NOTIFICATION D’INDUS : LES ROUAGES DE LA PROCÉDURE - Ma revue n° 026 du 01/11/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 026 du 01/11/2022

 

CONTRÔLES

J’EXERCE EN LIBÉRAL

GESTION

Laure Martin  

C’est la hantise de toutes les Idels : recevoir dans leur boîte aux lettres un constat d’anomalies de facturation, puis une notification d’indus de la part de leur CPAM. Face à une telle situation, mieux vaut bien connaître les rouages de la procédure et les options possibles afin de savoir comment réagir.

Ce courrier, toutes les infirmières libérales le redoutent ! « Le constat d’anomalies de facturation, envoyé par la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), lié au non-respect de la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), à la facturation d’actes fictifs ou encore à la falsification d’ordonnances, conduit les CPAM à réclamer un indu », explique la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam).

LES DIFFÉRENTS CONTRÔLES

Avant d’en détailler les tenants et les aboutissants, il faut savoir que la CPAM peut procéder à deux types de contrôles. En premier lieu, le contrôle administratif, qui relève généralement d’une vérification aléatoire, d’une dénonciation ou encore du constat, par la CPAM, d’un chiffre d’affaires particulièrement élevé par rapport à la moyenne régionale. « À la charge des services administratifs de la Caisse, il ne porte que sur la facturation », indique Maître Virginie Raby, avocate au barreau de Paris, spécialisée dans la défense des Idels. En second lieu, la Caisse peut effectuer un contrôle médical qui, lui, relève de la responsabilité du médecin-conseil. « Cette fois-ci, la facturation ainsi que l’activité du professionnel vont être contrôlées », explique l’avocate, précisant que, dans ce second cas, les patients peuvent être sollicités par les agents assermentés de la CPAM. Le contrôle va en effet porter sur la réalité des traitements cotés, la qualité des soins et déterminer s’ils étaient justifiés. La Caisse doit aussi informer l’Idel par courrier de toutes les mesures qu’elle entreprend.

En fonction des territoires, le choix entre les procédures varie d’une CPAM à l’autre. Les syndicats représentatifs de la profession plaident d’ailleurs pour une homogénéité nationale « afin de garantir une égalité entre les Idels », soutient Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). « En fonction des Caisses, le choix des procédures et des règles de contrôle diffère sans que nous sachions pourquoi », relève John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Par exemple, en cas de suspicion de fraude, une CPAM peut enclencher une procédure pénale, tandis qu’une autre peut décider d’une procédure devant le pôle social du tribunal judiciaire. Elle peut encore déposer une plainte devant la section des assurances sociales du Conseil de l’Ordre des infirmiers(1). Toutes ces procédures peuvent être engagées en simultané. « Les CPAM tiennent compte de l’ensemble des éléments du dossier pour définir l’action contentieuse à savoir le montant du préjudice financier subi mais aussi la nature des griefs, la gravité des faits ou encore les circonstances de récidive », justifie la Cnam.

LE CONSTAT D’ANOMALIES

Ces différents contrôles donnent lieu au fameux constat d’anomalies envoyé par courrier à l’Idel. Il est spécifié qu’elle dispose d’un mois pour prendre un rendez-vous avec la CPAM ou pour faire remonter ses observations par courrier. « Il est très important, selon moi, d’ouvrir immédiatement le courrier et de ne pas laisser passer cette étape », souligne Maître Raby. Ce premier échange par courrier ou de visu avec la caisse est l’occasion pour l’Idel de pouvoir justifier de ses cotations sans pour autant être déjà dans une démarche de contentieux. Lorsqu’elle sollicite un rendez-vous, il lui est fortement conseillé de se rapprocher de son syndicat. « Se faire assister par un représentant local peut être avantageux car des liens se tissent entre les caisses locales et les syndicalistes locaux, explique Patrice Thoraval, Idel et vice-président de la FNI. Il peut aussi être mal perçu de venir à ce rendez-vous au précontentieux avec un avocat ! » « Être accompagné permet également de mieux comprendre des subtilités qui peuvent être facilement contestées mais dont les Idels n’ont pas nécessairement connaissance », soutient John Pinte, ajoutant que la présence d’un tiers peut également apaiser les tensions. Si l’Idel n’est pas affiliée à un syndicat, mieux vaut qu’elle réponde par courrier, aidée par un avocat.

NOTIFICATION D’INDUS ET RECOURS

À l’issue de cette première étape, il est rare que la CPAM mette un terme à la procédure. Ensuite deux options s’offrent à elle.

