PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP : UNE PRISE EN CHARGE PERFECTIBLE - Ma revue n° 027 du 01/12/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 027 du 01/12/2022

 

QUALITÉ DES SOINS

J’EXERCE EN LIBÉRAL

PRATIQUE

Laure Martin  

Les patients en situation de handicap demandent de l’attention et du temps. Et pourtant, il n’existe pas de cotation dédiée. Si les infirmières se mobilisent pour veiller à la qualité des soins, elles doivent néanmoins savoir s’entourer.

Le constat est plutôt alarmant. D’après une enquête menée par l’APF France Handicap en lien avec un comité de pilotage pour les départements 38-73-74 (Isère, Savoie et Haute-Savoie), « 65 % des personnes en situation de handicap répondantes, nous ont informés que leur accès aux soins infirmiers s’était dégradé ces dernières années, en sachant que plus de 80 % d’entre elles ont recours à des cabinets libéraux », fait savoir Karine Pouchain-Grepinet, conseillère nationale Santé de l’APF France Handicap. Ce résultat est d’autant plus inquiétant que les soins infirmiers, techniques ou de nursing, tiennent une place déterminante pour le maintien à domicile des personnes en situation de handicap. « Nous constatons cette problématique d’accès aux soins infirmiers depuis environ deux ans, en lien avec la crise de la démographie médicale, la crise sanitaire, l’attractivité du métier et la valorisation salariale », précise-t-elle. La majorité des refus de prise en charge provenant des infirmières libérales (Idels) est liée à la crainte de l’évolution de la dépendance du patient, et à l’absence de rémunération associée. Cette situation peut avoir un impact sur la qualité des soins. Les personnes en situation de handicap sont souvent reléguées en fin de tournée en raison du temps que prend leur prise en charge. Les Idels peuvent aussi être amenées à moins respecter l’intimité des patients. « Leurs plannings sont denses, les temps de passage réduits et dans l’urgence, elles ne prennent pas nécessairement le temps d’expliquer l’acte qu’elles vont réaliser, regrette Karine Pouchain-Grepinet. De même qu’elles tiennent parfois moins compte de l’autonomie de la personne et font certains gestes à sa place pour aller plus vite. »

LA COTATION EN CAUSE

Face à cette situation préoccupante, l’AFP France Handicap ne blâme pas pour autant les Idels, car « nous avons totalement conscience que cette situation est liée à l’absence de cotation dédiée », assure la conseillère nationale Santé. « Généralement, les patients sont d’emblée référencés dans la cotation maximale du Bilan de soins infirmiers (BSI), explique John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). De fait, lorsque la situation se dégrade, l’Idel, qui passe encore plus de temps au domicile du patient, ne peut rien facturer en plus. » La situation s’envenime dans les villes où les problématiques de stationnement sont légion, sans parler du coût de l’essence. « Le BSI n’est pas adapté aux personnes en situation de handicap, car la grille d’évaluation relève davantage de la gériatrie, rappelle Karine Pouchain-Grepinet. Il faudrait la revoir. » Pour John Pinte, le BSI n’est pas nécessairement en cause, mais davantage « la politique du maintien à domicile au sens large. Les pouvoirs publics doivent s’interroger sur l’investissement accordé à la dépendance. Il faudrait envisager un nouveau forfait, spécifique, ou alors des majorations. » Au-delà des aspects financiers, envisager les soins dans ce contexte peut susciter une certaine appréhension, car cela implique de connaître les particularités de chaque handicap, d’adapter sa posture et sa communication avec le patient (lire « Savoir + » p. 36), d’appliquer des protocoles, etc. À cela s’ajoute la prise en compte des aidants dans le soin (lire le témoignage p. 38).

