L’IGS-2 PERMET-IL D’AMELIORER LA PRÉDICTION DU RISQUE D’ESCARRE CHEZ LES PATIENTS EN MÉDECINE INTENSIVE ET RÉANIMATION ADULTE ? - Ma revue n° 018 du 01/03/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 018 du 01/03/2022

 

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REVUE DE LA LITTÉRATURE

La réanimation médicale est une unité de soins critiques spécialisée dans le diagnostic et le traitement des pathologies sévères au stade aigu. Les personnes qui y sont admises présentent au moins une défaillance d’une fonction vitale nécessitant fréquemment le recours à la ventilation mécanique, à une sédation de courte ou de longue durée et à des traitements vasopresseurs(1). Cela rend cette population particulièrement sujette aux escarres, avec cinq fois plus de risque de développer des lésions cutanées que dans d’autres services(2, 3).

INTRODUCTION

L’escarre s’apparente à « une lésion cutanée d’origine ischémique liée à une compression des tissus mous entre un plan dur et les saillies osseuses », et naît de multiples facteurs intrinsèques (cliniques) liés au patient ou extrinsèques (mécaniques) liés à l’environnement(4). En réanimation, la gravité de l’état initial, l’âge, le poids, l’immobilité, l’altération du rapport perfusion/oxygénation, la mise en place de vasoconstricteurs et la durée moyenne de séjour sont des facteurs prédictifs du risque d’escarre(2). Une fois présente, elle « entraîne principalement douleur et infection(5) ». En effet, 45,9 % des patients porteurs d’escarre (s) font des infections nosocomiales, et 86,5 % des complications durant leur hospitalisation(6).

En France, l’étude « Pressure »(2) recense une prévalence d’escarres de 18,7 % dans les unités de soins de réanimation, dont une incidence de 12,5 %. Plus de 40 % sont de stades 3 et 4. Les lésions de décubitus les plus fréquentes sont les escarres sacrées (57,4 %) et talonnières (35,2 %)(2). Cela représente une comorbidité supplémentaire et engendre « une consommation accrue de soins et de ressources(5) ». Une étude américaine a évalué l’impact des escarres, lesquelles multiplieraient par 2,6 les coûts en matière de soins et doubleraient la durée d’hospitalisation(6). En 2012, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé estimait à 11,2 jours l’augmentation de la durée moyenne de séjour et un surcoût de 5 612 euros par patient(7). Dans ce contexte, l’équipe paramédicale doit mettre en place des moyens de surveillance et de prévention, ainsi que des protocoles de soins adaptés à la réanimation(8).

PROBLÉMATIQUE D’ÉVALUATION

Cependant, la difficulté majeure dans ces unités de soins réside dans la prédiction du patient à risque d’escarre. Les recommandations internationales conseillent « d’utiliser, en association avec le jugement clinique, un outil commun d’évaluation du risque dès le premier contact avec le patient(5) ». En France, cet outil est l’échelle de Braden, approuvée depuis 2001 par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé(5). L’évaluation est réalisée dès l’admission du patient, puis de manière hebdomadaire et/ou à chaque modification d’une donnée ou de l’état cutané. Cette échelle comporte six sous-catégories cotées entre 1 et 4 points. Le score total s’établit entre 6 et 23. Plus celui-ci est bas, plus le patient est à risque. Un score inférieur ou égal à 12 représente un risque élevé d’acquisition d’escarre. Or, la majorité des personnes hospitalisées en réanimation est à risque élevé(9). Par conséquent, dans de tels services, l’échelle de Braden devient un outil d’une valeur prédictive d’escarre moyenne(10). Son utilisation paraît sous optimale pour identifier et prédire les personnes à risque dans cette population(9). En effet, l’ensemble des facteurs de risque d’escarre en soins critiques n’est pas pris en compte par l’échelle de Braden, comme la ventilation mécanique, la sédation, les traitements vasoconstricteurs, l’âge, les comorbidités sous-jacentes, la durée de séjour ou encore le score pronostique à l’admission(8,9). Cependant, en service de réanimation, les équipes médicales ont l’obligation d’établir le score de gravité simplifié de 2e génération (IGS-2 ou indice de gravité simplifié-2). Celui-ci permet d’apprécier l’état de gravité d’un malade à partir des défaillances organiques relevées dans les 24 heures suivant son arrivée, et de calculer, de manière fiable, la probabilité de décès hospitaliers pour tous les patients, tous diagnostics confondus(11). Plus l’IGS-2 est élevé, plus le risque de mortalité augmente. Les éléments constitutifs de ce score présentent un intérêt pour envisager son utilisation afin de déterminer les patients à risque d’escarre. Il se constitue de 17 variables, dont 12 physiologiques et 3 relatives à des maladies chroniques, l’âge et le type d’admission. Ces items prennent en compte un certain nombre de facteurs prédictifs du risque d’escarre propres aux patients hospitalisés en réanimation, tel que l’âge ou l’état neurologique, avec le score de Glasgow, ou encore l’altération du rapport perfusion/oxygénation avec la pression artérielle, la fréquence cardiaque et la pression partielle d’oxygène dans le sang. De même, l’étude « Pressure » a établi que le risque de développer une escarre augmentait conjointement à l’IGS-2(2). Par conséquent, son utilisation pourrait être pertinente dans la prédiction précoce.

