REPÉRER LES PSYCHOSES ÉMERGENTES DÈS L’ADOLESCENCE - Ma revue n° 021 du 01/06/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 021 du 01/06/2022

 

PSYCHIATRIE

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Éléonore de Vaumas  

Depuis 2020, au CHRU de Brest, l’UniTEA intervient auprès des 15-30 ans qui présentent un premier épisode psychotique. Le but : maintenir un lien tout au long du parcours de soins pour limiter l’impact de la maladie grâce à une alliance durable avec les deux IDE case managers présentes dès le début des troubles.

À son arrivée à Paris, Kilian [prénom modifié], 17 ans, alors en voyage scolaire avec sa classe, s’est senti mal. Le jeune homme, déjà repéré pour des idées suicidaires, a immédiatement été pris en charge à l’hôpital psychiatrique parisien Sainte-Anne, d’où il communique chaque jour par SMS avec Sandrine Nicolas, sa référente au CHRU de Brest (Finistère). « Ce patient vient d’arriver dans le service et il faut que je sois très présente pour lui car il ne va pas bien. C’est toutefois positif qu’il me tienne au courant de son état, cela signifie qu’il me fait confiance », se réjouit l’intéressée. Des jeunes sur le fil, l’infirmière en suit une quinzaine depuis ses débuts à l’Unité d’accueil et d’accompagnement des troubles émergents de l’adolescent et du jeune adulte (UniTEA) en 2020. Ce dispositif a en effet vu le jour il y a deux ans sous la triple impulsion de Laure Bleton, Christophe Lemey et Philippe Genest, tous trois psychiatres au CHU finistérien. L’objectif : proposer une intervention spécialisée précoce aux 15-30 ans qui présentent un premier épisode psychotique (PEP).

IDE CHEFFES D’ORCHESTRE

« Depuis une dizaine d’années, dans le cadre de notre participation à la Cevup(1) , nous avons réalisé des évaluations de patients à haut risque de développer une schizophrénie et chaque fois, le constat était le même : entre le nombre de soins et de professionnels différents, les occasions de perdre le lien avec le patient étaient multipliées. L’idée de cette unité est d’essayer de fluidifier le parcours et d’éviter les ruptures qui aggravent la maladie », explique Christophe Lemey. Dans ce cadre, la présence des deux infirmières case managers, ou gestionnaires de cas, est vitale. C’est là effectivement la particularité de l’UniTEA dont la prise en charge, médico-décentrée, s’appuie majoritairement sur la capacité des infirmières à mettre les actions et les acteurs en musique dans le parcours de leurs jeunes patients. « Si l’équipe compte deux psychiatres, une psychologue, une cadre de santé et une secrétaire, nous sommes les deux seules professionnelles en charge de vérifier que tout est bien huilé. Une sorte de cheffe d’orchestre de la prise en charge », illustre Anne-Lise Autret, qui partage avec sa collègue Sandrine Nicolas le même bureau et les mêmes missions.

Dans un contexte souvent marqué par le cloisonnement des services ou des structures et le besoin d’articulation entre les secteurs médical, sanitaire et social, le case management apparaît de plus en plus comme une approche adaptée pour le repérage et l’accompagnement précoce des psychoses émergentes. Dans le champ de la santé mentale, l’enjeu est d’autant plus important que les pathologies, chroniques, nécessitent une coordination transdisciplinaire sur le long terme.

VUE D’ENSEMBLE

À l’UniTEA de Brest, le suivi dure trois ans. Au cours de cette période, l’intervention proposée par les infirmières case managers s’articule autour de trois axes principaux : sanitaire, familial et social. « L’idée est d’établir un projet de soins la première année puis, une fois que les troubles sont stabilisés, de travailler sur le projet de vie. Ceci afin d’aider le patient à accepter sa pathologie, à lever d’éventuels freins sociaux, professionnels ou scolaires, et trouver des appuis pour que la sortie du dispositif se fasse en douceur », précise Sandrine Nicolas. De par leur proximité physique et émotionnelle avec la quinzaine de patients qui leur sont affectés, les deux soignantes sont souvent amenées à ajuster leur intervention ; ce qui suppose de la souplesse et de l’expérience. « Au début, je les vois généralement une fois par semaine, sans compter les appels téléphoniques, les SMS ou les mails. À ce moment-là, il faut être proactif, le temps qu’ils nous repèrent et nous investissent. L’enjeu est de créer une alliance thérapeutique de qualité. Ce n’est que lorsque le patient est stabilisé que les rendez-vous peuvent s’espacer, même si le lien n’est jamais rompu jusqu’à la sortie », détaille l’infirmière case manager.

