FRAGILITÉS : LES IPA S’INVITENT AU CABINET MÉDICAL - Ma revue n° 014 du 01/11/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 014 du 01/11/2021

 

VIEILLISSEMENT

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Éléonore de Vaumas  

Depuis le 12 avril, l’EMGT, portée par le CHU de Nantes (44) intervient dans la métropole ligérienne pour fluidifier et renforcer le parcours de soins des personnes âgées de 75 ans et plus. Une expérimentation qui s’appuie notamment sur l’expertise d’infirmières en pratique avancée.

D’un pas assuré, Michel franchit la porte de la salle de consultation de cette maison de santé d’un quartier bourgeois de la ville de Nantes et s’installe prestement sur la chaise que lui tend Hélène Legros, l’infirmière en prati­que avancée (IPA) avec laquelle il a rendez-vous ce matin-là. Cherchant parfois ses mots, cet ancien avocat de 73 ans oriente d’emblée la conversation vers ce qui le préoccupe depuis quelques mois : des pertes de mémoire de plus en plus fréquentes. Ce sont ces dernières qui l’ont conduit à solliciter l’avis de son médecin traitant qui, pour le rassurer, a prescrit une évaluation gériatrique standardisée (EGS), une méthode de diagnostic multi­dimensionnelle et interdisciplinaire. Or, depuis la création de l’équipe mobile gériatrique territoriale (EMGT) le 12 avril dernier, cet examen, géné­ralement réalisé à l’hôpital, peut avoir lieu dans son propre cabinet. Et ce, moyennant un simple clic sur la plateforme GCS e-santé Pays de la Loire (lire l’encadré page ci-contre). « Avant la mise en place de cette expérimentation, j’aurais sans doute hésité à l’adresser à un spécialiste en gériatrie pour réserver l’accès hospitalier à mes patients complexes. Or, aujourd’hui, nous pouvons nous concentrer davantage sur les patients qui sont à risque de fragilités. De plus, le fait que cela soit dans nos murs facilite énormément la démarche pour le patient », remarque Jean-Pascal Fournier, médecin généraliste et cogérant de cette maison de santé. Désengorger les consultations hospitalières, mais aussi maintenir le plus longtemps possible les personnes âgées chez elles, tels sont les catalyseurs du déploiement de cette équipe mobile extrahospitalière sur le territoire métropolitain nantais. Financée par l’agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire, elle fonctionne grâce à l’intervention quotidienne de deux IPA rattachées au service de médecine aiguë gériatrique du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes, selon deux modalités d’intervention différentes. Le premier volet concerne la réalisation d’EGS dans les cabinets médicaux pour les personnes âgées de plus de 75 ans autonomes. Le second, lui, consiste à organiser un suivi post-urgences de patients à domicile.

DÉTECTION APPROFONDIE EN AMONT

Lors de l’évaluation gériatrique standardisée, il s’agit de dépister les signaux d’alerte de fragilités pour anticiper toute perte d’autonomie à venir. « Les fragilités liées à l’âge concernent de très nombreuses personnes à partir de 75 ans, même si elles ne sont pas forcément visibles. Par contre, si on arrive à les repérer en amont et prodiguer des conseils thérapeutiques adaptés, on peut parvenir à repousser le moment où la personne ne sera plus autonome », démontre Aurélie Bec, coordinatrice de l’EMGT.

Ce que redoutent le plus les professionnels de santé travaillant auprès d’un public vieillissant ? Le phénomène de « cascade gériatrique », à savoir lorsque les éléments pathologiques retentissent les uns sur les autres et s’aggravent réciproquement. Or, ce premier bilan, s’il doit parfois être conforté par des examens plus approfondis, présente l’inté­rêt de passer en revue les principales capacités fonctionnelles, psychologiques et médicales (performances physiques, mémoire, moral, alimentation, mobilité, etc.). Et ainsi, à travers un interrogatoire précis et des outils validés scientifiquement (MMSE, Bref, Dubois, etc.), d’identifier les éventuelles difficultés. Au besoin, l’évaluation sanitaire peut être complétée par l’intervention à domicile d’une travailleuse sociale. Sa mission ? Faire le point sur la situation familiale et sociale de la personne, l’aménagement de son logement, sa situation administrative et financière, la présence d’aides humaines, la nécessité ou non de mettre en place une mesure de protection… « Cela permet d’avoir une photographie fine et globale de la personne âgée à un instant T. Le social et le médical sont souvent liés, et il est très utile de pouvoir disposer de ces éléments en complément de l’évaluation sanitaire, notamment lorsque les professionnels de santé rencontrent des problèmes de maintien à domicile », constate Adeline Gérard, l’intervenante sociale à mi-temps de l’équipe mobile gériatrique.

