LES ESPOIRS DOUCHÉS DES PROFESSIONNELS DU GRAND ÂGE - Ma revue n° 014 du 01/11/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 014 du 01/11/2021

 

LOI SUR LE VIEILLISSEMENT

JE DÉCRYPTE

POLITIQUE DE SANTÉ

Adrien Renaud  

Promise depuis 2018, la grande loi sur le vieillissement ne verra finalement pas le jour. La déception que cet abandon suscite chez les soignants est loin d’être compensée par les mesures annoncées dans le dernier PLFSS.

C’était en juin 2018. Autant dire il y a un siècle. Au congrès de la Mutualité française, à Montpellier, Emmanuel Macron promettait une grande loi sur le grand âge et l’autonomie pour 2019. Plus de trois ans plus tard, c’est à la ministre déléguée chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, qu’est revenue la tâche d’enterrer la promesse élyséenne. Le 8 septembre, en clôture des Assises des Ehpad, celle-ci annonçait qu’il n’y aurait pas de texte spécifique, mais « des mesures nouvelles, fortes, tangibles » pour le secteur médico-social dans le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022. Pas sûr qu’aux yeux des soignants du secteur cette annonce suffise à rendre positif le bilan du quinquennat.

Car quand on tend le micro aux blouses blanches des Ehpad et autres Services d’aide à domicile (SAD), l’impression est unanime : en dehors du Ségur, vécu comme une juste mais faible compensation d’une crise sanitaire subie dans des conditions particulièrement difficiles, peu de choses ont changé depuis le début du quinquennat. « On n’a pas vraiment senti de différence au niveau des moyens, soupire Axelle*, infirmière dans un Ehpad de la région Grand Est. On voit bien que la gériatrie n’est pas la priorité de ce gouvernement. » Même constat chez Nathalie*, aide-soignante dans un Ehpad de Normandie. « On aura beau faire toute la publicité qu’on voudra, les jeunes ne s’orienteront pas vers les Ehpad en sortie de formation si les conditions ne s’améliorent pas », souffle-t-elle.

« Je ne comprends pas ce que fait ce gouvernement, je ne comprends pas pourquoi rien n’est fait, se désole de son côté Claude Vaussenat, délégué syndical central Unsa du groupe d’Ehpad Korian. Les métiers ne sont plus attractifs, on est en pénurie de personnel et je me fais véritablement du souci pour savoir qui va pouvoir soigner les gens. » Pour lui, les revalorisations du Ségur n’ont été qu’une « mesure d’urgence visant à éviter que les gens ne s’enfuient tout de suite », mais il estime qu’il en faudrait bien plus pour inciter les personnels à rester dans les établissements sur la durée.

LA POLITIQUE DES PETITS CAILLOUX

Ève Guillaume, directrice de l’Ehpad Lumière d’automne à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), et infirmière de formation, est plus mesurée, mais elle aussi dresse un constat où le négatif l’emporte largement sur le positif. « Il faut reconnaître qu’il y a eu un certain investissement dans le grand âge, avec notamment le Ségur, admet-elle. Mais après tant de concertations et de rapports qui se sont accumulés depuis des mois et des années, il est forcément décevant de ne pas avoir de loi. » Il faut dire qu’entre le rapport El Khomri de 2019 sur la « mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge », le rapport Libault qui, la même année, concluait à une « concertation grand âge et autonomie », ou encore le rapport de cette année du think tank Matières Grises qui dessine les contours de l’Ehpad du futur, la période a été riche en réflexions intenses qui auraient dû déboucher sur des actions fortes. Mais de l’avis général, tel ne fut pas le cas.

« On ne peut pas dire que rien n’a été fait, mais on doit constater que ce gouvernement n’a pas de vision, il ne fait que semer des petits cailloux par-ci par-là », constate, agacé, Luc Broussy, président de Matières Grises, coauteur du rapport et président de la filière nationale « Silver économie ». Et ce spécialiste du vieillissement, par ailleurs président du Conseil national du Parti socialiste, de constater que certes, le Ségur constitue pour les soignants « une augmentation comme il n’y en a jamais eu, du moins en une seule fois », mais que l’abandon de la grande loi promise par le président de la République a d’autant plus valeur de symbole que « ce projet de loi n’a en réalité jamais existé, personne n’en a vu le moindre article ».