DES STRUCTURES EN RENFORT

En attendant, pour offrir un suivi de qualité et fluidifier les soins, les Idels ne doivent pas hésiter à solliciter des professionnels de santé experts de la prise en charge des patients en situation de handicap. Clémentine Louis, infirmière en neurologie dans un centre de rééducation à Rennes (Ille-et-Vilaine), est amenée à échanger avec les Idels pour organiser la sortie des patients, notamment pour les soins de nursing ou la prise des médicaments. « Les sorties immédiates d’hospitalisation se passent généralement bien, témoigne-t-elle. En revanche, les prises en charge longues ou celles des patients dont la situation va se dégrader, sont plus difficiles à mettre en place. » Elle a d’ailleurs déjà reçu des appels d’Idels ne souhaitant plus prendre en charge un patient devenu trop dépendant. « Nous réorganisons alors une hospitalisation complète le temps de trouver un autre cabinet, une hospitalisation à domicile (HAD), un service de soins infirmiers à domicile (SSIAD), ou de réfléchir à un placement en structure », explique-t-elle. Avant d’en arriver à cette situation, les Idels peuvent demander la réévaluation d’un patient par un médecin rééducateur pour adapter une nouvelle fois la prise en charge. « Si les domiciles ne sont pas assez équipés par rapport aux handicaps, les infirmières peuvent être en difficulté pour les transferts ou pour la toilette, ce qui participe à l’augmentation du temps de soins », fait savoir Isabelle Robine, cadre infirmière dans un centre de rééducation à Bagnoles-de-l’Orne (Orne) en Normandie. Sa structure dispose d’ailleurs d’une équipe interne composée d’un ergothérapeute et d’une assistante sociale, pour l’organisation de visites d’évaluation au domicile des patients préalablement hospitalisés au sein de l’établissement. Le centre a également intégré la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) du territoire pour accompagner les libéraux dans cette problématique. « Ils peuvent nous solliciter en tant qu’établissement de recours pour ces questions de prise en charge, confirme Isabelle Robine. Nous pouvons ainsi déclencher une visite afin d’évaluer les aides techniques sur place, et faire en sorte de faciliter le travail des soignants. » Néanmoins, toutes les aides techniques ne sont pas prises en charge financièrement. Aussi, il est important d’encourager les patients à se tourner vers les assistantes sociales.

ÉQUIPES MOBILES DÉDIÉES

Les Idels peuvent aussi solliciter des équipes mobiles dédiées. Si leur nom varie en fonction des territoires, leur finalité est sensiblement identique à savoir faciliter et sécuriser le maintien à domicile des personnes en situation de handicap en lien avec leur projet de vie ou les retours d’hospitalisation dans les situations complexes. C’est le cas de l’équipe mobile autonome (EMA) du centre de réadaptation d’Oignies (Pas-de-Calais). Composée d’un médecin de médecine physique et de réadaptation, d’une coordinatrice, d’ergothérapeutes, d’une assistante sociale et d’une secrétaire médicale, elle intervient depuis 2020, sur demande de professionnels de santé, pour des patients adultes porteurs d’une affection locomotrice ou neurologique, en perte d’autonomie à domicile. Pour déclencher un accompagnement, les soignants doivent remplir un formulaire détaillant l’objet de la demande, évaluée en commission médicale. « Lors de notre intervention, nous plaçons le patient en situation, pour observer ses transferts pour aller au lit, son organisation pour faire son ménage ou ses courses, nous évaluons ses aides techniques », explique Juliette Lafaye, la coordinatrice. L’équipe élabore ensuite un plan de prise en charge et participe à sa mise en œuvre, toujours avec l’accord du médecin traitant. Elle intervient également pour des conseils en aménagement de l’environnement, dans les démarches administratives et effectue des préconisations et orientations sur le plan de la rééducation. « Nous pouvons être amenés à contacter des Idels afin de faire le point sur les problématiques qu’elles rencontrent à domicile », complète Juliette Lafaye. Et de leur côté, lorsqu’elles repèrent une situation à risque, elles peuvent interpeller l’EMA. « Elles peuvent nous solliciter lorsqu’elles estiment que leur patient est mal installé au fauteuil, pour des questionnements liés à des escarres, une dénutrition ou la réalisation de pansements », énumère le Dr Mohamed Boukhriss, médecin de l’EMA. Le travail de l’équipe va ainsi permettre d’améliorer le quotidien du patient et de faciliter l’intervention des Idels.

Savoir +

• Le guide « À chaque handicap, son accompagnement en cabinet libéral » est consultable sur le site de RSVA : https://rsva.fr, onglet outils. Il délivre conseils et bonnes pratiques pour accueillir les patients (signalétique, aménagement de l’espace, etc.), communiquer et adopter la bonne posture y compris avec l’aidant.

• SantéBD, de l’association CoActis Santé, propose un panel d’outils numériques adaptés aux personnes ayant des difficultés de communication et de compréhension. 50 thèmes de santé sont traités de manière illustrée, selon le profil du patient. Santebd.org

QUESTIONS À

Gaël Evanno, kinésithérapeute et directeur général adjoint du Réseau de services pour une vie autonome (RSVA), en Normandie.

Pourquoi le RSVA a-t-il publié un guide « À chaque handicap, son accompagnement en cabinet libéral » en 2022 ?