PREMIER BILAN : PLACE À LA PAROLE

Parmi les étapes obligatoires qui vont jalonner l’accompagnement, le bilan initial au moment de l’admission du patient, réalisé en duo avec un psychiatre, est un moment clé. Celui-ci consiste à collecter toutes les informations utiles pour décrire les objectifs à court et moyen terme. Il s’agit d’abord pour les professionnels de santé d’éliminer toute cause somatique. Pour cela, les infirmières soumettent leurs patients à une batterie d’examens (prises de sang, électrocardiogramme, IRM) qui, couplée à la réalisation de tests par la psychologue (test de Rorschach(2) ou Thematic Apperception Test, également appelé TAT(3)) permettent de valider l’indication de la prise en charge dans le service. Le but de cette démarche est avant tout d’écarter les adolescents ou les jeunes adultes qui ont déjà présenté des troubles psychotiques ou qui souffrent de pathologies chroniques afin de conserver la spécificité de l’unité. « On ne peut pas prendre toute la pédopsychiatrie en charge, justifie Nathalie Bouchilloux, la psychologue de l’UniTEA. En revanche, nous n’avons pas fixé de limites franches. Aussi, il nous arrive de recevoir des jeunes dont les premiers signes remontent à six mois. » Cette première consultation vise également à s’assurer que le patient bénéficie d’un suivi par un médecin de secteur et, si ce n’est pas le cas, l’orienter vers un spécialiste ad hoc. Prévu sur une journée, ce bilan fait également la part belle à la parole. « C’est un temps où l’on fait connaissance avec le patient, où on l’invite à nous raconter son histoire de vie, à nous décrire le regard qu’il porte sur sa famille et à nous parler de ses symptômes car certains n’ont pas conscience de ressentir quelque chose d’étrange », décrit Anne-Lise Autret. La réunion clinique pluridisciplinaire hebdomadaire qui en découle a, quant à elle, vocation à présenter la situation à l’équipe. Cela permet une mise en commun des éléments diagnostiques pour envisager la prise en charge la plus juste possible. Et c’est là que réside aussi la force de cette unité qui, au-delà de l’équipe, parvient à fédérer autour de la question des psychoses émergentes. « Tous les mois, nous invitons les partenaires et les prescripteurs qui ont participé à l’évaluation initiale. Tout le monde est au même endroit et au même moment pour entendre les choses et parler du patient. En termes institutionnels, ces temps de staff permettent de mieux comprendre ce que l’on fait ici et collecter des adresses plus indiquées », constate Frédérique Ronot, cadre de santé au sein de l’UniTEA.

GARDE RAPPROCHÉE

La plupart du temps, l’orientation des patients se fait en interne (urgences, unité Anjela Duval(4), secteur d’hospitalisation) car pour certains professionnels, il est difficile de différencier les remaniements psychiques liés à l’adolescence de la clinique propre à une psychose débutante. « La plupart des troubles psychotiques apparaissent entre 15 et 25 ans. Or, il peut être complexe de faire la part des choses entre une période difficile et des signes plus spécifiques qui sont une alerte et constituent un risque d’évolution vers un trouble psychotique. Il faut donc des dispositifs spécialisés pour les repérer et les prendre en charge le plus tôt possible », note Marine Le Bouedec, l’une des psychiatres du service. Car plus le repérage et l’accompagnement seront précoces, plus l’évolution de la maladie sera favorable. Si tant est que l’épisode présage d’une pathologie psychiatrique. « Un premier épisode n’est qu’un épisode. Cela suscite une inquiétude qui justifie que l’on suive le patient durant trois ans, mais cela n’augure en rien de son devenir. C’est important de garder cela en tête et de se questionner régulièrement », ajoute Christophe Lemey. Des réévaluations ont donc lieu tous les six mois avec le patient qui est reçu par sa case manager référente et l’un des deux psychiatres de l’unité. Entre ces séances, des entretiens de soutien peuvent avoir lieu avec l’IDE au gré des besoins des patients. « Certains aiment être vus dans un cadre hospitalier, mais la plupart préfèrent qu’on se voie à l’extérieur… Et nous, on s’adapte », illustre Anne-Lise Autret.

Adaptabilité et malléabilité sont donc les maîtres mots de cet accompagnement sur mesure. Après 18 mois d’existence, la file active s’élève à 40 patients répartis entre les deux IDE, dont une dizaine qui nécessite une assistance intensive. Un rythme soutenu mais gérable car passé les premiers mois, les bénéfices sont palpables. « Meilleure tolérance aux traitements, hospitalisations et décompensations sévères évitées, insertions sociale et professionnelle favorisées… C’est prouvé, cette nouvelle approche d’intervention précoce chez les patients à haut risque de schizophrénie permet de ralentir l’évolution de la maladie, voire de l’infléchir », se réjouit Marine Le Bouedec.

