Absentéisme et présentéisme des étudiants en soins infirmiers - Objectif Soins & Management n° 0291 du 15/02/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0291 du 15/02/2023

 

Management des soins

DOSSIER

Florence Douguet  


*Maître de conférences en sociologie
**Laboratoire d’études et de recherche en sociologie - LABERS (UR 3149), Université Bretagne Sud, Lorient

Les phénomènes d’absentéisme et de présentéisme observés chez les professionnels de santé en exercice le sont également chez les futurs professionnels en formation. Les étudiants en soins infirmiers expérimentent ces pratiques lors de leurs stages au sein des services de soins ainsi qu’à l’occasion des périodes d’enseignement en institut de formation. 

Depuis quelques années, l’absentéisme des professionnels de santé fait l’objet de recherches et d’enquêtes nationales(1). Le présentéisme au travail de ces salariés, déjà investigué sur le terrain à l’échelle internationale(2-4), commence aussi à être exploré dans notre pays(5). En revanche, ces deux phénomènes sont très peu étudiés au sein de la population se formant aux métiers du soin. En prenant appui sur une enquête sociologique qualitative conduite auprès de cadres de santé formateurs, il est possible d’apporter un premier éclairage sur l’absentéisme et le présentéisme des futurs infirmiers lors des séquences pédagogiques dispensées en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi).

De l’absentéisme en stage à l’absentéisme en cours

Une réalité difficile à quantifier

Dans un article collectif publié il y a dix ans, quatre cadres de santé formateurs d’un Ifsi normand faisaient le constat d’une augmentation récente de l’absentéisme étudiant, en particulier durant les périodes de stage(6). Cette évolution était alors interprétée comme l’un des effets possibles de l’application du nouveau référentiel de formation de juillet 2009. Ce dernier repose sur le principe pédagogique de l’alternance entre des enseignements reçus en institut de formation et des stages réalisés dans le secteur des soins (encadré 1). Les données de l’enquête provenaient d’une extraction du logiciel de gestion des absences de l’Ifsi et concernaient deux promotions composées de 290 étudiants au total. L’exploitation de ces informations faisait ressortir que 60 % des étudiants de deuxième année avaient été absents au moins une journée en stage durant le troisième semestre de leur cursus.

Dix années plus tard, les résultats d’une autre enquête quantitative réalisée par le biais d’un questionnaire administré auprès de 322 étudiants des trois promotions d’un Ifsi breton conduisent à nuancer les constats précédents*. La sociologue à l’origine de cette étude souligne, en effet, que « les absences en cours [sont] un phénomène quantitativement important et plus marqué que pour les stages »(7). Si un peu moins de la moitié (47 %) des 212 étudiants de deuxième et troisième année déclarent avoir été absents lors d’expériences de terrain l’année précédente, la majorité d’entre eux (80 %) indiquent l’avoir été en cours durant la même période. De telles observations conduisent l’auteure à relativiser l’impact de l’obligation d’assiduité à laquelle sont soumis les étudiants inscrits en Ifsi (encadré 2).

Les apports d’une approche qualitative

En parallèle de cette étude par questionnaire, nous avons conduit une seconde enquête sociologique de nature qualitative auprès de plusieurs formateurs de ce même Ifsi. Celle-ci vient corroborer et compléter les résultats issus de l’approche quantitative. La méthode retenue ici repose sur l’analyse de contenu thématique d’un corpus de vingt-deux entretiens semi-directifs menés avec huit formateurs et quatorze formatrices de trois instituts de formation des professionnels de santé (IFPS) intervenant auprès de promotions d’étudiants en soins infirmiers**. Le recueil des entretiens a été effectué en région Bretagne entre avril 2018 et janvier 2019. Aux vingt-deux entretiens réalisés avec des formateurs en activité, s’en ajoute un vingt-troisième réalisé avec une ancienne formatrice ayant fait le choix de réintégrer un service de soins – en qualité de cadre de santé – après quatre années d’exercice en IFPS.

L’ensemble des cadres de santé interrogés observent que l’absentéisme étudiant est beaucoup plus fréquent sur les périodes de cours à l’Ifsi que sur les temps dédiés aux stages en milieu professionnel : « Les absences, c’est plus à l’école qu’en stage ». Les formateurs distinguent différentes formes d’absentéisme étudiant, pratiques qu’ils associent à diverses causalités :

- Ne pas pouvoir se rendre à l’Ifsi en raison de problèmes de santé (absentéisme maladie) : « Il y en a peut-être qui ont plus des grosses maladies, avec des gens qui sont absents vraiment pour des raisons de santé importantes ».

