L’EXPERTISE INFIRMIÈRE DANS LA PEAU - Ma revue n° 017 du 01/02/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 017 du 01/02/2022

 

JE DIALOGUE

Laure Martin  

Clarisse Goux, Idel en Corse, défend l’importance de la formation des infirmières, fondamentale pour accroître leur expertise ainsi que leur place dans le système de santé. Sa volonté d’affirmer ce savoir-faire l’a conduite à proposer une expérimentation article 51, Cica’Corse, dans le domaine des plaies et cicatrisation.

Comment est née l’idée de cette expérimentation ?

Clarisse Goux : En 2015-2016, j’ai repris des études universitaires pour suivre un Master en parcours complexes à l’Université d’Aix-Marseille, diplôme préfigurateur du Master en pratique avancée. Mon objectif était de me former sur l’organisation du système de santé et sur la place que l’infirmière peut y occuper. De retour en Corse, j’ai été sollicitée par la présidente de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Infirmiers, qui avait eu connaissance de mon engagement pour la profession. J’ai toujours été intéressée par les organisations permettant aux infirmières de se faire davantage entendre. Je me suis donc engagée dans la mandature suivante. Par ailleurs, le domaine des plaies et de la cicatrisation m’ayant toujours intéressée, j’ai passé un diplôme universitaire (DU) en 2013 et, par la suite, j’ai régulièrement participé à des congrès. C’est un sujet qui plaît aux infirmières car il est porteur, il évolue régulièrement et il nous donne la possibilité de prescrire des pansements. Nous nous sentons donc expertes et pouvons travailler en étroite collaboration avec les médecins traitants pour les prises en charge. Lorsque j’ai commencé à réfléchir à un projet en lien avec cette thématique, à la même période le Parlement adoptait la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 avec l’article 51*. Lorsque j’ai pris connaissance de ce texte, j’ai su qu’il fallait l’exploiter pour mettre en place un projet dans le domaine des plaies et de la cicatrisation. Et j’ai eu la chance de rencontrer différents acteurs qui y ont cru, à savoir le bureau de l’URPS, le centre hospitalier de Bastia, la Fédération corse coordination innovation santé (FCCIS), différents professionnels de santé de Corse investis en cicatrisation ainsi que l’Agence régionale de santé (ARS).

En quoi consiste Cica’Corse ?

C. G. : Il s’agit d’un dispositif de coordination, d’aide et d’appui aux équipes de terrain, aux libérales et aux Ehpad qui se trouvent en difficulté pour prendre en charge un patient porteur d’une plaie chro nique. Cet appui se traduit par la mise en place de la télé consultation avec de l’expertise au plus près du patient. Ce sont principalement des infirmières libérales et des médecins qui sollicitent les experts lorsqu’ils sont confrontés à une problématique. Le collectif d’experts, rémunérés au forfait, est composé en première ligne des Idels et salariés formés en plaies et cicatrisation et, en deuxième ligne, des médecins experts. Après étude du dossier patient et la téléconsultation, l’infirmière experte propose un protocole. Le médecin délégant le relit et le valide, puis l’infirmière de coordination envoie le plan de prise en charge à l’équipe requérante. Dans l’article 51 de 2018, il n’est pas question de délégation d’actes. Nous avons donc dû élaborer un protocole de coopération tel que prévu par l’article 51 de la loi Hôpital, patients, santé, territoire de 2009 afin de permettre aux médecins experts de déléguer la réalisation de l’acte d’expertise aux infirmières de la cellule experte. Nous avons débuté les inclusions à l’automne 2021 et nous terminons les plannings des experts pour proposer une offre suffisante pour les requérants.

D’où vient votre motivation à proposer un tel dispositif ?