Première option : le constat d’anomalies aboutit au dépôt d’une plainte au pénal. Dans ce cas, la CPAM dépose directement une plainte au commissariat ou à la gendarmerie. L’Idel est alors convoquée pour une audition. Elle peut être placée en garde à vue. Son cabinet ainsi que son domicile peuvent faire l’objet d’une perquisition. Elle risque une condamnation au versement de dommages et intérêts pour le préjudice financier de la Caisse, à un remboursement des sommes trop perçues, à une interdiction d’exercer et enfin à une peine de prison. Le tribunal pénal peut également prononcer, en plus des autres condamnations, l’interdiction d’exercer à titre libéral.

Deuxième option : la CPAM procède à une notification d’indus envoyée par lettre recommandée, ce qui enclenche une nouvelle échéance de deux mois. Soit l’Idel reconnaît son erreur et paie dans le délai imparti - elle peut demander un échéancier que la CPAM n’est pas obligée d’accepter ; soit elle adresse des observations, ce qui peut éventuellement aboutir à une baisse des indus ; soit elle saisit la commission de recours amiable (CRA) de la CPAM, ce qui lance le début de la procédure juridictionnelle.

LA PROCÉDURE JURIDICTIONNELLE

« L’Idel saisit la CRA par courrier recommandé, dans lequel elle rappelle les faits qui lui sont reprochés et ce qu’elle conteste, indique Maître Raby. Elle doit également fournir tous les éléments de preuve lui permettant de s’opposer à ce dont on lui fait grief : les ordonnances, les ententes préalables, etc. Le délai est très court, il ne faut donc pas laisser le courrier de côté. » Il est conseillé, à ce stade, de solliciter un avocat spécialisé car la procédure est chronophage, avec de nombreuses lignes de cotation à lire, à vérifier, à contrôler et de nombreux documents à rassembler. L’accompagnement par un avocat peut être pris en charge par les assurances en responsabilité civile, qui offrent généralement la protection juridique.

Lorsque les documents sont envoyés, la CRA dispose, à nouveau, d’un délai de deux mois pour répondre. Elle peut reconnaître le bien-fondé de la contestation et annuler la notification. « Mais je n’ai jamais assisté à une annulation totale de la demande d’indus de la part d’une CPAM », confie l’avocate. Elle peut aussi rejeter le recours ou encore ne pas répondre - ce qui signifie qu’elle le rejette. Dans tous les cas, si l’Idel estime être dans son bon droit, elle dispose d’un délai de deux mois pour saisir le pôle social du tribunal judiciaire par lettre recommandée. « Il n’est pas obligatoire d’être représenté par un avocat même si, une fois de plus, je le conseille au regard des démarches à accomplir, des codes à respecter notamment les règles du contradictoire avec l’envoi de toutes les pièces au tribunal et à la CPAM », explique Maître Raby. Dès lors que le tribunal accuse réception de la demande, il donne l’impulsion pour la procédure, fixe les délais et la date de la plaidoirie ; les procédures peuvent durer entre un et deux ans, et plus, si l’affaire est portée en appel ou en cassation. L’audience se déroule devant un magistrat professionnel, qui rend son délibéré un à deux mois après la date de l’audience. L’Idel peut être condamnée, en plus du paiement de l’indu à celui des frais de procédure. Elle peut demander la mise en place d’un échéancier directement auprès de la CPAM, qui n’est pas obligée d’accepter.

CONJURER LES INDUS

Pour éviter les procédures d’indus, plusieurs règles sont à respecter, au premier rang desquelles, connaître la NGAP et les règles de cotation. « La dernière version de la NGAP date de 2007, et neuf avenants lui sont attachés avec autant de modifications, ce qui nécessite une formation régulière, au moins tous les trois ans », soutient Emmanuel Neboit, formateur chez Orion Santé.

Pour ne pas avoir d’indus, les Idels doivent en permanence rechercher une concordance soins-prescription-facturation. De fait, il faut prêter une attention particulière à la rédaction des ordonnances par les médecins : elles doivent être détaillées qualitativement et quantitativement, avec les bons libellés et être datées. Attention plus particulièrement à l’application des majorations de nuit, aux pansements complexes, aux perfusions (lire l’encadré « Bonnes pratiques », p. 36).

En cas de doute, les Idels peuvent solliciter leur caisse ou le service du contrôle médical. Elles peuvent aussi se tourner vers leur syndicat. Le Sniil propose une aide à la cotation pour ses adhérents via son intranet. La FNI dispose quant à elle d’un service 100 % cotation auquel les Idels peuvent s’adresser pour toute question sur la NGAP. « Nous engageons notre responsabilité sur le conseil prodigué », indique Patrice Thoraval, responsable de ce service, gratuit pour les adhérents de la FNI, et facturé 15 euros la question pour les non-adhérents.

