UNE PROFESSION EN CAMPAGNE - Ma revue n° 018 du 01/03/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 018 du 01/03/2022

 

PRÉSIDENTIELLES 2022

JE DECRYPTE

VIE POLITIQUE

Adrien Renaud  

En période d’élection, les citoyens ne sont pas les seuls à être courtisés. Les candidats font eux aussi l’objet de sollicitations de la part de groupes qui voudraient les voir reprendre leurs différentes propositions. Et à ce jeu, les organisations infirmières sont loin d’être les dernières.

D’après une enquête réalisée par Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, début février, 71 % des Français se disent intéressés par la prési­dentielle. Soit une baisse de 10 points par rapport à février 2017. Un dédain qui contraste avec l’engouement que l’on constate parmi les organisations représentant la profession infirmière. Celles-ci rivalisent en effet de propositions dans l’espoir de les voir s’imposer dans le débat électoral. Et malgré l’apparent désordre dans lequel les diverses initiatives sont lancées, un constat s’impose : celui de l’unanimité. Du libéral à l’hôpital, des organisations représentant les formateurs à celles qui défendent les spécialités, tous demandent plus de moyens, plus de reconnaissance et plus de respon­sabilités pour la profession.

C’est ainsi qu’en ce début d’année, deux syndicats d’Idels, par exemple, ont dégainé coup sur coup deux plateformes aux contenus très similaires. Le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) a tiré le premier en présentant mi-janvier son initiative « Débats d’Idel », un projet participatif fondé sur une vingtaine de propositions qui sont soumises aux déli­bérations de la profession. Parmi elles, on trouve notamment la volonté de « créer un statut de cabinet infirmier référent », « développer et reconnaître de nouvelles compétences » ou encore « permettre aux infir­miers libéraux un accès direct ».

La Fédération nationale des infirmiers (FNI) n’a pas mis longtemps à répliquer. Début février, le syndicat majoritaire chez les Idels présentait ses propres propositions, dont une mesure-choc qui, en dépit de son caractère volontairement provocateur, résume bien la volonté d’indépendance accrue qui irrigue en ce début de campagne les organisations infirmières : faire de la profession une « profession médicale à compétences définies », à l’instar des sages-femmes, par exemple.

DU LIBÉRAL À L’HÔPITAL

Mais le libéral n’est pas le seul à faire des propositions. Le Collectif inter-hôpitaux, qui n’est pas une organisation infirmière mais qui compte beaucoup de représentants de la profession, a lui aussi présenté une série de mesures visant à interpeller les candidats. Au menu, « des quotas de personnels nécessaires dans chaque unité de soins pour assurer la sécurité et la qualité », « des compléments de salaire » pour « compenser les inégalités du coût de la vie, et en particulier du logement, selon les territoires » ou encore « un plan de formation et d’attractivité » pour « recruter dans les années à venir 100 000 infirmiers ».

Les organisations transversales, représentant à la fois le libéral et l’hospitalier, n’ont pas été en reste. C’est ainsi que le Collège infirmier français (CIF), qui fédère des organisations infirmières associatives, syndicales et scientifiques de tous secteurs et de toutes spécialités, a présenté le 8 février une liste de onze revendications à l’attention des candidats. Au menu, là encore, plus d’autonomie et plus de moyens : le CIF veut abolir la notion « d’auxiliaire médical » utilisée pour qualifier la profession dans le Code de la santé publique, instituer une consultation infirmière de premier recours pour la prise en charge des affections bénignes, et l’instauration de ratios de patients par infirmier au regard de la charge de travail.

L’Ordre national des infirmiers (Oni), de son côté, a présenté le 16 février dernier dix propositions pour la présidentielle où l’on retrouvait les mêmes éléments : la nécessité de « développer le premier recours infirmier », celle de « permettre aux patients d’être suivis directement par un infirmier référent », d’instituer des « ratios d’infirmiers par patient dans chaque service à l’hôpital », etc.