- S’absenter des cours par manque de motivation personnelle et d’appétence pour le cursus en soins infirmiers : « Ce sont des personnes qui vont arrêter car elles ne sentent pas bien dans la formation, elles ne trouvent pas d’intérêt et bien avant d’arrêter, elles vont être absentes. Je pense que ce sont des gens qui se sont trompés d’orientation ».

- Ne pas assister à certains cours au regard d’un désintérêt pour les enseignements jugés trop théoriques et/ou peu utiles pour l’apprentissage du métier infirmier : « L’année dernière, en première année, c’étaient les cours de sociologie au deuxième semestre qui ont eu peu d’étudiants (…) Ils préfèrent être présents sur des enseignements plus concrets pour eux ».

- Se passer de participer aux cours parce qu’il est possible d’accéder facilement aux contenus pédagogiques et aux connaissances attendues en dehors des séquences pédagogiques organisées en présentiel à l’Ifsi (via des manuels, des supports internet, etc.) : « Les gens ont d’autres moyens d’apprendre que par le cours magistral, c’est dépassé. Le problème, c’est effectivement qu’il y a des personnes qui vont aller se renseigner ailleurs, récupérer les cours, les infos ailleurs ».

- S’autoriser – à certaines périodes de l’année – à manquer des cours pour réviser, mieux se préparer aux examens et augmenter ses chances d’obtenir le diplôme en fin de cursus : « Il n’y a pas de préparation aux évaluations. Ils sont en cours le mardi et le mercredi, ils sont en évaluation. Donc, ils peuvent très bien ne pas venir le lundi et mardi en cours pour réviser ».

- Ne pas être présent en cours les lendemains de soirées festives estudiantines (fatigue, manque de sommeil, etc.) : « Surtout le vendredi matin ! C’est l’effet du jeudi soir. Ça, c’est assez flagrant quand même ».

Au-delà de ce phénomène d’absentéisme étudiant en cours, nous avons été étonnés de constater l’existence d’un second comportement chez les futurs infirmiers : le présentéisme en cours.

De l’absentéisme en cours au présentéisme en cours

Une conduite inattendue

De moindre importance par rapport à l’absentéisme en cours, le présentéisme (présence excessive) a pourtant été évoqué de façon régulière et spontanée par les formateurs au fil des entretiens. Si la thématique du présentéisme en stage avait été prévue et introduite dans la première version du guide d’entretien, celle relative au présentéisme en cours n’a fait son apparition qu’à l’issue du premier entretien exploratoire. La revue de littérature réalisée en amont de l’enquête de terrain n’avait pas permis de repérer ce type de comportement. Les recherches consacrées au présentéisme étudiant en formation sont rares et celles portant plus précisément sur le présentéisme en cours s’avèrent quasi inexistantes. La seule étude sociologique relevée sur le sujet concerne des étudiants en master de gestion. Son auteur indique que « Plus 55 % d’entre eux se sont déjà présentés à l’université dans l’année alors qu’ils étaient malades […] » ; ce taux « correspond à une moyenne de 6 jours par étudiant chaque année »(8). En dehors de cette enquête ponctuelle, il n’existe pas – à notre connaissance – d’études menées sur cette même question au sujet des étudiants en soins infirmiers.

Comment définir le présentéisme étudiant en cours ? La notion de présentéisme fait l’objet de multiples définitions dont le sens varie selon les auteurs, les disciplines ou encore les périodes(9). La définition qui semble actuellement faire consensus au sein de la communauté scientifique est celle d’Éric Gosselin et Martin Lauzier. Pour ces deux chercheurs québécois, « Le présentéisme caractérise le comportement du travailleur qui, malgré des problèmes de santé physique et/ou psychique nécessitant de s’absenter, persiste à se présenter au travail »(10). Cependant, cette définition ne s’applique qu’aux professionnels en poste et ne concerne pas les futurs professionnels en formation. Aussi, le présentéisme étudiant sera-t-il défini ici comme le fait d’être présent d’une façon excessive, volontairement ou sous contrainte, en cours à l’Ifsi.

