L’INTÉGRATION DANS UN CABINET, UN TRAVAIL D’ÉQUIPE - Ma revue n° 018 du 01/03/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 018 du 01/03/2022

 

RELATIONS DE TRAVAIL

J’EXERCE EN LIBÉRAL

ORGANISATION

Laure Martin  

Intégrer une infirmière en tant que remplaçante, collaboratrice ou associée, ou rejoindre un cabinet ne s’improvise pas. Valeurs partagées, horaires, types de prises en charge : le point pour éviter les conflits.

La continuité des soins impose aux infirmières libérales (Idels) de prendre en charge les patients sept jours sur sept, 365 jours par an. Elles n’ont donc pas vraiment d’autre choix que de travailler avec une associée, une collaboratrice ou une remplaçante. Mais avant d’accueillir une consœur ou de rejoindre un cabinet, des questions essentielles doivent être posées. « Un point qui me paraît fondamental, c’est déjà de s’assurer qu’on est prête à faire autre chose que du soin », conseille Delphine Demaison, cofondatrice de Catalyse, cabinet de coaching dédié aux professionnels du secteur de la santé. Car s’installer en libéral implique de faire de la comptabilité, de l’immobilier, de l’administratif. « Entre une infirmière qui a déjà exercé en libéral et une qui vient de l’hôpital, il y a deux mondes, confirme Géraldine Malka, installée depuis 1975 à Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne), désormais remplaçante au sein de son cabinet. L’une des Idels du cabinet, arrivée en 2019, était hospitalière, et encore aujourd’hui, l’équipe la porte sur les aspects administratifs du métier. »

UN CAHIER DES CHARGES

Dans cette approche du libéral, il convient que chaque membre du cabinet définisse ses attentes professionnelles. « Je conseille toujours aux personnes que j’accompagne d’élaborer le cahier des charges de leur vie professionnelle, souligne la coach. Il faut être clair sur ses envies. » Car il faut avoir conscience de ce qu’implique le libéral en termes de vacances, d’arrêt maladie, de revenus pouvant varier tous les mois. Autant de questions qui peuvent influer sur l’intensité du travail du cabinet. Ces éléments peuvent d’ailleurs être inscrits dans le contrat qui lie l’ensemble des infirmières d’un cabinet. « Le contrat régit une grande partie de notre activité et, selon moi, l’intégration des uns et des autres au cabinet, soutient Maxence Raphaël, qui possède un cabinet à Marseille. Souvent, lorsque des problématiques sont soulevées entre Idels, sans contrat conclu au préalable, il est difficile de s’en défaire. »

DES VALEURS COMMUNES

Outre les questions d’ordre organisationnel, partager un minimum de valeurs s’avère fondamental, particulièrement en ce qui concerne le mode de prise en charge des patients. Par exemple, certaines vont privilégier le maternage et l’accompagnement enveloppant tandis que d’autres vont plutôt mettre l’accent sur l’autonomie des personnes. Se demander si l’on peut travailler avec quelqu’un qui ne dispense pas les soins de la même manière que soi est donc une question à ne pas négliger. « Chacune doit reconnaître sa tendance et voir si elle est compatible et complémentaire avec celle de sa consœur afin que cela ne devienne pas source de différends et l’occasion de manipulations inconscientes de la part de certains patients, lesquels vont critiquer à demi-mot la collègue », met en garde le psychologue clinicien Pascal Prayez.

« Avoir des valeurs communes est important car si chacun fait ce qu’il veut, cela crée de conflits », ajoute Géraldine Malka. Pour les éviter, l’organisation régulière de réunions d’équipe peut être une solution afin « d’échanger sur ce qui fonctionne et sur ce qui peut être amélioré, poursuit-elle. Il faut verbaliser les problématiques, s’interroger sur la possibilité de fonctionner différemment pour que tout le monde soit satisfait. Exposer ses idées peut être très constructif ». Ainsi, dans le cabinet de Géraldine Malka, des réunions sont organisées chaque mois : « Lorsque l’infirmière venue de l’hôpital a rejoint le cabinet, elle ne comprenait pas pourquoi elle n’avait pas d’anciens patients dans sa tournée. Elle avait l’impression de ne pas être intégrée alors que notre volonté était au contraire de lui donner de nouveaux patients pour qu’elle devienne leur référence. Nous en avons parlé et avons panaché les tournées de sorte de répondre aux attentes de chacune. »

