Publié en septembre 2020, le rapport issu d’une réflexion collective menée par la commission des 1 000 premiers jours présidée par le psychanalyste Boris Cyrulnik est assorti d’une série de recommandations pour mieux accompagner les parents avant, pendant et après la grossesse jusqu’aux 2 ans de l’enfant. Comment ces mesures se sont-elles traduites sur le terrain ? Ont-elles permis des avancées ? État des lieux.
Il y a bien eu quelques travaux marquants, tels que ceux, fondateurs, de John Bowlby sur la théorie de l’attachement, de Donald Winnicott sur l’influence de l’environnement dans le développement de l’enfant, ou encore de Françoise Dolto et Marcel Rufo, deux figures de référence ayant contribué, en France, à une meilleure compréhension et prise en charge des enfants. Il manquait néanmoins une ligne politique claire, unanime, à laquelle l’ensemble des professionnels de la périnatalité puissent se référer pour accompagner au mieux les futurs et jeunes parents durant les premiers jours de vie de leurs enfants. Alors lorsqu’en 2020, le rapport de la commission « 1 000 premiers jours » fut dévoilé, proposant des recommandations basées sur les savoirs les plus récents durant cette période de vie unique qui court des premiers mois de grossesse au seuil de l’école maternelle, il reçut un accueil des plus favorables. « Ce travail a permis de balayer collectivement cette période pour mettre en évidence les incohérences et les difficultés de prise en charge et de savoir comment on pouvait y répondre concrètement », salue Peggy Alonso, présidente de l’Association nationale des infirmiers puériculteurs (ANPDE). Peut-on pour autant parler d’un point de bascule ? Cette vaste consultation a-t-elle marqué un tournant dans la politique de la petite enfance ? « Je dirais plutôt qu’elle a enclenché une dynamique contribuant à une prise de conscience collective sur l’importance de cette période », nuance pour sa part Nathalie Casso-Vicarini. La fondatrice et déléguée de l’association Ensemble pour la petite enfance salue néanmoins des avancées notables, telles que l’allongement du congé paternel de 11 à 28 jours ou l’enrichissement de la formation des professionnels.
De fait, depuis septembre 2020, cette dynamique a donné naissance à plusieurs dizaines d’actions autour des 1 000 premiers jours. Parmi elles, la remise systématique d’un sac des 1 000 premiers jours lors du séjour à la maternité, le lancement d’une application mobile comportant des informations simples et fiables à destination des parents ou encore, plus récemment, l’entrée en vigueur d’une nouvelle version du carnet de santé avec des données et des conseils actualisés. Autre mesure phare : la mise en place de deux entretiens supplémentaires durant la période péri et postnatale, l’un réalisé au quatrième mois de grossesse et le second après l’accouchement afin de repérer les situations de vulnérabilité le plus précocement possible. « De manière générale, le rapport a catalysé une prise de conscience significative concernant l’importance d’accompagner la période péri et postnatale. On sait désormais qu’il y a une continuité entre l’anténatal et le postpartum, sauf cas exceptionnels, et on parle de parcours ; ce qui se traduit par la mise en place d’outils adaptés au dépistage précoce », souligne Anne Evrard, coprésidente du collectif interactif des associations de naissance (Ciane). Dans certains territoires pionniers, la publication du rapport a confirmé une dynamique déjà amorcée. Ainsi, au centre hospitalier universitaire du Vinatier, à Lyon (69), des consultations préconceptionnelles sont expérimentées depuis 2018 auprès des femmes souffrant de troubles psychiques. L’objectif : intervenir le plus tôt possible en accompagnant le désir d’enfant et la future parentalité pour éviter une hospitalisation. Et si leur pérennisation est avant tout le fruit d’une volonté de l’établissement d’encourager ce type de démarche, son ouverture récente aux femmes en parcours de procréation médicalement assistée, elle, s’inscrit pleinement dans le sillage d’une diffusion plus large des connaissances sur le développement précoce de l’enfant. « Ces deux dernières années, on a eu beaucoup plus de demandes de personnes ne présentant pas forcément des troubles psychiques sévères, alors que c’était le public visé à l’origine du dispositif. Les patients sont mieux informés des risques et n’attendent pas la crise pour anticiper. Du côté des médecins, l’orientation est aussi plus rapide depuis qu’on fait partie du réseau de périnatalité », applaudit Audrey Gallières, l’infirmière en charge de ces consultations depuis le début.
Amélioration du repérage et de la prise en charge des vulnérabilités des mères, allongement de la présence paternelle à la naissance pour favoriser des interactions de qualité et une équité dans la répartition des tâches parentales… Au-delà des parents, le rapport s’est également largement penché sur les besoins des enfants dans cette période décisive. L’occasion de mobiliser actuels ou nouveaux acteurs autour des premiers moments clés de vie, comme dans le Calvados où l’ADMR, un réseau associatif de service à la personne, s’est emparé de l’appel à projets lancé en 2022 pour mettre en place un cycle de 14 ateliers pédagogiques. Le but ? Sensibiliser les familles à la qualité de l’environnement. « Nous avons choisi d’intervenir dans ce champ car nous pensons que la santé de l’enfant commence par la qualité de l’habitat dans lequel il grandit. Beaucoup de parents fument chez eux, utilisent des produits ménagers toxiques ou n’aèrent pas leur logement. Il s’agit de repartir de zéro en les informant des dangers auxquels ils exposent leurs enfants », décrit Noémie Lecœur, chargée de projet au sein de cette association. Autre lieu, autres ateliers. En Corse, le centre intercommunal d’action sociale propose de son côté une « parent’aise » aux familles qui résident dans le pays ajaccien. Adressées par un travailleur social, celles-ci peuvent assister gratuitement à des animations organisées dans les différents services d’accueil de proximité. Au programme : massage, yoga, portage, formation aux premiers gestes de secours, sophrologie, allaitement, etc. Le plus ? La présence d’un spécialiste de la petite enfance pour répondre à leurs questions sur la parentalité. « C’est un constat. Les parents sont en demande de temps d’échanges avec leurs pairs et de conseils de professionnels. Ces animations favorisent les rencontres mais aussi leur font connaître les lieux auxquels ils peuvent avoir accès autour de chez eux, comme la protection maternelle et infantile (PMI) qui, elle-même, propose de nombreuses actions », informe Sophie Appietto, éducatrice de jeunes enfants et coordinatrice de ce dispositif.