400 MILLIONS POUR L’EHPAD ET LE DOMICILE

S’il est vrai que la loi « grand âge et autonomie » n’a jamais quitté les limbes des discours gouvernementaux, il est un texte bien concret qui, selon la communication ministérielle, doit donner un nouveau souffle au secteur : le PLFSS pour 2022. C’est du moins ce qu’a voulu souligner fin septembre Jean Castex lors d’un déplacement dans un Ehpad et un SAD de Saône-et-Loire destiné à présenter les mesures prévues dans le cadre de la branche autonomie. « On doit donner corps à ce que le président de la République a appelé la grande ambition humaniste pour nos aînés, c’est-à-dire fonder une véritable politique de l’autonomie », a déclaré le Premier ministre, avant de détailler une enveloppe de « plus de 400 millions d’euros » pour 2022 en faveur des Ehpad et du domicile.

C’est ainsi qu’il a annoncé la mise en place d’un tarif national de référence de 22 euros par heure d’aide à domicile, financé dans le cadre de l’Allocation personnalisée d’autonomie et de la prestation de compensation du handicap. De quoi donner un peu d’air aux SAD, notamment. Il a également insisté sur la généralisation des astreintes infirmières de nuit « d’ici 2023 », et sur la présence d’un médecin coordinateur en Ehpad au moins « deux jours par semaine dans toutes les structures ». Sur le volet le plus attendu par la profession, à savoir les recrutements, le chef du gouvernement a promis de « sanctuariser des financements dans l’objectif de recruter, d’ici cinq ans, 10 000 personnels soignants supplémentaires ».

UNE CAMPAGNE DE RECRUTEMENT

Reste qu’il en faudrait bien plus pour redonner le sourire aux responsables du secteur. « Certes, le tarif de référence pour l’aide à domicile va permettre de lisser les différences que l’on observe actuellement entre les départements, reconnaît Annabelle Vêques, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa). Mais on reste en dessous du coût de revient, qui d’après un rapport commandé par le gouvernement lui-même est de 25 euros. » Elle salue également, sotto voce, la généralisation des astreintes infirmières de nuit, qui ne fait toutefois, selon elle, que s’inscrire dans la continuité des expérimentations antérieures. Elle souligne par ailleurs que quand elle interroge ses adhérents, « c’est d’abord de personnel de jour dont ils ont besoin ».

Et malheureusement, les annonces sur les augmentations d’effectifs ne sont, selon la directrice de la Fnadepa, « clairement pas à la hauteur ». « 10 000 recrutements, ça peut paraître important pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas le sujet, mais je rappelle que le rapport El Khomri estimait que sur la même période, 90 000 créations de postes étaient nécessaires, précise-t-elle. Le gouvernement ne cesse de dire qu’il reconnaît nos difficultés en termes de ressources humaines, mais ce dont on aurait besoin, c’est d’une vraie campagne de recrutement, à l’image de ce qui a été fait pour l’armée, par exemple. » Et ne lui parlez pas de la campagne lancée début septembre (lire l’encadré p. 15), qui lui paraît largement sous-dimensionnée. « Il faudra bien plus que deux petits films », soupire-t-elle.

Pour bien comprendre ce que les 10 000 recrutements promis par le gouvernement représentent concrètement, il semble nécessaire de se placer non pas au niveau national, mais à l’échelle des établissements. Or, l’effort promis pour les cinq prochaines années se traduirait par… moins de 1,5 recrutement par Ehpad. Voilà qui est largement inférieur aux besoins d’un établissement comme l’Ehpad Lumière d’automne, où Ève Guillaume déclare n’avoir « qu’un mi-temps de médecin coordinateur qui fait aussi médecin prescripteur », alors qu’elle aimerait avoir au moins « un médecin prescripteur salarié de l’établissement ». Et ce n’est pas tout. « Je n’ai qu’un mi-temps de psychologue pour l’établissement, or la tâche est rude pour s’occuper des résidents et des aidants, ajoute-t-elle. Il y a aussi besoin de renforcer l’équipe soignante : il faudrait au moins une aide-soignante de plus par étage, par exemple, et une aide-soignante de nuit. » Le tout en prenant en compte le fait que pour avoir un soignant 365 jours par an, il faut en recruter deux !