Notre structure associative intervient en Normandie pour répondre aux besoins de toute personne en situation de handicap, des aidants et des professionnels. Nous avons toujours construit nos projets autour d’un diagnostic de besoins effectué auprès des usagers. C’est dans ce cadre que s’inscrit notre guide, élaboré avec leurs représentants. Nous cherchons à vulgariser, à donner des éléments de compréhension, et des moyens pour accompagner au mieux les libéraux au quotidien.

Quels sont les conseils à retenir ?

Nous avons édicté trois règles d’or, qu’idéalement, les professionnels libéraux doivent suivre. Tout d’abord, quel que soit le handicap, il faut toujours s’adresser au patient et non à son accompagnant. Il faut également proposer son aide plutôt que l’imposer. Les enjeux d’autonomie sont importants. Deuxième point : le temps passé à adapter ses pratiques, à favoriser la communication ou encore à mettre en place un soin adapté n’est jamais du temps perdu. Au contraire, il évite des situations délicates à gérer. Mais il faut accepter que les temporalités des uns et des autres soient différentes, ce qui implique de construire la réponse dans le temps. Enfin, toute initiative favorisant l’accès à une personne en situation de handicap servira, à terme, à l’ensemble des patients et des aidants. Chaque soignant est un maillon de l’autonomie de la personne. Ils ne doivent pas hésiter à solliciter l’aide ou le conseil de structures associatives, d’associations de patients, afin de faciliter la prise en charge. Le levier motivationnel est une question de valeur et d’engagement professionnel.

TÉMOIGNAGE

L’absence de cotation dédiée conduit à refuser des patients

Nathalie, Idel en Île-de-France.

« Il y a quelques années, j’ai reçu une demande pour un jeune patient tétraplégique. La structure qui le prenait en charge voulait organiser son retour à domicile mais essuyait des refus d’Idels. J’ai accepté, à condition qu’il n’y ait pas de contrainte horaire, ce à quoi le patient s’est engagé. J’ai aussi demandé une dérogation financière à la caisse primaire d’assurance maladie pour la prise en charge, car il n’y avait pas de cotation dédiée, ce qui peut inciter à refuser des patients. La manutention est vraiment difficile pour les personnes en situation de handicap. Pour un patient atteint de sclérose en plaques, nous avons dû insister auprès de sa femme pour bénéficier d’un lève-malade. Nous avons menacé de ne plus venir, car cela devenait trop douloureux pour nous. Dès lors qu’elle a accepté, cela a changé nos relations. »

ÉTHIQUE ET SOINS AU QUOTIDIEN

Par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale

[Maisons de santé pluriprofessionnelles, terreau de la réflexion éthique]

Par leur composition pluriprofessionnelle, leur fonctionnement transversal et non hiérarchique, leur partage de valeurs autour d’un même projet de santé, les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) constituent un terrain propice à la réflexion éthique. Certaines questions sont spécifiques et liées à leurs particularités comme la redistribution des compétences en fonction des protocoles de coopération ou des actes dérogatoires. Ce qui pose la question éthique de la reconnaissance des professionnels dans ces nouveaux partages de champs de compétence mais aussi de leurs limites. Ce partage concerne aussi les données de santé des patients, et le choix du système d’information n’est pas anodin. Qui va avoir accès à quelles informations dans le respect de la confidentialité ? À celles des patients suivis par le professionnel ou à celles de tous les patients de la MSP ? Les activités de prévention peuvent également poser des questions éthiques entre choix du bénéfice pour le patient par le biais d’une sensibilisation en cabinet de soins, par exemple, ou bénéfice pour le collectif avec une approche davantage sociale et populationnelle.

Pour aborder certaines de ces questions, les MSP disposent de différents outils. Il s’agit tout d’abord de l’équipe pluriprofessionnelle qui permet de croiser les regards et d’enrichir la réflexion sur une même situation de soins. Ces temps de réflexion peuvent être reconnus dans le cadre d’un autre outil que constituent les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) où les situations complexes peuvent être abordées. La parole de chacun(e) doit pouvoir y être entendue dans une considération d’égalité des points de vue et les décisions tracées. Enfin la plupart des MSP disposent d’une charte où sont inscrites les valeurs communes qui servent de référence et doivent faire l’objet de relectures et d’évolutions.

Ces questionnements éthiques en pluriprofessionnalité permettent d’ajuster le sens des actions soignantes et de limiter l’épuisement professionnel.