Dans le champ de la périnatalité, la PMI joue en effet un rôle central, tant pour sa capacité à effectuer le suivi des grossesses et la préparation à la parentalité, que pour surveiller le développement des jeunes enfants et réaliser des actions de dépistage précoce. Ces dernières années, cependant, elle fait face à des difficultés structurelles que le chantier des 1 000 premiers jours entamé suite à la publication du rapport n’a pas été en mesure d’infléchir. « S’il comporte bien quelques suggestions en faveur d’une meilleure collaboration avec les maternités, la PMI ne semble pas être au centre des préoccupations dans cette nouvelle politique. Pourtant, certaines structures sont vraiment en souffrance alors que ce sont des acteurs forts du maillage », regrette Anne Evrard. Au sein de ces PMI, comme dans les maternités, en hôpital de jour, en pouponnière ou en crèche, les infirmiers puériculteurs accompagnent les parcours de vie des enfants et valorisent les potentialités des parents. Leurs savoir-faire, en complète adéquation avec les attentes formulées par la commission en 2020, sont-elles pour autant suffisamment valorisées ? « Il est clair qu’elles sont encore sous-exploitées, notamment dans leur capacité à coordonner les différents acteurs autour des familles dans cette période-là. Or, cette coordination a du mal à se mettre en place, et les infirmières sont rarement missionnées sur ce volet », atteste Peggy Alonso. L’occasion se présentera-t-elle avec la généralisation du « référent parcours périnatalité » (RéPAP) ? Expérimenté entre 2021 et 2023 dans quatre territoires pilotes, cet accompagnement personnalisé par un interlocuteur privilégié intervenant dès le début de la grossesse se trouve actuellement en cours d’évaluation. « Difficile de dire à ce stade s’il sera généralisé. À Amboise, où nous l’avons testé entre janvier 2022 et décembre 2023, les retours sont très positifs. C’est un dispositif intéressant car il permet de vérifier que le suivi est bien effectué, d’anticiper le retour au domicile après la naissance et, si nécessaire, d’orienter vers les autres dispositifs existants en cas de fragilités. Le problème, c’est que ce ne sont pas les plus vulnérables qui s’en sont saisis », signale Marie-Charlotte Nishimwe, sage-femme et coordinatrice de cette expérimentation.
Même reproche pour le congé paternité qui, parce qu’insuffisamment rémunéré, est très peu utilisé. « Seuls 25 à 30 % des pères le prennent. Il aurait fallu que le gouvernement investisse bien plus pour réduire les inégalités. Il faudrait aussi réfléchir à une extension du congé de naissance pour éviter que les enfants arrivent trop tôt à la crèche. On est l’un des rares pays à accueillir les bébés aussi tôt dans des structures collectives alors qu’ils ont besoin d’attention individuelle », s’indigne Nathalie Casso-Vicarini. Pour sa part, la Convention nationale des associations de protection de l’enfant déplore un manque d’ambition vis-à-vis des enfants pris en charge par la protection de l’enfance. « Il y a eu finalement assez peu d’actions qui leur étaient directement adressées, alors qu’elles seraient nécessaires pour prévenir l’apparition ou l’aggravation des difficultés éducatives et apporter très rapidement un accompagnement précoce pour éviter des mesures beaucoup plus curatives », instruit Pauline de la Lisa, sa responsable prévention et vulnérabilités des familles. Autre source de mécontentement : les financements. Plusieurs centaines de projets sont expérimentées depuis 2021 grâce aux différents appels à projets. Combien sont pérennisés à ce jour ? « On peut espérer qu’après la prise de conscience qui a suivi la publication du rapport des 1 000 premiers jours, on ne va pas s’en tenir à des actions temporaires car la volonté des professionnels d’œuvrer dans le sens du bon développement de l’enfant, de son bien-être et de celui de ses parents est intacte, certifie Émilie Billaud, gérante de l’Étoile des familles qui porte la création d’une maison des 1 000 premiers jours à La Rochelle (17). L’objectif est de transformer la société, et cela ne se fera pas en une génération. »
L’application « 1 000 premiers jours », lancée en septembre 2021 par le ministère des Solidarités et de la Santé, est conçue pour accompagner les parents du projet de parentalité jusqu’aux 2 ans de l’enfant. Structurée en huit étapes clés, elle offre un parcours personnalisé riche en informations scientifiques et pratiques. Les parents bénéficient d’un calendrier interactif pour suivre les événements importants, d’une cartographie des services de proximité et d’un questionnaire de prévention des risques de dépression postpartum. Fruit d’une collaboration avec des professionnels de santé et des parents, l’application a été développée après une phase d’investigation impliquant 5 000 familles. Désormais, elle compte environ 150 000 utilisateurs et se positionne comme une ressource essentielle pour accompagner la parentalité, en fournissant des informations fiables et un soutien personnalisé tout au long des 1 000 premiers jours.