ONE HEALTH : UN CHANGEMENT DE CULTURE QUI PROGRESSE - Ma revue n° 030 du 01/03/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 030 du 01/03/2023

 

PRÉVENTION

J’EXPLORE

ONE HEALTH

Marine Neveux  

Dre vétérinaire, rédactrice en chef de la Semaine Vétérinaire

Le congrès 2023 de La Prévention médicale le 27 janvier à Paris a fait une place belle à « One Health : une seule santé pour la Terre, les animaux, les hommes », lors d’une table ronde dédiée. Le sujet avance donc auprès des professionnels de santé.

Nanosciences, impression 3D, éthique du numérique… mais aussi One Health ont trouvé leur place lors du dernier colloque de La Prévention médicale, montrant les ponts qui se construisent entre les différentes santés. En effet, le thème général du colloque cette année portait sur les innovations, notamment technologiques, en santé. Il est intéressant de noter que le milieu médical perçoit (enfin ?) le concept One Health comme « une idée nouvelle ».

L’objet principal de La Prévention médicale est la prévention en santé, essentiellement celle des événements indésirables graves (EIG) liés aux soins, dans une démarche de gestion des risques, avec l’idée de développer la culture de la qualité et de la sécurité. En 2020, La Prévention médicale avait déjà abordé la thématique « Zoonoses, une seule santé ».

UN CHANGEMENT DE CULTURE

« One Health, un changement de culture nécessaire » était l’intervention d’introduction de notre confrère Jean-Luc Angot, envoyé spécial nommé par l’Élysée pour Prezode (Preventing Zoonotic Diseases Emergence), coprésident du groupe Une seule santé du PNSE4 (plan national santé-environnement 4). Il rappelle que le concept du vivant, animal et végétal, est complexe et réunit une approche interdisciplinaire, une intersectorialité. Et ce, à toutes les échelles : locale, nationale, régionale, mondiale. Lors de la crise du Covid, les deux médecines (humaine et animale) ont d’abord mis du temps à collaborer (par exemple, les laboratoires de biologie vétérinaire possédaient des automates pour réaliser les tests, mais ils n’ont été utilisés que tardivement en raison de contraintes administratives). De même, il a fallu attendre un an pour voir reconnue la pertinence de l’approche collective et la nomination d’un vétérinaire, Thierry Lefrançois au Comité scientifique Covid-19. « Ce n’est pas encore intuitif, il faut un changement de culture. » La santé des écosystèmes est également essentielle, « c’est aussi la nouveauté dans le concept One Health en comptant la santé des végétaux, des écosystèmes, incluant le réservoir de la faune sauvage, le rôle de la biodiversité ».

One Health ouvre un large champ d’action : gouvernance, prévention, préparation, surveillance, biosécurité, recherche, formation, communication, évaluation… La gouvernance montre l’importance d’avoir une communication interministérielle. Dans les politiques publiques ont été développés le PNSE4, l’agro­écologie, la biodiversité, la lutte contre l’antibiorésistance.

Jean-Luc Angot n’a pas manqué de rappeler que « les vétérinaires de l’État travaillent en étroite collaboration avec les bras armés que sont les vétérinaires de terrain, qui disposent d’un mandat sanitaire ». En outre, la recherche nécessite un partenariat public-privé.

La prévention reste le maître mot pour éviter que de nouvelles crises sanitaires dramatiques ne surviennent. Le dernier rapport de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBS) appuie la nécessité d’investir sur la prévention : le rapport est de 1 à 100 entre les investissements sur la prévention versus ceux sur la gestion des crises bien plus coûteuse.

Pour Philippe Michel, praticien hospitalier et professeur à l’université Claude-Bernard Lyon 1 (Rhône), la gestion du Covid permet de retirer certains enseignements. « Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas, développe-t-il, cela nous place dans une gestion des risques particulière. » Or, les systèmes hospitaliers de santé sont des systèmes à haute organisation, et non des systèmes à la base « résilients ». La pandémie était une situation qui a bouleversé la gestion du risque.

