Responsabilité en santé : les articles - Objectif Soins & Management n° 184 du 01/03/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 184 du 01/03/2010

 

Droit

FONDATION → Le droit est complexe, sans nul doute. À l'image de nos sociétés si compliquées... Dans cette masse qu'est le droit vivant, on distingue des piliers qui structurent l'ensemble : six articles de loi sont ainsi à la base de tout. Première partie.

LA PROTECTION DU CORPS HUMAIN : ARTICLES 16-1 ET 16-3 DU CODE CIVIL

Tout part du respect du corps humain, défini par l'article 16-1 du Code civil.

Art. 16-1. - « Chacun a droit au respect de son corps.

« Le corps humain est inviolable.

« Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. »

Le corps humain étant défini comme inviolable, car il est l'incarnation de la personne, il faut une autorisation légale pour intervenir sur le corps humain. Pour les professionnels de la santé, l'acte de soin est bienveillant par nature. Pour le droit, l'approche n'est pas si simple car il s'agit d'une remise en cause de l'intégrité corporelle. Bien sûr, nul ne conteste l'utilité ou la légitimité de ces pratiques thérapeutiques, dès lors que la science démontre assez leurs bienfaits. En revanche, le droit doit définir les conditions qui rendent cette intervention licite.

Art. 16-3. - « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui.

« Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. »

Cet article 16-3 est le cadre général de tout acte de soin : l'atteinte à l'intégrité du corps humain est possible si ces deux conditions légales sont réunies.

→ La première est liée au but, à savoir une nécessité médicale. Si les motifs médicaux n'imposent pas l'intervention, il faudra s'abstenir. La loi fixe toutefois une exception, largement entendue : l'intérêt thérapeutique d'autrui. C'est ce qui autorise les actions dans le domaine de la recherche et des dons d'organe. À noter que lorsqu'il y a intérêt direct pour le patient, le but «médical» suffit, ce qui autorise des actes n'ayant pas une véritable visée thérapeutique, et ce dans des domaines tels que certaines interventions en chirurgie esthétique et les actes de stérilisation définitive.

→ La seconde condition est de type personnel et concerne l'expression du consentement. La règle fondamentale du consentement se trouve dans le Code civil, et c'est dire l'importance que le droit apporte à cette notion. Le Code de la Santé publique et les règles déontologiques préciseront et affineront cette donnée, mais tout part du Code civil. Le consentement n'est pas une modalité du soin, mais sa condition décisive, et elle renvoie au statut de la personne. Et la rédaction de l'article 16-3 est remarquable. Le consentement doit être préalable, car il s'agit d'une atteinte à l'intégrité corporelle ; mais si le patient n'est pas à même d'exprimer ce consentement, les soignants peuvent passer outre quand la nécessité thérapeutique commande.

LA RESPONSABILITÉ PÉNALE : ARTICLES 121-1 ET 121-3 DU CODE PÉNAL

Quittons le Code civil pour rejoindre le Code pénal. La loi pour poser les bases de la pratique du soin ? Oui, parce que le Code civil a établi l'importance de la protection du corps. Le corps étant l'incarnation de la personne et tout acte de soin supposant une intervention sur le corps, la limite pénale n'est jamais loin. Les professionnels du soin connaissent un haut niveau de responsabilité, non parce que la loi aurait décidé de s'intéresser plus particulièrement à eux, mais en fonction de la valeur protégée, le corps humain. Attention : il ne faudrait pas conclure que tout acte de soin a une dimension pénale. Il suffit d'en rester au cadre fondamental. Le soin s'inscrit dans un régime d'exception, défini par l'article 16-3 du Code civil, et la protection de cette limite se trouve fort logiquement dans le Code pénal.

Le principe cardinal de la responsabilité pénale se trouve dans l'article 121-1.