LES TENSIONS INTERGÉNÉRATIONNELLES

Autre problématique pouvant être rencontrée au cabinet : les écarts générationnels. Une différence qui peut être source de tensions et qui repose, pour schématiser, sur une distinction principale : l’ancienne génération qui ne compte pas ses heures et la nouvelle qui a tendance à davantage concilier vie professionnelle et vie personnelle. « Lorsque le cabinet doit faire face à une surcharge de travail, les jeunes Idels, lorsqu’elles sont en repos, acceptent rarement de travailler ne serait-ce qu’une heure pour soulager leurs collègues, note Géraldine Malka. J’ai du mal à comprendre cela car pour moi, il faut être solidaire dans le groupe. » « Celles qui font ce choix de ne pas être complètement « avalées » par leur activité professionnelle, non pas par désintérêt mais pour trouver un équilibre, doivent l’exprimer pour que ce soit compris et accepté par les autres », estime Pascal Prayez. D’ailleurs, la question des horaires et du fonctionnement du cabinet peut être abordée dans le contrat. « La bonne intégration repose aussi sur la manière dont les anciennes du cabinet considèrent les échanges professionnels avec les nouvelles, ajoute-t-il. Chacune peut s’enrichir d’autres approches professionnelles pour créer une relation d’égalité, ce qui demande une posture d’humilité de la plus ancienne génération, de la communication et une ouverture d’esprit. »

DE L’IMPORTANCE DES REMPLACEMENTS

Avant d’envisager de rejoindre un cabinet, il est important d’apprendre à connaître les membres de l’équipe. « Il faut multiplier les rencontres en individuel, puis avec le collectif pour en comprendre la dynamique », conseille Delphine Demaison. Au cours de ces échanges, il ne faut pas hésiter à questionner les façons de fonctionner : qui vide les poubelles, distribue le courrier, s’occupe d’une éventuelle panne. « Il n’existe pas de bonnes règles du jeu, mais il faut les déterminer », assure-t-elle.

Commencer par un remplacement permet à la nouvelle venue « d’assimiler les règles du jeu, ajoute la cofondatrice de Catalyse. Et les titulaires doivent être transparentes sur ce qu’elles attendent d’elle. » En outre, faire des remplacements permet de déterminer si la patientèle correspond à sa pratique et à sa conception des soins.

Néanmoins, en raison du zonage du territoire entre zones sous-dotées et surdotées, il n’est pas toujours possible de trouver des remplaçantes. « En région Paca, elles sont peu nombreuses, rapporte François Poulain, Idel et président de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Infirmier. Dès lors que c’est le cas, souvent elles s’imposent à nous et les rapports de force s’inversent. » « Pour éviter cela, j’ai décidé de salarier des infirmières comme le permet l’avenant 6 à la convention nationale, indique Maxence Raphaël. Leur intégration est identique à celle d’une libérale. Nous cherchons à les mettre dans les meilleures conditions pour qu’elles exercent de la meilleure façon et organisons des temps de rencontre pour faire des remontées de terrain. »

Si certains cabinets mettent l’accent sur les valeurs et d’autres sur le contrat, « les deux approches sont complémentaires, soutient Pascal Prayez. Il faut traduire les valeurs communes et les questions organisationnelles dans les caractéristiques du contrat. »

Dernière règle à respecter : lors de l’arrivée d’une nouvelle Idel, « il ne faut surtout pas la considérer comme la remplaçante de l’ancienne, insiste Delphine Demaison. Car une nouvelle personne crée une nouvelle dynamique et modifie l’équilibre du système. Il faut donc l’accueillir entière. »

TÉMOIGNAGE

“Des tensions sur des détails sont un signe d’alerte”

Marie-Claude Daydé, infirmière libérale installée depuis vingt ans avec sa consœur.

« L’harmonie au sein d’un cabinet repose sur trois éléments. Tout d’abord, la posture soignante en tant que telle. Puis les questions d’emploi du temps ; il faut s’accorder sur les horaires de travail. En découle le troisième point, à savoir le registre financier, car si une infirmière souhaite gagner des revenus importants, cela va engendrer un planning chargé, et éventuellement moins de temps passé avec les patients. Ces questions doivent être abordées avec les remplaçantes. Leur intégration au sein du cabinet est primordiale et repose sur la réalisation de quelques tournées afin de permettre aux titulaires d’observer leur rapport aux patients. Il est également important d’organiser régulièrement des réunions pour prendre le temps de se parler de la vie du cabinet. Avec ma consœur, nous avons réglé les problématiques d’emblée : les courses, c’est chacune notre tour, mais si c’est la même qui les fait deux fois, ce n’est pas grave. Idem pour les poubelles. Tout est lié à l’entente. Ce sont souvent dans les cabinets où il y a des tensions que les détails vont prendre de l’ampleur. C’est d’ailleurs un signal d’alerte. »

TÉMOIGNAGE

“Je me sens complètement intégrée”

Charline, infirmière libérale remplaçante dans l’Oise.