Note

1. L’Ordre peut prononcer différentes sanctions : avertissement, blâme, radiation partielle ou totale. Il peut aussi exiger de l’Idel le remboursement des sommes indues.

TÉMOIGNAGE

Je suis résiliente

Nathalie, Idel en Ile-de-France.

« Cela fait 36 ans que je suis Idel, et les notifications se sont accélérées ces dernières années. Dès lors que j’en reçois une, j’ouvre le courrier et après vérification, si j’estime ne pas avoir commis d’erreur, même pour une petite somme, je saisis la commission de recours amiable (CRA) et conteste l’indu. Je ne suis pas une fraudeuse, donc je me défends. J’ai aussi eu deux importants dossiers pour lesquels je suis allée au tribunal ; l’un étant toujours en cours. Le premier m’a pris quatre ans. Il concernait la prise en charge d’un patient tétraplégique. J’avais élaboré un plan de soins, validé par le directeur de la CPAM pour une cotation dérogatoire, et je faisais également des ententes préalables. Mais la Caisse m’a demandé un remboursement de 11 000 euros. J’ai gagné en première instance. Il n’y a pas eu d’appel. Pour le deuxième dossier en cours, je remets en cause le contrôle administratif de la CPAM, qui d’après moi ne respecte pas la Charte de contrôle de l’activité des professionnels de santé. Je ne peux pas laisser passer. À l’origine, la Caisse me demandait 46 000 euros d’indus pour deux années de soins chez six patients. En première instance, le montant a baissé à 25 000 euros. J’ai fait appel tout comme la CPAM. Le montant a encore baissé, mais aujourd’hui, je me pourvois en cassation. Psychologiquement, toutes ces procédures sont difficiles. Mais je suis résiliente. »

Propos recueillis par L. M.

La procédure des pénalités financières

La Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) peut décider de déclencher une procédure de pénalités financières, en parallèle de la notification d’indus. L’infirmière libérale reçoit alors un courrier lui spécifiant les faits reprochés et le montant des pénalités envisagé. Elle dispose d’un mois pour transmettre ses observations en disant qu’elle s’oppose à la procédure ou solliciter un rendez-vous.

La CPAM a trois possibilités : soit elle est d’accord avec l’Idel, soit elle émet un avertissement dans un délai de 15 jours, soit elle décide de poursuivre la procédure. L’Idel est alors convoquée devant la commission des pénalités, dans les locaux de la CPAM. Cette commission est composée de cinq Idels, cinq représentants des syndicats représentatifs de la profession, cinq représentants des centrales syndicales et cinq représentants de la CPAM.

Le déroulement est le suivant :

Il est fortement conseillé à l’Idel d’être présente le jour J et de se faire assister ou représenter par un professionnel.

- Le représentant de l’Idel reçoit le dossier 4 à 5 jours avant la date pour préparation.

- Le jour de la séance : le jury se réunit d’abord, puis fait entrer l’Idel pour un interrogatoire de 15 à 45 minutes.

- La commission rend un avis, dans un délai de deux mois maximum, auprès du directeur de la CPAM qui tranchera. Si ce dernier notifie la pénalité financière, l’Idel a deux mois pour la contester et saisir le pôle social du tribunal judiciaire.

Quelles sont les sanctions ? En cas d’indus sans fraude, l’Idel devra payer (en plus du remboursement des indus) une pénalité dont le montant peut atteindre 70 % de la somme indue. En cas de fraude, ce montant peut être fixé à 200 %.

Corinne Van Bree

Bonnes pratiques pour éviter le contentieux

→ La plus grande attention devra être portée à certains actes, comme les perfusions, très complexes, notamment en raison des cumuls. Ce sont des sources d’erreurs fréquentes. Au-delà, la cotation doit être réaliste et le nombre d’actes par jour cohérent. Un exemple de facturation qualifiée de fraude : une Idel avait 16 perfusions en cours. Elle facturait des déplacements pour intervention sur la ligne, soit AMI4,1 + IFD + Nuit ou milieu de nuit, soit 26 € ou 35,15 € multipliés par 16 (entre 416 et 562,40 € par nuit). Ceci toutes les nuits, soit entre 12 480 et 16 872 € par mois. Or, cela supposait qu’elle se rende chez 16 patients toutes les nuits, ce qui est techniquement impossible.

