PHOTOGRAPHIER LES PLAIES - Ma revue n° 017 du 01/02/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 017 du 01/02/2022

 

JE ME FORME

FICHE DE SOINS

Marie-Capucine Diss*   Yann Beneteau**  


*infirmier libéral à Lacroix-Falgarde (Haute-Garonne)

Le suivi photographique des plaies permet d’améliorer l’échange des informations avec le chirurgien ou le médecin spécia liste. Mais photographier une plaie est soumis au consentement du patient et, également, au respect de certaines règles techniques et de la sécurité des données de santé.

AU PRÉALABLE

POURQUOI PRENDRE EN PHOTO LES PLAIES ?

• Une photographie donne accès aux soignants à des paramètres objectifs, d’une part qualitatifs, comme l’état de la peau péri lésionnelle ou encore la pha se colorielle, et d’autre part quantitatifs, par l’estimation de la surface lésée grâce à une réglette.

• Dès qu’un événement survient, il est recommandé de solliciter des avis sans trop attendre. Le soignant doit pouvoir montrer l’état de la plaie au praticien spécialiste au lit du patient à tout moment. Le recours au suivi photographique, en optimisant les relations ville-hôpital, permet en outre de réajuster un protocole en fonction de l’évolution de la plaie ou un projet thérapeutique. L’intérêt étant d’éviter au patient des visites répétées chez son spécia liste ou d’être reconvoqué plus tôt en cas d’aggravation notable.

• La photo ne peut être interprétable qu’en complément d’informations concernant le patient : prise de médicaments, antécédents, éventuelle compression, usage d’une chaussure de décharge en cas de pied diabétique. Mais un cliché ne remplacera jamais l’œil du soignant.

• Il est important d’expliquer à la personne prise en charge les raisons pour lesquelles sa plaie est photographiée. Dans certains cas, le suivi photo graphique peut avoir un effet positif sur le patient qui peut lui-même constater l’évolution, même lente, vers la cicatrisation.

ASPECTS JURIDIQUES ET DÉONTOLOGIQUES

• Les professionnels de santé doivent respecter la législation concernant le droit à l’image - à savoir le droit pour toute personne d’autoriser ou de s’opposer à la fixation, à la reproduction et à la diffusion de son image - et relative au droit à la vie privée, dans la mesure où l’image du corps humain entre dans le cadre de la vie privée.

• Des dispositions civiles et pénales permettent de protéger ces droits. Par exemple, le Code pénal prévoit de punir d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de « porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document » fixant l’image d’une personne sans son accord (article 226-2).

• Les soignants sont également soumis au secret professionnel. Selon l’article L 110-4 du Code de la santé publique, « toute personne prise en charge par un professionnel de santé […] a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations le concernant ». Les personnels qui appartiennent à la même équipe de soins « peuvent partager les informations concernant une même personne qui sont strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social ». L’article R 4127-73 du Code de la santé publique précise également que « le médecin doit faire en sorte, lorsqu’il utilise son expérience ou ses documents à des fins de publication scientifique ou d’enseignement, que l’identification des personnes ne soit pas possible ».

• Pour réaliser le cliché d’une plaie, il est dès lors nécessaire de disposer du consentement écrit du patient ou, le cas échéant, de celui de sa person ne de confiance ou du tuteur. Ce document doit spéci fier les modalités de diffusion et d’utilisations ultérieures de la photo (avec possibilité de refuser certaines d’entre elles) : suivi dans un dossier partagé par les acteurs de santé, présentation lors de colloques ou de formations, fins pédagogiques.

DES CONDITIONS DE PRISE DE VUE INCHANGÉES

Il est important de réitérer les photos au fil de la prise en charge pour en faciliter l’interprétation. D’où l’importance de prendre le temps de la réflexion lors de la première prise de vue, en y associant le patient qui aura préalablement été informé des enjeux et des contraintes techniques. Dans quelle pièce s’installer et avec quel éclairage ? Certaines zones anatomiques comprenant des courbures qui peuvent être difficiles à photographier, ne pas hésiter, dans ce cas, à faire changer le patient de position. Ainsi, par exemple, pour une plaie située au niveau du talon, lui demander de se mettre sur le ventre. Il peut être judicieux de consigner ces conditions de prise de vue et de les conserver dans le dossier de soins.

À QUEL RYTHME PHOTOGRAPHIER ?

• La plaie doit être photographiée dès le début de la prise en charge, puis, ensuite, tous les huit à dix jours pour suivre l’évolution de la régénération des tissus et informer le praticien ou le chirurgien qui suit le patient, sans le surcharger d’informations. En cas d’événement bénéfique ou néfaste, comme la dégradation du tissu de granulation ou d’une plaie s’infectant, la date de la prise de vue peut être avancée.

