CHERCHEUSE AU SERVICE DE LA SANTÉ PUBLIQUE - Ma revue n° 030 du 01/03/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 030 du 01/03/2023

 

JE DIALOGUE

Éléonore de Vaumas  

Curieuse d’esprit et passionnée, Hélène Amazouz, infirmière diplômée d’un doctorat en épidémiologie, se distingue depuis le début de sa carrière. Son thème de prédilection ? Les associations entre les expositions environnementales, l’alimentation et les risques sur la santé.

Comment êtes-vous devenue chercheuse ?

Hélène Amazouz : À la base, je ne pensais pas du tout m’embarquer dans des études longues. À l’issue de ma licence, j’avais initialement décidé d’orienter mon parcours professionnel vers l’humanitaire, tout en étant très intéressée par la santé publique et la prévention des pathologies. C’est presque naturellement que j’ai choisi cette voie en m’inscrivant en master. J’y ai découvert l’épidémiologie et les biostatistiques et j’ai souhaité passer un doctorat en santé publique épidémiologique. Si ça n’est pas ­encore la norme, j’ai tout de même l’impression que la recherche est une direction qu’empruntent de plus en plus d’infirmières dont les connaissances paramédicales, l’expertise des soins et des patients sont de réels atouts pour mener des recherches en épidémiologie. De plus, j’imagine que cela est facilité par le système LMD (micence, master, doctorat) qui autorise des passerelles entre le diplôme d’IDE et une poursuite d’études à l’université.

Votre thèse porte sur l’alimentation et la santé respiratoire chez les enfants en milieu urbain, pourquoi vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?

H. A. : Lorsqu’on aborde les risques environnementaux, il est souvent question de pollution de l’air, mais je souhaitais pour ma part m’intéresser à la dimension alimentaire. Durant mon doctorat, que j’ai réalisé au sein de l’équipe HERA (Health Environnemental Risk Assessment), j’ai pu avoir accès aux données de la cohorte PARIS (Pollution and Asthma risk : an infant study) dont celles sur l’alimentation, récoltées auprès de 3 840 enfants nés entre 2003 et 2006. Celles-ci n’avaient jamais été exploitées, malgré leur qualité. Pour ces travaux, j’ai choisi de me focaliser sur l’alimentation durant la première année de vie des enfants et à l’âge de 8 ans. Mon objectif ? Analyser les associations entre leur alimentation durant l’enfance et leur fonction respiratoire à 8 ans, âge auquel ils ont bénéficié d’un bilan de santé approfondi. J’ai ainsi cherché à savoir s’ils avaient été allaités, si oui jusqu’à quel âge, exclusivement ou partiellement. S’ils avaient été nourris avec des préparations infantiles, s’agissait-il de laits dérivés de protéines de lait de vache, de laits partiellement hydrolysés avec le label HA (hypoallergénique) ou de laits enrichis avec des pré- ou probiotiques. J’ai aussi regardé l’âge d’introduction des aliments solides.

Et qu’avez-vous découvert ?

H. A. : Les résultats montrent que, dans la population d’étude, les enfants allaités exclusivement au moins 3 mois avaient tendance à avoir un risque d’asthme diminué à 8 ans. En revanche, et c’est plus surprenant, j’ai constaté une augmentation du risque de la sensibilisation allergénique et des marqueurs d’inflammation bronchique, ainsi qu’une fonction respiratoire abaissée chez les enfants nourris avec des laits HA par rapport à ceux nourris aux laits infantilisés standards. C’est d’autant plus problématique que dans ma cohorte, un tiers de ces enfants n’avaient pas d’antécédents familiaux d’allergie. Aujourd’hui, ces laits sont heureusement moins consommés. Il n’empêche qu’ils sont encore proposés en vente libre dans les magasins et les pharmacies et comportent l’allégation de santé « réduit le risque d’allergie ».

Votre recherche pourrait-elle changer la donne ?

