AU TOUR DES PARAMÉDICAUX ! - Ma revue n° 030 du 01/03/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 030 du 01/03/2023

 

NUMÉRIQUE DE SANTÉ

J’EXERCE EN LIBÉRAL

GESTION

Laure Martin  

La Délégation ministérielle au numérique en santé (DNS) a réuni en janvier les représentants des paramédicaux afin de lancer officiellementleur couloir du numérique. Objectif de ces travaux : fluidifier les échanges entre les professionnels de santé en partageant les données de santé, pour une meilleure coordination de la prise en charge des patients.

À l’été 2020, les accords du Ségur de la santé ont acté la nécessité d’investir dans le numérique, afin d’accélérer la feuille de route nationale dans ce domaine. Les tutelles ont pour cela décidé de mettre en place un Ségur du numérique en santé, budgétisé à hauteur de deux milliards d’euros. Le chantier, piloté par la Délégation ministérielle au numérique en Santé (DNS), a débuté à l’automne 2020 avec six premiers secteurs d’activité ou « couloirs » identifiés pour la généralisation du partage sécurisé des données de santé et la numérisation du parcours de soins. Après la biologie médicale, l’hôpital, la radiologie, la médecine libérale, le médico-social et l’officine, trois nouveaux couloirs ont été lancés le 20 janvier 2023 : les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes et les paramédicaux. « Nous avons observé un fort enthousiasme des acteurs présents, se félicite Xavier Vitry, directeur de projet à la DNS, l’une des trois instances faisant partie de l’équipe d’animation du couloir « paramédicaux ». Ils sont impatients de démarrer les travaux. » Outre les représentants des tutelles, les syndicats représentatifs des infirmiers libéraux (Idels), l’Ordre national des infirmiers (Oni) et les représentants des éditeurs de logiciels étaient également présents afin d’échanger autour des enjeux. « La finalité est de permettre une circulation fluide des données de santé entre les professionnels de santé via notamment l’interopérabilité des outils informatiques », explique Xavier Vitry. Concrètement, cet objectif se traduit par la création de l’Espace numérique de santé (ENS), ou Mon Espace santé, composé de plusieurs outils, pour les patients et pour les professionnels, à savoir : un coffre-fort numérique sécurisé pour stocker et partager tous les documents (ordonnances, résultats de biologie, dossier d’hospitalisation, vaccination) ; un profil médical que l’usager peut remplir avec ses informations personnelles ; une messagerie sécurisée pour les échanges entre patients et professionnels de santé ; ou encore un catalogue d’applications en santé référencées par l’État.

TIRER LES LEÇONS DE L’EXPÉRIENCE DES AUTRES

La Fédération des éditeurs d’informatique médicale et paramédicale ambulatoire (Feima) a dans un premier temps dénoncé le fait que les paramédicaux ne soient pas intégrés aux premiers couloirs alors « qu’ils sont au cœur de la coordination des soins, souligne Jean-Pierre ­Issartel, vice-président de la Feima, membre du collège paramédicaux. La DNS s’était justifiée en expliquant que ce travail demande d’importantes ressources, ce que nous entendons. » Cette déclinaison par étape présente d’ailleurs des avantages : « Arriver après les autres nous permet de gagner en agilité et en souplesse, pointe du doigt Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Et nous pouvons comprendre, face à un vaste chantier comme celui-ci, qu’avancer de front avec tous les professionnels de santé aurait pu s’avérer compliqué. »

La DNS entend ainsi s’appuyer sur l’expérience des différents couloirs professionnels déjà développés, notamment celui de la médecine de ville, pour déployer celui des paramédicaux. Pour les médecins, la mise en œuvre s’est déroulée en deux étapes : tout d’abord, une alimentation du Dossier médical partagé (DMP) par les documents que les représentants des médecins ont décidé de partager avec les autres acteurs du système de santé, notamment la synthèse médicale. Puis, l’acculturation à l’outil et la consultation des documents intégrés par les autres professionnels au sein du DMP. « Pour les infirmiers libéraux, nous allons effectuer les deux étapes en même temps », fait savoir Xavier Vitry. Car environ 80 % des outils socles devant être contenus dans les logiciels métiers infirmiers n’ont qu’à être dupliqués par rapport à ceux élaborés pour les médecins, à savoir l’accès à une messagerie sécurisée, l’accès à l’Identifiant national de santé (INS) des patients, l’application carte Vitale ou encore la connexion via Pro Santé Connect.