ALLIANCE HÔPITAL/MÉDECINE DE VILLE

À l’issue de cette évaluation, d’une durée moyenne d’une heure et quart, l’IPA communique ses préco­nisations au médecin traitant sous forme d’échange oral ou de rendez-vous téléphonique. Il peut ainsi être question de recommander la réévaluation du traitement médicamenteux en cas d’iatrogénie, la correction des déficits sensoriels, la modification du régime ou de la prise en charge nutritionnelle, de prescrire des séances de rééducation ou de travail de l’équilibre, etc. « C’est tout l’intérêt d’avoir des infirmières en pratique avancée formées à ce type d’examen dans ce dispositif. Elles ont les compétences et les capacités d’analyse suffisantes pour faire le lien entre les fragilités et mettre en place un plan de soins adapté », décrypte Aurélie Bec. Seules à se déplacer sur le territoire, les IPA ont la possibilité de solliciter l’avis d’Éloïse Le Fur, médecin gériatre rattachée à l’équipe du CHU. En paral­lèle, cette dernière est également joignable par téléphone, du lundi au vendredi, de 9 à 18 h, pour répondre aux questions spécifi­ques des soignants. Les motifs fréquents d’appels ? La gestion des effets indésirables des traitements, la prise en charge des décompensations de pathologies chroniques, des troubles du comportement… Autant de situations auxquelles la médecine de ville peine parfois à trouver une réponse. « Il est évident que les médecins traitants peuvent avoir un intérêt à être épaulés dans la prati­que de la prévention chez le sujet âgé, appuie Laure de Decker, oncogériatre au CHU de Nantes et l’une des instigatrices de ce projet avec Thomas Verron, directeur parcours patients et relations avec la médecine libérale au CHU de Nantes. Raison pour laquelle nous avons besoin des compétences de tous les acteurs pour que chacun puisse compter sur l’expertise de l’autre. Tout doit être fait pour éviter les disjonctions entre l’hôpital et la méde­cine de ville. Car face au vieillissement de la population, on ne s’en sortira qu’avec un parcours de soins bien identifié et adapté. »

RETOUR AU DOMICILE SOUS HAUTE SURVEILLANCE

Cette ambition a d’ailleurs fait naître dans l’agglo­mération nantaise un second volet d’intervention. Unique en France, il offre aux médecins urgentistes la possibilité de programmer, via une prise de rendez-vous simplifiée sur GCS e-santé, le passage d’une IPA chez les patients âgés dans les 24 à 48 heures suivant leur sortie de l’hôpital. « D’expérience, nous savons que le passage aux urgences peut être très traumatique. Savoir qu’une professionnelle de santé va passer voir le patient peu après la sortie rassure tout le monde, les médecins comme les familles. Pour nous, c’est d’autant plus bénéfique que le domicile est riche d’informations sur la façon dont la personne vit. Dans le cas des chutes, par exemple, ça nous permet d’orienter sur le motif et d’y remédier pour en empêcher une nouvelle », illustre Hélène Legros. Sur place, la soignante ne s’intéresse en effet pas uniquement à l’état clinique du patient. Il arrive ainsi fréquemment que son intervention soit l’occasion de détecter de nouvelles fragilités qui nécessitent un suivi coordonné avec la travailleuse sociale. « Si je constate que la personne n’arrive pas à se faire à manger toute seule ou que son logement est insalubre, je fais appel à elle pour qu’elle puisse proposer des actions concrètes, comme des aides exceptionnelles, la mise en place d’une aide à domicile pour les repas… Quant à moi, je fais systématiquement le lien avec le médecin traitant pour l’informer que son patient a été hospitalisé », témoigne Cécile Deguil-Bescond, également IPA au sein de l’équipe mobile gériatrique. Côté suivi, une seconde visite à domicile de l’équipe est prévue un mois après le passage aux urgences. Très apprécié des patients, ce déploiement extra­hospitalier dans l’agglomération nantaise rencon­tre également un franc succès chez les professionnels de santé. « Pour nous, médecins, c’est vraiment un plus en termes de fluidité du parcours de soins. La prise de rendez-vous avec des spécialistes est deve­nue extrêmement simple. De plus, depuis le début de l’expérimentation, j’ai remar­qué que les services du CHU étaient très à l’écoute. Pour une fois, on parle vraiment de déployer une expertise en soins de premiers recours », se réjouit Jean-Pascal Fournier.