« Après avoir exercé en hospitalisation à domicile, j’ai décidé de m’installer en libéral et, depuis novembre 2021, je suis remplaçante dans deux cabinets, l’un en ville, l’autre en milieu rural. Dans le cabinet de ville, je ne remplace qu’un infirmier et non ses associés. Les relations sont particulières. L’associé passe par l’intermédiaire de l’infirmier que je remplace pour les transmissions plutôt que par moi… En revanche, dans l’autre cabinet, je me sens complètement intégrée. Quatre associées et une collaboratrice se partagent la tournée. Avant de les rejoindre, j’ai eu une réunion avec elles. Elles m’ont interrogée sur mon parcours. Puis j’ai passé une matinée à leurs côtés, ce qui leur a permis de voir mon approche vis-à-vis des patients. J’apprécie, dans leur fonctionnement, l’organisation de réunions régulières pour parler des problématiques du cabinet. Par exemple, elles ont entendu ma volonté de ne pas travailler le mercredi pour pouvoir rester avec mes enfants. Nous avons aussi eu un différend concernant la clause de non-concurrence fixée, dans mon contrat, à 10 km autour du cabinet, ce qui m’empêcherait de m’installer à côté de chez moi en cas de conflit. Nous en avons parlé et avons finalement trouvé un accord. Elles aimeraient que je devienne collaboratrice puis associée pour remplacer une infirmière qui va partir à la retraite. Cette perspective est vraiment motivante et gage d’intégration. »

LE CARNET DE BORD DE MARIE-CLAUDE DAYDÉ, infirmière libérale

[ Cotation ]

Pour un patient qui a subi une intervention du genou en ambulatoire à 10 h le matin, la prescription comporte une surveillance clinique le soir même, le lendemain et une autre à J+5. Quelle cotation retenir, alors que l’AIS 4 est hebdomadaire ?

La situation correspond à la « Séance de surveillance clinique et d’accompagnement postopératoire à domicile pour les patients éligibles à la chirurgie ambulatoire ou à un parcours de soins de réhabilitation améliorée », nécessitant un accompagnement infirmier ponctuel postopératoire. Trois séances sont facturables et réalisées avec un protocole écrit du chirurgien ou de l’anesthésiste. La séance consiste à s’assurer que le patient a compris les consignes prescrites et les observe, en un suivi des paramètres à surveiller, la collecte et la traçabilité de ces données et un retour vers l’équipe médicale en cas d’anomalie. Un maximum de trois séances sont facturables, cotées chacune AMI 3,9, ceci dans la période de J0 (retour à domicile) à la veille de la première consultation postopératoire avec le chirurgien lorsqu’elle est programmée avant J+6, ou sans rendez-vous avec le chirurgien lors de cette première semaine, les séances sont facturables entre J0 à J+6.

[ À propos de… ]

L’ENDOMETRIOSE

L’errance de diagnostic pour les patientes souffrant d’endométriose rajoute à leurs douleurs difficilement supportables. L’une d’elles s’est récemment entendu dire qu’il s’agissait probablement d’un problème psychologique qui pourrait remonter à l’enfance ! Alors qu’il s’agit d’une maladie chronique qui altère la qualité de vie tant personnelle que professionnelle de ces femmes et serait la première cause d’infertilité dans notre pays. Un rapport sur le sujet, que le ministre de la Santé avait confié à une député européenne, gynécologue de profession, a été remis en janvier dernier au président de la République. Il définit trois axes prioritaires : le développement de la recherche pour améliorer les traitements, l’accès rapide à un diagnostic fiable partout sur le territoire, et la progression des connaissances sur le sujet. Cela tant auprès de la population générale qu’auprès des soignants dont l’endométriose devra faire partie des axes prioritaires de leur formation initiale et continue. Se soucier de cette maladie, c’est aussi prendre en compte l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment dans le monde du travail. Ce qui n’est pas encore tout à fait le cas. Dommage !