SOINS PALLIATIFS À DOMICILE : NE RESTEZ PAS ISOLÉES - Ma revue n° 025 du 01/10/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 025 du 01/10/2022

 

PRISE EN CHARGE

J’EXERCE EN LIBÉRAL

PRATIQUE

Laure Martin  

Prendre en charge des patients en soins palliatifs induit un suivi complexe pour lequel les infirmières libérales ne doivent pas hésiter à s’entourer. Des ressources territoriales existent, à solliciter au bon moment.

Généralement, lorsqu’on débute une sédation profonde, la personne s’endort rapidement, témoigne Maxence Raphaël, infirmier libéral (Idel) à Marseille. Mais pour la dernière personne que j’ai accompagnée, qui avait un cancer des poumons, nous avons attendu huit heures qu’elle s’endorme. Toutes les 15 minutes nous devions faire un état de vigilance ; cette femme de 48 ans montrait une résistance au produit administré. Pendant tout ce temps, son fils de 9 ans, sa fille de 14 ans, son mari et sa maman l’entouraient, et tous pleuraient. J’ai trouvé cette situation très violente. » Même si le cas de figure reste rare, il témoigne de la difficulté que peut représenter la prise en charge de la fin de vie à domicile et de la nécessité, pour les Idels, de s’entourer pour bénéficier d’un accompagnement.

LE RÔLE CLÉ DES ÉQUIPES MOBILES ET RÉSEAUX

« Contrairement aux croyances, les soins palliatifs n’impliquent pas nécessairement une fin de vie immédiate, explique Adeline Hautcœur, infirmière ayant travaillé en équipe mobile de soins palliatifs, aujourd’hui responsable pédagogique au sein de l’organisme de formation Santé Académie. On parle de soins palliatifs dès lors qu’il n’y a plus de traitement curatif mais toujours des soins actifs permettant au patient de continuer à vivre avec une maladie dont il ne pourra pas guérir. » Les soins palliatifs peuvent conduire à des soins terminaux, dans certains cas rapidement, et dans d’autres, après quelques années. « Entre les soins palliatifs et les soins terminaux, la distinction est de taille, poursuit Adeline Hautcœur. Car dans le cadre des soins palliatifs, nous cherchons au maximum à entretenir l’autonomie du patient tout en diminuant les symptômes douloureux. » L’objectif est avant tout d’améliorer son confort durant son temps de vie restant et les Idels y participent notamment avec l’évaluation de la douleur et l’accompagnement qu’elles peuvent mettre en place.

Pour effectuer cette évaluation - et réévaluation - de la situation des patients, elles peuvent s’entourer. D’ailleurs, le plan national 2021-2024 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie met l’accent sur la définition de parcours de soins gradués et de proximité en développant l’offre de soins palliatifs, en renforçant la coordination avec la médecine et en garantissant l’accès à l’expertise. Il acte la création d’unités de soins palliatifs dans les territoires non pourvus et le renforcement des équipes mobiles de soins palliatifs, afin d’assurer leur intervention au domicile des personnes malades et en soutien des professionnels faisant appel à elles. De fait, outre les professionnels du domicile, comme le médecin traitant, les Idels peuvent compter sur les équipes mobiles de soins palliatifs ou les réseaux de soins palliatifs, et se tourner vers les Agences régionales de santé (ARS) pour obtenir leurs coordonnées.

PALLIA 10, UN OUTIL D’ÉVALUATION

Pour les solliciter au moment opportun de la prise en charge, les Idels peuvent notamment s’appuyer sur un outil, Pallia 10, qui consiste en une série de questions portant sur la situation du patient. Plus de trois réponses positives confirment sa situation palliative. « Cet outil est un bon déterminant pour savoir à quel moment l’Idel doit demander l’intervention d’une équipe mobile », souligne Véronique Lauffer, Idel depuis 35 ans en Alsace et formatrice chez Orion Santé. L’anticipation est le maître mot. « J’ai tendance à alerter le réseau dès lors que je prends en charge un patient en situation difficile, notamment en oncologie, et que je sens une évolution compliquée possible, raconte Karine Dormois, Idel et secrétaire adjointe de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap). De cette manière, l’équipe est informée que prochainement, mon cabinet fera appel à elle. » « Chaque cas est singulier, mais il est important que les Idels nous préviennent d’une situation palliative pas trop tardivement, confirme Myriam Kerriou-Tampon, infirmière au sein de l’équipe mobile de soins palliatifs l’Estey Mutualité à Bordeaux. Néanmoins, l’anticipation doit respecter la temporalité du patient, qui doit être prêt à parler de l’évolution de sa maladie. »

LE NÉCESSAIRE RÉEXAMEN DES BESOINS

Les professionnels de ces équipes, généralement composées d’infirmiers, de médecins, d’assistantes sociales et de psychologues, apportent un avis consultatif à la prise en charge. Ils ne dispensent pas de soin, ni ne font de prescription. « Ils vont effectuer une évaluation de la situation globale », indique Véronique Lauffer. Souvent, ils organisent une première réunion en présence du patient, des aidants, du médecin traitant et de l’Idel. Puis, ils vont être force de proposition par rapport au traitement de la douleur, à la prescription et aux aides à mettre en place. Ils peuvent aussi créer du lien avec d’autres professionnels de leur réseau, tels que des psychomotriciens ou des ergothérapeutes afin de proposer des soins de confort aux patients.