• Ne pas oublier de réaliser un cliché « de fin », avec la plaie refermée.

EN PRATIQUE

PRÉCONISATIONS GÉNÉRALES

On s’attachera à fixer des règles techniques en équipe et à s’y tenir :

- la prise de vue se fait après que la plaie a été lavée, sauf si l’on souhaite mettre en évidence un élément particulier avant le nettoyage ;

- utiliser un fond uniforme (bleu ou vert pour les peaux blanches, jaune pour les peaux noires) améliore les contrastes. Les champs de set de pan se ment peuvent convenir, sinon, utiliser un drap ou une serviette ;

- respecter l’anonymat du patient en évitant de photographier ses yeux. Sinon, les faire disparaître à l’aide d’un logiciel d’édition d’ima ges. De même, éviter tout signe distinctif comme un bijou, un portrait accroché au mur, etc. ;

- autant que possible, ni le patient ni l’opérateur ne doivent bouger pendant la prise de vue pour éviter d’obtenir une image floue. La peau humide pouvant créer des reflets, bien la sécher auparavant ;

- nettoyer régulièrement l’objectif ou la lentille de l’appareil ;

- prendre le temps de toujours visualiser la photo et de la valider avant de refaire le pansement.

ASPECTS TECHNIQUES

Choisir le cadrage : photographier sous au moins deux angles différents, par exemple une image centrée sur la plaie et une image globale (jambe complète en cas de plaie au pied). Cette façon de faire permet de mettre en évidence l’éventuelle présence d’œdème, de peau périlésionnelle ou encore d’infection. On pourra également faire un troisième cliché avec le pansement enlevé et juxtaposé afin d’évaluer le niveau d’exsudat de la plaie, utile en cas de discussion avec le médecin pour changer le type de pansement. Il est intéressant de définir le cadre que l’on souhaite tout le temps avoir sur les photos. Pour cela, dessiner autour de la plaie les deux angles opposés du cadre fictif.

Soigner la lumière : chercher à avoir la lumière la plus naturelle possible. En cas de présence de lampes à économie d’énergie, les allumer environ un quart d’heure à l’avance. Pour éviter le contre-jour, toujours se placer dos à la fenêtre et ne pas hésiter à tirer les rideaux si la fenêtre laisse passer trop de lumière. Dans la même idée, ne pas utiliser le flash. Il est en revanche possible d’employer un anneau lumineux au milieu duquel on peut fixer le smartphone. Ce dispositif, qui diffuse une lumière froide, n’occasionnera donc aucun problème d’exposition et permettra de toujours avoir la même luminosité lors des prochaines prises de vue. Attention également aux ombres projetées.

Planimétrie : l’utilisation d’une réglette, de préférence en papier et à usage unique, posée près de la plaie, permet de calculer les dimensions de celle-ci et de les comparer au fil des photo graphies. Veiller en outre à bien inscrire l’identité du patient dessus (en utilisant les initiales ou un nombre limité de lettres pour garantir l’anonymat).

La photographie doit être prise à un angle de 90 °.

→ À noter : un consensus reconnaît que multiplier la longueur de la plaie par sa largeur puis par 0,785 permet d’obtenir sa surface corrigée.

Netteté : penser à toujours faire le point, la zone de netteté devant être sur la lésion, et choisir l’option haute définition pour la qualité des images. Pour les photos prises de près, régler l’appareil sur la position macro. Ne jamais zoomer, mais se rapprocher du sujet car le zoom occasionne une perte de pixels et donc de netteté. La réglette doit être sur le même plan que la lésion pour éviter qu’un de ces deux éléments ne soit flou.

TRANSMISSION DES DONNÉES

Aucun échange de données de santé ne doit se faire en dehors des messageries sécurisées ou des hébergeurs de données de santé prévus à cet effet. Le recours aux MMS ou aux messageries de type WhatsApp ne garantissant pas l’anonymat de la personne est à prohiber. Utiliser une messagerie sécurisée, comme MSSanté reconnue par l’Agence du numérique en santé (ANS) ou les systèmes d’échange de données de santé mis en place au niveau régional.

L’utilisation d’une serviette comme arrière-plan améliore le contraste de la photo. Le cadre est centré sur la plaie.© Yann Beneteau La réglette, aux initiales du patient, est bien placée pour mesurer les plaies. Le champ vert souligne le contraste. L’usage d’un anneau lumineux apporte une netteté et une bonne luminosité. Le cliché étant centré sur la plaie, les couleurs sont bien reconnaissables. Le cliché est légèrement flou et pas suffisamment cadré sur la plaie.