Art. 121-1. - « Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait. »

La responsabilité pénale est individuelle, et chacun est concerné, quel que soit son statut. De ce point de vue, le Code pénal est très égalitaire... Le droit pénal ignore la responsabilité du fait d'autrui. Dans le cadre d'un travail en équipe mettant en cause un médecin, un cadre de santé, une infirmière et une aide-soignante, le juge pénal analysera le rôle de chacun. Si l'infirmière a confié, dans le cadre de la collaboration normale, la réalisation d'un acte à une aide-soignante et que cet acte se révèle malheureux, on cherchera si le comportement de l'aide-soignante traduit une faute dans la réalisation, et si celui de l'infirmière laisse apparaître une faute dans l'encadrement. Mais l'infirmière, au pénal, n'est pas responsable de la faute de l'aide-soignante, pas plus que le cadre pour la faute de l'infirmière ou le médecin pour des fautes commises par d'autres membres de l'équipe.

Comment s'analysent ces différentes responsabilités ? C'est l'article 121-3 qui y répond.

Art. 121-3, alinéa 1. - « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »

Là, il faut avancer pas à pas.

L'alinéa 1 pose le principe général : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. » Joint à l'article 121-1 : « Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait », pivot du droit pénal. Celui qui intentionnellement - donc avec but de nuire à autrui - a violé la loi doit en répondre devant le juge pénal, apte à le condamner par une peine.

La première limite vient avec l'alinéa 2.

Art. 121-3, alinéa 2. - « Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui. »

Parfois, le but express de nuire à autrui n'est pas établi, mais l'attitude révèle un comportement antisocial, car créateur d'un risque considérable et injustifié pour autrui. C'est l'exemple d'un chauffard qui grille trois feux rouges en excès de vitesse. Il doit être sanctionné pour l'irrespect du Code de la route, mais l'aspect essentiel est qu'avec ce type de conduite, il a sciemment pris le risque de blesser ou tuer un passant. Cet aliéna 2 pose le principe, et l'infraction de « mise en danger d'autrui » est définie par un autre texte du Code pénal, qui réunit des conditions très strictes, de telle sorte que cette infraction se retrouve très rarement en droit de la santé. Il en va différemment pour les alinéas 3 et 4, qui sont la base de la responsabilité des professionnels de santé. Quand un tribunal prononce une condamnation, c'est au regard de ces textes-là. Un examen attentif s'impose.

Art. 121-3, alinéa 3. - « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

L'alinéa 3 s'intéresse à l'auteur des faits, c'est-à-dire celui qui réalise, par exemple l'infirmière ou l'aide-soignante pratiquant un soin, mais ce peut être aussi celui qui le dirige très directement, par exemple un chirurgien qui, au cours de l'intervention, demanderait à une infirmière un geste technique précis. Au vu de l'alinéa 3, l'auteur direct peut être sanctionné en cas de faute dite involontaire, c'est-à-dire commise sans intention de nuire. C'est le cas pour les deux infractions qui concernent les professionnels de santé, à savoir l'homicide involontaire et les blessures involontaires (Code pénal, articles 221-6 et 222-19). Le sens du mot involontaire doit être bien compris : le geste est volontaire, mais il n'y a pas de volonté de nuire. Une personne peut ainsi se retrouver renvoyée devant le tribunal correctionnel alors qu'elle n'avait pas l'intention de commettre un délit. C'est le domaine de la faute « d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». Dans la définition de l'homicide involontaire, la loi ajoute l'inattention. Et oui, la simple inattention qui a causé du dommage corporel peut conduire à une condamnation pénale. C'est le passage entre l'erreur, acte qui se révèle inapproprié, mais qui était diligent, adroit et attentif, et la faute involontaire qui se caractérise par la négligence, la maladresse et l'inattention.

Il faut donc peu de choses pour entrer dans la sphère pénale, mais le juge doit qualifier précisément le comportement. La référence n'est pas l'excellence, mais les «diligences normales», et pour forger sa conviction, le juge doit tenir compte de la nature des missions, des fonctions, des compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont disposait la personne. Au regard du droit pénal, il n'existe pas de faute dans l'absolu, mais des fautes en fonction d'un ensemble de circonstances. C'est dire que le juge doit procéder à une analyse très circonstanciée. Vient alors l'alinéa 4, qui concerne la position du décideur.