RÉFÉRENCES

Notes

1. La consultation d’évaluation de la vulnérabilité psychologique est une structure dématérialisée où des professionnels volontaires pour évaluer les patients à haut risque de schizophrénie.

2. Le test des taches d’encre de Rorschach est un outil d’évaluation psychologique de type projectif pour examiner les caractéristiques de la personnalité et le fonctionnement émotionnel d’une personne.

3. TAT, pour Thematic Apperception Test, est un test projectif de personnalité qui consiste en une série d’images présentées au patient, lequel est chargé d’inventer une histoire.

4. Unité intégrée au pôle psychiatrique du CHRU de Brest spécialisée dans la prise en charge des adolescents et des jeunes adultes suicidaires.

Autres sources

• Bartoli A., Sebai J., Gozlan G., « Les case-managers en santé mentale : des professionnels en quête de définition », Management & avenir santé, n° 6, 2020, 83-104. En ligne sur : bit.ly/37u6aFi

• Krebs M.-O., Lejusute F., Martinez G., « Prise en charge spécifique des premiers épisodes psychotiques », L’Encéphale, décembre 2018;44 (6):1S17-1S20.

Parents/proches bienvenus !

L’irruption d’un premier épisode psychotique ou d’un trouble émergent n’est pas seulement source de souffrance pour les patients, elle l’est aussi pour les proches. Telle est la conviction de la psychologue de l’UniTEA, Nathalie Bouchilloux, qui leur dédie un espace de parole au sein du dispositif, qu’elle coanime avec une infirmière. En petits groupes, les parents/proches sont invités à se réunir une fois par mois entre pairs. Là, ils peuvent exprimer en toute bienveillance leur ressenti, leurs inquiétudes, et acquièrent ainsi la possibilité de mieux appréhender les difficultés de relation. « Il y a beaucoup de stigmatisation autour de la santé mentale et aucun autre espace où les proches peuvent se livrer de la sorte. Pourtant, un tel trouble à l’adolescence a des impacts sur l’ensemble de la famille. Si l’on ne pense pas notre intervention sous cet angle, on ne sera pas en mesure de soutenir le jeune de façon correcte », avertit la spécialiste. Par ailleurs, à travers cette mise en relation des proches à des étapes différentes de leur parcours, le partage d’expérience est facilité. De quoi redonner aux parents leur pouvoir d’agir. « Il se passe de très jolies choses durant ces séances. Je pense notamment à cette mère qui ne parvenait pas à dire à ses parents que leur petit-fils souffrait d’un trouble psychique. Elle a fini par sauter le pas après avoir rencontré des parents au vécu similaire », se souvient la psychologue. Enfin, ces temps de rencontres sont également l’occasion d’informer les parents sur la maladie de leur enfant. À ce titre, des professionnels interviennent ponctuellement sur des thématiques précises telles que les aides financières, la gestion des crises ou encore les traitements et leurs effets secondaires.

Des initiatives par dizaine en France

Alors que les programmes d’intervention précoce dans la psychose débutante constituent un standard international de prise en charge, notamment aux États-Unis, en Australie, au Canada et en France, leur déploiement ne remonte qu’à une petite dizaine d’années. Pourtant, des initiatives pionnières ont vu le jour comme le réseau Transition en 2006, qui a initié une dynamique en traduisant des outils afin de les rendre accessibles aux équipes françaises(1). Depuis, le nombre de ces initiatives dévolues à l’intervention précoce d’une équipe spécialisée et pluridisciplinaire ne cesse de croître. Le dernier recensement, qui date de 2018, fait ainsi état de 35 lieux de prise en charge des premiers épisodes psychotiques sur l’ensemble du territoire français, et de 34 en cours de création ou en réflexion(2). Toutes les équipes disposent d’au moins un psychiatre dédié à l’activité et la grande majorité également d’une infirmière, dont près de la moitié fait office de référente case manager. Trois quarts des équipes fonctionnent au sein d’une unité fonctionnelle spécialisée autonomie et proposent des services avec des combinaisons diverses : consultations, équipe mobile, lits d’hospitalisation, hôpital de jour(2). La durée du suivi dans ces dispositifs oscille, quant à elle, entre deux et trois ans, parfois cinq ans.

1. Krebs M.-O., « Le réseau Transition : une initiative nationale pour promouvoir l’intervention précoce des psychoses débutantes », L’Information Psychiatrique, 2019;95 (8):667-71.

2. Lecardeur L., Meunier-Cussac S., Gozlan G. et al., « Prise en charge précoce des psychoses émergentes en France. Recensement, description des activités et besoins en 2018 », L’Information Psychiatrique, 2020;96 (7):569-76.