Dès lors, l’indice de gravité simplifié-2 permet-il d’améliorer la prédiction du risque d’escarre chez les patients hospitalisés en service de médecine intensive et de réanimation adulte ?

MÉTHODOLOGIE

Cette revue de la littérature a été réalisée en novembre 2021 à partir des bases de données CINAHL (sciences infirmières et paramédicales), PubMed (sciences biomédicales) et Scopus (articles transdisciplinaires édités par Elsevier). Pour établir une recherche documentaire pertinente avec des informations probantes, nous avons déterminé trois mots-clés : « escarre », « médecine intensive et réanimation » et « indice de gravité simplifié ». Ils ont ensuite fait l’objet d’une traduction MeSH (Medical Subject Heading) en anglais sur le site HeTOP (voir le tableau ci-contre). Puis, nous avons construit notre équation de recherche, une en français puis une autre en anglais, avec les opérateurs booléens « AND » et « OR » :

→ « escarre ET médecine intensive et réanimation ET indice de gravité simplifié »

→ (« pressure ulcer » OR « pressure injury » OR « bedsore » OR « decubitus ulcer » OR « pressure sore ») AND (« intensive care unit » OR « ICU » OR « critical care » OR « critical care unit ») AND (« Simplified Acute Physiology Score » OR « SAPS »)

Afin d’affiner notre recherche et actualiser les données, nous avons examiné les parutions éditées depuis 2017 qui ne concernaient que les services de médecine intensive et de réanimation médicale ou polyvalente adulte. La lecture critique d’articles a été effectuée à l’aide de la grille de lecture proposée par L.-R. Salmi, adaptée par C. Augustyniak, V. Berger et C. Bordenave.

RÉSULTATS

Au total, l’équation de recherche portant sur l’IGS a permis d’extraire 14 articles. Après exclusion des doublons et lecture des différents titres, 9 articles ont été retenus, puis 4 sur lecture du résumé, et enfin 4 textes ont été définitivement conservés après lecture complète (voir le diagramme de flux en page suivante).

Nous avons retenu 2 études prospectives observationnelles d’une journée, l’une mondiale, de Labeau et al.(4) (Impact Factor = 17,44), l’autre française, de Jacq et al.(2) (Impact Factor = 2,737), incluant respectivement 13 254 et 1 228 patients. Nous avons également gardé une étude de cohorte prospective espagnole de González-Méndez et al.(12) (Impact Factor = 3,036), incluant 335 patients, et une autre descriptive prospective brésilienne, d’Otto et al.(13)(Impact Factor = 0), incluant 59 patients.

D’après ces publications, l’incidence d’escarre augmente conjointement à l’indice de gravité simplifié. Elles attestent à l’unanimité que l’indice de gravité simplifié s’associe fortement au risque d’escarre. Ainsi, plus l’IGS est élevé, plus les patients sont à risque d’escarre(2, 3, 12, 13). L’étude « The DecubICUs »(4) met en évidence que 35 % des patients avec un IGS-2 supérieur à 33 sont porteurs d’escarre (s) contre 17 % avec un IGS-2 inférieur à 33. Les études menées par González-Méndez et Otto confirment même la valeur prédictive, efficace et satisfaisante de l’indice de gravité simplifié de troisième génération (IGS-3) dans le risque d’acquisition d’escarre(12,13). Mais actuellement, ce score de gravité n’est pas intégré dans les recommandations françaises.

DISCUSSION

En complément de l’échelle de Braden, l’IGS-2 pourrait améliorer l’identification des patients susceptibles d’acquérir des escarres au sein d’une population fortement exposée à ce risque dans le contexte des unités de médecine intensive et de réanimation. L’intégration de cette nouvelle mesure par les paramédicaux pourrait permettre de mettre en œuvre de nouveaux moyens préventifs ou d’adapter ceux déjà existants dans le but d’éviter une augmentation de la comorbidité des personnes déjà soumises à de sévères agressions. De plus, cela répondrait au besoin d’un outil de meilleure prédiction du risque d’escarre pour les malades de soins intensifs et de réanimation(2, 3, 12, 13). Si plusieurs études démontrent le lien existant entre l’indice de gravité simplifié et le risque d’escarre, aucune, en revanche, n’a mis en évidence la valeur prédictive de l’IGS-2, notamment en France.