→ Le libellé des ordonnances doit répondre à des critères précis. Par exemple, l’inscription « jusqu’à cicatrisation complète » n’est pas une mention quantitative contrairement à « pendant 1 mois ». Certaines CPAM n’acceptent plus ces libellés et les assimilent à 15 jours, voire 1 mois maximum. Une ordonnance doit comporter la mention « à domicile » sans quoi le déplacement sera un déplacement « DD » (déplacement non prescrit). Attention également à ne pas falsifier l’ordonnance en y ajoutant des inscriptions, ce qui est interdit. Une Idel a été condamnée pour ce motif car elle avait rajouté des mentions comme « méchage » afin d’éviter de courir chez le médecin !

→ En cas de problème de facturation, contacter la CPAM sans tarder. Ce qu’a fait une Idel qui, en difficulté avec son logiciel, avait effectué des doubles facturations et reçu 4 à 5 lettres d’indus. Penser à utiliser le site RECLA-PS d’Ameli, qui permet via un formulaire de réclamation des professionnels de santé de signaler une erreur de facturation et de demander qu’elle soit traitée en « indus ». Le formulaire accompagné du chèque sont à envoyer par la poste. Dès réception de la confirmation du traitement de la demande, refacturer les soins.

Enfin, les Idels sont responsables des cotations qu’elles facturent, en cas de désaccord avec la proposition de cotation du logiciel, elles peuvent toujours facturer sur une feuille de papier.

Pour conclure, mieux vaut toujours se rapprocher de la CPAM plutôt que d’attendre que l’on se rapproche de vous… C. V. B.

TÉMOIGNAGE

J’ai eu des séquelles psychologiques

Julie, Idel en Bourgogne-Franche-Comté.

« J’ai été informée en 2017 par ma CPAM d’un constat d’anomalies avec une remise en cause des soins d’hygiène dispensés chez des patients en soins palliatifs, avec un montant d’indus de 157 000 euros. Le problème était notamment lié aux ordonnances, qui ne correspondaient pas, d’après la CPAM, aux actes réalisés. Après ce constat en 2017, pour lequel je suis allée m’expliquer devant la CPAM, je n’ai plus eu de nouvelle jusqu’en septembre 2020, date à laquelle les gendarmes sont venus frapper à ma porte pour me remettre une convocation. J’ai appris que la CPAM avait porté plainte au pénal. J’ai donc vécu une perquisition et deux gardes à vue. J’ai travaillé mon dossier avec mon avocate, rassemblé des courriers de prescripteurs me témoignant de leur confiance. Devant le tribunal correctionnel, mon avocate a démonté les éléments de fraude dont m’accusait la CPAM. J’ai été relaxée et je n’ai rien eu à payer. Mais j’ai eu des séquelles psychologiques et cela m’a appris à être encore plus rigoureuse. »

Propos recueillis par L. M.

ÉTHIQUE ET SOINS AU QUOTIDIEN

Par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale

[Santé numérique : la nécessité de formation aux questions éthiques]

Pendant et depuis la crise sanitaire, les outils numériques en santé se sont largement développés, un tiers des Français a déjà bénéficié de la téléconsultation. Le dernier avenant (n° 9) de la convention nationale des infirmiers valorise l’essor de la télésanté. Si ces outils constituent un progrès pour l’homme, en permettent l’accès aux soins dans les territoires sous-dotés ou pour les personnes dans l’incapacité de se déplacer, ils posent toutefois des questions éthiques encore trop peu abordées dans les formations relatives à l’utilisation du numérique en santé. Dans la pratique, les questions majeures évoquées par les professionnels portent sur le respect du consentement éclairé, de la confidentialité et de la sécurisation des données. Quelles données partager entre professionnels avec quel objectif et comment ? Une interrogation d’autant plus actuelle que les professionnels ne connaissent pas toujours le statut, sécurisé ou non, des outils qu’ils emploient ou continuent à utiliser des tchats non sécurisés pour communiquer à propos de données de santé de patients. Pour pallier cela, les formations initiales et continues pour les professionnels de santé intègrent progressivement le numérique en santé comme orientation prioritaire (cf. arrêté du 7 septembre 2022).

Quel impact peuvent avoir ces outils sur les pratiques de soins ? Le lien social et la relation pourraient-ils être mis à distance ? Un risque de déshumanisation n’est pas à exclure, notamment si les professionnels ne sont pas sensibilisés aux enjeux éthiques dans ces formations. L’utilisation des objets connectés doit permettre de rester au service des patients dans le maintien de toute la dimension humaine de la relation de soin et également dans le respect de leurs droits.

Accompagner les aidants et les personnes en difficulté pour l’utilisation de ces outils, c’est aussi porter une attention à la justice et à l’équité dans l’accès au numérique en santé.