RÉFORMER LA GOUVERNANCE

L’impression qui domine est donc qu’après presque cinq ans au pouvoir, le gouvernement n’est toujours pas à la hauteur des enjeux. « On est à une période charnière, la vague démographique approche et le gouvernement semble préférer attendre qu’on soit au pied du mur pour agir », critique Annabelle Vêques. D’après elle, il n’y a pas que l’aspect des ressources humaines, certes central, qui nécessite des réformes urgentes. D’autres sujets, à commencer par celui de la gouvernance, sont en souffrance. « Aujourd’hui, on a trois financeurs : le résident, l’État et le département, énumère-t-elle. Ce fonctionnement est devenu ingérable, et nous souhaitons confier l’ensemble du secteur aux ARS. » Matières Grises, lui, tient à la disposition des décideurs un amendement clés en main pour réformer le financement. « Nous voudrions qu’au lieu d’être financés pour 80 lits d’hébergement, par exemple, les établissements le soient pour, disons, une file active de 150 patients qui pourraient être en établissement, en accueil de jour, au domicile… », indique Luc Broussy.

Reste à savoir si la question du grand âge réussira à s’imposer comme thème majeur des élections à venir. « C’est notre objectif, annonce tout de go Annabelle Vêques, et même si on ne croit pas au Père Noël, nous ferons tout pour que la personne qui sera élue engage une réforme en profondeur de toute urgence. » Mais en attendant, pas question de rester les bras croisés. « On n’a pas besoin des pouvoirs publics pour faire de l’habitat alternatif, des résidences intergénérationnelles, de la colocation, estime Luc Broussy. Les maires, par ailleurs, ont des milliards d’euros à dépenser dans le cadre du programme “action cœur de ville”, dont l’un des axes sera le vieillissement : cela permettra de faire de l’habitat inclusif, d’adapter la voirie… Et c’est pour cela que je ne suis pas neurasthénique ! » En d’autres termes, puisque l’État ne prend pas ses responsabilités, d’autres sauront les prendre à sa place.

* Les prénoms ont été modifiés.

La communication gouvernementale, déclencheuse de vocations ?

En dévoilant les mesures dédiées au grand âge et à l’autonomie dans le PLFSS 2022, en septembre dernier, Jean Castex avait annoncé la couleur : il estime que « vieillir est une chance » et que « cela va donner du travail à beaucoup de professionnels ». Afin de susciter des vocations, le gouvernement a lancé en septembre dernier une campagne de communication intitulée « Métiers du grand âge, et si c’était fait pour vous ? », centrée sur deux films d’une vingtaine de secondes à destination des réseaux sociaux. On y voit à chaque fois une personne jeune proposer spontanément d’en aider une autre plus âgée. Dans les deux séquences, une voix off affirme que le jeune qui propose son aide « ne le sait peut-être pas », mais il possède « l’une des premières qualités pour se diriger vers les métiers du grand âge ». Reste à savoir si c’est réellement par la communication que l’on peut résoudre les problèmes de recrutement dont souffrent les Ehpad. Les responsables des ressources humaines du secteur sont en effet confrontés à une quadrature du cercle :les postes qu’ils cherchent à pourvoir manquent d’attractivité, notamment en raison des effectifs trop faibles. « Si l’on n’est pas attractifs, c’est qu’on n’est pas assez nombreux », résume Annabelle Vêques, directrice de la Fnadepa. Pour y remédier, il faut recruter. Le serpent se mord la queue, et il est peu probable que des spots sur les réseaux sociaux puissent y changer quelque chose.