Ce qu’en disent les formateurs

À partir des témoignages et des situations relatées par les formateurs, il est possible de dégager trois formes principales de présentéisme étudiant. Ces dernières sont très proches des formes de présentéisme généralement constatées dans l’ensemble de la population salariée(11) :

- Être présent mais de manière paradoxale, sans concentration ni attention pour le cours, sans être complétement en possession de ses moyens ou en faisant autre chose. Il s’agit du cas de figure le plus fréquent ; les étudiants sont physiquement présents en cours, mais en sont absents mentalement et intellectuellement : « Ils sont là mais ils ne sont pas là ». Les formateurs repèrent facilement ces comportements en raison de leur forte visibilité : « Ils sont derrière leurs écrans (ordis, tablettes) » ; « Ils ne se cachent pour lire le journal » ; « Ils sont sur Facebook, ils sont devant et ils jouent devant vous » ; « Certains décrochent même leur téléphone alors qu’on est à un mètre d’eux » ; « Ils dorment sur la table dans l’amphi, la tête dans les mains » ; « Ils sont en train de papoter » ; « Tous les 15 jours, ils ont des foires et des sorties, donc ils arrivent dans un piteux état le vendredi matin. Ce n’est pas lié à la maladie, c’est lié à la vie étudiante, à des événements entre étudiants qui ont lieu le soir ».

- Être présent en mauvaise santé, venir en cours malgré la maladie en raison d’un fort engagement dans la formation, au risque de contaminer les autres étudiants (présentéisme maladie) : « Disons que les motivés, ils vont le faire du début à la fin. On sait qu’il y a des groupes de motivés où ils vont perturber la classe parce qu’ils toussent, ils crachent, ils éternuent. On les voit bien. À la limite, c’est nous qui intervenons en disant : « Écoutez, rentrez chez vous parce que là, vraiment, vous me faites pitié ». Et des malaises qu’on a vus en cours en disant : « Il faut appeler quelqu’un pour venir vous chercher, ne restez pas comme ça ». On a ça. Et puis c’est vrai qu’ils ne s’autorisent pas non plus à s’absenter ».

- Être trop présent par dépassement des horaires, venir plus tôt en cours ou partir après l’heure de fin pour parfaire ses apprentissages ou entretenir des liens de sociabilité avec ses camarades : « Certains viennent plus tôt pour papoter avec les copains mais pour vraiment bosser non… C’est une quinzaine d’étudiants » ; « Et après, il y a toujours ceux qui restent après le cours pour poser des questions, ça ne les dérange pas de partir plus tard du moment qu’ils ont la réponse à leur question ».

Ces observations ne doivent pas faire perdre de vue le fait que le présentéisme en cours demeure un phénomène de moindre ampleur par rapport au présentéisme en stage(12). D’une manière générale, les futurs infirmiers privilégient la formation pratique et clinique en situation réelle dans les services de soins. De fait, les étudiants sont moins absents et plus présentéistes sur les terrains professionnels qu’à l’Ifsi : « J’ai toujours l’impression que les étudiants mettent beaucoup en avant l’apprentissage en stage parce qu’ils sont en situation de travail, donc ça, ils y tiennent beaucoup ». Il est d’ailleurs rapporté que « le rôle de la formation pratique est particulièrement majoré dans le développement du stress des étudiants en soins infirmiers »(13).

Conclusion

Douze années après l’introduction du principe de l’alternance dans la formation en soins infirmiers, les articulations entre « théorie » et « pratique », « savoirs » et « savoir-faire », « école » et « terrain professionnel », « étudiant » et « stagiaire », « infirmier formateur » et « infirmier praticien » ne semblent donc pas encore complètement concrétisées. Les modalités de cette alternance (rythme de la formation, agencement des contenus pédagogiques, progressivité des apprentissages sur les trois années du cursus, etc.) mériteraient sans doute d’être évaluées à l’aune des expériences et vécus des étudiants et de leurs formateurs.