C. G. : Le suivi des patients et le domaine des plaies et cicatrisation me passionnent. Il était également très motivant de savoir que je disposais d’un soutien me permettant de mettre en œuvre ce projet, à savoir être dans une instance dirigeante comme l’URPS, qui peut déposer des projets d’expérimentation article 51. L’URPS a pour rôle d’améliorer la structuration de l’exercice sur le territoire tout en mettant en valeur l’expertise des infirmières, de les accompagner pour augmenter le niveau de formation et mettre en avant les compétences. Avec ce projet, c’est aussi un service que l’on rend aux soignantes. En tant que professionnelle de terrain, je me suis parfois retrouvée en difficulté dans la prise en charge de plaies. J’aurais aimé pouvoir bénéficier d’aide mais la Corse était vierge de structures fédératrices. C’est d’ailleurs ce qui était enthousiasmant dans ce projet : tout était à construire. Seule, je n’aurais rien pu faire. Nous avons reçu l’appui de la coordinatrice de l’URPS pour le montage du projet ainsi que de la FCCIS, et nous bénéficions du partage d’expérience des équipes d’Occitanie, plus avancées dans une expérimentation similaire. Si j’encourage les infirmières à s’engager dans des expérimentations article 51, elles doivent toutefois avoir conscience que les dossiers sont lourds à monter. Il faut être entouré et le faire en équipe.

Que vous apporte cet engagement d’un point de vue professionnel ?

C. G. : Aujourd’hui, avec ma consœur présidente de l’URPS, nous avons plusieurs casquettes. Nous sommes coordinatrices de Cica’ Corse, nous réceptionnons les demandes d’inclusion des patients, nous contactons les requérants, collectons les informations pour que la téléconsultation soit la plus efficiente possible, reprenons le suivi du dossier et faisons le lien avec les équipes. Nous faisons également partie de l’équipe d’experts. Et comme nous poursuivons le pilotage de l’expérimentation dans son ensemble, nous avons des liens avec l’ARS. Cet engagement permet de garder la motivation pour continuer à pratiquer et à avancer. Aujourd’hui, je suis infirmière en pratique avancée après être retournée à l’université pour acquérir ces nouvelles compétences. Cette envie de se former, d’aller chercher plus loin, d’accompagner la profession constitue un cercle vertueux. Je souhaite donner envie aux infirmières de continuer à exercer avec passion. Cette passion se cultive, en cherchant l’expertise pour évoluer. Demain, cela permettra d’avoir des professionnelles de santé docteures en sciences cliniques infirmières et de tirer la profession vers le haut.

L’expertise infirmière vous tient vraiment à cœur…

C. G. : L’expertise et l’engagement des IDE participent à l’envie et à l’élan que nous pouvons avoir pour notre travail. Il existe de multiples sujets sur lesquels nous pouvons nous engager. Sur le terrain, nous sommes toujours contentes de pouvoir nous appuyer sur l’expertise d’un collègue pour le repérage des violences conjugale ou pour l’accompagnement des addictions. Le développement professionnel continu donne l’opportunité à de nombreux soignants de se former. Mais pour ce qui est des formations diplômantes et certifiantes, je pense que nous sommes encore minoritaires. La situation est en train d’évoluer, nous le constatons avec l’engouement des infirmières pour la pratique avancée. Les universités qui proposent le Master sont très sollicitées. De notre côté, avec Cica’Corse, nous avons participé à l’élaboration d’un DU Cicatrisation soutenu par l’Université de Corse. Elle a laissé « carte blanche » à l’URPS pour la construction du programme et le choix des intervenants et, depuis trois ans, la formation est complète.

* La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 a introduit dans son article 51 un dispositif permettant d’expérimenter des organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits, dès lors qu’elles contribuent à améliorer le parcours des patients, l’efficience du système de santé, l’accès aux soins et la pertinence de la prescription des produits de santé.

POURQUOI ELLE ?

Infirmière libérale et élue de l’URPS Infirmiers Corse, Clarisse Goux a pensé et porté l’expérimentation article 51 Cica’Corse, avec le soutien de l’URPS. Aujourd’hui, elle encourage vivement ses consœurs à se lancer dans ce type d’initiative pour développer l’expertise infirmière, sans pour autant rogner sur l’importance du travail d’équipe pour mener de tels projets. Grâce à son expérience et son engagement, elle insuffle une vision prometteuse et emblématique des évolutions de la profession.

BIO EXPRESS

2001 Diplôme d’État d’infirmière.

2013 Diplôme universitaire (DU) Plaies, brûlures et cicatrisation.

2016 Master en sciences cliniques infirmières (Université d’Aix-Marseille). Trésorière de l’URPS Corse.

2019 Diplôme d’État d’IPA mention pathologies chroniques. Lancement du projet Cica’Corse.

2021 Inclusion des premiers patients dans le dispositif.