LES PLANTES :PILIER DU ONE HEALTH

Damien Cunny, écotoxicologue et professeur à la faculté de pharmacie de l’université de Lille (Nord), estime quant à lui que les plantes sont un rouage essentiel du concept One Health. Les maladies émergentes sont liées à la dégradation des écosystèmes. En outre, les végétaux sont le socle des écosystèmes terrestres ; ils sont à la base des réseaux trophiques et à l’origine de nombreux services écosystémiques. La dégradation des écosystèmes naturels a un effet domino. Les végétaux sont le premier maillon des écosystèmes, si on le modifie, on change le schéma proies-prédateurs. Selon Damien Cunny, la déforestation est un enjeu majeur. La non-protection des plantes peut également avoir des conséquences sur la santé humaine à plusieurs niveaux. Le conférencier cite le développement de champignons, comme Fusarium (impliqué dans les infections opportunistes). Les utilisations de phytosanitaires ne sont pas sans conséquences non plus. Il existe des résistances chez les plantes, mais aussi chez les vecteurs de maladies humaines. « On essaie aujourd’hui de chiffrer les services écosystémiques, poursuit Damien Cunny, les végétaux ont des fonctions supports, par exemple la photo­synthèse permet de faire de la matière organique et d’entretenir une chaîne alimentaire. » Autres exemples : la renatu­ralisation des villes, pour apporter de l’ombre et faire baisser les températures lors de canicule, améliorer les sols. « 50 % des lichens ont des propriétés antibiotiques. Aujourd’hui, c’est un réservoir que l’on n’a pas encore exploité pour lutter contre l’antibio­résistance et avoir de nouveaux espoirs thérapeutiques. Quand on dégrade les écosystèmes, on fait disparaître de telles sources. » Et de conclure que la santé végétale a été oubliée et doit être remise au goût du jour. À la question des deux plus grands risques, Damien Cunny estime que le premier est la pollution chimique (polluants, pollution atmosphérique) et le second, l’altération de la biodiversité.

SENSIBILISATION

Le travail de pédagogie et d’éducation reste donc essentiel. « Il y a une éducation à faire dès le plus jeune âge, martèle Jean-Luc Angot, l’alimentation est aussi le premier médicament. » En termes de formation initiale, des projets de tronc commun entre les professions de santé, les écologues… sont en cours. Les avancées sont là, en témoigne par exemple la création à Lyon de l’Institut One Health. Le professeur Jean-Claude Granry, au centre hospitalier universitaire et université d’Angers (Maine-et-Loire), identifie l’oncologie comme un domaine où One Health fait sens. D’ailleurs, le Paris Saclay Cancer Cluster est présidé par un vétérinaire, Éric Vivier !

Le Dr Jacques Lucas, médecin et président de l’Agence du numérique en santé, soulève la question de l’éthique et du lien entre les santés. Abordant Hippocrate, « One Health devrait être traduit en grec pour revenir aux origines ! », déclare-t-il. L’éthique est la recherche de ce qui est bien, de l’équité, de l’autonomie, de la justice. « L’éthique c’est aussi ne pas tra­vailler en silo. L’organisation d’un système incluant One Health doit être dans cette perspective. On se heurte aujourd’hui à des modes de pensée qui font qu’il n’y a pas assez de partages. » Jean-Luc Angot appuie la notion de One Welfare dans One Health.

De gauche à droite : Dr Jacques Lucas, président de l’Agence du numérique en santé, Dr vét. Jean-Luc Angot, envoyé spécial Prezode, Pr Philippe Michel, de l’université Claude-Bernard Lyon 1, Pr Jean-Claude Granry, CHU et université d’Angers, Damien Cunny, écotoxicologue et professeur à la faculté de pharmacie de l’université de Lille.

Article publié dans La Semaine vétérinaire n° 1975, 3 février 2023.