IDENTIFIER LES DOCUMENTS À PARTAGER

Une partie de l’outil va toutefois être spécifique aux infirmiers. Ces prochains mois, les représentants des infirmiers vont donc tout d’abord devoir s’assurer, au sein de la matrice d’habilitation des professionnels de santé que leur accès aux documents partagés par les autres professions de santé au sein du DMP est conforme à leur pratique. « Ils vont nous faire savoir quels documents, mis en ligne par les autres professions de santé, ils consultent systématiquement, régulièrement ou jamais, afin que les éditeurs en facilitent l’accès », explique Xavier Vitry.

Les représentants des infirmiers vont également devoir définir les documents qu’ils souhaitent, de leur côté, systématiquement transmettre aux autres professionnels pour une coordination optimale. « Il va falloir faire simple, notamment retenir les bilans élaborés par les Idels, c’est le minimum requis », estime Daniel Guillerm. Bilan de soins infirmiers, bilan médicamenteux, bilan de plaies, sont parmi les documents actuellement en tête de lice. « Néanmoins, le partage de ces documents ne doit pas phagocyter le temps infirmier, ajoute-t-il. Il faut éviter les redondances et permettre à chacun d’avoir une vision holistique de la situation du patient. » Un point de vue partagé par John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), qui précise : « Les bilans ne devront pas, selon nous, être transmis dans leur intégralité, cela n’aurait aucun sens. Il faudrait que les logiciels puissent produire automatiquement des documents synthétiques avec les informations essentielles à transmettre aux autres professionnels. » Et de poursuivre : « Ce partage est également important pour que les infirmiers montrent l’étendue de leur travail. »

PLUSIEURS DÉFIS POUR LES ÉDITEURS

Vis-à-vis des éditeurs, les attentes de la profession sont nombreuses. « Avec les documents, nous apportons le carburant, eux doivent s’occuper de la tuyauterie, donne en image Daniel Guillerm. Ils doivent donc nous proposer une intégration la plus fluide possible afin de ne pas amener les Idels à bouder la solution par manque de praticité. » Et d’ajouter : « Les spécificités de l’exercice de la profession doivent prioritairement être prises en compte à savoir le travail avec une patientèle partagée et une activité prééminente au domicile des patients. Le sujet de la portabilité ne sera donc pas à éluder. » « Il ne faut pas que ces nouveaux outils alourdissent la pratique, car nous n’avons pas encore cette culture de la traçabilité », reconnaît John Pinte.

La recherche de l’ergonomie optimale représentera « tout l’enjeu du travail collaboratif entre éditeur et représentant des Idels afin de fluidifier les échanges », assure Jean-Pierre Issartel. « La messagerie sécurisée va également devenir un outil obligatoire notamment pour l’envoi des documents entre les professionnels de santé », prévient Xavier Vitry. Pour encourager son usage, les éditeurs vont devoir faire en sorte que leur solution permette à l’infirmier recevant un document par e-mail de la part d’un médecin, de l’intégrer en un seul clic dans ses dossiers patients.

Les représentants des Idels se disent extrêmement vigilants à ce que ce travail demandé aux éditeurs – financés pour le faire – n’implique pas de hausse des tarifs des abonnements car « pour d’autres professions, ils en ont profité pour proposer de nouvelles fonctionnalités, aboutissant à une augmentation des tarifs », s’inquiète John Pinte. La FNI soulève un autre point d’attention : « Nous ne voulons pas que les contraintes qui s’imposent aux éditeurs conduisent au retrait de certains d’entre eux du marché, car cela pourrait conduire à un monopole. »

L’ensemble du travail de réflexion devrait être terminé à l’automne, pour permettre la publication d’un arrêté ministériel officialisant le lancement des travaux pour les éditeurs de logiciel. Ces derniers auront ensuite entre six et huit mois pour finaliser les changements. Pour les infirmiers, les premières modifications devraient apparaître dans leur logiciel mi-2024.

