en place un partenariat avec l’université de Dauphine afin que les étudiants puissent obtenir une première année de master avec leur diplôme de cadre. En 2010, il obtient des tutelles l’ouverture de l’IFCS à l’ensemble des filières paramédicales. « Alors que nous manquons de cadres de santé, il me semble stratégique de recruter des étudiants cadres au sein de toutes les filières », estime-t-il. Dominique Bourgeon pense que le métier de cadre de santé est toujours un beau et riche métier, mais il n’oublie pas pour autant les difficultés auxquelles vont être confrontés celles et ceux qu’il forme avec son équipe. « Il faut avoir les épaules solides pour être cadre de santé à l’hôpital, admet-il. Coincé entre la médecine d’une part et l’administration d’autre part, le cadre subit un certain nombre d’injonctions paradoxales. Et il est seul à se trouver dans un face-à-face avec le collectif. »

Même s’il est directeur des soins, Dominique Bourgeon n’est pas de ceux chez lesquels la fonction pourrait avoir aboli tout esprit critique. Il n’hésite pas à se dire heurté par le concept de l’hôpital-entreprise, lequel nie selon lui toute la dimension relationnelle du soin. Auteur de plusieurs ouvrages aux éditions Lamarre, il garde aussi une activité de sociologue au sein d’un groupe de chercheurs réunis autour de la pensée de Marcel Mauss, connu notamment pour son essai sur le don…