MONTÉE EN PUISSANCEDU DISPOSITIF

Outre un créneau réservé aux visites en post-urgences, l’emploi du temps quotidien des IPA prévoit la réalisation de quatre évaluations par soignante. Un seuil qu’elles atteignent déjà régulièrement, seulement quelques mois après le lancement de l’expérimentation. L’arrivée, ce mois-ci, d’une troisième IPA devrait permettre au dispositif de monter en charge pour, d’ici la fin de l’année, pouvoir se déployer dans la périphérie proche de Nantes. Intramuros, le nombre de sites d’accueil continue également de s’étoffer, avec bientôt quatorze cabinets médicaux, maisons de santé pluridisciplinaires et centres médico-sociaux prêts à accueillir l’EMGT pour des consultations. Autre perspective : le démarchage, dans les vaccinodromes, des personnes âgées de plus de 75 ans, qui viennent rece­voir leur troisième injection de vaccin contre la Covid, pour leur proposer la réalisation d’une EGS. « Il faut qu’on s’inscrive dans une démarche proactive sans forcément attendre que le médecin traitant soit demandeur de l’acte. Sachant que l’idée maîtresse est de permettre à la personne vieillissante de devenir actrice de sa santé », résume Laure de Decker. Et de là, espère la spécialiste, d’assurer à toutes les personnes qui, comme Michel, redoutent une dégradation de leurs capacités, des conditions favorables à un maintien au domicile le plus longtemps possible.

Un outil sur mesure

Solution régionale, la plateforme développée par GCS e-santé Pays de la Loire œuvre, depuis 2018, au déploiement de la télémédecine auprès des acteurs de santé (médecins généralistes, médecins spécialistes, infirmières, etc.). Outre l’accès sécurisé à des visioconférences ou à des actes de téléexpertise, elle permet l’échange de données (photos, données patients, vidéos) et de messages. Dans le cadre de l’intervention de l’équipe mobile gériatrique territoriale (EMGT), elle s’est étoffée d’un onglet spécifique qui donne accès à un agenda partagé où sont répertoriés les différents sites pouvant accueillir les infirmières en pratique avancée (IPA) pour des évaluations gériatriques standardisées. « Une fois que le médecin a sélectionné un créneau, nous sommes informées de l’endroit et de l’heure du rendez-vous, détaille Aurélie Bec, coordinatrice de l’équipe mobile. Il a aussi la possibilité de nous transmettre les antécédents médicaux oules bilans biologiques de son patient. » Cet outil sert en outre aux infirmières à transmettre leur synthèse post-évaluation médicale et sociale. Sans compter que, pour les médecins urgentistes, qui sont également dans la boucle, ces informations se révèlent très utiles pour la suite de la prise en charge d’une personne âgée. « Il n’y a pas la nécessité de leur refaire un topo complet, ajoute Adeline Gérard, travailleuse sociale à mi-temps dans l’équipe mobile. En un clic, ils disposent de toute l’antériorité médicale du patient. C’est un vrai gain de temps pour eux. »

Savoir +

LA PRÉVENTION FAÇON OMS

« Vieillir en bonne santé », tel est le mot d’ordre d’Icope (Integrated Care for Older People), l’expérimentation nationale du programme de santé publique mis au point par l’Organisation mondiale de la santé pour les 60 ans et plus. Son objectif est de proposer un outil multidimensionnel permettant aux personnes de s’autoévaluer autour des cinq grandes fonctions déterminantes pour l’autonomie (locomotion, santé mentale, cognition, capacités sensorielles, état nutritionnel). « On sait que d’ici quelques mois ce programme va être déployé dans les Pays de la Loire. Rapidement, les personnes vont disposer d’un pré-screening sur leur état de santé. Elles pourront également, par ce biais, être mises en relation avec un acteur de soins », prédit Laure de Decker, oncogériatre au CHU de Nantes. Un acte fort en faveur d’une meilleure prévention du vieillissement qui fait écho à l’action de l’équipe mobile gériatrique territoriale (EMGT) sur son territoire.

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