Marie-Claude Daydé, Idel et intervenante au sein de l’équipe d’appui du réseau de soins palliatifs toulousain Relience, conseille de réévaluer fréquemment les besoins et les envies du patient ainsi que ceux des aidants. « Pour certains, décéder à leur domicile est une volonté affirmée mais pour d’autres, cette demande est plus fragile. Il arrive que certains patients aient, pendant un temps, affiché cette envie, puis ne souhaitent plus mourir à leur domicile, sans oser le dire. Il faut leur en donner l’opportunité. » La réévaluation porte à la fois sur le volet médical et les symptômes, sur le volet psychologique et sur le volet social avec les aidants. Car, outre le patient, l’Idel accompagne aussi la famille. « C’est toujours très délicat car nous voyons leur détresse, et la souffrance que la situation peut engendrer », raconte François Poulain, Idel à Marseille. « Parfois, ce sont les patients qui souhaitent mourir chez eux, et non leur famille, ajoute Maxence Raphaël. Mais celle-ci peut aussi ressentir de la culpabilité si le proche est hospitalisé et décède dans la structure. » Là aussi, l’appui de l’équipe mobile ou du réseau est déterminant, par exemple pour mettre en place des hospitalisations de répit afin de permettre aux aidants de se reposer.

AIDE À LA PRESCRIPTION

« Lorsque l’équipe du réseau vient à domicile pour une évaluation de l’état du patient et de sa douleur, elle peut accompagner le médecin dans la rédaction des prescriptions », explique Maxence Raphaël, qui sollicite, pour ce type de prise en charge, le réseau de soins palliatifs RESP13, intervenant dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Nous pouvons adresser des conseils thérapeutiques face à des symptômes que le médecin traitant ne sait pas nécessairement gérer et nous pouvons encourager à l’anticipation lorsque nous constatons qu’un patient se dégrade, témoigne Myriam Kerriou-Tampon. Nous sommes en soutien et nous solliciter permet aux libéraux de prendre du recul et de voir une situation complexe sous un autre prisme. »

L’équipe accompagne également dans la rédaction de prescriptions anticipées, qui permettent au médecin, en son absence, de déléguer aux Idels la possibilité d’administrer des médicaments dans le cadre d’un protocole standardisé. « Ces prescriptions sont effectuées par rapport à la situation clinique d’un patient en anticipant les symptômes qu’il pourrait développer, explique Myriam Kerriou-Tampon. L’équipe mobile peut, là aussi, conseiller des thérapeutiques au médecin, toujours en charge de la prescription, afin de permettre à l’infirmière de disposer de tout le nécessaire au domicile en cas de problème, notamment les soirs, les week-ends et les jours fériés. » « Dès lors que le patient arrive en phase terminale, tout peut aller très vite, et psychologiquement, cela peut être difficile, rappelle Adeline Hautcœur. Avoir anticipé la prise en charge permet d’être plus serein. »

Cette anticipation est d’autant plus nécessaire dès lors que la sédation profonde jusqu’au décès est envisagée. Les Idels jouent également un rôle de premier plan avec l’administration possible de la sédation, sur prescription, au domicile du patient. « Sa mise en œuvre repose sur les directives anticipées du patient, indique Adeline Hautcœur. Elle est dispensée dès lors que l’infirmière constate que le symptôme apparent de la pathologie va provoquer le décès. » À titre d’exemple, un patient atteint d’un cancer pulmonaire peut potentiellement décéder par asphyxie. Dans le cadre de ses directives anticipées, il peut définir les mesures à prendre dès lors que sa situation médicale le fait évoluer vers cette issue. Les règles de la sédation profonde sont strictement encadrées par la loi. « Le patient est le seul demandeur, rapporte Véronique Lauffer. Il est donc important de toujours connaître le ressenti de la personne par rapport à sa situation pathologique. » D’autant plus que le cheminement peut prendre du temps.