Encadré 1

Référentiel de formation – Annexe III de l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier (extrait)

Le référentiel de formation met en place une alternance entre l’acquisition de connaissances et de savoir-faire reliés à des situations professionnelles, la mobilisation de ces connaissances et savoir-faire dans des situations de soins, et, s’appuyant sur la maîtrise des concepts, la pratique régulière de l’analyse de situations professionnelles. […] L’enseignement clinique des infirmiers s’effectue au cours de périodes de stages dans des milieux professionnels en lien avec la santé et les soins. Ces périodes alternent avec les périodes d’enseignement en institut de formation. Selon la directive européenne 2005/36/CE : « L’enseignement clinique se définit comme étant le volet de la formation d’infirmier par lequel le candidat infirmier apprend, au sein d’une équipe, en contact direct avec un individu sain ou malade et/ou une collectivité, à organiser, dispenser et évaluer les soins infirmiers globaux requis à partir des connaissances et compétences acquises ».

http://www.legifrance.gouv.fr

Encadré 2

Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier modifié le 13 décembre 2018 (extrait)

- Article 14 : La présence lors des travaux dirigés et des stages est obligatoire. Certains enseignements en cours magistral peuvent l’être également, en fonction du projet pédagogique de l’institut. Toute absence doit être justifiée par un certificat médical ou toute autre preuve attestant de l’impossibilité d’être présent à ces enseignements ou évaluations.

- Article 32 : Le stage est validé dès lors que l’étudiant remplit les conditions suivantes : 1° Avoir réalisé la totalité du stage : la présence sur chaque stage ne peut être inférieure à 80 % du temps prévu pour ce stage, sans que les absences ne dépassent 10 % de la durée totale des stages sur l’ensemble du parcours de formation clinique […].

http://www.legifrance.gouv.fr

Bibliographie

1. Pollak P, Ricroch L. Arrêts maladie dans le secteur hospitalier : les conditions de travail expliquent les écarts entre professions. Études et Résultats 2017;1038.

2. Allouche W, Lghabi M, Benali B, El Kholti A. L’évaluation du présentéisme en milieux de soins. Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2018;3:467-8.

3. Rainbow JG. Presenteeism : Nurse perceptions and consequences. Journal of Nursing Management 2019;27(7):1530-7.

4. Kim J, Suh EE, Ju S, Choo H, Bae H, Choi H. Sickness Experiences of Korean Registered Nurses at Work : A Qualitative Study on Presenteeism. Asian Nursing Research 2015;10(1):32-38.

5. Dumas M, Berthe B. État de santé et présentéisme des soignants. Journal de Gestion et d’Économie de la Santé 2021;2:87-108.

6. El Hor C, Chambaretaud V, Perrier S, Martin L. Absentéisme des étudiants en soins infirmiers et nouvelle réforme. Soins Cadres 2012;82:29-30.

7. Hontebeyrie J. Les absences des étudiants au cours de leur formation en soins infirmiers en France, les apports d’une approche quantitative. Revue Francophone Internationale de Recherche Infirmière 2021;3:4.

8. Monneuse D. Le surprésentéisme. Travailler malgré la maladie. De Boeck 2013:41.

9. Jaouën M. Le présentéisme, un concept à l’ébauche. Travail et Changement 2014;35:6-9.

10. Gosselin E, Lauzier M. Le présentéisme. Lorsque la présence n’est pas garante de la performance. Revue Française de Gestion 2010;211:16.

11. Serazin B. Présentéisme : une autre face de l’équisemenent professionnel ? Travail et Changement 2014;35:2-3.

12. Douguet F. Stage et présentéisme. Les étudiants infirmiers sous le regard de leurs formateurs. Gestions Hospitalières 2021;609 :455-457.

13. Lamaurt F, Estryn-Béhar M, Le Moël R, Chrétien T, Mathieu B. Enquête sur le vécu et les comportements de santé des étudiants en soins infirmiers. Recherche en Soins Infirmiers 2011;105:56.

  • Notes
  • * Les écarts de résultats relevés entre les deux enquêtes tiennent, pour partie, à des différences méthodologiques (sources de données mobilisées, périodicités étudiées, indicateurs retenus, etc.).
  • ** Cette étude s’inscrit dans la recherche pluridisciplinaire PRES-ANTS (PRESentéisme des soignANTS) ayant bénéficié d’un soutien financier de la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne (MSHB). Plusieurs entretiens ont été réalisés par des étudiantes lorientaises dans le cadre d’un travail de fin d’études : Capitaine K, Glot A, Fumaneri E, Le Bouhellec C, Lohier J. Les cadres formateur.rice.s en Institut de formation des professionnel.le.s face à l’absentéisme et au présentéisme des étudiant.e.s de santé. Mémoire de Master 2 Intervention et Développement Social. Université Bretagne Sud, Lorient, 2019.