DU SÉGUR TECHNIQUE AU SÉGUR D’USAGE

Une fois ce travail accompli, le défi à relever sera celui de l’appropriation de l’outil par les infirmiers. « Les professionnels devront a minima disposer d’une messagerie sécurisée et de logiciels permettant l’interconnexion, souligne Xavier Vitry. Je serai favorable à ce que des dispositions réglementaires soient prises pour imposer leur usage. » Cette appropriation va nécessiter un accompagnement et une formation des professionnels de santé. L’évolution des programmes de formation initiale avec des unités d’enseignement dédiées au numérique a déjà été actée dans le cadre du Ségur du numérique, et débutera à la rentrée de 2023. Idem pour la formation continue avec des contenus en cours de révision. « Nous devons accompagner les usages, car les acteurs ne sont pas égaux face à cette appropriation des outils et nous devons en tenir compte », reconnaît Xavier Vitry.

Les éditeurs de logiciel vont eux aussi participer à cette acculturation. « Nous portons une part de responsabilité dans le déploiement de l’utilisation des logiciels chez les professionnels de santé, admet Jean-Pierre Issartel. Néanmoins, nous ne sommes pas res­ponsables du transfert effectif des documents. Il nous paraît important de rappeler ce bornage. » Ils devraient mettre en place un accompagnement gratuit à l’usage des logiciels via des webinaires, de la télé­formation ou encore de la formation en présentiel. Les syndicats représentatifs – ainsi que la Feima – plaident par ailleurs pour une augmentation du Fonds d’aide à la modernisation informatique (Fami) ou à la création d’un autre forfait dédié, pour encourager les Idels à se saisir de l’outil. « Si nous voulons que la mise en place de l’ENS soit un succès, cela aura un coût, prévient Daniel Guillerm. Car augmenter les contraintes des professionnels à moyens constants hypothétise les chances de réussite. » Telle est la crainte partagée par John Pinte, « Le changement de nos pratiques implique un engagement, et jusqu’à présent, tout ce temps administratif n’est pas rémunéré. Notre charge de travail est déjà lourde, et sans financement, les Idels ne s’impliqueront pas. »

ÉTHIQUE ET SOINS AU QUOTIDIEN

par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale

[ Soins palliatifs : le souci éthique de concilier différentes temporalités… ]

Si le terme d’accompagnement en soins palliatifs renvoie à l’idée de cheminer avec la personne accompagnée et à son rythme, la réalité est souvent différente. À domicile, patient, famille, soignant, chacun évolue dans des temporalités différentes avec sa propre perception qui reste subjective. Pour la personne malade, l’irruption de la maladie borne un avant et un après. Et lorsqu’il s’agit de maladie grave, le patient est souvent encore dans un état de sidération qui fait suite à l’annonce, quand médecin et/ou soignants cherchent à agir au plus vite pour les soins et les traitements dans un espoir de guérison. Un temps pour la rencontre comme reconnaissance de l’altérité peut-il alors être partagé ? Lorsque la situation s’aggrave, les soins palliatifs ne sont pas toujours vécus comme un continuum de vie jusqu’au bout, mais plus souvent comme un passage en soins palliatifs où la temporalité du patient, de ses proches ou des soignants est souvent en décalage. Ce passage fait généralement office de fracture dans la vie du sujet. Lorsque le temps du malade échappe à notre société de l’immédiateté, la rupture sociale n’est pas loin. Comment un futur, qui fait sens pour lui, peut-il se déployer lorsque tout va trop vite et que s’installe le sentiment de ne plus suivre, parfois d’être de trop ? Souvent les proches interrogent les soignants sur le temps qu’il reste, parfois pour permettre de revoir des proches, d’autres fois parce que cette fin de vie est appelée à s’inscrire dans un agenda contraint d’un ou plusieurs membres de la famille. Cette non-programmation renvoie à une incertitude qui dérange !

Comment préserver en un temps social, collectif, accompagné, ce temps où la vie se termine peu à peu ? À moins que dans un futur proche, il ne soit demandé aux soignants de pouvoir abréger ce temps, ce qui ne saurait être une visée éthique du soin !