UNE SUPERVISION POST-SUIVI

L’accompagnement proposé par les équipes mobiles permet aussi aux libéraux de bénéficier d’un support, d’une écoute et d’une bienveillance. Certaines équipes mobiles leur proposent des supervisions. « Lorsque nous constatons que la prise en charge a été complexe, nous pouvons suggérer aux professionnels de nous revoir pour un débrief, rapporte Myriam Kerriou-Tampon. C’est un temps pour verbaliser leur vécu, c’est fondamental pour eux. Ils s’en saisissent bien même si nous n’en faisons pas fréquemment non plus. » Les Idels peuvent aussi se tourner vers des psychologues formés à la supervision pour exposer leurs problèmes, déposer leur souffrance, les difficultés rencontrées et améliorer leur pratique. « Cet accompagnement se déroule souvent post-prise en charge afin de partager des éléments du suivi en lien avec une difficulté relationnelle », souligne Adeline Hautcœur. Cette intervention, à la charge des Idels, peut être déduite des frais professionnels.

« Voir souffrir les patients, les membres de la famille, est difficile, et dans notre équipe, il s’agit d’un sujet dont on parle fréquemment car le suivi est très engageant », indique Véronique Lauffer. Et de raconter : « Nous avons adopté une conduite : après le décès d’un patient, nous écrivons un courrier à sa famille, dans lequel nous reprenons tous les points importants de la prise en charge, des éléments qui ont été partagés, et qui peuvent être apaisants pour elle. Nous lui exprimons aussi notre gratitude de nous avoir fait confiance pour le suivi et l’accompagnement de leur proche. Nous sommes soucieux de notre courrier qui est personnalisé, mais nous ne faisons pas plus. Par exemple, nous n’allons pas aux enterrements des patients, c’est notre choix. »

UNE FORMATION POUR ACQUÉRIR UNE EXPERTISE

Pour mettre en place un accompagnement optimal, les Idels sont encouragées à se former. « Cela fait 25 ans que je suis diplômée et j’ai l’impression qu’en termes d’approche psychologique, je n’ai pas reçu beaucoup d’informations pour la prise en charge des patients en soins palliatifs lors de ma formation initiale », reconnaît Karine Dormois. Et d’ajouter : « Dans le cadre des prises en charge que nous avons à effectuer, il est important de reconnaître les signes avant-coureurs d’un décès ou d’être préparé à une toilette mortuaire. Cela fait partie des informations qui nous manquent et pour lesquelles nous devons nous former ». « C’est davantage l’expérience de terrain qui nous permet alors d’acquérir des compétences. Afin d’en apprendre plus sur le sujet, j’ai postulé pour suivre un diplôme universitaire sur cette thématique », abonde Thomas Ayesa, Idel à Floirac (lire « Témoignage » p. 35)

Les Idels peuvent s’orienter vers les formations proposées par les organismes de formation ou vers des diplômes universitaires (DU), ces derniers ayant vocation à être plus complets et certifiants. Au cours de ces formations, l’accent va être mis sur la terminologie, la loi, les directives anticipées, les prescriptions anticipées. Les Idels étudient également la prise en charge des différents symptômes de fin de vie, certains étant plus spécifiques que d’autres : la déshydratation, l’asthénie, l’angoisse, l’altération, l’aspect psychologique, la souffrance de la famille. « Les croyances et les représentations autour des soins palliatifs sont nombreuses, et la formation permet d’apporter des éclaircissements », souligne Adeline Hautcœur. Et d’ajouter : « Une formation de huit heures va donner à réfléchir et transmettre des outils pratiques, tandis que le DU va permettre d’approfondir les connaissances et de se constituer un réseau ». « La formation est aussi l’occasion de replacer l’Idel dans son rôle propre d’évaluation de la douleur, qui permet de donner des éléments d’information pertinents au médecin pour une bonne prescription », estime Véronique Lauffer. « J’ai appris sur le terrain, reconnaît Maxence Raphaël. Mais je pense que pour la technicité, les traitements, les molécules et leurs effets secondaires, il faut être formé. Si lors d’une prise en charge, je ne connais pas les effets secondaires de la morphine et de l’Hypnovel, cela peut s’avérer très problématique. »

Les Idels doivent donc trouver les leviers sur lesquels prendre appui : la formation, le travail pluridisciplinaire au sein d’une équipe de proximité, le recours à une équipe experte, un suivi psychologique. « Ce qui est important, c’est d’avoir des ressources et elles peuvent varier en fonction des personnalités de chacun », conclut Marie-Claude Daydé.

TÉMOIGNAGE

“Une prise en charge protocolisée permet davantage de sérénité”

Thomas Ayesa, Idel à Floirac (Gironde).