Cette revue de la littérature est le prélude à de nouvelles hypothèses dans la prédiction des personnes à risque d’escarre en service de soins critiques. Elle fut également nécessaire pour l’élaboration d’une lettre d’intention répondant à l’Appel à projets interrégional recherche en soins (Apires) organisé par le Groupement interrégional de recherche clinique et d’innovation Sud-Ouest outre-mer hospitalier (Girci Soho). L’objectif serait de pouvoir initier une étude pilote afin d’explorer le sujet et acquérir de nouvelles connaissances.

RÉFÉRENCES

1. Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar), « La réanimation et la surveillance continue ». Sur : bit.ly/3rRmxSL

2. Jacq G., Valera S., Muller G. et al., “Prevalence of pressure injuries among critically ill patients and factors associated with their occurrence in the intensive care unit: The PRESSURE study”, Australian Critical Care, 2021 Sep;34 (5):411-8. En ligne sur : bit.ly/349Ldxm

3. Delawder J. M., Leontie S. L., Maduro R. S. et al., “Predictive Validity of the Cubbin-Jackson and Braden Skin Risk Tools in Critical Care Patients: A Multisite Project”, American Journal of Critical Care, 2021 Mar 1;30 (2):140-4. En ligne sur : bit.ly/3H3yo6D

4. Labeau S. O., Afonso E., Benbenishty J. et al., “Prevalence, associated factors and outcomes of pressure injuries in adult intensive care unit patients: the DecubICUs study”, Intensive Care Medicine, 2021 Feb;47 (2):160-9. En ligne sur : bit.ly/3H2RtG0

5. Haute Autorité de santé (HAS), « Prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé », novembre 2001, mis à jour le 19 juillet 2006. En ligne sur : bit.ly/3sbc2Kf

6. Allman R. M., Goode P. S., Burst N. et al., “Pressure ulcers, hospital complications, and disease severity: impact on hospital costs and length of stay”, Advanced Wound Care, Jan-Feb 1999;12 (1):22-30. En ligne sur : bit.ly/32BwJWQ

7. Nestrigue C., Or Z., « Estimation du surcoût des événements indésirables associés aux soins à l’hôpital en France », DT n° 44, Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), février 2012. En ligne sur : bit.ly/35reWmg

8. Société de réanimation de langue française (SRLF), Recommandations formalisées d’experts « Prévention et traitements des lésions de pression en réanimation », septembre 2021. En ligne sur : bit.ly/3G4smkP

9. Lima-Serrano M., González-Méndez M. I., Martín-Castaño C. et al., “Predictive validity and reliability of the Braden scale for risk assessment of pressure ulcers in an intensive care unit”, Medicina Intensiva, 2018 Mar;42 (2):82-91. En ligne sur : bit.ly/3fZoOWn

10. Wei M., Wu L., Chen Y. et al., “Predictive Validity of the Braden Scale for Pressure Ulcer Risk in Critical Care: A Meta-Analysis”, Nursing in Critical Care, 2020 May;5 (3):165-70. En ligne sur : bit.ly/3GYqRWx

11. Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées, Circulaire DHOS/SDO n° 2003-413 du 27 août 2003 relative aux établissements de santé publics et privés pratiquant la réanimation, les soins intensifs et la surveillance continue. En ligne sur : bit.ly/3G3hZgU

12. González-Méndez M. I., Lima-Serrano M., Martín-Castaño C. et al., “Incidence and risk factors associated with the development of pressure ulcers in an intensive care unit”, Journal of Clinical Nursing, 2018 Mar;27 (5-6):1028-37. Sur : bit.ly/3HjS1HL

13. Otto C., Schumacher B., Ferro C. et al., “Risk factors for the development of pressure lesion in critical patients”, Enfermagem em Foco, 2019;10 (1). En ligne sur : bit.ly/3fXnSl9

ARTICLE RÉALISÉ PAR :

OLIVIER TOQUIN Infirmier, aide au Cadre en service de médecine intensive et réanimation, CHU de Bordeaux olivier.toquin@chu-bordeaux.fr

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt

COORDINATION :

VALÉRIE BERGER

IDE, Ph. D., cadre superieure de sante, coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maitre de conferences associee temporaire, universite de Bordeaux

valerie.berger@chu-bordeaux.fr

CAROLINE SERNICLAY

Cadre de sante, coordinatrice paramedicale de la recherche en soins, CHU de Reims, pilote de la CNCPR

cserniclay@chu-reims.fr

EN PARTENARIAT AVEC LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE