LES ATELIERS CUISINE SONT-ILS EFFICACES ? - Ma revue n° 030 du 01/03/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 030 du 01/03/2023

 

PATIENTS OBÈSES

JE RECHERCHE

PARCOURS

Marie-Capucine Diss  

Diététicien, Damien Galtier coordonne la cellule de la recherche paramédicale du centre hospitalier Manhès. Dans ce cadre, il pilote un projet d’évaluation d’ateliers culinaires qui, après l’épidémie de Covid-19, a pris une forme numérique.

Depuis ses débuts professionnels, la créativité l’anime. Son diplôme de diététicien en poche, Damien Galtier partage son temps entre l’hôpital Manhès, à Fleury-Mérogis (Essonne), et des activités complémentaires. Il souhaite rendre accessibles au grand public les notions d’équilibre alimentaire, mais aussi de plaisir, d’humeur et de goût. Il publie une série de livres et devient chroniqueur dans des émissions de radio et de télévision. En 2015, le diététicien augmente son temps de travail hospitalier. L’esprit affûté par les lectures qu’il a réalisées pour la rédaction de ses ouvrages, il se sent attiré par la recherche. Aux côtés d’Isabelle Petit-Graff, éducatrice médicosportive dans l’établissement, il soumet une demande pour l’obtention de la bourse Avenir Recherche proposée par la Fondation de l’Avenir, qui finance leur reprise d’études. La directrice du centre hospitalier (CH) Manhès soutient le projet des deux professionnels. Une fois leur diplôme universitaire (DU) de recherche en soins obtenu, en 2016, ils inaugurent la cellule de recherche en soin et prévention (Cresp) de l’établissement.

PREMIÈRE PARTICIPATION AU PHRIP

Damien Galtier a consacré son mémoire de DU à l’impact d’ateliers de cuisine dans un hôpital pour les patients en situation d’obésité. Sébastien Czernichow, responsable du service nutrition de l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), fait partie du jury. Il lui conseille de transformer ce travail en étude multicentrique menée sur plusieurs établissements traitant de l’obésité, et de candidater au Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP). Le diététicien ne pense pas être en mesure d’atteindre ce Graal mais se met quand même au travail. Envoyée après quelques hésitations, sa lettre d’intention est sélectionnée. Le diététicien propose de comparer l’effet de deux types d’ateliers : l’un de facture classique, avec l’intervention d’une diététicienne montrant comment réaliser des recettes équilibrées, l’autre basé sur le défi culinaire « que fait un patient avec des aliments qui lui sont proposés ? » L’HEGP et l’hôpital de la Salpêtrière sont associés au projet baptisé CuisTO. Celui-ci ne figure pas dans la sélection finale. « Je proposais comme critère principal le sentiment d’efficacité personnelle [lire encadré Savoir + p. 45, NDLR], via la comparaison entre les deux types d’atelier, raconte Damien Galtier. Aucune étude n’avait encore prouvé l’efficacité d’ateliers culinaires auprès de patients obèses. On m’a reproché de brûler les étapes. Le jury a également pointé le fait que mon critère principal n’était pas assez diététique. Enfin, on s’est demandé comment un petit hôpital, qui avait peu de production scientifique, allait conduire un projet de recherche auquel participeraient de grands établissements. »

SECOND ROUND

Le double défi sera relevé. La cellule de recherche initie plusieurs études. Un premier travail est réalisé afin d’évaluer l’incidence d’ateliers thérapeutiques auprès de patients obèses hospitalisés, dans des groupes comprenant des déficients intellectuels. « Ces personnes avaient pris du poids à l’issue de l’hospitalisation, alors que les autres patients en avaient perdu, explique le diététicien. Notre discours basé sur le non-régime et l’importance de prendre en compte la notion de plaisir dans l’alimentation avait été mal interprété. Ils en avaient conclu qu’ils pouvaient manger sans limites. Nous nous sommes demandé si c’était une bonne idée de les intégrer dans les groupes. » Le diététicien et l’éducatrice médicosportive reprennent tous les éléments à disposition dans les archives de l’hôpital sur les deux dernières années pour avoir une vision au long cours. En dehors de leur période d’hospitalisation, les patients sont suivis au CH Manhès. Pendant six mois, les chercheurs épluchent les données cliniques, les comptes rendus de la psychologue et ceux de l’assistante sociale. Les résultats sont saisissants. Le score Epices(1) de ces patients déficients connaît une nette amélioration. Leur comportement est modifié par les deux semaines d’éducation thérapeutique du patient (ETP). Ils parlent plus avec les autres, vont vers eux, et restent en contact avec des personnes rencontrées lors de leur hospitalisation.

Cette étude, intitulée « Impact de l’intégration de patients obèses présentant une déficience intellectuelle à un programme d’ETP classique lors d’une hospitalisation », fait l’objet d’un article qui obtient le prix de la meilleure recherche au congrès de l’Association française des diététiciens nutritionnistes (AFDN) en 2017. D’autres études sont menées, comme l’évaluation de l’efficacité de l’affichage du score nutritionnel des aliments proposés dans un self-service, qui débouchera sur la participation de la Caisse de retraite des établissements de soins privés aux démarches menées par Serge Herzberg, inventeur du Nutri-Score, pour diffuser cet outil auprès d’industriels de l’agroalimentaire.

En 2019, Damien Galtier et sa cellule de recherche se sont aguerris. CuisTO est à nouveau présenté au PHRIP. L’adhérence au Programme national nutrition santé (PNNS) devient le critère d’évaluation principal de l’étude, prenant en compte la consommation de fruits et légumes et celle de produits industriels. Le sentiment d’efficacité personnelle passe en critère de second rang. Un questionnaire de priorisation des objectifs lui est associé. Cet outil, créé par la Cresp, permet de mesurer en douze points la motivation des patients. Cinq hôpitaux participent à l’étude : l’HEGP, la Pitié-Salpêtrière, l’hôpital de Forcilles (Seine-et-Marne), le CH de Bligny (Essonne) et l’hôpital Cognacq-Jay à Paris. Une méthodologie en « stepped wedge » (lire encadré Info + p. 44) permet de comparer les groupes réalisant des ateliers classiques avec ceux mettant en place des défis culinaires. Dix diététiciennes vont apprendre la technique du défi culinaire et animer les ateliers. Les investigations seront menées dans chaque établissement par une diététicienne formée aux bonnes pratiques cliniques par une attachée de recherche clinique (ARC) extérieure.

LE DÉFI DU COVID-19

CuisTO est sélectionné dans le PHRIP 2019 avec la mention « très prioritaire ». Cette bonne nouvelle est à peine digérée que le covid arrive. Damien Galtier renfile sa blouse blanche pour soutenir les équipes soignantes. Les cuisines des hôpitaux sont transformées en vestiaires ou en salles d’attente. Quand la vague s’apaise, le diététicien évoque une alternative auprès de son conseil scientifique. Pourquoi ne pas avoir recours à la visioconférence pour les ateliers ? Cette solution présente également l’avantage d’offrir plus de souplesse aux participants et aux diététiciennes. L’idée semble pertinente pour la direction générale de la santé (DGS), qui valide la modification du protocole. Si les lignes du budget peuvent être changées, son montant total ne peut être revu à la hausse. Un entrepreneur présenté par l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France et financé en partie par elle entre dans la danse. Thomas Bozzo propose une plateforme sécurisée et une aide en direct qui permettra aux participants de résoudre d’éventuels problèmes techniques, sans que le déroulement des ateliers ne soit perturbé. Le projet CuisTO a obtenu l’accord du Comité de protection des personnes. Les dernières conventions ont été signées avec l’ensemble des établissements et les inclusions ont débuté en février.

Damien Galtier est également persuadé d’être au cœur de sa mission avec des projets tournés vers la ville : « J’ai souvent l’impression que les discours que l’on peut avoir, les messages d’information, de recommandations, ne s’adressent pas à tout le monde. Une partie de la population est largement oubliée. Il me paraît évident qu’il nous faut aller vers ce public, qui n’a pas la possibilité de s’informer ou de s’éduquer. » Le chercheur hospitalier apporte l’expertise de la Cresp dans un projet intégré, PrévAlim (lire encadré p. 44). Il développe également le projet CuisTO, prolongement en ville de CuisTO. Divers ateliers de cuisine sont montés et évalués par la cellule de recherche, en lien avec le tissu associatif et les services sociaux communaux. L’ARS finance un nombre important de projets de prévention à destination des populations précaires, mais les évaluations sont rares. D’où l’intérêt porté aux recherches « clés en main » menées par la cellule, que l’agence finance volontiers. Au programme des ateliers culinaires, approche multiculturelle, intervention auprès d’un club de football, cuisine en famille, défis et ateliers en visioconférence dans des centres de prévention. Et pour que l’expérience profite à tout le monde médical, une ingénieure en pédagogie de la santé, travaillant pour le réseau Romdes (impliqué dans le projet PrévAlim) est salariée par le centre hospitalier afin d’observer et d’évaluer ces ateliers.

1. Score permettant de mesurer la précarité et la « santé sociale ». En toutes lettres, Epices correspond à Évaluation de la précarité et des inégalités de santé dans les centres d’examens de santé.

RÉFÉRENCES

    SON PARCOURS EN SIX DATES

    1986 Diplôme d’État de diététicien.

    2000 Mi-temps au centre hospitalier (CH) Manhès.

    2016 Diplôme universitaire de Recherche en soins.

    2017 Temps plein de coordonnateur de la Cellulede recherche en soin et en prévention du CH Manhès.

    Premier prix de la communication scientifique au Congrès de l’Association française des diététiciens nutritionnistes.

    2019 Sélection du projet CuisTO par le PHRIP.

    2020 Début du programme PrévAlim.

    PrévAlim : une action en lien avec la ville

    L’association Revivre dans le monde, qui gère des épiceries sociales en Île-de-France, a répondu à un appel d’offres de l’Institut national du cancer (Inca) sur l’amélioration de la nutrition des populations bénéficiant de l’aide alimentaire. La cellule de recherche en soin et prévention (Cresp) du centre hospitalier Manhès est sollicitée pour apporter son expertise scientifique et réalise une étude sur l’offre des onze épiceries sociales de l’association et sur ce qui peut influencer les bénéficiaires dans leurs choix de produits alimentaires. Sont-ils en accord avec les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS) ? Une enquête menée auprès de 85 personnes permet de détecter par exemple des réticences à l’acquisition de produits en boîte. Certains, comme les haricots, les poivrons ou le maquereau en boîte sont pourtant de très bonne qualité nutritive. L’association Revivre dans le monde dote ses épiceries de produits recommandés par le PNNS. Un score adapté, le Nutritop, est élaboré par la Cresp et affiché dans les rayons pour mettre en valeur les produits plus intéressants pour un bon équilibre alimentaire. Cette première étude permet d’identifier le rôle fondamental des salariés ou bénévoles des épiceries dans les choix opérés. Mais ceux-ci ne disposent pas toujours des connaissances nécessaires. PrévAlim 1 débouche sur l’étude PrévAlim 2, réalisée en partenariat avec le réseau de santé de l’obésité Romdes et financée par l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France. Des ateliers sont mis en place pour cuisiner des produits intéressants sur le plan nutritif et délaissés par les bénéficiaires. Leur efficacité éducative est évaluée par la Cresp.

    Info +

    LA MÉTHODE DU “STEPPED WEDGE” ADAPTÉE À CUISTO

    Les trois premiers mois, les six centres investigateurs de CuisTO commencent une même prise en charge des patients obèses, sans atelier. Le trimestre suivant, deux centres sont tirés au sort : l’un pratiquera des ateliers classiques et l’autre des défis culinaires. Ils poursuivront ainsi jusqu’à la fin de l’étude. Le troisième trimestre, deux nouveaux centres sont tirés au sort et pratiquent de la même manière des ateliers différenciés. Pour la dernière période de l’étude, tous les centres pratiquent des ateliers, également répartis dans les deux catégories, classique et défi.

    Savoir +

    LE SEPOB, SENTIMENT D’EFFICACITÉ PERSONNELLE SPÉCIFIQUE À L’OBÉSITÉ

    Le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) a été identifié à la fin des années 1990 par Albert Bandura. Il s’agit de la croyance d’une personne en sa capacité à atteindre un but ou à mener une action à son terme. Selon le psychologue canadien, si les personnes ne sont pas convaincues qu’elles peuvent obtenir les résultats qu’elles souhaitent grâce à leur propre action, elles auront peu de raisons d’agir et de persévérer face à toute difficulté. Les personnes en situation d’obésité ont souvent un SEP faible. Celui-ci est pourtant fortement impliqué dans la qualité de la gestion du poids, l’engagement dans un programme et l’importance de perte de poids qui en résulte. En France, la psychologue Jessica Descamps (voir la bibliographie) a adapté en 2010 ce concept pour les personnes en situation d’obésité et lui a apporté une validation scientifique. Le Sepob croise les dix descripteurs de manifestation du SEP avec les quatre difficultés majeures rencontrées par les personnes obèses pour atteindre leurs objectifs : la gestion du comportement alimentaire, l’exercice physique, les relations interpersonnelles ainsi que l’image de soi et le regard des autres.