H. A. : Quand il s’agit de nouvelles données comme les miennes, il faut d’abord que les preuves s’accumulent, avant que les décideurs politiques choisissent de se saisir d’une thématique et de faire évoluer les directives. Tout cela prend du temps, et il faut l’accepter. En attendant, je pense qu’on pourrait déjà mettre en place des actions pour soutenir et promouvoir l’allaitement dans le respect du choix de la femme. En France, seuls 18 % des enfants sont encore allaités à 6 mois. Nous comptons parmi les pays les moins moteurs sur ce plan-là, alors que cela fait partie des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). À mon avis, il serait bénéfique d’allonger la durée du congé du coparent, le temps que la mère puisse récupérer un peu de son post-partum et que la lactation se mette en place. Si elle fait le choix d’un congé parental, il faut que l’indemnisation soit suffisamment attractive. À ce titre, le rapport des 1 000 premiers jours considère qu’avec 75 % du revenu, cela pourrait encourager les femmes à rester plus longtemps avec leur bébé et donc favoriser l’allaitement. Au-delà de ce dernier, il est important que l’introduction de tous les aliments solides se fasse entre 4 et 6 mois, et non à partir de 6 mois comme cela pouvait être conseillé aux parents auparavant. Toutes ces préconisations semblent évidentes pour certains, mais elles ne le sont pas pour tous.

Que voulez-vous dire ?

H. A. : C’est un fait, toute la population n’a pas accès de la même façon aux informations concernant la santé publique. Il y a notamment beaucoup d’inégalités sociales en lien avec l’alimentation. C’est presque de l’injustice. Je pense sincèrement que le gouvernement devrait vraiment prendre ce problème à bras-le-corps et déployer plus de moyens pour instaurer des actions de sensibilisation et améliorer la prévention à l’intention du grand public. Car, et c’est un autre constat de ma thèse, une alimentation saine et équilibrée, à savoir une alimentation qui privilégie les fruits et légumes, les légumineuses, les céréales complètes, a des effets bénéfiques sur la santé respiratoire et diminue le risque d’allergies et d’asthme par rapport à une alimentation basique trop riche en sel, en sucre et en graisse.

Quelle vision portez-vous sur le métier d’IDE aujourd’hui ?

H. A. : Depuis que j’ai commencé à travailler il y a presque sept ans, je suis témoin d’une dégradation constante des conditions de travail. Qu’il s’agisse de structures publiques ou privées, il faut faire avec les moyens du bord, et le turnover est très important. Les équipes fixes n’en peuvent plus de devoir former de nouvelles personnes tous les quatre matins. Elles sont épuisées. Pour ma part, je n’exerce ce métier qu’en tant que vacataire pendant le week-end et mes jours de repos. Comme ce n’est pas mon quotidien, je reste enthousiaste, stimulée et enjouée par les soins, les patients et leur prise en charge.

Vous sentez-vous plus chercheuse qu’IDE ?

H. A. : Force est de constater qu’aujourd’hui je consacre plus de temps à la recherche qu’aux soins infirmiers. Je viens en effet de décrocher un contrat de post-doctorante de trois ans grâce à la Fondation pour la recherche médicale (FRM) pour étudier les associations entre les expositions environnementales, l’alimentation et l’endométriose. Il existe déjà quelques études sur ce sujet, mais tout reste encore à faire. S’il fallait que je fasse un choix entre mes deux casquettes, je privilégierais la recherche, même si mon expertise paramédicale m’accompagne au quotidien. Par la recherche, j’ai le sentiment d’œuvrer à long terme pour développer la prévention de certaines pathologies. De quoi améliorer le quotidien d’un large éventail de personnes ! C’est peut-être un peu utopiste de ma part, mais c’est aussi cet aspect qui me plaît dans ce métier.

POURQUOI ELLE ?

À 28 ans, Hélène Amazouz a déjà fait une entrée remarquée dans la recherche en épidémiologie et est récompensée à trois reprises pour ses travaux sur les associations entre les expositions environnementales et la santé des enfants en milieu urbain. En 2022, l’Académie nationale de pharmacie, l’Académie nationale de médecine et la chancellerie des universités de Paris lui décernent un prix pour ses travaux sur « l’alimentation et santé respiratoire/allergies chez les enfants en milieu urbain ». Ainsi prouve-t-elle que la recherche est aussi un domaine où les infirmières peuvent exceller.

BIO EXPRESS

2016 Obtient le diplôme d’État d’infirmierà l’hôpital Saint-Louis, université Paris Diderot.

Depuis 2016 Vacations et intérims en soins infirmiers en hôpital dans la région parisienne.

2018 Master 2 Santé publique et risques environnementaux (75).

2021 Doctorat en santé publique spécialité épidémiologie (75).

2022 Prix commun de la chancellerie des universités de Paris, des Académies nationales de médecine et de pharmacie.

2022-2025 Post-doctorat au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP) de Villejuif (94).