Art. 121-3, alinéa 4. - « Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. »

Le décideur n'est pas celui qui a réalisé, mais celui qui a créé la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter. C'est typiquement la situation du médecin chef de service ou du cadre de santé. Pour l'engagement de la responsabilité, le manquement aux diligences normales ne suffit plus : il faut passer un degré dans la gravité de la faute. Le législateur a pensé que la fonction des personnes amenées à prendre de nombreuses décisions devait bénéficier d'une certaine compréhension, car le contrecoup d'une responsabilité trop stricte serait de refuser d'assumer des fonctions ressenties comme trop risquées. Il faut admettre une marge, que l'on ne retrouve pas pour celui qui réalise effectivement l'acte. Le Code pénal définit deux hypothèses : la violation de façon manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ou la faute caractérisée, exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qui ne pouvait être ignorée. On reste ainsi dans la faute d'imprudence, mais il faut atteindre le seuil d'une faute «caractérisée».

LA RESPONSABILITÉ CIVILE : ARTICLES 1142-1 ET 1142-2 DU CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE

La référence est l'article L.1142-1 du Code de la Santé publique (CSP), qui regroupe deux types de disposition : l'une relative à la responsabilité stricto sensu, l'autre à l'indemnisation du dommage en l'absence de faute, par la solidarité.

L.1142-1 du CSP, I. - « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

« Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. »

Cet article I pose un principe sans ambiguïté : l'apparition d'un dommage corporel ne suffit pas à établir la responsabilité ; il faut que ce dommage ait été causé par une faute. La faute se distingue de l'erreur par une analyse au regard des notions de prudence et d'imprudence, d'attention ou de négligence. L'aléa est encore une autre notion : l'acte ou la décision d'origine est irréprochable, mais il en est résulté des suites dommageables. Pour retenir la faute civile, le juge n'a pas besoin d'être aussi précis que le juge pénal, et surtout, il peut reconnaître la faute même s'il ne parvient pas à l'imputer à telle ou telle personne : la faute du service peut ressortir d'un dysfonctionnement, sans savoir précisément quels en sont les auteurs. Prenons un défaut de surveillance : au pénal, il faut qualifier la faute et identifier les auteurs, en qualifiant la faute de chacun ; au civil, le constat d'une faute de surveillance suffira.

Mais quid si l'acte qui a causé le dommage n'atteint pas le degré de la faute ? C'est le II de l'article 1142-1 qui prend le relais.

L.1142-1 du CSP, II. - « Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail. »

C'est le système d'indemnisation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Si le dommage a été causé par une erreur ou résulte d'un aléa, la seule prise en charge est celle de la Sécurité sociale, hormis si le dommage est important. Au-delà de 25 % d'incapacité, une indemnisation peut être versée par l'Oniam, au titre de la solidarité nationale. Ouvrent droit à indemnisation, des préjudices élevés, supérieurs à 25 % d'incapacité permanente.

À ce stade se pose la question de l'assurance, régie par l'article L.1142-2 du CSP. Sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile les professionnels de santé exerçant à titre libéral et les établissements de santé. Lorsque l'agent est salarié ou fonctionnaire, c'est l'employeur qui assume les conséquences financières et qui doit être assuré. Le texte précise : « L'assurance des professionnels de santé, des établissements, services et organismes mentionnés au premier alinéa couvre leurs salariés agissant dans la limite de la mission qui leur est impartie, même si ceux-ci disposent d'une indépendance dans l'exercice de l'art médical. » La responsabilité financière personnelle du salarié ou de l'agent public ne réapparaît qu'en cas de faute volontaire, c'est-à-dire commise avec intention de nuire, ou d'acte commis en dehors de la mission confiée.