MÉTHODE PARTICIPATIVE

Mais les différentes organisations infirmières ne se bornent pas à effectuer des propositions convergentes. Elles se retrouvent également dans la méthode d’élaboration de leurs plateformes, qui se veut participative. C’est ainsi que l’ordre infirmier met en avant les vastes concertations qui ont permis d’arriver aux mesures qu’il préconise. « L’Ordre se base sur des consultations réalisées auprès de 60 000 infirmiers ayant répondu à un questionnaire, et sur des discussions avec des personnalités internes et externes à la profession », souligne son président, Patrick Chamboredon. Celui-ci rappelle qu’un colloque organisé à Sciences Po début février lui a permis de nourrir sa réflexion.

Mais l’Ordre est loin d’être la seule institution à miser sur les méthodes participatives. Les propositions du Sniil, par exemple, se veulent une base de discussion lors de débats organisés au fil de la campagne avec des infirmières, des élus locaux, des responsables associatifs, etc., et, bien sûr, avec des candidats à la présidentielle.

GARE AUX PROMESSES EN L’AIR

Car bien entendu, il ne suffit pas de faire des propositions, même convergentes et même élaborées de manière participative. Il faut également se faire entendre des protagonistes de l’élection. Et c’est là que les choses se compliquent. « Nous allons adresser nos revendications par courrier à tous les groupes politiques à l’Assemblée nationale comme au Sénat, indique par exemple Gilberte Hue, vice-présidente du Collège infirmier français. Le but est bien sûr d’influencer tous ces présidentiables pour les obliger à aborder la question de système de santé et de la profession infirmière. »

« Nous allons envoyer notre plateforme aux candidats pour échanger avec eux sur nos propositions », annonçait de son côté en janvier John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux, lors de la conférence de presse en ligne de présentation de la plateforme « Débats d’Idel ». Celui-ci se félicitait d’ailleurs d’avoir déjà pu obtenir une rencontre avec certaines équipes de campagne. Toute la problématique, bien sûr, résidant en la subtile différence qu’il y a entre être écouté et être entendu.

Car si les organisations infirmières décrochent relativement aisément des rendez-vous avec les représentants des différents candidats afin de faire valoir leurs propositions, ils savent bien que la période est propice aux promesses faites en l’air. « On sait très bien que tous les candidats nous diront que tout ce qu’on dit est très bien, sourit Daniel Guillerm, président de la FNI. L’idée est donc moins de voir telle ou telle mesure reprise telle quelle dans un programme présidentiel que de poser les débats et d’essayer d’orienter les discussions. »

CONVERGENCES ET DIVERGENCES

Et pour « poser le débat » ou « orienter les discussions », quoi de mieux que d’inviter directement les candidats à s’exprimer sur les problématiques soulevées par les infirmières ? C’est en tout cas ce qu’a décidé de faire un collectif d’organisations composé de l’Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et des étudiants (Anfiide), de l’Association nationale des puéricultrices diplômées et des étudiants (ANPDE), du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec), de l’Union nationale des associations d’Ibode (Unaibode) et du Syndicat national des Ibode (Snibo), qui convie, le 10 mars prochain, les prétendants à l’Élysée à « présenter leur programme concernant l’évolution du système de santé de demain » lors d’une émission qui sera retransmise en direct sur Internet.

Reste une question. Le foisonnement de propositions, même convergentes, n’est-il pas de nature à souligner un certain émiettement de la profession ? « La pluralité des propositions est intéressante, mais il ne faudrait pas que cela aboutisse à des divergences », avertit Patrick Chamboredon. On peut en effet se demander s’il n’aurait pas mieux valu que les différentes organisations infirmières s’accordent sur une plateforme commune, ce qui aurait donné plus de force à leur message.

La tâche aurait été d’autant plus aisée que, malgré ce que semble craindre Patrick Chamboredon, les mesures avancées par les associations et autres syndicats sont convergentes. Mais peut-être vaut-il mieux voir le verre à moitié plein : la profession, si elle affiche son morcellement, n’offre pas le triste spectacle du combat fratricide, comme le font certaines tendances politiques dont les différentes factions se plaisent à s’entre-déchirer alors qu’elles sont d’accord sur l’essentiel.

Lire les articles « Les Idels plongent dans le grand bain de la présidentielle », le 19/01, et « La FNI veut un statut médical pour les infirmières », le 4/02, sur espaceinfirmier.fr