« L’activité de notre cabinet se concentre sur la ville. L’inconvénient, c’est que les médecins sont saturés. Nous parvenons quand même à échanger avec eux, notamment dès lors qu’il est question de fin de vie. Nous utilisons le logiciel Paaco-Globule, porté par l’Agence régionale de santé (ARS), pour échanger. Notre cabinet est très familial, avec une patientèle qui, à 90 %, a plus de 80 ans. Nous prenons en charge tous les soins, notamment les nursing, et nous savons que tôt ou tard, le palliatif peut arriver. Nombreux sont les patients qui souhaitent rester à domicile pour leur fin de vie. Nous acceptons de les accompagner, à condition de l’être nous aussi, afin que personne ne souffre de cette décision. Depuis cinq ans, nous sollicitons l’équipe mobile de soins palliatifs, l’Estey Mutualité. Étant extérieurs, les professionnels de cette équipe sont neutres et apportent un cadre. Dès lors que nous recourons à leurs services, ils organisent une réunion avec le patient, les aidants, le médecin traitant et tous les autres professionnels de santé impliqués pour échanger sur le suivi. La mise en place de protocoles avec le réseau nous permet de savoir comment réagir en fonction de l’évolution de la situation du patient. Tout repose sur son libre choix, en sachant que les décisions prises peuvent évoluer en fonction de la souffrance du patient et de ses proches. D’ailleurs, dès la première réunion, les membres du réseau abordent la question des directives anticipées afin de disposer d’un fil conducteur pour la prise en charge. Le fait d’anticiper apaise les tensions. Tout le monde est plus serein et rassuré. Les patients se sentent écoutés et ils savent quand nous appeler ou qui appeler, en sachant que notre cabinet assure les astreintes la nuit pour des protocoles de douleur, de saignement et la détresse respiratoire. Nous avons déjà effectué des sédations profondes, qui peuvent être vécues comme un soulagement et un apaisement pour le patient et ses proches, justement parce que la prise en charge a été protocolisée. Avec mes collègues, nous échangeons beaucoup sur le sujet et nous nous questionnons sur ce que nous aurions pu éventuellement mieux faire dans l’accompagnement proposé. Le réseau nous contacte également, pour effectuer un récapitulatif de la situation. Ils sont à notre disposition si nous voulons débriefer mais nous n’avons jamais ressenti le besoin de le faire. »

L’accompagnement des structures d’exercice coordonné

Les Idels peuvent se tourner vers des structures d’exercice coordonné pour obtenir des renseignements sur les prises en charge. À titre d’exemple, l’hôpital Cognacq-Jay (Paris XVe) la intégré la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de l’arrondissement pour communiquer sur l’accès aux soins proposés et répondre aux besoins de la ville. Actuellement, la structure met à disposition des accès directs à son unité de soins palliatifs, et d’ici à la fin de l’année, un hôpital de jour devrait ouvrir ses portes afin d’accueillir les patients en soins palliatifs pour des bilans ou des adaptations de traitement. « L’objectif est de faire en sorte que les professionnels de l’Hospitalisation à domicile (HAD), des Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et les libéraux se mettent en lien avec nous pour la prise en charge de leur patient afin d’éviter l’hospitalisation et d’encourager au maintien à domicile, explique le Dr Térence Landrin, chef du service de soins palliatifs. Nous pouvons par exemple être contactés par la ville pour une évaluation pluriprofessionnelle afin de répondre aux besoins en termes de traitement, de soutien psychologique ou de besoins humains avec la mise en place de temps d’intervention d’auxiliaires de vie. »

Savoir +

LA FAIBLE VALORISATION DES COMPÉTENCES INFIRMIÈRES

La prise en charge des soins palliatifs est faiblement valorisée dans la Nomenclature générale des actes professionnels. « Nous pouvons simplement coter la Majoration de coordination infirmière (MCI) à 5 euros et rien d’autre », pointe du doigt Marie-Claude Daydé. Les patients en soins palliatifs entrent dans le Bilan de soins infirmiers (BSI) mais ce dernier ne leur est pas spécifique. Les masseurs-kinésithérapeutes détiennent, eux, une cotation dédiée…

Info +

• Le site Internet de la Sfap, www.sfap.org, regorge d’informations dont les Idels peuvent se saisir :

- des informations sur l’évolution des plans soins palliatifs ;

- un modèle de directives anticipées afin de rester neutre dans le cheminement des questions et guider le patient dans leur rédaction tout en respectant sa volonté ;

- l’accès aux fiches Samu afin de leur signaler des situations de prises en charge palliatives en cas d’urgence ;

- le questionnaire Pallia 10 afin de savoir à quel moment le patient relève des soins palliatifs.

• L’application Appl’idel, dédiée aux soins palliatifs, apporte de nombreux conseils sur les symptômes, la prise en charge, les réseaux, etc.